Séance en hémicycle du vendredi 5 mai 2023 à 9h00

La séance

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La séance est ouverte à neuf heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'ordre du jour appelle le débat sur la crise de l'hôpital public.

La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

La parole est à Mme Sabrina Sebaihi.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Personne n'ignore la situation catastrophique dans laquelle se trouvent l'hôpital public et sa litanie de services inaccessibles, d'offre de soins dégradée, d'urgences de plus en plus éloignées et d'hôpitaux qui disparaissent. Faudra-t-il attendre une nouvelle fois qu'un patient meure sur un brancard après trois jours d'attente aux urgences, comme à Mulhouse en avril ? Le syndicat Samu-Urgences de France estime que 150 décès survenus en France au mois de décembre sont imputables à un défaut de prise en charge aux urgences ; 150 morts, rien que sur un mois !

Ces défauts de prise en charge, répétés et graves, ne sont pas la faute des soignants, bien à la peine pour panser les maux de notre société avec les moyens qu'ils ont car la crise est devenue la norme à l'hôpital public. Après les malades, les premières victimes de ce système sont les soignants dont les conditions de travail ne cessent de se dégrader : horaires décalés, charge mentale et psychique, exposition aux infections ou encore aux produits biologiques et à la violence. Si certains de ces risques ne peuvent être supprimés, le sous-effectif chronique associé à une perte de sens aggravent la situation.

Pour les infirmiers et infirmières par exemple, la charge de travail a doublé en dix ans, en raison de l'intensification des soins liés à la réduction de la durée moyenne de séjour. L'espérance de vie des infirmiers et infirmières est réduite de six ans et 20 % de ceux qui arrivent à la retraite sont invalides. Le turnover et l'abandon du métier sont très importants. Et que dire de la rémunération, si ce n'est qu'elle est la plus faible d'Europe dans le pays d'Ambroise Croizat ? Les chiffres fiables manquent, mais les syndicats parlent d'une durée moyenne de cinq ans d'exercice après le diplôme. Quel gâchis !

Il y a quelques semaines, j'ai alerté le ministre de la santé et de la prévention sur la situation de l'hôpital psychiatrique car si les maux des hôpitaux publics sont énormes, ceux des hôpitaux psychiatriques sont abyssaux – manque d'investissement et de place, prises en charge indignes, rémunérations honteuses des soignants, qui exercent un métier rude. C'est l'ensemble du système qu'il nous faut revoir.

Il faudrait que nous commencions enfin à assumer une vraie politique de prévention, de santé environnementale et de réduction des risques. Les débats que nous avons aujourd'hui ne seraient pas les mêmes si nous avions mis la santé au cœur de toutes nos politiques. C'est ce que réclamait déjà Noël Mamère il y a vingt ans et ce que les écologistes défendent dans et hors de cet hémicycle.

Donner la priorité à la prévention et à la santé environnementale nous permettra demain de limiter les risques cardiovasculaires, la récurrence des cancers, la multiplication des maladies liées à l'environnement, qui ne sont que la carence d'un système qui étouffe. Je pense à l'alimentation saine, dont j'ai fait une priorité de mon mandat de députée, qui permettrait de lutter contre bien des pathologies, mais aussi au sport santé, à la lutte contre les pollutions ou encore aux politiques d'accompagnement en matière d'addiction. Un paquet de mesures pourrait être pris dès aujourd'hui pour réduire drastiquement le nombre de celles et ceux qu'on devra soigner demain.

Il ne s'agit pas de dire que rien n'est fait mais que, collectivement, nous devons trouver les chemins pour faire mieux. Le covid a profondément modifié le rapport de la société au soin et à la santé, mais nous n'avons pas tenu suffisamment compte de ce changement de paradigme. Les experts, depuis Rachel Carson en 1962 jusqu'à Alice Desbiolles aujourd'hui, ainsi que tous les éclaireurs qui abondent le débat public depuis tant d'années, nous disent qu'un autre système de santé est possible.

Je regrette que le Gouvernement ne soit pas allé plus loin à l'occasion de la dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). On repousse d'année en année les mesures nécessaires pour empêcher l'explosion des maladies et leur prise en charge. Faute d'une politique de prévention plus ambitieuse, nous sommes désormais tenus de sauvegarder un système curatif grabataire.

J'étais hier à l'hôpital Bichat à Paris et, il y a quelques semaines, à l'hôpital de Nanterre, dans ma circonscription. J'y ai fait le même constat : les soignants sont épuisés et la situation ne s'améliore pas. Si on peut être d'accord avec le principe du plafonnement de l'intérim médical, la mesure ne passe pas parce qu'elle intervient de manière abrupte. Un chef de service m'expliquait hier qu'il pourra – difficilement – tenir le planning pour les mois de mai et de juin mais qu'il lui sera impossible de maintenir la prise en charge des patients en juillet et en août sans faire appel à des intérimaires. Prenons la mesure du désert médical aux portes de l'une des capitales les plus riches du monde, dans la sixième économie mondiale : certains services seront fermés, totalement ou partiellement, cet été. Il ne fera pas bon de tomber malade dans le sud du 93 ou dans le nord de Paris en juillet et en août. Et je ne parle pas des territoires ultramarins !

Que dire de plus si ce n'est qu'on demande trop à l'hôpital public ? On fait peser sur ces établissements de santé une part substantielle de la prise en charge. Améliorer cette dernière et rééquilibrer une part des patients en ville est nécessaire, mais, là aussi, le Gouvernement est en échec. Dans ce contexte, comment croire à la pertinence du fameux filtre aux urgences, que vous avez mis en place en arrivant aux responsabilités ?

Ce constat, c'est celui aussi celui du chef de service des urgences à Bichat. Il me disait hier qu'il était fatigué d'entendre, à la télé et dans le débat public, un discours déshumanisant qui parle notamment de « désengorger » l'hôpital, comme s'il était devenu une canalisation bouchée qu'il faut vider de ses malades. En quelques années, les mots de « soin », d'« accompagnement », de « suivi », de « réorganisation » ont été remplacés par des expressions qui désignent les soignants et les malades comme une charge et les effacent au profit des tableurs Excel. Pourtant, la réalité est têtue et personne n'est dupe des éléments de langage.

Il faut des moyens. Lorsqu'on apprend que l'Ondam – objectif national de dépenses d'assurance maladie – augmente de 4 % alors qu'il devrait être indexé sur une inflation à 6 %, je comprends que vous n'avez pas entendu le message. Aux soignants qui souffrent, aux malades qui ne sont plus correctement pris en charge, vous dites en substance : faites mieux avec moins. C'est à croire qu'il n'y a plus que l'argent qui compte. Le ministère du budget n'est pas avenue Duquesne, mais c'est lui qui orchestre cette mort annoncée de l'hôpital public !

Quel est le bilan de cette ineptie budgétaire ? Pas de revalorisation sérieuse des horaires de nuit, des rémunérations pour la plupart au-dessous de la moyenne des pays de l'OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques –, un système qui se paupérise, des établissements qui s'endettent pour améliorer la qualité de la prise en charge, une course à la rentabilité et le New Public Management au pouvoir. Pour quelles conséquences ? Fin de l'universalité, course à la privatisation, effacement du service public dans un système où la santé devient un bien marchand qu'on ne quantifie que dans le volet des dépenses sans jamais comptabiliser les recettes.

Dans quinze ou vingt ans, si nous parvenons à vous convaincre, il y aura besoin de moins de lits dans les hôpitaux, les services seront moins en tension parce qu'on aura développé une véritable santé préventive au bénéfice des Français. En attendant, il faut allouer les moyens nécessaires et mettre fin à la convergence dans le financement du privé et du public. Ainsi cessera la concurrence déloyale due à la fameuse tarification à l'activité (T2A), puisque les cliniques peuvent choisir les actes les plus lucratifs.

Ouvrez le chantier des rythmes à l'hôpital, invitez tous les acteurs autour de la table de discussion pour financer mieux et plus la santé, proposez une grande loi pour établir de vrais ratios notamment pour les infirmières, pour revaloriser les métiers du soin et pour redonner de la dignité aux malades ! Nous vous répondrons alors favorablement.

Madame la ministre déléguée, votre majorité est en place depuis 2017 et son bilan est celui d'un système de santé sclérosé, affaibli, mis à genou par la crise sanitaire et par la chronicisation des pathologies. La santé est notre bien commun ; elle est en France un maillon essentiel de notre système social, donc de notre République. Héritage incontesté de l'après-guerre, elle est devenue publique et est considérée comme nécessaire aux besoins et au développement de tous. Ayez le courage de dénoncer les budgets alloués à la santé et soyez à la hauteur du Conseil national de la Résistance. Soyez au rendez-vous de cette histoire et vous trouverez une immense majorité de députés pour vous soutenir.

Sans faire offense au ministre de la santé, je pense qu'on ne retiendra pas grand-chose de ses discours ou de ses interviews. En revanche, on pourrait se souvenir que vous êtes celles et ceux qui se sont levés un jour en disant que la santé ne saurait être gouvernée par les ambitions économiques de quelques bureaucrates à Bercy.

Applaudissements sur les bancs du groupe LFI – NUPES.

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Je voudrais d'abord avoir une pensée pour la rédactrice des comptes rendus, victime d'un malaise hier.

Lorsqu'en 2017, avec Alain Bruneel et nos collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, nous lancions le tour de France des hôpitaux, c'était pour braquer le projecteur sur la crise de l'hôpital, une crise puissante qui demeurait dans l'ombre malgré la persistance de mouvements sociaux considérables. Lors de l'examen des budgets de la sécurité sociale, on nous disait que les compressions de moyens devaient se poursuivre. La crise de l'hôpital est un choix politique de longue date !

Elle ne date donc pas de la pandémie. Celle-ci est venue aggraver la situation comme un tsunami et a imposé au regard de tous l'engagement des agents, malgré l'extrême dégradation de la situation, et le mal-être des professionnels soignants et non-soignants : fermetures subies de lits et parfois de services entiers, vacances de postes, niveau préoccupant des arrêts pour maladie, explosion de l'intérim, engorgement croissant des urgences, fonctionnement ordinaire en mode dégradé – que le plan d'urgence de l'été dernier a officialisé et, un comble pour l'hôpital, une perte de sens faute de temps pour le soin et l'humain.

Ces réalités s'imbriquent dans trois autres phénomènes : la désertification médicale, l'inégalité d'accès aux soins, des besoins sociaux et de santé croissants en raison, notamment, du vieillissement de la population, d'un retard massif de notre pays en matière de prévention et du développement des maladies chroniques.

Les différentes réponses apportées par le Gouvernement – ou plutôt, pour certaines d'entre elles, arrachées par les mobilisations –, qu'il s'agisse du pacte de refondation des urgences, du plan Investir pour l'hôpital, du Ségur de la santé ou encore des mesures d'urgence pour les soins non programmés, ont toutes été jugées par les professionnels de santé comme étant largement insuffisantes et, par certains aspects, injustes, voire délétères. Force est de constater que la crise de l'hôpital public s'accentue en pédiatrie, en soins palliatifs, en maternité ou encore en psychiatrie. C'est peut-être que les réponses apportées jusqu'alors ne veulent pas remettre vraiment en cause le cadre politique, ne s'attaquent pas aux bonnes questions et contournent les origines réelles de la crise.

Nous refusons d'acter que la crise de l'hôpital public doive durer et nous refusons qu'elle vienne fournir des raisons de remettre en cause notre sécurité sociale et notre système public d'accès aux soins. Car, en réalité, les solutions pour sortir l'hôpital public de son marasme existent et nous les connaissons. Il suffit de se tourner vers celles et ceux qui continuent, à bout de souffle, par leur travail, d'en assurer le fonctionnement au quotidien.

Je pourrais citer les organisations syndicales avec lesquelles le Gouvernement a tant de mal à dialoguer – mais avec qui y parvient-il ? – ou évoquer la séance au cours de laquelle les membres du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, malgré leur diversité et alors que ce n'est pas forcément leur mission, ont réagi à cette crise globale appelant des réponses globales. Je m'en tiendrai à la tribune publiée dans Le Monde le 21 décembre 2022 par un collectif de plus de 5 000 médecins, soignants et agents hospitaliers.

Y sont énoncées quatre propositions pour sortir à court terme et durablement de la crise : la sécurisation des soignants grâce à un service défini, avec un horaire défini et un ratio maximal de patients par infirmière, ce qui suppose l'embauche d'environ 100 000 infirmières ; la poursuite de la revalorisation financière dont le Ségur ne peut constituer qu'une amorce – j'ajoute qu'il faut arrêter de contourner les règles statutaires, notamment en matière de traitement, pour faire face à ces enjeux ; un changement profond de gouvernance afin que les décisions soient pertinentes du point de vue de la recherche et des besoins de santé et ne découlent pas d'arbitrages financiers ; un changement radical du mode de financement de l'hôpital avec la fin de la tarification à l'activité.

Les signataires de la tribune proposent également de poursuivre sous une forme adaptée, en se fondant sur des indicateurs simples, la garantie de financement fournie pendant la pandémie. Il faut en finir avec l'Ondam qui, depuis trop longtemps, ne fixe plus un objectif mais contraint les dépenses à outrance et organise le déficit de la sécurité sociale – cette année au moins autant que les précédentes.

Il faut beaucoup pour réparer ce qui a été abîmé depuis tant d'années et faire face aux effets de la crise sanitaire. En réalité, madame la ministre déléguée, votre politique n'affronte pas la crise, elle n'ouvre pas la perspective d'une amélioration et d'un nouveau souffle. Nous avons besoin de réformes structurelles, ancrées dans la réalité des métiers et du système de soins, qui visent à rebâtir un hôpital public fort, en rompant avec les logiques d'austérité, le néolibéralisme et la marchandisation de la santé. Elles sont possibles.

Applaudissements sur les bancs des groupes GDR – NUPES, LFI – NUPES et Écolo – NUPES.

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Les systèmes de santé des pays de l'OCDE traversent une tourmente sans précédent. Ils ont fait face, pour la plupart avec succès, à l'épreuve de la crise sanitaire de la covid-19 dans une sorte de glorieux sursaut, qui a provoqué un syndrome post-traumatique massif. Les systèmes de santé font tous face à une crise des vocations et des recrutements, à des coûts dont la croissance n'est plus soutenable, à des difficultés majeures d'accès aux soins pour la population et, en somme, à une désorganisation grandissante.

L'hôpital public, pierre angulaire du système de santé, n'échappe pas aux difficultés. Alors que les gouvernements précédents ont préféré détourner le regard, depuis 2017, notre majorité a agi pour appuyer un hôpital public délaissé depuis des années. En 2012, le montant de l'Ondam était de 170 milliards d'euros dont 74 milliards affectés aux établissements de santé. En 2018, il était de 195 milliards dont 80,5 milliards pour les hôpitaux. Cette année, il est de 101 milliards, grâce à une progression de plus de 28 % et à une hausse du budget annuel de 23 milliards par rapport à 2017.

C'est en partie grâce à ce budget que le Ségur de la santé a pu engager la revalorisation des professionnels de santé. En 2021, plus d'1,5 million de professionnels de santé hospitaliers ont bénéficié d'une revalorisation salariale de 183 à 600 euros net par mois, pour un coût de plus de 8 milliards. Le Ségur de la santé a également permis 19 milliards d'investissement dont une partie consacrée à reprendre la dette des hôpitaux – celle-ci les empêchait d'investir et de construire un projet d'avenir. Rien que dans ma région, le Centre-Val de Loire, 517 millions d'euros ont été investis, dont 214 millions de reprise de la dette et 258 millions pour des projets d'investissements ; plus de 53 000 professionnels paramédicaux, plus de 3 000 médecins et près de 5 000 étudiants ont été revalorisés.

Notre majorité est donc bien au rendez-vous pour le financement de l'hôpital, mais la seule augmentation des budgets ne suffit pas forcément à améliorer la qualité de vie au travail des professionnels de santé. Il faut aussi pouvoir redonner du sens à ces métiers pour que les patients soient correctement soignés. Avec la stratégie Ma santé 2022 et la loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, que j'ai défendue en 2021, nous avons agi en décloisonnant l'hôpital, en simplifiant sa gouvernance ou encore en replaçant le service au centre de l'organisation. Nous avons tenu nos engagements concernant la formation des professionnels de santé, en réformant les études de santé et en supprimant enfin le numerus clausus – une mesure que tout le monde appelait de ses vœux, qui a permis d'augmenter le nombre de médecins formés et aurait dû être prise il y a de nombreuses années.

Mes chers collègues, les chantiers ont été nombreux depuis 2017 mais l'hôpital public reste fragile. Il nous faut en poursuivre la défense en trouvant des réponses pertinentes à l'augmentation exponentielle des besoins de santé, notamment en raison du vieillissement de la population. La question de la transformation du financement des établissements de santé et de la rémunération des professionnels a par ailleurs été posée lors des vœux du Président de la République en janvier. Il a évoqué un modèle de « financement populationnel et territorial » reposant sur plusieurs piliers ; la rémunération dépendrait d'objectifs de santé publique, des missions de chacun et, partiellement, de l'activité. Il faut également mieux reconnaître et simplifier la coopération entre la ville et l'hôpital, pour favoriser le travail collectif au service des patients, ce qui pose la question de la convergence des modes de rémunération.

Madame la ministre déléguée, pouvez-vous évoquer les hypothèses d'évolution du financement des hôpitaux publics envisagées à ce stade ? Comment faire converger les modes de rémunération des soignants ? Quel regard porte le Gouvernement sur la proposition récurrente d'une perspective budgétaire hospitalière pluriannuelle ? Enfin, quelles sont les intentions du Gouvernement quant au lancement de chantiers de refondation de l'articulation entre ville et hôpital ?

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La nation doit garantir « à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Ce n'est pas un vœu pieux mais un principe inscrit dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui doit s'imposer à toute politique concernant la santé publique. Or celui-ci est aujourd'hui bafoué. Vous connaissez la triste réalité de l'hôpital public, mais permettez-moi de vous rappeler que cette crise résulte d'un manque de moyens financiers et humains, qui s'est aggravé au fil des années. Les gouvernements successifs ont négligé l'hôpital public, le privant des fonds et des ressources dont il a besoin pour fonctionner. À cela se sont ajoutées les tensions affectant la médecine de ville, qui entraînent un report des demandes de prise en charge et des soins vers l'hôpital. Les conséquences sont délétères, notamment pour les services d'urgences, saturés.

