Intervention de Sabrina Sebaihi

Séance en hémicycle du vendredi 5 mai 2023 à 9h00
Crise de l'hôpital public

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

Personne n'ignore la situation catastrophique dans laquelle se trouvent l'hôpital public et sa litanie de services inaccessibles, d'offre de soins dégradée, d'urgences de plus en plus éloignées et d'hôpitaux qui disparaissent. Faudra-t-il attendre une nouvelle fois qu'un patient meure sur un brancard après trois jours d'attente aux urgences, comme à Mulhouse en avril ? Le syndicat Samu-Urgences de France estime que 150 décès survenus en France au mois de décembre sont imputables à un défaut de prise en charge aux urgences ; 150 morts, rien que sur un mois !

Ces défauts de prise en charge, répétés et graves, ne sont pas la faute des soignants, bien à la peine pour panser les maux de notre société avec les moyens qu'ils ont car la crise est devenue la norme à l'hôpital public. Après les malades, les premières victimes de ce système sont les soignants dont les conditions de travail ne cessent de se dégrader : horaires décalés, charge mentale et psychique, exposition aux infections ou encore aux produits biologiques et à la violence. Si certains de ces risques ne peuvent être supprimés, le sous-effectif chronique associé à une perte de sens aggravent la situation.

Pour les infirmiers et infirmières par exemple, la charge de travail a doublé en dix ans, en raison de l'intensification des soins liés à la réduction de la durée moyenne de séjour. L'espérance de vie des infirmiers et infirmières est réduite de six ans et 20 % de ceux qui arrivent à la retraite sont invalides. Le turnover et l'abandon du métier sont très importants. Et que dire de la rémunération, si ce n'est qu'elle est la plus faible d'Europe dans le pays d'Ambroise Croizat ? Les chiffres fiables manquent, mais les syndicats parlent d'une durée moyenne de cinq ans d'exercice après le diplôme. Quel gâchis !

Il y a quelques semaines, j'ai alerté le ministre de la santé et de la prévention sur la situation de l'hôpital psychiatrique car si les maux des hôpitaux publics sont énormes, ceux des hôpitaux psychiatriques sont abyssaux – manque d'investissement et de place, prises en charge indignes, rémunérations honteuses des soignants, qui exercent un métier rude. C'est l'ensemble du système qu'il nous faut revoir.

Il faudrait que nous commencions enfin à assumer une vraie politique de prévention, de santé environnementale et de réduction des risques. Les débats que nous avons aujourd'hui ne seraient pas les mêmes si nous avions mis la santé au cœur de toutes nos politiques. C'est ce que réclamait déjà Noël Mamère il y a vingt ans et ce que les écologistes défendent dans et hors de cet hémicycle.

Donner la priorité à la prévention et à la santé environnementale nous permettra demain de limiter les risques cardiovasculaires, la récurrence des cancers, la multiplication des maladies liées à l'environnement, qui ne sont que la carence d'un système qui étouffe. Je pense à l'alimentation saine, dont j'ai fait une priorité de mon mandat de députée, qui permettrait de lutter contre bien des pathologies, mais aussi au sport santé, à la lutte contre les pollutions ou encore aux politiques d'accompagnement en matière d'addiction. Un paquet de mesures pourrait être pris dès aujourd'hui pour réduire drastiquement le nombre de celles et ceux qu'on devra soigner demain.

Il ne s'agit pas de dire que rien n'est fait mais que, collectivement, nous devons trouver les chemins pour faire mieux. Le covid a profondément modifié le rapport de la société au soin et à la santé, mais nous n'avons pas tenu suffisamment compte de ce changement de paradigme. Les experts, depuis Rachel Carson en 1962 jusqu'à Alice Desbiolles aujourd'hui, ainsi que tous les éclaireurs qui abondent le débat public depuis tant d'années, nous disent qu'un autre système de santé est possible.

Je regrette que le Gouvernement ne soit pas allé plus loin à l'occasion de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). On repousse d'année en année les mesures nécessaires pour empêcher l'explosion des maladies et leur prise en charge. Faute d'une politique de prévention plus ambitieuse, nous sommes désormais tenus de sauvegarder un système curatif grabataire.

