Intervention de Dominique Simonnot

Réunion du mercredi 22 mars 2023 à 14h30
Commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les dysfonctionnements au sein de l'administration pénitentiaire et de l'appareil judiciaire ayant conduit à l'assassinat d'un détenu le 2 mars 2022 à la maison centrale d'arles

Dominique Simonnot, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté :

Je tiens à vous dire mon émotion d'être auditionnée par votre commission. Je vous suis reconnaissante d'avoir rappelé que la problématique qui touche nos prisons ne se limite pas au seul cas, horrible, d'Yvan Colonna. En effet, s'il est important que vous vous penchiez sur les dysfonctionnements qui ont pu conduire au meurtre d'un détenu par un autre, chaque année, plus de 250 personnes meurent dans les prisons françaises, dont 120 environ se suicident.

Je ne pourrai vous parler ni de la victime ni de l'auteur des faits. Quand bien même je me serais entretenue avec ce dernier, je n'aurais pas pu vous rapporter nos échanges. Cependant, le fait qu'une commission d'enquête se penche sur la prison, sur les personnes atteintes de troubles mentaux de prison – que l'on évalue à plus 30 % –, sur la mort en prison – personne ne devrait mourir en prison – et, de manière générale, sur la façon dont sont traités les détenus, est pour moi une source d'espoir de voir cette situation s'améliorer.

Vous rappelez qu'Yvan Colonna se trouvait à Arles et non dans une prison en Corse au titre du rapprochement familial. Je ne peux me prononcer sur son cas particulier, qui représente d'ailleurs un sujet éminemment politique, mais le Contrôle général est intrinsèquement favorable au rapprochement familial, dans tous les cas. Actuellement, nous faisons face à un problème similaire, concernant les femmes TIS de retour de Syrie, séparées – et très éloignées – de leurs enfants. Peut-être serez-vous invités à vous pencher sur ce problème, qui est à la fois moral, judiciaire et politique.

Vous m'interrogez sur le statut de travailleur dont bénéficiaient l'auteur des faits comme la victime. Le Contrôle général est profondément attaché à ce qu'aucun détenu ne soit exclu de ce statut. Il serait terrible que le cas que vous examinez conduise à remettre en cause l'ensemble de la situation. Pour le CGLPL, la vie en prison doit se rapprocher autant que possible de la vie au-dehors, pour préparer au mieux la sortie des détenus. C'est dramatique de dire cela en l'espèce car de sortie, il n'y aura pas, pour personne. Le Conseil d'État, à la demande de l'Observatoire international des prisons, et avec le soutien de l'un des avocats d'Yvan Colonna, s'est battu pour que le statut de détenu particulièrement signalé (DPS) ne fasse pas obstacle au statut de travailleur. Il s'agit selon moi d'une avancée significative, puisque ces détenus sont amenés, à terme, à sortir du statut de DPS.

De même, Franck Elong Abé a été placé à l'isolement puis en quartier spécifique d'intégration (QSI) – lequel est en réalité un quartier d'isolement alternatif, qui ne prépare ni à la sortie ni à intégrer une détention normale. En effet, la sécurité prime le reste. Pourtant, malgré l'agression sur laquelle vous vous penchez, tous les DPS et tous les détenus du QSI ne commettent pas de meurtres.

Cette prévalence de la sécurité est permanente. Dans les nouvelles prisons, tout est fait pour que les détenus se croisent le moins possible et qu'ils aient un minimum d'interactions avec les surveillants. Le centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe en est le meilleur exemple. Son cahier des charges vise à déshumaniser totalement les détenus. Surveillants et directeurs de prison me disent régulièrement la difficulté que soulève la gestion de tels lieux.

Les dispositifs employés dans les transferts ou la circulation des détenus au sein de la prison – l'équipement des surveillants, notamment, habillés comme des RoboCops – participent de cette prévalence de l'hypersécurité, que le CGLPL estime particulièrement défavorable à un retour progressif à la vie normale, y compris en détention.

Il est malheureux que l'abolition du discernement soit de moins en moins accordée aux personnes souffrant de troubles psychiatriques confrontées à leurs actes devant la justice, au profit de l'altération du discernement. Or l'altération du discernement fait peur, tellement peur qu'elle ne vaut plus excuse : au contraire, elle donne lieu à une aggravation de la peine. Nos prisons sont peuplées de plus de 30 % de personnes souffrant de troubles psychiques graves et la prison joue le rôle des asiles d'antan. On ne peut se satisfaire d'une telle situation. Aussi, si cette mort peut avoir une signification, elle doit nous amener à nous pencher sérieusement sur ce problème.

J'ai le souvenir d'une visite au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, lors de laquelle un détenu avait incendié sa cellule, ce qui a entraîné sa mort et de très graves séquelles pour son codétenu. De nombreuses personnes nous écrivent pour nous faire part des scènes horribles auxquels elles assistent, en raison de la grave maladie de leurs codétenus – lesquels vont jusqu'à se suicider, ou avoir des gestes ou des attitudes incohérents qui rendent la cohabitation invivable. Si nous ne prenons pas la mesure de cette situation, nous devrons faire face à beaucoup d'autres morts.

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