Si aucun territoire n'est épargné, l'essoufflement du système hospitalier est particulièrement criant dans les zones rurales et plus généralement en dehors des métropoles, mettant en exergue les fractures territoriales déjà importantes de notre pays. Un rapport de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) de janvier 2021 évoque un nombre de médecins dans les territoires ruraux deux fois inférieur à celui dans les territoires urbains. De nombreux centres hospitaliers, accueillant une population rurale faute de services de santé et de médecins dans les petites communes, souffrent d'un manque de moyens particulièrement grave. C'est le cas de l'hôpital de Valenciennes ou du site de l'hôpital de Douai à Dechy sur lequel j'ai déjà plusieurs fois interpellé le ministre de la santé. Ces établissements sont en sous-effectifs, les personnels soignants sont épuisés et les spécialistes manquent – les directeurs doivent se disputer pour les récupérer pour leur centre hospitalier, souvent au détriment d'un autre.

Les moyens financiers font défaut. Selon une étude menée par la Fédération hospitalière de France en 2020, près de 47 % des établissements hospitaliers publics se trouvent dans une situation financière difficile ou très difficile. La qualité des soins s'en ressent dans certains territoires comme le Douaisis, où le site de l'hôpital de Dechy s'est vu à plusieurs reprises obligé de fermer ses urgences pédiatriques, faute de personnel.

La santé et l'espérance de vie des habitants sont directement affectées par de telles carences. Je rappelle à notre assemblée quelques chiffres édifiants. En 2022, l'espérance de vie était de 83 ans pour une femme et de 77 ans pour un homme dans le Nord, contre 87 ans pour une femme et 82 ans pour un homme à Paris – cela représente quatre années de vie en moins. Où sont les principes républicains que j'évoquais en introduction ? Où est l'égalité républicaine quand certains de nos concitoyens meurent d'un AVC alors qu'ils avaient un rendez-vous chez le cardiologue deux mois plus tard, quand des rendez-vous pour des scanners fonctionnent par faveur pour ne pas dire par piston, quand les spécialistes se concentrent majoritairement dans les métropoles attractives ou sur la Côte d'Azur, laissant sur le carreau les territoires dit périphériques ? En fait de République, c'est plutôt sous l'Ancien régime que nous vivons en matière de santé ; les privilégiés se soignent – tant mieux –, mais les moins favorisés crèvent.

La politique menée par Emmanuel Macron a sa part de responsabilité. Le Gouvernement a retiré 1,6 milliard d'euros à l'hôpital public dans la LFSS pour 2018, puis 1 milliard dans celle de 2019. Il aura fallu attendre la plus grande crise sanitaire de notre siècle pour arrêter de faire des économies sur le dos de l'hôpital public. Votre responsabilité est donc lourde ; les soignants vous le rappellent d'ailleurs en des termes souvent plus vifs que les miens.

Face à cette triste situation, le groupe Rassemblement national souhaite une politique de rupture, tant avec la privatisation rampante de certains services de santé, qui accentue les inégalités territoriales, qu'avec les politiques qui conduisent à la suppression de lits, de postes et à la fermeture de services de proximité. La Macronie n'a jamais été avare de cadeaux fiscaux aux plus favorisés mais elle peine à financer la santé publique. Sachez qu'avec nous, les priorités financières serviront ceux qui en ont le plus besoin. Nous défendons le recrutement de 10 000 soignants, la revalorisation à la hausse du salaire des infirmiers et l'instauration d'incitations financières fortes afin de réduire le nombre de déserts médicaux. Je reconnais que des efforts sont déjà menés en ce sens, mais que ceux qui prétendent que leur résultat est satisfaisant viennent s'installer ne serait-ce que six mois dans le bassin minier !

Madame la ministre déléguée, j'ai rappelé ici la réalité d'un monde hospitalier que vous connaissez, mais aussi la réalité sociale de territoires abandonnés comme le mien, que votre gouvernement, totalement déconnecté, ignore. Je n'attends pas grand-chose d'Emmanuel Macron qui prouve constamment son mépris social, mais j'ai toujours espoir que les cris d'alarme finiront un jour par être entendus et suivis d'effets.

Applaudissements sur les bancs du groupe RN.

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Qui a dit le 21 novembre 2022, en parlant de l'hôpital : « Dans six mois, ça va aller mieux. » ? Je n'ai pas lu cette blague sur l'emballage d'un Carambar ; je l'ai entendue de la bouche du ministre de la santé. Six mois plus tard, tout va tellement bien que nous voilà réunis pour aborder à nouveau la crise de l'hôpital public.

Madame la ministre déléguée, il y a six mois, vous êtes venue présenter votre premier budget de la sécurité sociale. Celui-ci actait au moins une chose : loin de vouloir le reconstruire, vous ne comptez même plus financer l'hôpital à la hauteur de ses besoins. À l'époque, nous vous parlions d'Emma, salariée de l'hôpital Saint-Louis, qui expliquait : « Je suis arrivée il y a trois mois, et je suis déjà une des plus vieilles du service. Je suis déjà fatiguée, douleurs au dos, j'ai commencé à voir une psy. » Malgré ces alertes, vous avez quand même fait adopter ce budget austéritaire en recourant, dans les règles de l'art, à l'article 49.3. Emma, elle, a été arrêtée pour burn-out quelques semaines plus tard.

Depuis, que s'est-il passé ? Tout ne va pas mieux. En janvier, à Autun, en Saône-et-Loire, la maternité a fermé définitivement ; à Cergy, dans le Val d'Oise, l'hôpital psychiatrique a fermé ; à Laval, en Mayenne, les urgences la nuit ont fermé. En février, à Châteauroux, dans l'Indre, l'unité de soins continus a fermé définitivement ; à Saintes, en Charente-Maritime, les urgences pédiatriques ont fermé ; à Vénissieux, dans le Rhône, il a été décidé de fermer les urgences la nuit. En mars, à Neufchâtel-en-Bray, en Seine-Maritime, le service de médecine a été fermé ; à Nantes, en Loire-Atlantique, il a été décidé de fermer les urgences pédiatriques la nuit ; à Issoudun, dans l'Indre, de fermer les urgences la nuit. En avril, à Sarlat, en Dordogne, une maternité a fermé ; à Cadillac, en Gironde, la moitié de l'hôpital psychiatrique a fermé ; à Val-de-Briey, en Meurthe et Moselle, il a été décidé de fermer les urgences la nuit. Toujours, des heures et des heures d'attente aux urgences ; parfois, tristement, des décès sur des brancards, comme à Grenoble le mois dernier.

Il fallait s'y attendre, après avoir voté un budget qui réduit l'investissement pour la santé. Contrairement à ce que vous pourrez nous dire sur tous les tons, en vous appuyant sur tous les chiffres que vous voudrez, quand les organisations demandent 5 milliards d'euros pour l'hôpital et que vous en donnez 4, en vérité vous en volez 1, vous demandez des sacrifices aux soignants comme Stéphane, Emma, Étienne, Isabelle, Nicolas, Sylvain, Florence et vous creusez un peu plus la tombe de l'hôpital.

Vous avez passé les six derniers mois en consultations, annonçant que votre Conseil national de la refondation (CNR) allait tout régler. Le résultat est une boîte à outils, supposée sauver l'hôpital public en permettant de réduire le recours aux certificats médicaux inutiles et de recruter des assistants médicaux pour libérer du temps de soin…

Surtout, vous reprenez votre éternelle solution : il faut appeler le 15 ! L'été dernier, vous preniez vos fonctions quand les services d'urgences fermaient : il fallait appeler le 15. Cet hiver, la bronchiolite a ravagé les services pédiatriques au point que des enfants ont été intubés dans les couloirs – même pendant la crise du covid, les patients n'étaient pas ventilés dans les services d'urgences. Que recommandiez-vous ? D'appeler le 15 ! Encore aujourd'hui, les mesures encadrant le recours à l'intérim de la loi Rist, justes mais mal préparées, conduisent à fermer des dizaines de services d'urgences. Que recommandez-vous ? D'appeler le 15 !

Sauf que ceux qui travaillent au 15 n'en peuvent plus. François, l'un des assistants médicaux de régulation en grève que nous avons rencontrés, explique ainsi : « Alors que nous ne sommes que trois, nous avons reçu 700 appels depuis minuit ; 11 ce matin. De toute façon, si quelqu'un nous appelle maintenant pour un arrêt cardiaque dans le centre-ville, aucun médecin n'est disponible pour s'en occuper. »

La vérité, c'est que, six mois après vos annonces, plus personne ne vous prend au sérieux. Pour le docteur Salachas, de la Pitié-Salpêtrière, « encore une fois, une sorte de mesure de consultation accouche d'une souris. On va bientôt pouvoir faire un élevage de souris avec tous ces plans successifs. »

La vérité, c'est que vous avez passé six mois à nous dire que vous consultiez, six mois à repousser toutes les solutions à plus tard, six mois pour dévoiler ce que nous savions déjà – vous êtes impuissants.

En son temps, Victor Hugo a usé d'une célèbre anaphore, que nous pourrions reprendre ici. Madame la ministre déléguée, monsieur le ministre de la santé, vous n'avez rien fait, tant que les soignants continuent de partir par centaines en burn-out ! Vous n'avez rien fait, tant que des services d'urgences continuent à fermer ! Vous n'avez rien fait, tant que des enfants sont intubés dans les couloirs, faute de place ! Vous n'avez rien fait, tant que des Vanessa nous disent : « quand je rentre chez moi, j'ai envie de me foutre en l'air… On est maltraitants. » ! Vous n'avez rien fait, tant que vous refusez l'examen de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé ! Vous n'avez rien fait, tant qu'on ne sort pas de l'Ondam ! Vous n'avez rien fait, tant qu'on ne recrute pas 100 000 soignants supplémentaires.

Vous n'avez rien fait mais, en vérité, vous ne ferez rien car le Président a un autre projet. Je le cite : « On est dans une période où on refonde. On est en train de réinventer un modèle. C'est plus dur de le réinventer quand tout n'a pas été détruit. »

« Quand tout n'a pas été détruit »… Le voilà votre projet ! En vérité, votre boîte à outils est, au mieux, inefficace, au pire, remplie de marteaux. J'ai donc une question pour le ministre de la santé, qui n'est pas là aujourd'hui : lui, l'ancien hospitalier, l'ancien syndicaliste, est-il prêt à signer le certificat de décès de l'hôpital public ?

Applaudissements sur les bancs des groupes LFI – NUPES et Écolo – NUPES.

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Nous sommes réunis au chevet d'un grand malade, l'hôpital public. Pour l'hôpital public, comme pour beaucoup de nos services publics, on met beaucoup d'argent pour peu d'efficacité. Pour quelle raison ? Parce que l'argent ne va pas aux soins et qu'on ne se soucie pas suffisamment du service rendu.

À ce sujet, madame la ministre déléguée, votre décision – celle de votre administration, peut-être – d'interdire de communiquer au journal Le Point les données nécessaires à l'établissement de son classement des hôpitaux est incompréhensible. La transparence sur les résultats – quelles que soient les imperfections des outils d'évaluation – est toujours un moteur pour améliorer la qualité.

Le sujet, urgent, qui nous réunit aujourd'hui, ce sont les difficultés de recrutement à l'hôpital public. Pour la clarté du propos, je me focaliserai sur les médecins. Le problème est d'abord démographique : nous ne formons pas suffisamment de médecins en France. Quand un médecin part à la retraite, il n'en faut pas un pour le remplacer, mais deux ou trois. Notre proposition est simple, nous vous demandons de doubler le numerus clausus. Vous me répondrez que vous l'avez supprimé ; c'est faux, vous avez simplement changé son nom en numerus apertus. Preuve qu'il existe toujours, vous affirmez l'avoir augmenté de 15 % – ce qui est exact, mais insuffisant.

Vous me répondrez : « nous ne pouvons pas faire plus, nous n'avons pas les capacités de formation. Nous ne disposons pas des terrains de stages. » Calembredaines ! Des stages, il y en a partout, à condition qu'on accepte d'affecter massivement des étudiants partout en dehors des centres hospitaliers universitaires (CHU), dans le public ou dans le privé.

Vous ajouterez : « il faut dix ans pour que cela produise des effets. » La belle affaire ! Une décision politique met parfois dix ans à produire ses effets et, si nous avions commencé il y a dix ans, nous aurions moins de soucis. Madame la ministre déléguée, doublez le numerus clausus maintenant ; les Britanniques l'ont fait l'année dernière.

Deuxièmement, il faut traiter et payer correctement les médecins. Je prendrai deux exemples, aux extrêmes de la vie professionnelle : les externes et les médecins retraités. Les premiers sont payés 260 euros brut par mois ! C'est honteux et, surtout, totalement injustifié. Nous, Les Républicains, vous demandons de payer désormais les externes au SMIC horaire. Si vous ne le faites pas, nous le proposerons lors de l'examen du PLFSS pour 2024.

Quant aux médecins retraités, je décrirai un cas symptomatique : ce praticien hospitalier de grande qualité – dernier échelon – a pris sa retraite le 31 décembre dernier. Son hôpital étant en difficulté, il a accepté de venir travailler le 1er janvier, en tant que retraité. Il a été réembauché comme attaché premier échelon, au plus bas de l'échelle des salaires de la fonction publique ! Comment voulez-vous que les retraités acceptent de revenir travailler à l'hôpital dans ces conditions ?

Pour ce qui est des médecins libéraux, nous avons fait adopter en commission des affaires sociales, contre l'avis de la majorité mais avec le soutien de tous les autres groupes, une disposition qui vise à exonérer les médecins retraités de cotisations retraite. Fort heureusement, elle a été reprise après le recours à l'article 49.3. Mais adoptée au mois de décembre, elle n'est toujours pas appliquée. Madame la ministre déléguée, il faut faire appliquer la loi par votre administration !

Nous proposons aussi qu'aucun médecin salarié en cumul emploi-retraite ne puisse être rémunéré sur une base inférieure à celle qui était la sienne avant de prendre sa retraite. Soyons clairs, le jour où les médecins retraités ne viendront plus nous aider, la médecine de ville et le système hospitalier s'écrouleront….

Enfin, un hôpital public qui fonctionne, c'est un hôpital qui fait confiance à ses personnels. Arrêtez de nous engluer dans des tâches administratives. Donnez aux services de l'autonomie, y compris financière. Et surtout, de grâce, simplifiez la vie des soignants ! Permettez-leur de passer du temps auprès de leurs malades, et non en réunion ou devant leur ordinateur, ou à remplir des questionnaires absolument inutiles. Alors, vous verrez, les soignants cesseront de déserter l'hôpital public. On parle de l'attractivité de l'hôpital public, mais que se passe-t-il ? Les personnels votent avec leurs pieds et partent…

À l'hôpital public, madame la ministre déléguée, c'est désormais tous les jours l'état d'urgence. Mais il n'est pas condamné à aller mal. J'aurais voulu parler d'innovation, d'intelligence artificielle, de sécurité des patients, de qualité des soins, des relations entre le secteur public et le secteur privé, de la médecine de ville. Le temps est malheureusement compté….

Madame la ministre déléguée, je ne doute pas de votre bonne volonté, mais la communication ne remplace pas l'action. Cessez d'organiser de grandes concertations, dont la principale utilité est de gagner du temps. Agissez, mieux encore, obtenez des résultats !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

En préambule, je salue l'engagement des professionnels de santé qui, au quotidien, dispensent des soins de qualité. Les Français reconnaissent cette qualité ; dans leur immense majorité, ils souhaitent que le système de santé soit préservé, tout en s'inquiétant de son évolution.

Car, malgré les efforts déployés par ses acteurs et les politiques, notre système souffre d'indéniables dysfonctionnements, dont la crise des hôpitaux est une des manifestations les plus criantes. Cette crise revêt plusieurs formes : perte de sens, crise financière, du recrutement, de la gouvernance, crise structurelle et organisationnelle, sociétale et sociale. L'épuisement professionnel, le manque de personnel, impliquant des fermetures de lits et l'engorgement des urgences en sont les effets concrets. Héritage des erreurs du passé, ces symptômes sont la conséquence des politiques de restriction de l'offre décidées dans les années 1970, avec l'instauration du numerus clausus, mais aussi d'un mode de financement de l'activité hospitalière qui apparaît contre-productif sur le long terme.

À bien des égards, le secteur hospitalier concentre tous les dysfonctionnements de notre système de santé, et on exige de lui qu'il réponde à tous les défis. C'est pourquoi la majorité présidentielle s'est mobilisée dès 2017. Si les dernières années ont permis des avancées importantes, il reste du chemin à parcourir ; nous devrons faire face, quoi qu'il arrive, à un manque de personnel soignant pendant quelques années encore.

Des solutions sont déjà déployées ou expérimentées : services d'accès aux soins (SAS), médecins généralistes au sein des urgences de certains hôpitaux, développement de l'éducation thérapeutique des patients. Il faut également progresser en matière de prévention et de responsabilisation des patients.

Trois axes de réflexion me semblent importants. Premier axe : il faut mieux accompagner les sorties d'hospitalisation et prévenir les réhospitalisations, notamment celles des personnes âgées très fragiles, cumulant parfois plusieurs pathologies avec l'isolement et la précarité, ce qui complique leur sortie d'hospitalisation. Elles se transforment alors parfois en bed-blockers – la hantise de tout service –, tout en représentant une perte de chance pour d'autres patients.

Sur mon territoire, dans les Yvelines, on tente aussi de trouver des réponses. On propose par exemple de mettre en place une maison commune afin de coordonner l'ensemble des acteurs autour de l'accompagnement des personnes âgées, de prévoir une admission directe, de se soucier de l'aidant qui reste à domicile ou d'accompagner la sortie d'hospitalisation sans que la charge mentale repose uniquement sur le médecin traitant. Des solutions d'hébergement temporaire en Ehpad, sans reste à charge, sont également offertes, cofinancées par l'agence régionale de santé (ARS) et le conseil départemental.

D'autres départements expérimentent des programmes d'accompagnement nutritionnel pour les personnes âgées sortant d'hospitalisation ; en 2020, l'état de dénutrition de 400 000 personnes âgées vivant à domicile a entraîné l'hospitalisation de 40 % d'entre elles.

Deuxième axe : la prévention et l'éducation à la santé en milieu scolaire et professionnel, tout au long de la vie, devraient être des piliers de notre système de santé. De nombreux outils numériques sont disponibles et pourraient y aider : suivi nutritionnel adapté, objectif journalier d'activité physique, amélioration de la qualité du sommeil.

Troisième axe : la tarification. Sans sortir complètement de la tarification à l'activité, une révision du modèle de financement des hôpitaux s'impose. On pourrait ainsi envisager l'ajout d'une dotation populationnelle et prévoir une part de tarification liée à la qualité. Ce nouveau modèle, à affiner, permettrait d'améliorer à grande échelle la pertinence et la qualité des soins.