J'étais hier à l'hôpital Bichat à Paris et, il y a quelques semaines, à l'hôpital de Nanterre, dans ma circonscription. J'y ai fait le même constat : les soignants sont épuisés et la situation ne s'améliore pas. Si on peut être d'accord avec le principe du plafonnement de l'intérim médical, la mesure ne passe pas parce qu'elle intervient de manière abrupte. Un chef de service m'expliquait hier qu'il pourra – difficilement – tenir le planning pour les mois de mai et de juin mais qu'il lui sera impossible de maintenir la prise en charge des patients en juillet et en août sans faire appel à des intérimaires. Prenons la mesure du désert médical aux portes de l'une des capitales les plus riches du monde, dans la sixième économie mondiale : certains services seront fermés, totalement ou partiellement, cet été. Il ne fera pas bon de tomber malade dans le sud du 93 ou dans le nord de Paris en juillet et en août. Et je ne parle pas des territoires ultramarins !

Que dire de plus si ce n'est qu'on demande trop à l'hôpital public ? On fait peser sur ces établissements de santé une part substantielle de la prise en charge. Améliorer cette dernière et rééquilibrer une part des patients en ville est nécessaire, mais, là aussi, le Gouvernement est en échec. Dans ce contexte, comment croire à la pertinence du fameux filtre aux urgences, que vous avez mis en place en arrivant aux responsabilités ?

Ce constat, c'est celui aussi celui du chef de service des urgences à Bichat. Il me disait hier qu'il était fatigué d'entendre, à la télé et dans le débat public, un discours déshumanisant qui parle notamment de « désengorger » l'hôpital, comme s'il était devenu une canalisation bouchée qu'il faut vider de ses malades. En quelques années, les mots de « soin », d'« accompagnement », de « suivi », de « réorganisation » ont été remplacés par des expressions qui désignent les soignants et les malades comme une charge et les effacent au profit des tableurs Excel. Pourtant, la réalité est têtue et personne n'est dupe des éléments de langage.

Il faut des moyens. Lorsqu'on apprend que l'Ondam – objectif national de dépenses d'assurance maladie – augmente de 4 % alors qu'il devrait être indexé sur une inflation à 6 %, je comprends que vous n'avez pas entendu le message. Aux soignants qui souffrent, aux malades qui ne sont plus correctement pris en charge, vous dites en substance : faites mieux avec moins. C'est à croire qu'il n'y a plus que l'argent qui compte. Le ministère du budget n'est pas avenue Duquesne, mais c'est lui qui orchestre cette mort annoncée de l'hôpital public !

Quel est le bilan de cette ineptie budgétaire ? Pas de revalorisation sérieuse des horaires de nuit, des rémunérations pour la plupart au-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, un système qui se paupérise, des établissements qui s'endettent pour améliorer la qualité de la prise en charge, une course à la rentabilité et le New Public Management au pouvoir. Pour quelles conséquences ? Fin de l'universalité, course à la privatisation, effacement du service public dans un système où la santé devient un bien marchand qu'on ne quantifie que dans le volet des dépenses sans jamais comptabiliser les recettes.

Dans quinze ou vingt ans, si nous parvenons à vous convaincre, il y aura besoin de moins de lits dans les hôpitaux, les services seront moins en tension parce qu'on aura développé une véritable santé préventive au bénéfice des Français. En attendant, il faut allouer les moyens nécessaires et mettre fin à la convergence dans le financement du privé et du public. Ainsi cessera la concurrence déloyale due à la fameuse tarification à l'activité (T2A), puisque les cliniques peuvent choisir les actes les plus lucratifs.

Ouvrez le chantier des rythmes à l'hôpital, invitez tous les acteurs autour de la table de discussion pour financer mieux et plus la santé, proposez une grande loi pour établir de vrais ratios notamment pour les infirmières, pour revaloriser les métiers du soin et pour redonner de la dignité aux malades ! Nous vous répondrons alors favorablement.

Madame la ministre déléguée, votre majorité est en place depuis 2017 et son bilan est celui d'un système de santé sclérosé, affaibli, mis à genou par la crise sanitaire et par la chronicisation des pathologies. La santé est notre bien commun ; elle est en France un maillon essentiel de notre système social, donc de notre République. Héritage incontesté de l'après-guerre, elle est devenue publique et est considérée comme nécessaire aux besoins et au développement de tous. Ayez le courage de dénoncer les budgets alloués à la santé et soyez à la hauteur du Conseil national de la Résistance. Soyez au rendez-vous de cette histoire et vous trouverez une immense majorité de députés pour vous soutenir.

Sans faire offense au ministre de la santé, je pense qu'on ne retiendra pas grand-chose de ses discours ou de ses interviews. En revanche, on pourrait se souvenir que vous êtes celles et ceux qui se sont levés un jour en disant que la santé ne saurait être gouvernée par les ambitions économiques de quelques bureaucrates à Bercy.

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