Ces quelques éléments pourraient apporter des résultats probants à court terme, mais ne sauraient résoudre le problème d'ensemble. Nous avons toujours eu tendance à apporter des réponses conjoncturelles – en réaction aux événements –, là où la solution devrait être systémique. Il faut désormais résoudre la crise du système de santé dans son ensemble, dont la crise des hôpitaux fait partie intégrante.

Je ne suis pas certaine qu'il s'agisse seulement d'un problème de moyens financiers. Les dépenses consacrées aux soins hospitaliers s'élèvent à près de 100 milliards d'euros en 2020 en France. Elles représentent 3 350 euros par habitant et par an en France, avec un reste à charge de 7 %, parmi les plus faibles au sein des pays de l'OCDE. Il ne s'agit donc pas tant d'augmenter les dépenses que d'en améliorer l'utilisation, dans l'intérêt des patients et des équipes médicales.

Pour conclure, je rappellerai l'importance de laisser le temps aux réformes précédentes de se déployer pleinement.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le constat est partagé par tous, et visible sur l'ensemble du territoire. L'hôpital public est en crise, il menace de s'effondrer. Dans nos permanences, nous recevons de nombreux témoignages qui relatent une situation inquiétante. Cette situation, c'est celle du personnel soignant qui n'en peut plus – les témoignages de fatigue physique et mentale sont toujours plus nombreux. La perte de sens revient sans cesse également.

Cette situation, c'est celle des structures qui dysfonctionnent : équipes instables, démissions, recours à l'intérim avec les dérives que l'on connaît, lits supprimés par manque de soignants, services fermés, tels que des maternités ou des urgences.

Cette situation, c'est celle des patients, les premiers touchés par ces dysfonctionnements. Les retours témoignent généralement d'une bonne prise en charge une fois les services intégrés, grâce aux soignants qui exercent avec conscience leur mission en faisant oublier l'inconfort matériel – également souvent signalé.

Mais le problème principal réside dans l'accès aux soins et touche les plus fragiles. Je pense surtout aux personnes âgées, dont les familles ou les structures d'accueil évoquent ces difficultés. Face à cette situation, certes, il y a eu le Ségur. Mais cela ne suffit pas. Pour preuve, le Gouvernement annonce régulièrement des recettes organisationnelles ou invente des slogans – « des urgences pour les seules personnes qui en relèvent », « un médecin traitant pour chaque Français en affection de longue durée », etc.

Comment comptez-vous faire dans les déserts médicaux ? Le mal est profond et il a une cause : la santé a été livrée au secteur financier. Je n'exonère pas les gouvernements successifs de cette responsabilité mais, aujourd'hui, nous devons en tirer les leçons.

Il faut revoir la philosophie qui guide notre système de santé et le fonctionnement de l'hôpital public. Ainsi, le financement de l'hôpital, principalement basé sur la tarification à l'acte, a placé les hôpitaux dans une logique financière et a induit la recherche d'actes rentables, entraînant un recours massif à la chirurgie ambulatoire – pour gagner en productivité, les établissements ont intérêt à accélérer la sortie des malades et à libérer des lits.

Cela pose un problème grave en matière de qualité des soins, notamment concernant le suivi et l'accompagnement des patients. L'intervention médicale n'est pas seulement un acte technique, elle repose sur une relation entre le patient et le soignant, qui exige du temps. Si la T2A est adaptée à certains actes chirurgicaux précis, elle ne peut satisfaire aux besoins des nombreux patients chroniques que reçoit l'hôpital public. Il faut établir les budgets en fonction des besoins des malades et non en suivant une logique de rentabilité. Il n'est pas possible de gérer l'hôpital comme une entreprise.

La même logique doit s'appliquer au pilotage : il faut rendre au travail clinique toute sa valeur. Pour cela, nous devons revoir les conditions de travail, la reconnaissance de la pénibilité, les rémunérations et la gouvernance de l'hôpital, pour permettre aux soignants d'exercer dignement et de retrouver du sens à leur mission. Il faut rendre aux soignants une liberté d'organisation : ils ont prouvé leur capacité à répondre aux besoins pendant les premiers temps de la crise sanitaire en laissant de côté les protocoles excessifs. Faisons-leur confiance !

Plus généralement, nous avons besoin, pour soulager l'hôpital, de réformer le système de santé. Il faut repenser l'articulation entre la médecine de ville et l'hôpital public, sans reporter sur l'un la mission de l'autre. Il faut protéger l'hôpital de la privatisation, des effets des dépassements d'honoraires et de l'intérim. Il faut lutter contre les déserts médicaux, notamment en régulant l'installation des médecins, comme le prévoit la proposition de loi transpartisane que nous défendons. Elle n'attend que d'être discutée dans cet hémicycle.

Le Président de la République a qualifié l'hôpital de « trésor de la République ».

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Il a raison !

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il est grand temps de le protéger, afin que tous et toutes puissent accéder à des soins de qualité et que les soignants connaissent des conditions de travail dignes.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La crise de l'hôpital constitue un sujet important, depuis longtemps, mais il ne concerne que partiellement le problème : j'aurais apprécié que nous débattions plutôt de la crise du système de santé. En effet, si l'hôpital en est l'élément le plus emblématique, ce n'est qu'un des aspects d'une crise profonde du système de santé. Il est difficile de décorréler la situation que vivent les hospitaliers de celle que connaît le personnel de la médecine libérale, elle aussi profondément en crise. Les répercussions sont évidemment mutuelles.

Depuis des années, la crise de l'hôpital fait parler et se trouve à la une des médias ; se focaliser sur l'hôpital laisse à penser qu'il n'est qu'un grand corps malade. Or il est plus facile de regarder l'hôpital que de s'intéresser aux maux dont souffre l'ensemble du système de santé.

L'hôpital certes est en crise, mais pendant la pandémie, il a tenu – je veux le souligner à cette tribune. Aux yeux de tous les Français et parfois des pays voisins, il a donné un formidable exemple du système français, qui tient grâce à l'engagement des femmes et des hommes qui le servent, grâce à leur solide conscience professionnelle et aux valeurs qui les animent. Il faut se souvenir des plannings chamboulés, des congés reportés pendant des mois, des organisations faites et défaites au gré des pics épidémiques – de tous les ajustements qui ont fait la preuve que l'hôpital sait être réactif et s'adapter aux besoins de la population. Répétons-le encore et encore : au cours de la crise, 80 % des patients qui devaient être pris en charge l'ont été par l'hôpital. Il a été le bouclier sanitaire des Français, offrant la belle démonstration qu'en dépit de ses maux et difficultés, il reste une institution solide, qui a encore beaucoup à montrer.

L'hôpital est aussi un lieu d'innovation, de premières médicales, de recherche, de performances observées à l'international. Certes, il connaît ici ou là des difficultés, mais elles ne doivent pas nous empêcher de constater lucidement sa longévité et ses bienfaits.

Toutefois la crise existe. Elle est le résultat de dix à quinze années de politiques de rabot, qui ont pris fin il y a quelques années. Pendant cette période, on a exigé de lui 10 milliards d'euros d'économies ; c'était beaucoup trop. Bien plus que d'autres acteurs du système, il a servi à réguler les dépenses de santé.

Notre approche est sans doute beaucoup trop centralisée, jacobine, tatillonne ; elle est l'expression d'un manque de confiance dans les acteurs, qui s'est aggravé au fil du temps. Mais cet état d'esprit est en train de changer.

L'hôpital sert aussi de variable d'ajustement pour résoudre les difficultés du reste du système de santé, comme l'illustre le seul chiffre du doublement de la fréquentation des urgences, passée en vingt ans de 10 à 21 millions d'entrées par an. Aucun autre service public n'a dû faire face à une telle hausse ; pourtant il s'est adapté à cette crise de la médecine de premier recours, afin que les Français qui cherchent aux urgences une lumière la trouvent allumée.

La crise est également démographique : 30 % des postes de médecins ne sont pas pourvus, comme 10 à 15 % – 20 % parfois en région parisienne – des postes d'infirmiers. Cela traduit le lent délabrement du système de santé, qui n'a pas assez formé et n'a pas suffisamment anticipé à long terme la politique de gestion.

Enfin, un fossé s'est creusé entre la médecine publique et le reste du système de santé ; les obligations de service public, particulièrement, pèsent de moins en moins sur les uns et de plus en plus sur les autres.

Depuis quelques années, le regard sur l'hôpital a changé et c'est pour le mieux. Des actions ont été engagées : la loi « Ma santé 2022 » ; la lutte contre l'intérim, véritable cancer des hôpitaux ; le plan de 19 milliards d'euros visant à relancer l'investissement hospitalier, décidé dès avant la crise covid, puisqu'Édouard Philippe l'avait présenté en novembre 2019 ; l'accompagnement financier des hôpitaux avec la stabilisation de leur budget, dès 2018. Aussi les membres du groupe Horizons et apparentés sont-ils confiants dans les réformes à venir. Au cours des prochaines semaines, nous aurons l'occasion de discuter tous ces sujets dans l'hémicycle.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Dans le cadre d'une enquête, le syndicat Samu-Urgences de France a recensé quarante-trois « décès inattendus » dans les services d'urgences de neuf régions de France, entre le 1er décembre 2022 et le 31 janvier 2023. Chaque mois, des dizaines de patients décèdent sur des brancards, faute de moyens matériels et humains.

Ces chiffres font froid dans le dos ; ils illustrent la crise profonde que traverse le système hospitalier public. Elle est le résultat de plusieurs décennies de désorganisation, de sous-investissements chroniques et d'un manque d'anticipation de l'accroissement des besoins sanitaires de notre pays, touché par le vieillissement démographique.

La crise sanitaire a exacerbé les tensions. N'en déplaise à certains, la suspension des soignants non-vaccinés a dégradé la situation, notamment dans les déserts médicaux, comme les outre-mer.

Selon le ministère de la santé, la désertification médicale touche plus de 8 millions de Français. Pour les 10 % de la population habitant les territoires où l'offre de soins est la plus insuffisante, il faut onze jours pour obtenir un rendez-vous avec un généraliste, quatre-vingt-treize avec un gynécologue. Chez moi, en Guadeloupe, 39 % des postes de praticiens en milieu hospitalier ne sont pas pourvus, contre 27 % dans l'Hexagone. La Guyane compte vingt-huit dentistes pour 100 000 habitants, contre le double dans l'Hexagone. En Martinique, il y a cinquante-cinq spécialistes pour 100 000 habitants, contre quatre-vingt-cinq dans l'Hexagone.

Le système public hospitalier français est engagé dans une course à la désertification médicale ; ses composantes ultramarines sont en tête. Pour la freiner, il n'y a pas de solution miracle. C'est tout un arsenal d'outils que nous devons déployer. Ne nous privons d'aucun levier pour améliorer concrètement l'accès aux soins pour tous.

La suppression du numerus clausus – ou plutôt sa transformation en numerus apertus – était primordiale. Le Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom) n'a jamais compté autant d'inscrits ; le nombre de praticiens formés augmente chaque année. Pour la période allant de 2021 à 2025, le numerus apertus fixe l'objectif de 51 505 étudiants admis en deuxième année de médecine. Il faut s'en réjouir.

Toutefois, les effets de ce nouveau système ne se verront qu'à moyen et long terme. En attendant, notre pays doit répondre aux besoins d'une population vieillissante et de plus en plus touchée par les maladies chroniques. Il faut accentuer les efforts pour former les professionnels médicaux et améliorer l'attractivité de ces carrières auprès des jeunes souvent désinformés, quelquefois découragés – parfois par l'obligation vaccinale, je l'ai observé dans ma circonscription.

Jean-Louis Bricout, membre du groupe LIOT, a déposé une proposition de loi portant expérimentation d'écoles normales aux métiers de la santé. Il s'agit de lycées spécialisés chargés de dispenser un enseignement spécifique aux métiers de la santé, tout en proposant des périodes d'immersion en milieu professionnel. Elles assureraient le rôle d'ascenseur social face aux réticences générées par la longueur et le coût des études de médecine, en proposant des études gratuites, un internat d'excellence et une bourse de vie. Voilà des pistes intéressantes à creuser, madame la ministre déléguée.

Par ailleurs, les chantiers à mener sont nombreux – revalorisations salariales, améliorations des conditions de travail, investissements conséquents dans les recrutements – ; nous ne pouvons en rester au Ségur de la santé. La priorité est de disposer de davantage de personnels soignants. Pour y parvenir, nous devons les reconnaître à leur juste valeur et lutter contre la désaffection de leurs professions. Lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), nous vous avons d'ailleurs alerté sur le fait que, pour la première année depuis l'application de la réforme, le texte ne mentionnait pas les revalorisations salariales des personnels au sein des établissements de santé, alors même qu'il y a encore des oubliés du Ségur.

Tout cela nécessite des moyens budgétaires significatifs. Pourtant, la trajectoire budgétaire du Gouvernement, qui apparaît dans le programme de stabilité 2023-2027, n'est pas pour nous rassurer, étant donné la baisse programmée de la part des dépenses publiques dans le PIB. Pire, le Gouvernement ne semble envisager aucune autre solution de financement.

Enfin, je ne saurais conclure sans un mot à l'intention de nos soignants, qui sont la clé de voûte du système public hospitalier. Ils ont choisi de s'engager au service de la santé des Français et exercent leurs missions dans des conditions qui, nous le déplorons, se dégradent année après année. Ce n'est pas rien. Nous leur devons considération et respect.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

J'adresse les pensées du Gouvernement à la fonctionnaire qui a été victime hier d'un malaise. L'ensemble des personnels de l'Assemblée nationale et du Sénat font vivre la démocratie : nous les remercions.

Mmes et MM. les députés applaudissent.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Nous débattons ce matin d'un sujet important. L'hôpital public est un pilier du système de santé, son cœur battant. Certains, à juste titre, parlent du « trésor de la République ».

En France, nous avons la chance de bénéficier d'un système de santé d'excellence, qui s'incarne dans l'hôpital public, reconnu comme l'un des meilleurs au monde – il est important de le souligner. La spécificité du modèle social français et de son l'hôpital est son universalité, cette promesse de soins de qualité et garantis pour toutes et tous, que nous avons fait le choix d'assumer collectivement. L'hôpital public accueille et soigne tout un chacun, quelle que soit sa condition, quelles que soient ses ressources : c'est le sens même de son étymologie latine hospitalia, qui signifie « refuge » ou « maison ».

L'hôpital public est notre maison commune, vivante ; elle a le visage des plus de 1 million de personnes qui y travaillent chaque jour – médecins, soignants, personnels administratif et technique –, qui prennent en charge les 12 millions de patients hospitalisés chaque année à travers le pays, dans quelque 1 400 établissements.

Je rends hommage à tous les professionnels hospitaliers. Grâce à leur engagement quotidien, la notion de service public prend tout son sens. Les débats de ce type sont nécessaires, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer le sujet complexe et difficile de l'hôpital, qu'on ne peut épuiser en l'espace d'une heure ou deux, mais sur lequel il est toujours bon d'avoir des échanges directs et francs.

Je vais m'efforcer de vous exposer la politique que nous menons avec François Braun et de répondre à vos interrogations, de manière aussi directe et franche que possible.

« La crise de l'hôpital public » : c'est à travers ce prisme que vous avez voulu aborder cet enjeu. Je partage avec vous la priorité consistant à s'attaquer aux difficultés structurelles auxquelles fait face l'hôpital public, ainsi que le sens de l'urgence que sous-entend explicitement la notion de crise, que vous avez choisi de développer.

Certaines situations de tension appellent des réponses rapides et des actions immédiates qui nous mobilisent pleinement, François Braun et moi-même. Néanmoins, refonder l'hôpital public suppose aussi de voir loin et de mener toutes les réformes nécessaires pour assainir le système hospitalier, rénover l'attractivité des carrières et transformer son fonctionnement. En d'autres termes, cela suppose de bâtir dès aujourd'hui l'hôpital de demain, qui permettra de briser le cycle mortifère d'un modèle qui se voit comme l'épicentre d'un cycle de crises perpétuelles. Avec le ministre de la santé, nous y sommes pleinement attelés.

Assainir l'hôpital public et s'attaquer à ses problèmes structurels suppose d'avoir le courage de mener certaines réformes difficiles, mais nécessaires : plafonner les rémunérations des praticiens intérimaires ou appliquer la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite Rist. Améliorer la régulation de l'intérim médical est une volonté constante du législateur, qui s'est traduite par deux lois adoptées sous les précédentes législatures et appliquées depuis déjà un mois.

Nous avons réussi cette réforme parce que nous n'avons pas reculé, là où beaucoup prédisaient un échec. Nous l'avons menée car les dérives de l'intérim menaçaient la soutenabilité financière des hôpitaux et empêchaient la création de collectifs de travail stables et pérennes, indispensables à la bonne prise en charge des patients. Cette réforme met nos principes éthiques et nos valeurs en actes. Comment expliquer à des praticiens quotidiennement engagés à l'hôpital que des intérimaires gagnent en une journée ce qu'ils perçoivent parfois en un mois ? Comment accepter des rémunérations de 5 000, voire 6 000 euros d'argent public pour vingt-quatre heures de service, quand de nombreux concitoyens peinent à boucler leurs fins de mois ?

Nous avons réussi cette réforme parce que nous avons poursuivi la dynamique de solidarité territoriale approfondie depuis l'été dernier : des solutions ont été élaborées partout, au cas par cas, en fonction du contexte local et dans une logique partenariale avec les élus. Nous avons mobilisé tous les outils, en particulier la prime de solidarité territoriale, qui rémunère les praticiens prêtant main-forte dans les établissements en difficulté. Avant-hier, le ministre l'a affirmé à l'occasion du CNR santé devant l'écosystème réuni : nous n'en avons pas fini avec l'intérim et nous comptons inscrire dans la loi son interdiction en début de carrière. La proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels comprend une disposition en ce sens.

J'ai conscience des immenses efforts qui ont dû être consentis localement par les agences régionales de santé (ARS), le réseau de l'assurance maladie et les soignants, en collaboration avec les élus et les collectivités, pour réussir cette réforme. Je tiens à le souligner et à les saluer.

Je mesure combien cette réforme a été le révélateur de fragilités antérieures et persistantes dans de nombreux services, en particulier aux urgences et dans les maternités. Nous devons continuer à élaborer les parcours de soins dans tous les territoires et à trouver des réponses pour les spécialités les plus en tension. Aux urgences, dont il a été très largement question ce matin, se conjuguent toutes les difficultés qui touchent l'hôpital public et, surtout, toutes les solutions que nous voulons mobiliser.

Ce n'est pas un hasard si le Président de la République a fait du désengorgement des services d'urgences un objectif prioritaire ! Face à la crise, nous avons déjà apporté des solutions importantes l'été dernier. Il importe désormais de généraliser les SAS, pour qu'à toute heure du jour ou de la nuit, nos concitoyens puissent être orientés vers une réponse adaptée à leur besoin de soin non programmé. Une mission territoriale d'accompagnement de cette généralisation est en cours ; elle a été installée à Poitiers la semaine dernière pour mieux suivre les travaux des établissements de santé et atteindre la couverture de 100 % du territoire par des SAS – elle est de 50 % aujourd'hui.

Il importe également de poursuivre les efforts pour mieux valoriser le métier d'assistant de régulation médicale, en passe de devenir une profession de santé dans le cadre de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist 2. Un autre objectif consiste à généraliser les bonnes pratiques de bed management adaptées aux établissements territoriaux. Enfin, il est nécessaire de s'assurer de la bonne mobilisation de toutes les chaînes de soins non programmés, pour les régulateurs comme pour les effecteurs libéraux.

À la crise de l'hôpital public, nous opposons une méthode qui fonctionne : un cadrage national qui donne aux établissements et aux territoires les outils pour bâtir des réponses adaptées. Il en va de même pour les maternités et tous les services en tension. Il s'agit de trouver partout un équilibre entre proximité et sécurité des soins.

Tout en menant une réflexion de plus long terme sur les parcours et les organisations territoriales, le ministre a annoncé son intention de lancer une mission pour étudier, avec l'ensemble des acteurs concernés, les pistes d'évolution possibles autour de la santé des femmes et des nouveau-nés, et pour améliorer les conditions d'exercice des professionnels de la périnatalité.

L'une de mes priorités consiste également à faire progresser la résolution de la situation problématique des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), qui participent pleinement à la réponse aux besoins de santé dans l'hôpital public. Il faut sécuriser leur exercice et leur donner des perspectives. La procédure dérogatoire créée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé vise à régulariser les Padhue travaillant dans nos hôpitaux, parfois depuis longtemps. Dans ce cadre, près de 3 400 situations ont été sécurisées au 30 avril 2023.

La loi du 24 juillet 2019 prévoit désormais une voie d'accès unique à l'exercice en France pour les Padhue, qui passe par des épreuves de vérification des connaissances (EVC). Cette procédure répond à une attente très forte de nombreux praticiens déjà présents dans les établissements de santé, qui n'ont pu candidater aux EVC depuis 2021. En outre, nous avons tenu compte des écueils signalés lors de la session précédente, au terme de laquelle certains établissements n'avaient pas anticipé le départ de praticiens. Aussi le calendrier de la session 2023 des EVC a-t-il été adapté. La procédure d'autorisation d'exercice et d'inscription pour les EVC pour l'année 2023 a été lancée le 2 mai, par un appel à candidature pour les Padhue déjà en exercice sur le territoire depuis 2019 et pour ceux qui souhaitent venir en France. Au total, 2 737 postes sont ouverts.

Nous souhaitons simplifier encore le dispositif, afin de faciliter l'intégration de ces praticiens en prenant mieux en considération leur parcours. Ce sera l'objet de l'une des mesures de la proposition de loi déposée à l'initiative du groupe Horizons et apparentés, que j'évoquais tout à l'heure. Je me permets d'insister sur ces éléments de procédure parce que je sais que nombre d'entre vous sont régulièrement sollicités au sujet de la situation de ces praticiens dans les hôpitaux de leurs circonscriptions.

À côté des efforts d'application de cette méthode de gestion agile et territorialisée des tensions, nous investissons durablement dans l'hôpital public. Je l'ai mentionné d'emblée : le visage de l'hôpital public, ce sont les professionnels qui y travaillent. Je suis de celles et ceux qui croient fermement qu'« il n'est de richesse que d'hommes » et de femmes.

Si l'hôpital public a été mis à l'épreuve ces dernières années, c'est en grande partie en raison d'enjeux de démographie et d'attractivité des professions de santé. Nous devons répondre à la perte de sens décrite par certains professionnels, à la fuite vers d'autres métiers et à la crise des vocations. Une priorité élevée de notre action consiste à investir durablement et avec méthode dans les métiers de la santé, pour maintenir nos forces vives, assurer leur équilibre professionnel et inciter les plus jeunes à les rejoindre, sans jamais perdre de vue l'impératif de sécurité et de qualité des soins.

Un axe fort de notre politique concerne ainsi la formation. Nous diversifions les voies d'entrée et permettons à tous les profils d'accéder et de réussir dans les études en santé, grâce aux places ouvertes dans les instituts de formation – 5 000 places supplémentaires en soins infirmiers et 4 000 en formation d'aide-soignant depuis 2020 –, grâce aussi au mentorat, aux cordées de la réussite, aux passerelles interfilières et aux possibilités accrues de validation des acquis de l'expérience (VAE), d'apprentissage ou de parcours personnalisé.

Nous rénovons le cadre d'exercice de ces nouveaux soignants, dans un système de santé décloisonné où ils acquièrent de nouvelles compétences et de nouvelles responsabilités, au sein d'équipes dans lesquelles, autour du médecin, chacun à sa juste place pourra apporter toute sa valeur ajoutée à la prise en charge des patients. De nombreuses avancées seront permises par l'adoption définitive, la semaine prochaine, de la proposition de loi Rist 2. La transformation de la profession infirmière et la refonte de sa formation permettront de l'adapter à la réalité d'un métier qui évolue et aux aspirations de celles et ceux qui l'exercent. La lutte contre l'intérim s'inscrit également dans le chantier plus large du « mieux vivre à l'hôpital ».

De façon logique et juste, les économies réalisées sur les dérives financières auxquelles nous nous attaquons seront investies dans la revalorisation de l'exercice hospitalier. Nous tiendrons notre engagement de mieux reconnaître les soignants – ils font vivre l'hôpital. Ainsi, nous avons confirmé le maintien des majorations des indemnités horaires pour le travail de nuit et des indemnités de garde pour les personnels exerçant en établissement public de santé. Afin de pérenniser ces avancées, nous avons ouvert des négociations, à compter de ce mois de mai, avec les organisations syndicales représentatives des praticiens hospitaliers.

La qualité de vie des soignants passe aussi par l'attention portée à leur bien-être et à leur santé. J'ai engagé ces derniers mois une vaste démarche pour construire une stratégie inédite d'amélioration de leur santé. Elle a pour but d'objectiver la situation, mais aussi de prendre soin des professionnels de santé, notamment par le biais d'une consultation lancée avec les fédérations, les ordres et les représentants des professionnels de santé ; près de 50 000 questionnaires ont été remplis en trois semaines.

Il convient aussi de s'attacher à repérer les pratiques probantes de soutien aux professionnels de santé, identifiées par les acteurs de terrain. Fin mai, je recevrai les conclusions de la mission sur la sécurité des professionnels de santé. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que je porterai une attention particulière aux étudiants en santé, qui sont nombreux à faire leurs premières armes à l'hôpital. Grâce à ces travaux, je proposerai à l'automne une stratégie de préservation et d'amélioration de la santé des soignants.

N'oublions pas l'effort d'investissement important, puisque des moyens considérables ont été mobilisés, notamment dans le cadre du Ségur de la santé. En trois ans, le budget consacré à la santé a augmenté de 50 milliards d'euros ; une grande partie est destinée à l'hôpital, pour les rémunérations bien entendu, mais aussi pour les structures hospitalières en tant que telles. Au total, 19 milliards de crédits continuent d'être déployés pour rénover les établissements publics partout en France et pour donner aux soignants un cadre d'exercice plus adapté et plus attractif. La LFSS pour 2023 consacre 245 milliards à la santé, dont 100 milliards concernent les établissements. De plus, comme l'a rappelé Frédéric Valletoux, aucune économie n'a été effectuée au détriment de l'hôpital ces deux dernières années.

Les bâtiments rénovés seront le lieu où se déploiera une nouvelle organisation hospitalière, plus fluide, plus ouverte et plus adaptée aux enjeux de notre temps. Cette organisation s'articulera autour de trois priorités. Il s'agit d'abord de conforter la place du service au cœur de l'organisation des soins et de donner aux équipes la fluidité et la marge de manœuvre pour s'organiser de façon autonome et responsable. Ainsi, elles auront un maximum de liberté dans la construction des plannings, sous la conduite du binôme cadre-chef de service. Le service doit redevenir l'unité organique et humaine pour organiser les choses.

Ensuite, il faut rénover la gouvernance hospitalière en installant à la tête des établissements un tandem administratif et médical, pour bâtir des projets d'établissement partagés.

Enfin, nous avons pris l'engagement de sortir du tout T2A à l'hôpital, en posant les fondements de cette évolution dès le prochain PLFSS. Cela nous permettra d'aller vers un mode de financement mixte, associant des financements basés sur les besoins de santé de la population, sur la qualité et la pertinence des soins et un financement spécifique pour les actes plus complexes. Le premier cadre de cette réforme de la tarification sera proposé, comme l'a demandé le Président de la République, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Nous ne réglerons pas les problèmes de l'hôpital public en un claquement de doigts, mais en posant, l'une après l'autre, les briques de sa refondation et en continuant de réformer, d'investir et de nous investir, avec constance et détermination. Si tous les résultats ne sont pas immédiatement visibles, ils seront solides dans le temps. Nous faisons bouger les lignes pour fournir des fondations saines à l'hôpital public et le projeter dans une nouvelle modernité. Nous écrivons ensemble une nouvelle page du système de santé ; même s'il reste beaucoup de travail à réaliser ces prochains mois, je sais que nous sommes sur la bonne voie !

Avant de conclure, je voudrais répondre à certaines de vos préoccupations. Madame Sebaihi, vous avez parlé de prévention et de santé environnementale. Il ne vous aura pas échappé que, pour la première fois, l'intitulé complet du ministère inclut la prévention, ce qui témoigne d'une véritable volonté d'en faire un objet culturel de la prise en charge de la santé. Le PLFSS pour 2023, d'ailleurs, traduit cette volonté par la création de trois rendez-vous de prévention à trois âges clés de la vie. De plus, nous partageons avec le ministère de l'éducation la volonté de veiller à la santé des enfants dès l'âge scolaire.

Pour la première fois, l'expression « santé environnementale » figure dans la feuille de route d'un ministre chargé des questions de santé, que j'ai l'honneur de mettre en œuvre. Ma présence régulière aux côtés du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire montre à quel point la question de la santé environnementale est traitée au niveau interministériel, notamment par le ministère de la santé et de la prévention.

Enfin, certains d'entre vous ont souligné que la refondation de l'hôpital était nécessaire. Mais pour la réussir, il faut refonder notre système de santé. Celui-ci marche sur ses deux jambes – l'hôpital et la médecine de ville – et tout en travaillant à la refondation de l'un, nous devons aussi œuvrer à la refondation de l'autre.

Je souhaite terminer mon propos sur une note optimiste. Sans nier les difficultés que nous connaissons et qui nous inquiètent toutes et tous, il importe de rappeler que notre hôpital public soigne bien, grâce à l'engagement au quotidien de tous les professionnels qui y travaillent. M. Juvin l'a rappelé, l'hôpital public n'est pas condamné, il est fort : il sait innover et nos professionnels, à l'issue de la crise sanitaire durant laquelle ils ont permis à l'hôpital de tenir, ont envie de continuer à se mobiliser. Accompagnons-les avec lucidité et confiance. Ayons la volonté d'aller vers plus d'agilité et d'autonomie, et de mener ensemble la refondation nécessaire de notre système de santé.

Applaudissements sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR.

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Nous en venons aux questions.

Je vous rappelle que la durée des questions et des réponses est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.

La parole est à M. Michel Castellani.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'hôpital de Bastia a été inauguré en 1985 pour répondre aux besoins hospitaliers de 130 00 habitants. Quarante ans se sont écoulés : la population a doublé, l'hôpital a considérablement vieilli. Les travaux de restructuration n'empêchent en rien la saturation du site non plus que toutes sortes de défaillances : manque de lits, insuffisance des espaces médicaux et paramédicaux, manque de surface pour les activités d'urgence et vétusté du secteur de la logistique.

La mobilisation de la municipalité, du conseil de surveillance et du personnel, qui porte à bout de bras cet hôpital et dont les sacrifices quotidiens forcent l'admiration, a abouti à la visite du Conseil national de l'investissement en santé – Cnis. Du reste, depuis cinq ans, je ne cesse d'intervenir sur ce dossier. J'ai d'ailleurs demandé la publication du rapport du Cnis qui, de manière mystérieuse, est gardé sous le coude depuis quinze mois – je n'ai obtenu aucune réponse.

Madame la ministre déléguée, il faut maintenant avancer sur l'allégement de la dette, comme vous l'avez fait pour d'autres établissements, sur la publication du rapport et, surtout, sur la construction d'un nouvel hôpital. L'hôpital de Bastia couvre les besoins hospitaliers de 60 % de la population de Corse et de centaines de milliers de touristes.

Ne me répondez pas, une fois de plus, de manière évasive. Le 7 avril, j'ai été reçu par vos services de manière inadmissible. Tout ce qu'on a trouvé à me dire, c'était que je pouvais circuler, qu'il n'y avait rien à voir. Je vous demande donc instamment, une fois de plus, de vous mobiliser et, s'il le faut, de venir à Bastia. Vous verrez qu'il convient d'agir pour cet hôpital !

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Je ne vous répondrai pas : « circulez, il n'y a rien à voir ». Vous savez qu'assurer l'accès aux soins dans les meilleures conditions de prise en charge possibles est une priorité de notre gouvernement depuis plusieurs années. Nous investissons dans les établissements de santé situés en Corse et la dynamique a été renforcée dans le cadre du Ségur de la santé, dont nous avons déjà longuement parlé. À ce titre, la Corse a bénéficié de plus de 150 millions d'euros d'aides – montant déterminé en tenant compte des priorités d'investissement de la région, de la maturité des projets et de la situation financière des établissements. Ces aides visent à restaurer les capacités financières des établissements les plus endettés, à relancer les investissements en santé, à moderniser les établissements, à développer l'offre de soins de suite et à améliorer la prise en charge des personnes âgées.

La poursuite de la modernisation du centre hospitalier de Bastia est un projet complexe aux enjeux multiples – vous le savez. Le Cnis l'accompagne dans le cadre de son instruction par le comité de pilotage de l'investissement sanitaire. Ce projet est bien identifié comme prioritaire par l'ARS et les instances nationales. Les travaux du conseil scientifique, chargé d'appuyer ce projet, sont en cours de finalisation. Les conclusions, qui étaient attendues à la fin du premier trimestre, seront finalement rendues avant la fin de l'été car ce sujet est complexe et revêt de multiples enjeux ; nous n'avons pas le droit de nous tromper sur les réponses à apporter. Bien entendu, l'ARS les transmettra immédiatement et vous en serez informé.

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Le 6 janvier, le Président de la République a annoncé la généralisation du service d'accès aux soins d'ici à la fin de l'année, objectif repris dans la feuille de route présentée par la Première ministre.

La crise de l'hôpital public est également celle des urgences. En 2019, on dénombre 22 millions d'admissions aux urgences, c'est beaucoup trop. Nous sommes nombreux – y compris, la Cour des comptes – à souligner que les urgences ne prennent plus en charge uniquement les vraies urgences, mais également des demandes de soins non programmés. Malheureusement, ces prises en charge encombrent les services des urgences et sont pénibles pour le patient, souvent confronté à plusieurs heures d'attente.

Grâce au SAS, le patient peut désormais appeler le 15 pour obtenir un conseil et une orientation médicale rapide. Son appel est réceptionné par un assistant de régulation médicale, qui l'identifie, le priorise et l'oriente. S'il s'agit d'une demande d'aide médicale d'urgence, il est orienté vers le service des urgences ; s'il s'agit d'un besoin de soins non programmés, il est orienté vers le médecin de ville. La généralisation de ce service permettra d'apporter à chacun, à toute heure de la journée, une réponse adaptée à sa demande de soins urgents, quelle que soit la gravité de son état. C'est une excellente nouvelle pour les patients et les services des urgences.

Nous aurons besoin de former de nombreux assistants de régulation médicale, le premier contact des patients. Quelle est la stratégie de recrutement de ce personnel ? Quel sera leur parcours de formation ?

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Vous avez raison de dire à quel point le SAS est un maillon important pour répondre aux besoins de santé et de soins urgents de nos concitoyens. Sa généralisation est un enjeu fondamental pour appuyer la réorganisation de l'accès à une offre de soins non programmés, adaptée aux besoins des Français.

Dans un contexte de tensions sur le système de santé, l'importance de ce déploiement a été réaffirmée dès l'été 2022 dans le cadre une mission flash sur les urgences et soins non programmés, qui se traduira par la mise en œuvre d'une phase pilote dans vingt-deux territoires. Une fois qu'elle aura été concluante, l'objectif est que d'ici la fin de l'année 2023, l'ensemble du territoire soit couvert par le SAS. Le 24 avril, une mission a été lancée à Poitiers pour accompagner le déploiement de cette généralisation, en vue de couvrir tous les territoires.

Actuellement, trente et un SAS fonctionnent, cinquante-deux projets sont en cours d'instruction par les ARS et quinze SAS utilisent une plateforme numérique. La mission parcourra toute la France jusqu'à l'été, pour s'inspirer des expériences réussies afin de déclencher la mise en œuvre des SAS dans tous les territoires. Elle est composée d'un binôme hospitalier, d'un représentant libéral et de représentants des ARS.

Enfin, les rémunérations des médecins assurant la régulation téléphonique ou prodiguant des soins, fixées dans le cadre de la mission flash, sont maintenues – elles ont d'ailleurs été inscrites dans le règlement arbitral. Nous poursuivons les efforts entamés pour mieux valoriser le métier d'assistant de régulation médicale, qui est devenu une profession de santé à la faveur de la loi Rist, en lançant un plan d'action spécifique.

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Au début du mois d'avril, un homme de 91 ans est décédé aux urgences du CHU de Grenoble, après avoir attendu trois jours sur un brancard. Depuis le mois de décembre 2022, il s'agit du troisième décès d'un patient qui attendait sur un lit d'hospitalisation dans ce service. Ce n'est malheureusement pas un cas isolé car l'hôpital public ne fonctionne plus qu'en mode gestion de crise, ce qui accentue le risque de perte de chance pour les malades.

Cet hôpital public, devenu si peu attractif, souffre depuis des années d'un manque criant de praticiens hospitaliers, lesquels, continuellement malmenés, finissent par faire le choix de quitter l'hôpital. Alors que, depuis longtemps, le corps hospitalier dans son ensemble a fait le constat d'une situation qui confine à de la maltraitance, voire à de l'inhumanité, qu'il a, à maintes reprises, tiré la sonnette d'alarme, qu'il est à bout de souffle, vous continuez à nier la réalité. Vous avez affirmé, encore récemment, qu'aucun service ne fermerait et que les hôpitaux français ne rencontraient pas de difficulté particulière. Même la Première ministre a fini par vous désavouer, en reconnaissant récemment les difficultés de fonctionnement des hôpitaux, évoquant une situation difficile – un euphémisme.

Que de temps perdu, que de vies gâchées au nom d'un aveuglement idéologique ! Combien de décès de patients faudra-t-il dénombrer avant que vous ne preniez la mesure de l'ampleur de la crise et que vous ne mettiez en œuvre, immédiatement, des mesures pérennes pour corriger le cap de la désaffection des carrières hospitalières ? Quand dessinerez-vous des perspectives pour traiter les problèmes de fond ? De grâce, arrêtez de nous bercer de paroles, de promesses non suivies d'effet, de Ségur, de missions flash ou de CNR ! Entendez enfin ce que vous disent depuis des mois les praticiens hospitaliers et les soignants, et agissez ! En effet, si vous persistez dans cette posture de déni, si vous refusez irrémédiablement d'écouter les soignants, si vous continuez à malmener les médecins libéraux – autre axe clé de notre système de santé –, alors le chaos s'abattra sous peu sur l'ensemble de nos concitoyens.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Je vous rappelle deux chiffres : depuis quelques années, nous avons alloué 50 milliards d'euros de plus au budget de la santé et, pendant deux années consécutives, le budget de l'hôpital n'a pas été réduit ; le budget de la LFSS consacré à la santé de nos concitoyens s'élève à 245 milliards, dont 100 milliards alloués aux établissements de santé.

Je l'ai dit – j'imagine que vous avez été attentive à mes propos –, je ne nie pas l'évidence : notre système ne va pas bien. Cette situation dure depuis des années, en raison d'une faillite collective. Mais une fois qu'on a dit cela, on n'a pas pour autant résolu le problème. L'important est de répondre aux questions.

La première des priorités est de fidéliser les personnels en place, afin d'enrayer cette spirale négative dans laquelle nous sommes depuis de nombreuses années, de rendre de l'autonomie aux services, d'accompagner les projets d'établissements, et, comme nous l'avons fait, d'investir dans la restructuration des hôpitaux. Une fois que nous y serons parvenus, nous devrons rendre ces métiers attractifs pour leur redonner du sens. Tel est l'objet de toutes les mesures que nous avons prises.

Nous avons également tous une responsabilité individuelle et collective. Rendre ces métiers attractifs, c'est dire et répéter que notre hôpital et notre système de santé soignent nos concitoyens. Comment voulez-vous que les jeunes s'engagent dans ces filières si, à longueur de journée, on leur dit que tout va mal ? Je le redis, sans nier les faits évidents et les difficultés rencontrées, nous apportons des réponses au quotidien et nous continuerons de le faire.

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Madame la ministre déléguée, je vous remercie pour votre présence dans notre hémicycle mais je m'étonne de l'absence du ministre de la santé et de la prévention, alors que nous débattons de la crise de l'hôpital public.

Mme la ministre déléguée soupire.

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Cela en dit long sur son implication et son intérêt pour l'hôpital public.

Cela étant dit, je souhaite vous interpeller sur la situation dans les hôpitaux de taille moyenne, notamment sur celle du centre hospitalier intercommunal Castelsarrasin Moissac, situé dans ma circonscription, dans le Tarn-et-Garonne, qui couvre un bassin de population d'environ 85 000 habitants et dans lequel 50 % des postes médicaux de titulaires sont soit vacants, soit occupés par des remplaçants. Quand revaloriserez-vous les médecins contractuels qui ne sont pas mis à disposition par des agences d'intérim ? Quand revaloriserez-vous les hôpitaux de taille moyenne, qui garantissent un accès aux soins médicaux et chirurgicaux ? En effet, dans le contexte actuel, de nombreuses déprogrammations d'opérations chirurgicales sont à prévoir, ce qui est incroyable. En zone rurale, il faut absolument garantir un accès hospitalier de proximité car beaucoup de patients rencontrent malheureusement des difficultés de mobilité.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

M. le ministre François Braun participe actuellement à une réunion du Conseil emploi, politique sociale, santé et consommateurs (Epsco), qui rassemble les ministres de la santé européens. C'est donc moi qui représente, ce matin, le ministère de la santé au banc du Gouvernement pour évoquer avec vous la situation de l'hôpital public, qui est en effet un enjeu majeur.

Le centre hospitalier intercommunal Castelsarrasin de Moissac, dans le Tarn-et-Garonne, a constitué, en 2000, avec le centre hospitalier de Montauban une fédération départementale des urgences. Compte tenu de la vacance de 50 % des postes de médecin urgentiste, la fédération a proposé la suspension du service d'accueil des urgences sur le site de Moissac à partir d'octobre 2021 en période nocturne.

La ligne de la structure mobile d'urgence et de réanimation (Smur) de Moissac demeure active 24 heures sur 24 mais, à ce jour, aucune perspective de reprise n'est envisagée, eu égard au nombre important de postes vacants. D'où la nécessité, comme je l'ai indiqué en réponse à la question précédente, de fidéliser les personnels en place et de rendre les métiers du soin attractifs.

En outre, à l'initiative des deux sites d'accueil des urgences, à Montauban et à Moissac, les admissions sont, depuis le 1er juillet, régulées à 100 % par le Samu, ce qui a conduit à enregistrer une reprise relative de l'attractivité médicale. Enfin, dans le cadre du programme d'investissement du Ségur, le passage devant le comité régional d'investissement en santé (Cris) est programmé le 25 mai prochain.

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Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les urgences de l'hôpital de Manosque, qui sont un service public essentiel pour ce bassin de population de 120 000 habitants – dont le nombre double en période estivale – ont été fermées pendant 119 nuits en 2022. Or, lorsque les urgences de Manosque sont fermées, il faut aller à Pertuis, à 45 kilomètres, à Sisteron, à 55 kilomètres, ou à Digne, à 60 kilomètres. Et ce n'est pas au médecin qu'est le ministre de la santé que j'apprendrai les conséquences que peut avoir le fait de devoir parcourir un kilomètre de plus dans les cas d'urgence vitale.

À Manosque, en septembre dernier, un infirmier et une aide-soignante m'ont raconté qu'un soir de fermeture du service des urgences, alors qu'ils étaient en pause devant l'hôpital, ils ont vu arriver une voiture avec une jeune femme blessée à bord : « La seule chose qu'on a pu faire, nous, soignants, devant un hôpital techniquement ouvert mais fermé au public, c'est d'appeler les pompiers pour qu'ils la prennent en charge. Un sentiment d'impuissance insupportable pour nous, qui avons choisi ces métiers pour soigner et secourir », m'ont-ils dit.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cela ne va pas mieux : de janvier à mars 2023, 16 nuits de fermeture ; en avril, 30 nuits consécutives de fermeture et la mise en œuvre d'une régulation de l'accueil des patients en journée. Le mois de mai s'annonce tout aussi dramatique…

Contrairement à ce qu'a déclaré François Braun, l'application brutale de la loi Rist a eu des conséquences désastreuses pour l'hôpital public tout en épargnant, comme souvent, le secteur privé. Les aides-soignants, infirmiers, médecins, urgentistes et régulateurs du Samu que j'ai rencontrés n'en peuvent plus. La carrière d'urgentiste, vous l'avez dit, n'attire plus, en particulier depuis que la capacité d'aide médicale urgente a été remplacée par le diplôme d'études spécialisées complémentaires (Desc) de médecine d'urgence, qui enferme les médecins dans cette carrière épuisante et leur interdit toute reconversion.

Ma question est donc simple, madame la ministre déléguée. Que comptez-vous faire à court terme pour assurer la réouverture des urgences de Manosque la nuit et, à plus long terme, pour sauver notre hôpital public ?

Après tout, « la santé gratuite, sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre État providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché ». C'est en tout cas ce que déclarait Emmanuel Macron le 12 mars 2020.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Nous le disons depuis longtemps, et peut-être un peu plus souvent depuis cet été : il faut appeler le 15 avant de se rendre aux urgences. C'est même absolument nécessaire en cas d'urgence vitale : appeler le 15, cela sauve des vies.

Je ne peux pas vous laisser dire que la régulation de l'intérim a été appliquée brutalement. C'est faux, et vous le savez puisque, dès le mois de janvier, les ARS et les directeurs d'hôpital se sont employés, hôpital par hôpital, service par service, à évaluer l'impact de l'application de cette mesure et à apporter des solutions. Lorsqu'aucune solution n'a pu être trouvée, c'est parce que la situation était déjà tendue et la structure en difficulté. La solidarité entre les territoires, entre les structures, a permis d'apporter des réponses au cas par cas.

La solution réside également, je l'ai indiqué, dans le déploiement du SAS au niveau national et dans le fait de rendre à nouveau attractifs – c'est un enjeu collectif – les métiers de la santé. Pour satisfaire les besoins, il nous faut redonner envie aux jeunes de s'engager dans ces métiers.

Quant aux mesures d'urgence, je le répète, nous allons déployer le SAS. Ce dispositif répond aux besoins de santé de nos concitoyens et donne satisfaction en matière de régulation des urgences.

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Madame la ministre déléguée, lorsqu'on écoute certaines de vos réponses, on se dit parfois que les mots n'ont plus de sens.

Depuis votre entrée en fonction, les mesures que vous avez prises, qu'il s'agisse de votre refus d'augmenter de manière importante la rémunération des médecins de ville, des dispositions de la loi Rist visant à bloquer celle des intérimaires à l'hôpital public ou de l'obligation faite aux établissements hospitaliers de réviser leur organisation de travail avant le 1er mai, aboutissent partout à la fermeture de services hospitaliers – notamment de services d'urgences –, comme à Draguignan, Manosque, Aubenas, Redon, Alès ou Metz, etc. ou, au mieux, à la diminution des lignes de garde. Sans compter les personnels, médicaux et non médicaux qui quittent définitivement la médecine, vous permettant ainsi de justifier le caractère catastrophique de la situation par des réponses du type : « On ne trouve personne à recruter. »

Toutes ces mesures ont des effets tels que, désormais, en France, l'espérance de vie de la population diminue à raison de un mois par an. C'est pourquoi nous vous demandons, une fois de plus, de répondre à la revendication qui monte dans tous les hôpitaux, à savoir : des lits, des bras pour l'hôpital – et non d'inciter à appeler le 15, ce qui aura pour effet d'interdire l'accès à l'hôpital public.

Pour cela, il faut supprimer toutes les formes de numerus clausus et de quotas en matière de formation, sortir ces formations de Parcoursup – la directrice du groupement hospitalier de territoire (GHT) de ma circonscription m'a indiqué : « Monsieur le député, il y a un avant et un après Parcoursup : une cohorte de 30 élèves infirmières avant Parcoursup ; aujourd'hui, trois à peine, qui parfois ne finissent pas leur parcours » – et rouvrir les milliers de lits d'hôpital fermés au cours des dernières années.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Il faut des bras pour l'hôpital, nous sommes bien d'accord. C'est la raison pour laquelle, je le redis, il est urgent de fidéliser les personnels en place et de rendre les métiers du soin attractifs. Nombre de postes sont fléchés et financés, contrairement à ce que vous laissez entendre, mais ils ne peuvent, hélas ! être pourvus, faute de candidats.

Aussi avons-nous augmenté de 5 000 le nombre des places dans les instituts de formation en soins infirmiers et de 4 000 le nombre des places dans les formations au métier d'aide-soignant. Nous avons également augmenté de 15 % le nombre des étudiants en médecine, afin de répondre aux besoins.

Par ailleurs – je réponds ici également à M. Juvin –, nous avons réfléchi à la situation démographique qui prévaudra dans dix, quinze ou vingt ans, afin de déterminer le nombre des professionnels qu'il faut former. Nous pensons en effet que la transition démographique des professionnels de santé n'a pas été envisagée.

Encore une fois, à l'issue de la crise sanitaire, beaucoup ont fait d'autres choix parce qu'ils ont estimé que leur travail n'avait plus de sens. La priorité des priorités est donc de faire en sorte que leur métier ait de nouveau du sens pour eux, de donner davantage d'autonomie à l'échelle des services, d'accompagner les projets de service – car, lors de mes nombreux déplacements, j'ai pu mesurer combien un tel accompagnement permet aux professionnels qui y exercent de retrouver du sens à ce qu'ils font. Il faut aussi, bien entendu, accélérer la mise en œuvre des engagements du Ségur afin de transformer les bâtiments de l'hôpital de manière que les personnels puissent exercer leur activité dans de meilleures conditions.

Grâce à l'ensemble de ces mesures, nous pourrons rendre les métiers du soin à nouveau attractifs, la priorité des priorités étant, je le redis, de fidéliser les personnels en place.

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Madame la ministre déléguée, l'augmentation des capacités de formation est, vous l'avez dit, indispensable – tout le monde s'accorde sur ce point. Mais à quel niveau ? Je me répète – c'est une de mes marottes –, mais l'augmentation de 15 % des effectifs d'étudiants en médecine n'est pas suffisante. Lorsqu'un médecin part à la retraite, il en faut deux ou trois pour le remplacer !

La population vieillit, elle est davantage malade – les affections de longue durée sont plus nombreuses qu'hier – et les spécialités médicales se multiplient. Il faut donc doubler le nombre des étudiants en médecine. Le doubler ! Les Britanniques l'ont fait. Étudions les mesures qu'ils ont prises. Ils n'ont pas que des défauts : ils prennent parfois de très mauvaises décisions – je pense au Brexit – mais ils en prennent aussi de bonnes.

Ma question a trait à la rémunération des médecins. Vous avez évoqué, à raison, la mesure consistant à diminuer celle de l'intérim, que vous jugiez excessive au regard du traitement de base. Cette mesure aura, je crois des effets bénéfiques. Mais ne croyez-vous pas que le véritable enjeu est, non pas de baisser la rémunération de ceux qui gagnaient trop, mais d'augmenter celle des autres ? De fait, les traitements de base sont trop faibles.

Vous avez pris une bonne décision en doublant la rémunération des médecins hospitaliers qui sont de garde la nuit et le dimanche. Hélas ! cette mesure prendra fin le 31 août prochain. Or, je vous le dis comme je le pense, en tant qu'urgentiste, si tel est bien le cas, les médecins fuiront de nouveau l'hôpital.

Ma question est donc très simple : cette mesure sera-t-elle reconduite après le 1er septembre ? Dans un an, l'Île-de-France accueillera les Jeux olympiques ; si la fuite se poursuit, je ne sais pas comment les hôpitaux franciliens pourront faire face à un afflux de 10 millions de visiteurs.

Debut de section - Permalien
Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Nous partageons le même objectif : nous devons former davantage de professionnels de santé. Encore faut-il que nous sachions quels professionnels former. C'est l'enjeu de la réflexion que je viens d'évoquer sur la démographie médicale des années à venir.

Par ailleurs, vous le savez, la formation ne relève pas exclusivement du ministère de la santé. En la matière, il nous faut travailler au niveau interministériel, avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi avec les doyens d'université. Il suffit de doubler le nombre des étudiants, dites-vous. D'accord, mais on ne peut pas dire : y'a qu'à, faut qu'on ! Si nous n'anticipons pas l'accueil de ces étudiants supplémentaires dans les facultés et les hôpitaux, vous nous le reprocherez !

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C'est un métier difficile que celui de ministre !

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Je vous le confirme. Des travaux sont donc en cours qui portent sur cette question.

Actuellement, lorsqu'un médecin part à la retraite, il en faut trois pour le remplacer. Mais l'âge n'est pas le seul critère ; c'est pourquoi la solution n'est pas si aisée.

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Les urgences du centre hospitalier de Laval fermeront huit nuits au mois de mai, faute de soignants pour assurer toutes les gardes – une habitude depuis l'automne 2021, rappelle un quotidien local. Une grève récente du service de médecine gériatrique a abouti au renforcement des horaires des aides-soignants la nuit et le week-end sans qu'ait pu être satisfaite la demande appuyée d'un poste d'infirmier. Un audit sera prochainement réalisé par la direction de l'hôpital sur les conditions de travail des personnels soignants.

La loi Rist et le plafonnement de la rémunération de l'intérim, bien que très justifiés, n'empêchent pas l'accroissement de la mise sous tension des effectifs. À cette pression sur les personnels s'ajoute l'inquiétude de nos concitoyens. Des cas de décès liés à de possibles prises en charge inadaptées – absence de lits disponibles en psychiatrie, malades cardiaques renvoyés trop vite chez eux – sont parvenus jusqu'à nos oreilles.

La question de la perte de chances est peu évoquée – elle est taboue, pour ainsi dire –, mais elle est perçue par les patients. L'AMRF cite le chiffre de 14 000 morts par an dans les zones rurales.

En Mayenne, il s'agit de savoir non plus si l'on pourra être suivi en continu par un médecin – la prévention, on l'oublie – mais si l'on pourra en trouver un quand cela n'ira vraiment pas. Ne doit-on pas aller plus loin que l'attirail de mesures déjà employées depuis longtemps, et activement, dans notre territoire : maisons médicales, télémédecine, assistants médicaux, délégation de tâches, accueil d'internes ? Les élus dénoncent régulièrement la course à l'échalote à laquelle ils doivent se livrer pour faire venir des médecins ou les retenir lorsqu'ils sont tentés de partir un peu plus loin.

Des reportages témoignent de l'engagement de personnels médicaux prêts à donner de leur temps pour répondre aux patients vivant dans les déserts médicaux. L'Académie de médecine suggère un service médical citoyen d'un an pour les jeunes médecins. Quand prendrez-vous des mesures pour mieux répartir les professionnels de santé ? Car si l'on manque de médecins partout, il est inadmissible qu'ils soient trois fois moins nombreux ici qu'ailleurs et que l'on doive attendre dix mois un rendez-vous chez un dentiste ou chez un ophtalmologiste. En Mayenne, selon les chiffres de l'Insee, on dénombre, pour 100 000 habitants, 109 médecins généralistes, contre 151 en moyenne nationale, et 81 spécialistes, contre 178 en moyenne nationale.

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

La ligne du Gouvernement, la ligne du ministère de la santé et de la prévention, a toujours été claire : nous ne croyons pas à la coercition, à la régulation, à l'obligation – c'est un peu ce que sous-entend votre question. Instaurer la contrainte à l'installation, c'est l'illusion d'une solution facile. Ceux qui croient à ce remède attrayant à court terme oublient que créer des rigidités et des contraintes risque en fait d'être totalement contreproductif. Il ressort de mes discussions avec nombre de jeunes médecins, de jeunes internes, que les jeunes changent désormais assez facilement de voie et pourraient donc très vite, dans le cas qui nous intéresse ici, ne plus exercer la médecine et choisir un autre métier. Le risque est donc bien de détourner plus encore de l'exercice de la médecine, notamment les plus jeunes.

Le pendant, à préserver, de la liberté d'installation, c'est la responsabilité collective pour répondre aux besoins de santé dans les territoires. Nous sommes convaincus, et nous agissons en ce sens, de la nécessité du dialogue et de l'organisation au niveau local par la confiance plutôt que par la défiance. Le règlement arbitral entre les médecins et l'assurance maladie permet d'avancer sur plusieurs dispositions importantes visant à faciliter l'accès aux soins et à valoriser l'engagement des médecins au quotidien.

Nous menons une politique globale pour, à court terme, libérer du temps médical pour les soignants, fluidifier les organisations, améliorer l'exercice coordonné et le partage de compétences, et réduire les tâches administratives. À long terme, nous entendons renforcer les effectifs – le numerus clausus a été supprimé, on l'a rappelé –, travailler sur toutes les formations en santé, autant sur le plan quantitatif en ouvrant toujours plus de places, que sur le plan qualitatif pour que ces étudiants entrant en formation soient diplômés. Nous avons tous conscience que la réponse n'est pas unique mais multiple. Or nous prenons tous ces chantiers à bras-le-corps.

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En France, entre 2003 et 2016, ce sont plus de 64 000 lits qui ont été supprimés pour les hospitalisations à plein temps, soit 13 % de la capacité d'hospitalisation. Cette diminution des capacités d'accueil s'est accompagnée du gel des salaires, d'une baisse de l'embauche de personnels hospitaliers de tous grades et de contraintes budgétaires obéissant à des impératifs d'efficience et de rentabilité.

Depuis le milieu des années 1990, tous les gouvernements, sous les présidences Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron ont donc délibérément favorisé une mise en faillite de l'hôpital public, contre laquelle mobilisations et cris d'alerte ont été régulièrement lancés en vain. Il est plus que nécessaire de dresser le bilan de cette destruction programmée.

Dans un contexte déjà complexe, cette situation s'est exacerbée en Guadeloupe. Depuis plus de vingt-cinq ans, le CHU de Pointe-à-Pitre présente un déficit de fonctionnement qui lui interdit une gestion saine et de disposer des moyens nécessaires pour réaliser des projets médicaux. Les différents professionnels que j'ai auditionnés en amont souhaiteraient avoir plus d'indications sur les résultats de l'enquête diligentée par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) concernant le coefficient correcteur géographique et le besoin urgent qui se fait ressentir de le réactualiser. Ces résultats répondraient au besoin d'éléments probants qui pourraient aider à une meilleure appréhension des réalités ultramarines, sans pour autant les réduire à un souci d'appréciation technique.

En ce qui concerne l'indemnité de cherté de vie, nous avons constaté, au début du mois d'avril, une inégalité de rémunération entre les médecins antillais et les médecins ultramarins – 20 % de salaire en plus aux Antilles et 40 % à La Réunion. Je me réjouis qu'un décret rétablisse l'égalité. Qui prendrait en charge les 10 millions d'euros ? Enfin, qu'en est-il de la mission d'intérêt général prévue dans le cadre du Ségur, qui permettrait d'équilibrer la situation des hôpitaux.

M. Philippe Naillet applaudit.

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Pour ce qui est tout d'abord du coefficient géographique correcteur appliqué aux tarifs hospitaliers pour les territoires ultramarins – destiné à prendre en compte les surcoûts liés à la situation géographique –, vous avez eu raison de rappeler que la Drees menait des travaux. Ces derniers sont toujours en cours, si bien que je ne peux pas vous répondre de manière précise : il faut en effet prendre en compte toutes les spécificités de l'ensemble des territoires ultramarins.

Pour répondre aux enjeux de rémunération des fonctionnaires d'outre-mer, le décret du 31 mars 2023 relatif à l'indemnité spéciale des étudiants de troisième cycle de médecine, d'ondotologie et de pharmacie, a été publié le 1er avril 2023 et concerne uniquement le personnel médical de la fonction publique hospitalière. Les personnels médicaux qui bénéficient d'une indemnité spéciale de 20 % de leurs émoluments et qui désormais percevront une indemnité spéciale de 40 % sont les suivants : les praticiens hospitaliers, les assistants des hôpitaux, les étudiants de troisième cycle de médecine, d'odontologie, de maïeutique et de pharmacie.

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Les personnels qui ne bénéficiaient pas auparavant de cette indemnité spéciale de 40 % et qui, désormais, la percevront, sont : les praticiens contractuels et praticiens associés, les maîtres de conférence des universités, les professeurs des universités, les praticiens hospitaliers universitaires, les chefs de clinique et les assistants hospitaliers universitaires.

Le décret prévoit également l'ajout de cette indemnité à la rémunération du praticien en mission d'intérim dans un établissement public de santé. Pour mémoire, le personnel non médical titulaire bénéficiait déjà de cette indemnité.

J'en viens à la mission d'intérêt général prévu pour l'outre-mer dans le cadre du Ségur de la santé. Je rappelle que le Ségur I a déjà prévu une mesure socle de 183 euros net par mois pour les professionnels de santé. Elle a été étendue à certains établissements sociaux et médico-sociaux après l'élargissement du secteur 1, à la suite des travaux de la mission Laforcade. Aux termes du Ségur II, cette revalorisation ne vise que les grilles des personnels soignants et paramédicaux. Enfin, l'axe 3 du Ségur prévoit qu'il s'agit de mesures d'organisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière. Elles peuvent néanmoins avoir des effets sur le niveau de rémunération au titre des heures supplémentaires ou de la prime d'engagement collectif.

Dans le domaine sanitaire, des dotations ont été versées aux établissements concernés dès 2020 et divers montants ont été versés en mars 2021 puis en mars 2022, dans le cadre des tarifs de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) et d'hospitalisation à domicile (HAD).

Pour ce qui relève du Ségur de l'investissement, la synthèse guadeloupéenne…

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Votre temps de parole est largement dépassé, madame la ministre déléguée.

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Je suis désolée. Je vous adresserai ma réponse complète, monsieur le député Baptiste.

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Parmi les sujets qui concernent l'avenir de l'hôpital, il y a la situation particulière des maternités, laquelle a beaucoup évolué ces dernières années, notamment sous le coup des évolutions réglementaires. Le nombre de maternités a en effet quasiment été divisé par deux ces quarante dernières années. Comme l'ensemble du secteur hospitalier, les maternités sont confrontées à de nombreuses difficultés, en particulier du fait du manque de personnel et de la perte d'attractivité des métiers, avec un constat tout de même alarmant : près de 10 % des 460 maternités de France sont en situation de fermeture partielle, faute de soignants.

Pour faire revenir des sages-femmes à l'hôpital, il faut s'attaquer au sujet de la pénibilité de la permanence des soins. J'appelle le Gouvernement à veiller à une meilleure répartition des gardes entre tous les acteurs afin que l'hôpital public ne soit pas seul à relever le défi de la permanence des soins. Je souhaite en effet qu'on encourage l'exercice mixte entre la ville et l'hôpital, afin également de favoriser l'attractivité du métier de sage-femme dans les maternités.

Madame la ministre déléguée, quels sont les objectifs de la mission en cours sur les maternités et dans quelle mesure ses conclusions permettraient-elles de lancer une politique ambitieuse face à la crise ? Il ne s'agit pas, bien sûr, de plaider pour un maintien de la carte des maternités : la question de la sécurité est importante et je sais que le Gouvernement, je lui en sais gré, aborde ces sujets avec sérieux et n'hésite pas à poser la question du maintien des maternités lorsque la sécurité est en jeu. Néanmoins, quel espoir attendre des travaux de cette mission pour maintenir une offre suffisante de maternités ?

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Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé

Je commencerai par prendre au vol une de vos expressions : rendre les métiers de la santé attractifs dépendra aussi de la capacité du système à devenir agile, souple quant aux souhaits des jeunes soignants qui devront pouvoir exercer en libéral, en salarié, en ville, à l'hôpital. C'est un enjeu majeur.

Pour ce qui concerne plus précisément les maternités, les difficultés auxquelles elles font face cristallisent souvent les inquiétudes tant ces lieux de santé revêtent une importance toute particulière : pouvoir donner la vie. Le seul fil conducteur de notre action en la matière est que toutes les femmes enceintes, partout en France, puissent accoucher dans de meilleures conditions en trouvant un équilibre entre proximité et sécurité. Le Gouvernement, le ministère de la santé et de la prévention, il faut le dire et le répéter, n'a aucun objectif de fermeture des maternités.

Nous devons construire une réflexion nouvelle car les inquiétudes des Françaises et des Français sont le reflet de questions légitimes. Lorsque des services doivent fermer c'est parce que, j'y insiste, la sécurité des femmes n'est plus assurée. Partout en France, les ARS sont mobilisées, avec tout l'écosystème, pour maintenir un accès de proximité adapté aux besoins du territoire. La création de centres de périmaternité, la mise en place de Smur obstétricales, la mise à disposition d'hébergements non médicalisés, la création d'une fonction de sage-femme coordinatrice territoriale… montrent que les organisations territoriales et les parcours doivent être au cœur de cette réflexion et sont la solution.

Le ministre de la santé et de la prévention a annoncé sa volonté de missionner conjointement des élus et des professionnels pour étudier, avec l'ensemble des acteurs concernés, les pistes d'évolution possible concernant la santé des femmes et des nouveau-nés. Cette mission permettra d'identifier les organisations innovantes qui fonctionnent dans une approche territoriale, d'améliorer les conditions d'exercice des professionnels et de favoriser l'exercice mixte nécessaire ville-hôpital, pour les sages-femmes par exemple.

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Le présent débat est clos. Le débat suivant, portant sur les réponses à l'envolée des prix des produits de grande consommation, se tiendra en salle Lamartine où je vous donne rendez-vous.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à onze heures cinq.

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L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Quelles réponses à l'envolée des prix des produits de grande consommation ? ».

À la demande du groupe Gauche démocrate et républicaine – NUPES, à l'initiative de ce débat, celui-ci se déroule en salle Lamartine, afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées. La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde d'une durée d'une heure en présence de personnalités invitées, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à M. Gérard Le Puill, journaliste, à M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de formation des prix et des marges des produits alimentaires, et à M. Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir. Je vais maintenant donner la parole à chacun de nos invités, pour une intervention d'environ cinq minutes.

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Avec votre accord, madame la présidente, nous souhaiterions que M. Andrault prenne la parole en premier, suivi de M. Le Puill, puis de M. Chalmin : il s'agit du déroulé qui nous semble le plus opportun.

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Certainement, monsieur le président Chassaigne. Je pense que personne n'y fera objection. La parole est donc à M. Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir.

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Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir

Je suis chargé de mission à l'UFC-Que choisir depuis dix-sept ans et vous m'avez demandé d'intervenir aujourd'hui pour donner le point de vue de la première association de consommateurs de France, et doyenne en Europe, sur l'inflation des prix alimentaires que nous connaissons actuellement.

Je donnerai d'abord quelques chiffres. En moyenne, l'inflation que nous avons connue l'an dernier s'élève à 6 %, mais celle que nous observons ces derniers mois est bien plus importante, étant donné qu'elle est à deux chiffres, de l'ordre de 17 % selon les produits. Notons d'ailleurs que ce chiffre masque de fortes disparités : nous constatons en effet de très fortes augmentations de prix sur les huiles alimentaires, les pâtes, le sucre, la volaille, la viande et le lait.

Les causes de cette inflation sont connues. Il s'agit, entre autres, de la guerre en Ukraine, ce pays et la Russie étant deux grands exportateurs de blé et de graines de tournesol ; du covid-19 et de la stratégie zéro covid de la Chine, qui ont entraîné une hausse du coût du transport maritime ; des mauvaises récoltes de blé dur au Canada ; de certaines interdictions d'exportations, comme celles de l'Indonésie sur l'huile de palme et de l'Inde sur le blé. Et à tous ces facteurs cumulés, s'ajoute évidemment la hausse considérable des prix de l'énergie, qui se répercute à tous les stades de la production des produits alimentaires.

L'impact de l'inflation sur les consommateurs, qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui, est terrible. Il faut en effet savoir que l'alimentation représente en moyenne 16 % du budget des ménages, et même 18 % s'agissant des 20 % des consommateurs les plus pauvres. Le budget alimentaire n'est, par surcroît, pas n'importe quel champ de dépenses, ce budget étant contraint. Si l'on peut parfaitement décider de ne pas partir en vacances cette année et de reporter ses projets à l'année suivante, ou de différer l'achat de produits « plaisir » tels qu'une nouvelle télévision ou un nouveau smartphone, il est impossible d'en faire autant en ce qui concerne l'alimentaire, qui est, j'insiste, un budget contraint.

À cet égard, les consommateurs les plus pauvres subissent une double peine. En effet, les produits que cette population achète le plus souvent – les produits de base notamment – sont ceux dans lesquels les matières premières occupent la part la plus élevée – à la différence des produits fortement élaborés ou de grande marque, dans lesquels la part de matières premières est plus faible. Ainsi, ce sont les produits de base qui sont les plus concernés par l'inflation, car les matières premières déterminent une part importante de leur prix total.

De plus, s'agissant du circuit d'achat, du type de magasin choisi, les consommateurs les plus pauvres font souvent leurs courses dans ce qu'on appelle le hard discount. Là encore, dans la mesure où les autres coûts ont généralement déjà été réduits dans ce type de commerces, la part des matières premières dans la formation des prix des produits est logiquement importante. Une augmentation du coût de ces dernières sera donc encore plus sensible sur les tarifs pratiqués, les consommateurs subissant donc bien une double peine.

J'ajouterai un autre élément, auquel on ne pense pas souvent lorsqu'on cherche à expliquer l'inflation. En effet, une mesure a été prise avant l'augmentation assez considérable des prix des produits alimentaires à laquelle nous assistons, se pérennise et produit selon nous un effet inflationniste s'ajoutant aux autres facteurs. Je fais ici référence à l'augmentation du seuil de revente à perte.

Cette mesure a été instaurée dans le but d'augmenter le revenu agricole – du moins est-ce la justification qui avait été officiellement communiquée – et impose une marge minimale de 10 % sur tous les produits alimentaires. Quel est le lien entre l'imposition d'une marge minimale à la grande distribution, toutes enseignes confondues, et le revenu agricole, me demanderez-vous ? Selon nous, il n'y en a aucun. Nous nous interrogeons toujours sur la justification réelle de cette mesure. Toujours est-il qu'imposer une marge minimale de 10 % sur les produits alimentaires revient à augmenter le prix de certains produits, qui étaient précédemment vendus avec une marge moins importante, inférieure à 10 %. De l'inflation a ainsi été créée de manière artificielle.

Nous avons mesuré l'impact inflationniste de ce dispositif lors de son entrée en vigueur, en février 2019, sur l'ensemble de l'offre alimentaire, tous circuits et tous modes de consommation confondus et quel que soit le profit du consommateur. La mesure a selon nous entraîné une hausse des prix de 0,83 %, alors que les prix des produits alimentaires, hors période inflationniste, n'affichent normalement que très peu de variations.

Une nouvelle fois, ce facteur inflationniste a induit une double peine pour les consommateurs modestes, celui-ci s'étant particulièrement vérifié dans les hypermarchés.

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Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir

Oui, madame la présidente.

Pourquoi une double peine ? Parce que la marge réalisée par la grande distribution est plus faible que celle dégagée dans d'autres types de commerces. L'inflation imposée des produits y a donc été plus sensible et s'est révélée particulièrement importante sur les articles premier prix.

En définitive, nous sommes dans une situation où l'on ajoute de l'inflation à l'inflation, avec une pénalisation encore importante des consommateurs modestes. Lors de l'instauration de la mesure, nous avions constaté des hausses de 5 % sur le prix du camembert, des boîtes de raviolis et de l'emmenthal, ou encore de 6 % sur le prix du café soluble. Il s'agit donc de chiffres loin d'être négligeables et que nous subissons toujours.

Je laisse désormais la parole, en espérant que nous puissions évoquer tout à l'heure les solutions susceptibles de remédier à cette situation.

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Gérard Le Puill, journaliste

Une note de l'Insee du 28 avril dernier démontre que les prix au départ de la ferme sont restés quasiment stables pendant sept ans, de 2014 à 2020 inclus, oscillant entre les indices 100 et 110. Subitement, à partir de 2021 et plus encore en 2022, ils ont grimpé jusqu'à l'indice 145, voire au-delà. Cette évolution est certes liée à la guerre en Ukraine, mais il faut aussi souligner que durant des années, les prix agricoles au départ de la ferme ont été bien trop bas, en particulier pour les céréales et la viande. Si le prix du blé a flambé au printemps 2022, il a baissé, depuis, de 30 % sur un an. Dans le même temps, le prix du maïs reculait de 23 %, et celui du vin – pourtant un produit à part – de 10 %. D'autres prix ont en revanche continué d'augmenter : + 18 % pour les pommes de terre, + 17,7 % pour les fruits et légumes, + 12 % pour les gros bovins et les veaux, + 55 % pour les porcs et + 16 % pour le lait de vache.

Comment expliquer ces augmentations subites ? J'y vois des explications politiques. Dans la perspective de la sortie des quotas par pays de lait et de viande bovine en 2015, plusieurs États membres, comme les Pays-Bas et l'Irlande, ont accru leur cheptel de vaches laitières. Dès 2016, une partie de la production de lait n'a plus trouvé de débouchés dans les produits transformés. De 370 euros en 2014, le prix des 1 000 litres de lait à la ferme est tombé à 270 euros en 2016, puis s'est maintenu à un niveau trop bas les années suivantes. Étant pris à la gorge, les éleveurs ont progressivement réduit leur cheptel laitier. Or, le prix de la viande bovine étant également très bas du fait d'un surplus de vaches de réforme, le phénomène a eu des répercussions sur le secteur des bovins allaitants – races charolaise, limousine et autres – : là aussi, les prix ont fortement reculé durant des années. C'est ainsi qu'en 2022, la France comptait 830 000 vaches de moins qu'en 2015, voire qu'en 2017. Cette diminution du volume de viande, également constatée dans les autres pays de l'Union européenne, a entraîné une augmentation des prix.

Nous avons assisté à un phénomène similaire, mais pour des raisons un peu différentes, concernant la viande porcine. Tant que les volumes étaient supérieurs aux débouchés – en particulier quand la Chine a réduit ses importations –, le prix du kilo de carcasse de porc vendu au marché de Plérin, dans les Côtes-d'Armor, se situait entre 1,30 et 1,20 euro. Ce fut le cas de juin 2021 à février 2022. En mars, avril et mai 2023, il a atteint pas moins de 2,35 euros : il a donc presque doublé par rapport à 2020.

Tout cela prouve que dans l'Union européenne, les prix sont toujours soumis à des phénomènes spéculatifs, à la hausse ou à la baisse. Si nous voulons que les paysans continuent de produire, il faut travailler différemment. La solution la plus pertinente consiste à contractualiser les achats à un prix qui tienne compte des coûts de fabrication et des volumes de production. Malheureusement, cette pratique n'a pas cours dans l'Union européenne. Elle est en revanche de mise dans la filière du lait à Comté.

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Gérard Le Puill, journaliste

De cette façon, les volumes sont maîtrisés. À Comté, le lait est payé plus de 600 euros les 1 000 litres aux producteurs, contre 450 euros ailleurs. Dans le même esprit, la firme Bonduelle, grande entreprise de légumes en conserve, passe des contrats avec les producteurs à un prix fixé d'avance, et tout le monde s'y retrouve. De mon point de vue, la solution réside dans ce type de contractualisation, et non dans une loi de l'offre et de la demande qui nourrit la spéculation et fait constamment osciller les prix – soit à la hausse, et les consommateurs n'ont plus les moyens d'acheter les denrées, soit à la baisse, et les paysans sont ruinés et disparaissent, ce qui est grave pour le pays.

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La parole est à M. Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires (OFPM), pour cinq minutes.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Le choc majeur subi par les marchés agricoles en 2022, qui se poursuit en 2023, trouve plusieurs explications : la flambée des prix mondiaux des grandes commodités agricoles – céréales, oléoprotéagineux, sucre, produits laitiers – ; les aléas climatiques ; l'accession de la Chine au rang de premier acheteur mondial de denrées agricoles ; et enfin, naturellement, la guerre en Ukraine.

Pour certains produits toutefois, les explications sont davantage européennes – M. Le Puill l'a signalé. C'est particulièrement le cas des produits animaux : le prix des bovins a augmenté de 32 % en moyenne en 2022, celui du lait à la ferme de 18 %, et celui du porc de 25 %. Si nous constatons une certaine détente des marchés mondiaux au cours des premiers mois de 2023, due à des perspectives de récolte favorables, la situation reste tendue sur les marchés animaux en Europe. Le prix du porc a ainsi flambé ces quatre derniers mois, la viande bovine se maintient au-dessus du niveau symbolique de 5 euros le kilo de carcasse à l'entrée à l'abattoir, les 1 000 litres de lait se paient plus de 500 euros, et le kilo de carcasse de porc frôle les 2,50 euros.

Les consommateurs font les frais de cette situation, même si les prix des denrées alimentaires n'ont pas crû dans les mêmes proportions que ceux des produits agricoles. Rappelons que l'industrie et la distribution ont subi deux grands chocs en 2022, l'augmentation des prix agricoles et la hausse du coût de l'énergie, auxquels s'ajoute le renchérissement du papier et du carton destinés aux emballages.

Ces hausses ont été répercutées sur le consommateur avec certains décalages. La famille de produits dont le prix a crû le plus fortement en 2022 est celle des pâtes alimentaires, à + 26 % : la mauvaise récolte canadienne de l'automne 2021 a causé une hausse du prix du blé dur. Le prix du panier de produits laitiers de grande consommation suivi par l'Observatoire a, quant à lui, augmenté de 7 % en 2022. Celui de la carcasse de viande bovine, que nous reconstituons à l'étape du consommateur, a crû de 13 %.

Les premiers mois de 2023 font apparaître une baisse de certains prix agricoles – en particulier des céréales – et du coût de l'énergie. En revanche, le rattrapage des produits alimentaires se poursuit : en mars 2023, le prix du lait de consommation était supérieur de 14,8 % à la moyenne de 2022, et celui de la viande hachée de 12,9 %. Même la baguette a gagné 7 %, malgré le recul des prix du blé et de l'énergie.

M. Le Puill a employé le mot tabou de spéculation. Appelons un chat un chat : les marchés agricoles ont pour caractéristique d'être instables, au niveau mondial comme au niveau européen, depuis la fin de la politique agricole commune (PAC) historique qui gérait les marchés. Cette instabilité est liée aux aléas climatiques et aux troubles géopolitiques mondiaux ou nationaux. Pardon de rappeler une règle économique de base – quelque peu libérale, j'en conviens – : à un instant donné, un prix est le résultat de la rencontre entre l'offre et la demande. Dans un monde instable, où la seule certitude est que demain, le prix sera différent de celui d'aujourd'hui, nous anticipons nécessairement les prix en fonction de notre vision de l'avenir. Nous spéculons tous, au sens étymologique, puisque la racine latine de ce verbe renvoie à l'idée d'observer, et par extension à celle de se projeter en avant. Un prix, qu'il soit agricole, énergétique ou monétaire, est la somme des anticipations que se forgent les opérateurs du rapport entre l'offre et la demande.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Nous sommes tous devenus des spéculateurs. Les agriculteurs n'y échappent pas : un céréalier peut choisir le moment auquel il vendra. Au printemps de l'année dernière, il pouvait déjà arbitrer ses prix pour la campagne en cours.

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Je vous ai laissé une minute de parole supplémentaire, comme aux autres intervenants, mais il est temps de conclure votre propos, monsieur Chalmin.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Il n'y a donc pas lieu de fustiger la spéculation : elle est parfaitement normale.

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Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Pardonnez-moi, madame la présidente, je n'ai pas terminé.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

M. le président Chassaigne m'avait pourtant annoncé que je disposais de huit minutes…

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Madame la présidente, je suis très étonné. Ce format de séance a été inventé par notre groupe parlementaire il y a une dizaine d'années. Jusqu'à présent, nous avons toujours donné huit minutes d'intervention liminaire aux personnalités extérieures.

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Je découvre aujourd'hui qu'ils n'ont que cinq minutes, et qu'ils doivent écourter leur propos : c'est irrespectueux. Malheureusement, il est courant que nos habitudes soient remises en cause.

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Loin de moi l'intention de brimer les intervenants qui nous font l'honneur de leur présence. Leur temps de parole a été décidé par la conférence des présidents – vous y participez comme moi, et n'avez donc pas lieu d'en être étonné.

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Je vous en ai fait part en ouvrant la séance. Peut-être les interventions duraient-elles huit minutes par le passé, mais nous avons davantage de groupes parlementaires, ce qui réduit le temps de parole de chacun. Je remercie les invités pour leurs interventions liminaires, et j'invite les députés qui souhaitent poser une question à s'inscrire auprès du service de la séance.

La parole est à M. André Chassaigne.

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Je tiens d'abord à remercier les trois intervenants et à leur présenter mes excuses pour la réduction à cinq minutes de leur temps de parole, alors que je leur avais annoncé qu'ils disposeraient de huit minutes. Je n'avais pas vu surgir cette évolution ; il faut croire que je me suis assoupi lors de la conférence des présidents où elle a été décidée. Merci d'avoir répondu à notre sollicitation pour cette séance au format un peu particulier, lors de laquelle l'Assemblée siège dans une autre salle pour pouvoir recevoir des personnalités extérieures et s'ouvrir à des regards et à des analyses non issus des parlementaires.

Vous avez dressé des constats quant aux diverses causes de l'augmentation des prix : la spéculation, la décapitalisation, la loi de l'offre et de la demande, les contraintes extérieures – problèmes climatiques, guerre en Ukraine, rôle de la Chine, pandémie de covid-19 –, ou encore des mécanismes tels que le seuil de revente à perte mentionné par M. Andrault.

J'ai deux questions précises à vous poser. Premièrement, vous avez affirmé que l'envolée du cours des matières premières et la crise énergétique ne suffisaient pas à expliquer la hausse des prix des produits de grande consommation. Les industriels et les distributeurs ont-ils, selon vous, profité de la conjoncture internationale pour accroître indûment la rentabilité de leurs activités ? Je pense davantage aux multinationales qu'aux petites entreprises françaises du secteur agroalimentaire. Deuxièmement, comment pourrait-on, selon vous, optimiser la chaîne de valeur entre producteur et consommateur ?

Je m'en suis tenu à deux minutes, afin d'éviter un rappel à l'ordre de Mme la présidente.

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Je vous remercie infiniment, monsieur Chassaigne, de respecter les règles fixées par notre assemblée.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Quoique nous ne l'ayons pas encore officiellement adopté et publié, je peux vous communiquer quelques éléments du rapport que l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires remettra début juin au Parlement. Je précise que ce bilan concerne l'année 2022 ; j'ai formulé quelques réflexions relatives à 2023, mais il s'agit de simples observations, car nous ne disposons pas encore de l'ensemble des informations nécessaires pour cette période.

Nous constatons clairement que, comme à leur habitude, l'industrie et la distribution ont joué en 2022 un rôle d'amortisseur. Pour chaque produit, nous calculons la part du prix de vente liée aux matières premières – c'est-à-dire principalement aux produits agricoles –, la marge brute des différentes étapes de l'industrie et la marge brute de la distribution en grande et moyenne surface (GMS). Sans vouloir généraliser, nous observons que la part des marges de l'industrie et de la distribution dans le prix final s'est tassée, par comparaison avec la part agricole, qui a augmenté. Ce tassement varie selon les filières : il affecte parfois la marge de l'industrie, souvent celle de la grande distribution. Je rappelle que ce phénomène concerne 2022 : compte tenu de notre mécanisme de négociations annuelles, il est clair que ce recul des marges sera partiellement rattrapé en 2023. J'ai donné l'exemple des pâtes alimentaires : le prix du blé dur a augmenté en 2021, ce qui explique que les pâtes alimentaires soient le produit le plus touché par l'inflation en 2022.

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Je salue l'initiative de ces tables rondes, qui permet, dans un format un peu différent, d'interroger les professionnels de différents secteurs. Je développerai trois questions.

Premièrement, j'ai relevé une contradiction entre les exposés liminaires des trois intervenants. D'une part, M. Le Puill explique que la suppression des quotas de lait et de viande a poussé les Pays-Bas à augmenter leur production, ce qui a entraîné une baisse drastique des prix. D'autre part, M. Chalmin fait le constat d'une augmentation du prix du lait. Qu'en est-il précisément ?

Deuxièmement, l'approche libérale de la régulation par le marché ne me paraît pas forcément incompatible avec la technique de la contractualisation. En effet, dans le cadre de la contractualisation, il reste pertinent d'anticiper l'évolution des prix et de trouver des accords entre offreurs et demandeurs, selon les principes de l'économie de marché.

Troisièmement, je souhaiterais connaître votre avis quant aux dispositifs instaurés par le Gouvernement. Je pense notamment à la conclusion d'un pacte de solidarité commerciale pour les négociations commerciales en 2023, visant à ce que la grande distribution ne négocie pas la hausse des prix d'achat demandée par les PME pour compenser le surcoût lié à l'énergie, et au trimestre anti-inflation visant à limiter la hausse des prix, surtout ceux des produits alimentaires, subie par le consommateur.

Debut de section - Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir

Je répondrai à votre troisième question, qui concerne le trimestre anti-inflation. Selon l'UFC-Que choisir, cette mesure ne répond pas aux besoins des consommateurs. En effet, n'étant pas obligatoire, elle ne s'impose pas aux acteurs de la grande distribution. Surtout, le contenu des différents paniers anti-inflation n'étant défini par aucun cahier des charges précis, il est choisi par chaque distributeur en son âme et conscience. Il s'ensuit que le nombre de produits concernés est parfois ridiculement faible, et ne saurait donc répondre aux besoins des différents consommateurs, car il existe peu de points communs entre les besoins d'un jeune couple avec deux enfants en bas âge et ceux d'un couple de seniors disposant d'un budget important – ou, d'ailleurs, d'un budget réduit.

Deuxièmement, cette mesure n'incite nullement à réduire la marge de la distribution, car elle ne permet aucune comparaison entre deux produits. Une enseigne peut ainsi s'engager à réduire le prix d'un paquet de spaghettis, et une autre à réduire le prix d'un kilo de coquillettes. Quoi de commun entre ces deux engagements ? Il ne s'agit ni du même produit ni du même grammage, ce qui empêche toute comparaison.

Enfin, le concept est extrêmement vague. Il n'existe aucune définition réglementaire de « prix cassé » ou de « prix écrasé », ce qui ne laisse aucune possibilité de contrôle par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

Nous estimons donc que cette solution est inadaptée et nous tenons à votre disposition pour évoquer les propositions formulées par l'UFC-Que choisir.

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Monsieur Andrault, vous citiez la guerre en Ukraine et le contexte géopolitique comme une cause majeure de la hausse des prix alimentaires. Il se trouve que mes collègues économistes de l'Institut La Boétie et moi-même avons réalisé des calculs à partir des statistiques de l'Insee, et sommes parvenus à démontrer que 51 % des hausses de prix alimentaires observées lors du deuxième semestre 2022 sont en réalité liées à la hausse des profits des industriels du secteur agroalimentaire. Cela soulève la question de la régulation des marges de l'industrie.

Monsieur Chalmin, l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires peut-il décomposer de tels résultats par filière ? Quelle est l'année la plus récente pour laquelle cette opération est possible ?

Par ailleurs, je souhaite interroger monsieur Andrault au sujet du chèque alimentaire. La NUPES a présenté une proposition de loi, repoussée par la minorité présidentielle, qui visait à instaurer une prime alimentaire destinée aux bénéficiaires des minima sociaux. Quelle est votre position sur ce sujet ? Un chèque alimentaire conditionné à l'achat de produits bio et locaux, qui permettrait également de redynamiser des filières agricoles du bio et du local en grande difficulté, paraît-il souhaitable aux associations de consommateurs ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Pour vous répondre directement, les données relatives à la grande distribution dont nous disposons et que nous vous soumettrons dans notre rapport 2023 concernent les marges nettes par rayon pour l'année 2021. Je m'avoue un peu étonné que vous ayez déjà pu réaliser des calculs de profitabilité des entreprises pour le deuxième semestre 2022.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Pour notre part, nous travaillons directement à partir des comptes sociaux, qui commencent à peine à nous être transmis pour l'année 2022. Vos propos m'inspirent donc un léger doute. Quoi qu'on en dise, la hausse des prix au second semestre 2022 est largement liée à de fortes tensions sur les marchés des produits animaux, en particulier en Europe. On constate par exemple une baisse assez forte de la consommation de viande bovine en GMS, bien qu'elle soit compensée par la restauration.

Debut de section - Permalien
Olivier Andrault, chargé de mission à l'UFC-Que choisir

Je compléterai la réponse de M. Chalmin en précisant que l'UFC-Que choisir, dès la fondation de l'Observatoire de la formation des prix et des marges, a demandé que celui-ci puisse observer et publier très précisément les niveaux des marges. Il n'en a toujours pas la capacité, car les acteurs de la grande distribution, refusant une analyse plus détaillée, s'en tiennent à une marge générique qui ne permet pas de savoir qui se ménage les marges les plus importantes. Or c'est cela qui nous intéresse. Je comprends que M. Chalmin défende le mode de fonctionnement de l'observatoire qu'il préside ; quant à nous, nous demandons qu'il puisse se livrer à une analyse plus fine et publier les niveaux de marge par type d'enseigne et par type de produit, particulièrement en ce qui concerne les produits premier prix, les différentes marques de distributeurs (MDD) et les produits de grandes marques.

Quant à l'idée d'une aide alimentaire conditionnée à l'achat d'une catégorie spécifique de produits intéressante du point de vue de la durabilité, de la protection de l'environnement de la valeur nutritionnelle, nous nous posons la question suivante : pourquoi envisager ce dispositif uniquement à l'occasion d'une progression considérable de l'inflation alimentaire, alors qu'il présente un intérêt sanitaire et environnemental bien plus général ?

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Selon les calculs présentés par l'Institut La Boétie dans son point de conjoncture publié le 11 avril 2023, la hausse des profits constitue la première cause d'augmentation des prix de production alimentaire au second semestre 2022, devant le coût des consommations intermédiaires. L'agence Reuters avait d'ailleurs souligné en mars que la Banque centrale européenne (BCE) était consciente du fait que le moteur de la hausse des prix en Europe tient désormais au comportement des entreprises s'agissant de leurs marges. Certaines entreprises semblent donc adopter ouvertement une stratégie de profiteurs de crise, ce qui devrait nous conduire à relancer le débat quant à la taxation des superprofits.

La situation est pire encore lorsque les entreprises possèdent un quasi-monopole et dominent fortement leur marché, comme on peut le constater dans les secteurs de l'énergie et du transport. En attendant les conclusions du rapport d'enquête relatif au coût de la vie dans les outre-mer, dont est chargé mon collègue Johnny Hajjar, député de Martinique, nous en ressentons déjà les effets dans les territoires insulaires comme la Guadeloupe, dont je suis député, et les autres territoires dits d'outre-mer. Ainsi, l'armateur CMA CGM a réalisé un bénéfice net de 23,5 milliards d'euros en 2022. Quasiment aucune entreprise n'avait jamais atteint un tel chiffre dans l'histoire de France. CMA CGM y est parvenu grâce à une hausse des prix qui lui a permis d'augmenter son chiffre d'affaires de 33,1 %.

Pensez-vous à plafonner le prix des denrées alimentaires ? Cela a déjà été fait par le passé, par exemple dans le cadre de la loi du 4 mai 1793, dite loi du maximum, qui fixait un plafond au prix des grains. On a également tendance à oublier qu'entre 1793 et 1986, le prix du pain était réglementé en France. Force est toutefois d'admettre qu'il serait difficile d'encadrer la totalité des prix des biens de consommation. Dès lors, l'encadrement des prix des produits de première nécessité paraît une solution possible.

Seriez-vous favorable à l'indexation des salaires sur l'inflation, qui permettrait aux salaires d'augmenter automatiquement pour refléter la hausse des prix ? Là encore, cela n'a rien de particulièrement révolutionnaire, puisque l'échelle mobile des salaires était appliquée en France entre 1952 et 1982 et qu'elle existe encore dans d'autres pays.

En Belgique, par exemple, l'ensemble des salaires a augmenté mécaniquement cette année, car ils sont indexés sur l'inflation. Le salaire de base des employés en Belgique a ainsi progressé de 11 % l'année dernière.

Au Luxembourg, il y a également un système d'ajustement automatique des salaires et des traitements dès que l'inflation cumulée atteint 2,5 % de l'indice du coût de la vie. Cette obligation s'impose à tous les employeurs et est contrôlée par l'inspection du travail. Quelles sont vos positions sur ces différentes propositions ?

Debut de section - Permalien
Gérard Le Puill, journaliste

Je suis d'accord avec vous sur la nécessité d'indexer les salaires sur l'inflation dans un pays comme la France. C'est d'autant plus important qu'on constate que, s'il est vrai que le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A a diminué ces dernières années, en revanche, le nombre de demandeurs d'emploi des catégories B et C continue d'augmenter. Autrement dit, le nombre de personnes qui n'ont pas le moindre travail diminue, mais le nombre de celles qui n'ont qu'un travail à temps partiel subi augmente. Pour elles, payer le loyer, mettre du carburant dans leur voiture pour aller travailler, se nourrir, etc., devient de plus en plus difficile. Pour toutes ces raisons, je crois qu'il est important que l'évolution des salaires soit indexée sur celle des prix…

Debut de section - Permalien
Gérard Le Puill, journaliste

…comme ce fut le cas pendant des années. Les pensions de retraite devraient également être indexées sur l'inflation, car les retraités ont perdu beaucoup de pouvoir d'achat au cours des quinze dernières années. Je pense donc qu'il faut étudier cette mesure et la mettre en œuvre.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie de vos exposés respectifs. On observe que l'interdépendance des productions a une forte incidence sur les prix et que, quoi qu'on en dise, la libéralisation des marchés ne contente ni les consommateurs ni les producteurs. On le constate notamment pour les producteurs agricoles : l'augmentation du prix de certains produits a été largement alourdie par l'augmentation des coûts de production d'autres produits.

Vous avez expliqué que les prix correspondaient à un équilibre entre l'offre et la demande, mais c'est quand même un problème. Ne pourrait-on pas imaginer de fixer les prix en fonction des besoins ? Cela me paraît beaucoup plus intéressant.

Monsieur Le Puill, que pensez-vous de la question des quotas et de la généralisation des quotas sur les productions agricoles ? Étant donné que cette fluctuation des prix pose problème, ne devrait-on pas davantage planifier les productions agricoles afin qu'elles correspondent aux besoins ? Cette planification ne pourrait-elle pas nous permettre de sortir d'un système agricole trop tourné vers l'exportation pour en bâtir un autre qui réponde davantage aux besoins alimentaires ?

Quand j'étais jeune, on m'expliquait que les greniers étaient pleins, tandis qu'on a désormais des difficultés pour assurer l'autosuffisance alimentaire.

La généralisation des quotas, qui est sans doute une mesure radicale – c'est bien pour cela que je vous pose la question –, ne serait-elle pas un moyen pour assurer la stabilité des prix afin de répondre aux besoins ?

Debut de section - Permalien
Gérard Le Puill, journaliste

Les contrats que Bonduelle passe avec des producteurs de légumes indiquent des volumes de production dont le prix est garanti : autrement dit, ils définissent des quotas de production. Ils comportent également un cahier des charges qui comprend de nombreuses dispositions sur la qualité, notamment l'irrigation quand c'est nécessaire, la cueillette juste à temps, la livraison rapide, etc. Cette filière fonctionne remarquablement bien. Ce type de contrats s'est beaucoup développé dans la région des Hauts-de-France et il s'est étendu à d'autres régions, notamment à la production de maïs doux dans le Sud-Ouest. Là aussi, les contrats fixent des volumes de production avec des prix garantis et comprennent un cahier des charges définissant la qualité.

J'ai parlé de la filière du comté, qui fonctionne de cette manière depuis de nombreuses années. Les légumes secs consommés en France sont majoritairement importés : ce n'est pas le cas pour les lentilles, mais pour les haricots secs et pour les pois chiches, par exemple. Dans le cadre de la réforme agricole prévue à la fin de cette année, on pourrait envisager la contractualisation pour les volumes et la qualité des produits des légumes secs, afin que les usines soient alimentées par une production de proximité. Il faut que les agriculteurs aient des perspectives et puissent gagner leur vie en travaillant, sinon ils changent de production pour récolter plus de blé et de maïs, tandis qu'on importe certains produits qu'on pourrait cultiver chez nous.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour vos interventions très éclairantes.

Lorsqu'on évoque les causes de l'inflation, on mentionne notamment la guerre en Ukraine, la crise liée au covid, le climat, mais aussi la spéculation.

Je voudrais demander à M. Chalmin une précision sur le marché de gros des céréales. Vous parliez de l'aspect nécessaire, voire vertueux, de la confrontation de l'offre et de la demande. Je voulais vous interroger plus précisément sur la pratique du trading à haute fréquence, qui est réalisé par des algorithmes, notamment dans les quatre grands groupes qui concentrent le marché céréalier de gros dans le monde, qu'on appelle les ABCD, à savoir Archer Daniels Midland, Bunge, Cargill et Louis Dreyfus. Mounir Laggoune, spécialiste des placements financiers chez Finary, observe que leurs profits ont explosé l'an passé. Il indique que la société Louis Dreyfus réalise 30 milliards de dollars de chiffre d'affaires et plus d'un milliard de bénéfices. Ce sont des sociétés rentables et opaques situées en Suisse ou aux États-Unis. Des années comme 2022 sont bénies pour elles, car quand les prix – et la spéculation – s'envolent, elles sont au milieu de tout cela et en profitent énormément.

Ce marché est dominé par les machines. Cela va très loin, puisque les fonds spéculatifs placent leur centre de données le plus près possible de l'endroit où le marché réceptionne les ordres, afin de s'assurer que leurs données transitent plus vite que celles de leurs concurrents. Ceux qui savent exploiter ce dispositif peuvent faire des profits énormes. Selon certains experts, cette spéculation compterait pour près de 40 % dans la hausse des prix des matières premières. J'aurais donc souhaité connaître votre opinion sur cette pratique du trading à haute fréquence. Ne s'agit-il pas d'acteurs majeurs qui dérèglent le marché par des pratiques assistées par des algorithmes et profitent de la crise alimentaire ?

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Il serait totalement absurde de prétendre vous répondre en deux minutes. Je vous prierai donc de m'excuser de ne pas vous répondre entièrement. Je serais très heureux d'en discuter avec vous, car ce dont vous avez parlé est une réalité, notamment la concentration du négoce.

Le seul point que j'aurai le temps d'exposer est le suivant : dans le monde, certains marchés de produits agricoles ont des marchés dérivés financiers, d'autres non. Le blé et le riz en sont deux exemples : le blé est coté à Chicago et à Paris, et le marché dérivé brasse des volumes financiers importants, tandis que le riz fait l'objet d'un marché purement physique. Quand on observe sur une longue période les volatilités relatives des marchés du blé et du riz, on constate que, souvent, le riz est plus volatil que le blé. À la fin du jour, le physique a toujours raison.

Il est vrai que l'an dernier, par exemple, on a pu se dire que les marchés avaient surestimé les tensions sur le blé, alors que paradoxalement, c'est probablement sur le maïs que, à cause de l'Ukraine, il y aurait dû y avoir plus de tensions. Les prix sont désormais rééquilibrés. Je ne vous dirai pas que les marchés ont toujours raison, mais n'oubliez pas que les marchés constituent la somme à un moment donné de toutes les anticipations que les analystes se font – derrière les machines, il y a toujours des hommes – de ce que sera demain le rapport entre l'offre et la demande. Si le prix du blé baisse actuellement, c'est tout simplement parce que les perspectives de production mondiale sont plutôt positives, malgré une interrogation – mais le gros de la campagne ukrainienne d'exportation de blé est terminé – sur le maintien ou non du corridor céréalier.

Je me tiens à votre disposition, car il nous faudrait beaucoup plus de temps pour parler par exemple du rôle des traders. Il est vrai que quand les prix sont très volatils, très instables, les sociétés de trading gagnent beaucoup plus d'argent – cela a été le cas en particulier sur le marché du pétrole.

Si je peux, madame la présidente, disposer d'une minute de plus,…

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

…j'aurais voulu répondre à la question portant sur les quotas. M. Le Puill a entièrement raison en ce qui concerne les produits de niche. Le comté en est un merveilleux exemple ; les légumes de conserve peuvent l'être. Pour ce qui est des grandes commodités, je vous renvoie au temps béni de la politique agricole commune. Il fut un temps où il n'y avait pas besoin de marchés. Les marchés à terme sur le blé ont été interdits en France par la loi de 1936. On a vécu pendant longtemps dans un environnement de prix agricoles administrés pour différentes raisons.

Debut de section - Permalien
Philippe Chalmin, président de l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires

Trente secondes, madame la présidente.

Cet environnement a disparu. Les derniers quotas à disparaître sont ceux du sucre. On est en train de découvrir que même le prix du sucre, dont nous n'avons pas parlé, peut être instable : il connaît une très forte flambée actuellement.

Le monde agricole est passé de la stabilité à l'instabilité, comme le système monétaire l'a fait en 1971. Les banquiers se sont adaptés ; les agriculteurs commencent à le faire.

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Le temps imparti à la réponse est achevé.

Je remercie nos invités pour leur participation à nos travaux. Je sais que nos règles sont très frustrantes quand on a beaucoup de choses à dire, comme c'est le cas pour chacun des intervenants. Avant de passer à la seconde partie de ce débat, je suspends la séance pour deux minutes.

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Madame la présidente, nous disposons en principe d'une heure ! Nous avons commencé à onze heures dix, nous aurions pu continuer jusqu'à dix heures dix.

Suspension et reprise de la séance

La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à douze heures.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La séance est reprise.

La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme.

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Par quelques mots introductifs, je vais dresser les constats que je souhaite partager avec vous avant d'essayer, à travers les réponses aux questions que vous me poserez, de répondre à l'interrogation qui fait l'objet du débat de ce matin : « Quelles réponses à l'envolée des prix des produits de grande consommation ? »

Je ne doute pas que la première heure du débat, passée avec les spécialistes, aura été éclairante. Les conséquences de l'inflation sur les prix des produits de grande consommation en France sont claires. En avril 2023, l'inflation des produits de grande consommation s'établissait à 5,9 %, contre 5,7 % le mois précédent. Les produits alimentaires ayant subi la plus forte hausse en un an – il me semble important de rappeler ces évidences – sont le sucre – + 27 % –, les huiles – + 25 % –, la farine – + 24,7 % –, le beurre – +24 % – et les pâtes alimentaires– + 20 %.

Depuis le début de l'année, nous assistons à une baisse globale d'environ 5 % des volumes de vente des produits de grande consommation, avec une diminution très marquée s'agissant de plusieurs catégories de produits alimentaires – liquides, surgelés, frais non laitier. En tant que ministre déléguée chargée de la consommation, je surveille évidemment ces chiffres avec attention. Je me déplace, j'écoute, je lis, je prends en considération les préoccupations exprimées par nos concitoyens et que vous, élus, me faites remonter.

Comme vous le savez – et nous aurons très certainement l'occasion d'y revenir au cours de nos échanges –, avec Bruno Le Maire, nous avons instauré depuis le 15 mars un trimestre anti-inflation, démarche à laquelle la grande distribution s'est pleinement associée.

Je saisis l'occasion qui m'est donnée de rappeler quelques vérités sur cette mesure. Elle n'a jamais eu vocation à casser l'inflation, d'autant qu'elle ne concerne qu'un peu plus de 2 000 des 20 000 produits vendus par les hypermarchés. Son ambition était triple. Premièrement, s'assurer de l'arrêt de l'inflation des prix pour les produits visés – c'est bien le cas. Deuxièmement, encourager les premières baisses de prix : six semaines après le déploiement du dispositif, nous constatons une diminution d'environ 5 % du prix des produits concernés. Bien entendu, ce chiffre est une moyenne : la baisse peut être un peu plus ou un peu moins importante selon les distributeurs. Troisièmement, freiner la baisse des volumes, notamment des MDD. Ce n'est pas un sujet anodin, car derrière les MDD, on trouve très majoritairement des PME agroalimentaires, des producteurs et des éleveurs français. L'importante baisse des volumes que nous avons constatée en début d'année a été partiellement freinée par le trimestre anti-inflation, et nous assistons à une remontée à deux chiffres des volumes sur différents produits frais, notamment les viandes et poissons.

Si nous estimons la baisse des prix des produits à 5 % depuis le lancement du trimestre anti-inflation, l'inflation des produits alimentaires s'est stabilisée à 15,9 % en mars avant d'entamer une décrue en avril, où elle n'atteint plus que 14,9 %. Il faut voir cette diminution de 1 % comme un signal.

La semaine prochaine, avec Bruno Le Maire, nous recevrons à Bercy les distributeurs pour évoquer les modalités d'une prolongation du dispositif au-delà du 15 juin, afin de protéger les ménages jusqu'à la rentrée. Comme je ne doute pas que nous en parlerons ensemble dans l'heure qui vient, je ne serai pas plus longue.

Nous avons choisi d'en appeler à la responsabilité de chacun. Ainsi, parallèlement à l'instauration d'un trimestre anti-inflation, nous avons écrit aux industriels considérés comme les grands fournisseurs de l'industrie agroalimentaire pour leur demander de rouvrir les négociations commerciales le plus rapidement possible : des baisses de prix sont possibles, il faut créer les conditions d'y parvenir. L'État a pris sa part, tout comme les distributeurs ; les consommateurs prennent la leur au quotidien ; nous attendons désormais des industriels qu'ils fassent de même, sans mettre en péril les objectifs de souveraineté alimentaire et industrielle défendus par le Gouvernement et, bien entendu, dans le strict respect des dispositions de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite Egalim 1, et de la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2. Nous veillerons à ce que tous jouent le jeu. Les baisses de prix d'achat doivent être répercutées intégralement pour les consommateurs : c'est l'une des conditions pour faire aboutir les renégociations qui s'engagent.

Avant de laisser la place aux questions, je tiens à rappeler que le trimestre anti-inflation et l'ouverture de négociations avec les industriels font suite au déploiement de tout un arsenal de mesures – que vous êtes d'ailleurs plusieurs à avoir voté ces derniers mois : plafonnement des hausses de loyer, bouclier tarifaire sur l'énergie, remises sur le carburant, prime pour les gros rouleurs, autant de mesures qui ont permis de préserver le pouvoir d'achat des Français face à cette difficile vague inflationniste.

Quelques chiffres pour terminer mon propos liminaire : selon l'Insee, la croissance a été positive au quatrième trimestre de 2022, et atteint même 2,6 % sur l'année. Au quatrième trimestre, l'évolution du pouvoir d'achat a également été positive, puisqu'il a progressé de 0,8 % selon l'Insee. Malgré un contexte particulièrement difficile, le pouvoir d'achat a donc été globalement préservé en 2022, puisque son évolution a été estimée à plus ou moins 0,2 %, selon qu'on s'exprime en données agrégées ou en unités de consommation. Si on prend en compte les chèques énergie, le pouvoir d'achat ajusté a progressé de 1,2 % en 2022. Il me semblait important de partager ces chiffres avec vous et de rappeler le contexte pour donner plus de perspective au débat. Je me tiens désormais à votre disposition pour vous écouter et répondre à vos questions.

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Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.

La parole est à M. Daniel Labaronne.

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Je vous remercie, madame la ministre déléguée, pour votre intervention liminaire.

En un an, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 15 %. Face à cette hausse, le Gouvernement a agi en faveur du pouvoir d'achat, notamment en revalorisant les minima sociaux, en distribuant des chèques exceptionnels pour compenser l'augmentation des coûts de l'énergie et du carburant – vous l'avez dit –, en poursuivant la baisse de la fiscalité et en développant l'emploi pour favoriser la croissance.

En outre, il a maintenu une pression constante sur la grande distribution : d'une part, en prenant l'initiative d'un pacte conclu en 2022 pour éviter une répercussion de la hausse des prix de l'énergie et des services des PME dans les négociations commerciales ; d'autre part, en instaurant un trimestre anti-inflation. En vigueur depuis le 15 mars, ce dispositif rempli son objectif, puisque le prix des produits concernés a baissé de 5 %, tandis que leur volume de vente a augmenté de 35 %. Mais alors que le cours des matières premières – et notamment celui des denrées alimentaires comme l'huile, les céréales et les pâtes – est désormais en repli sur les marchés mondiaux, avec un recul de près de 20 % en un an, leur prix continue à augmenter en supermarché.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi Egalim 1, les négociations entre industriels et distributeurs peuvent désormais rouvrir en cours d'année en cas de variation importante du prix des matières premières. En conséquence, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et vous-même, ministre déléguée chargée du commerce et de l'artisanat, avez écrit aux professionnels pour organiser une renégociation au cours de l'été. Selon quels processus et calendrier les négociations pourraient-elles avoir lieu ? Quel ordre de grandeur de baisse de prix permettraient-elles d'espérer ?

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Courant 2022, le Gouvernement avait soutenu et autorisé la réouverture de négociations qui avaient permis d'adapter rapidement le prix des produits à la forte augmentation des prix des matières premières subie par les industriels de l'agroalimentaire. Il y a quelques semaines – à la fin de la troisième semaine d'avril, précisément –, avec Bruno Le Maire, nous leur avons donc écrit pour leur demander, en retour, de rouvrir des négociations maintenant que ceux-ci diminuent.

La semaine prochaine, nous recevrons les acteurs de la grande distribution au sujet de l'éventuelle prolongation du trimestre anti-inflation. Ce sera l'occasion d'évoquer la réouverture commerciale des négociations, dont plusieurs ont déjà été entamées – c'est donc bel et bien possible –, et de savoir si des difficultés se présentent avec certains grands industriels en particulier. Après cet échange, nous ouvrirons si nécessaire une phase de name and shame – pardonnez cet anglicisme : avec Bruno Le Maire, nous n'aurons aucun scrupule à nommer dans le débat public les industriels qui refuseraient de rouvrir les négociations alors que le prix de plusieurs matières premières est en baisse. Si cela ne suffit pas, nous prendrons nos responsabilités et envisagerons d'autres actions, éventuellement fiscales, grâce à tous les outils à notre disposition.

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Le name and shame ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

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Ah ! On pourrait parler français, tout de même !

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L'envolée des prix de grande consommation touche durement l'ensemble des Français, mais tout particulièrement les ultramarins, qui faisaient déjà face à la vie chère et subissent désormais la vie très chère. Parmi les causes de cette situation, on note surtout la forte augmentation du coût du fret. Dans le même temps, les enseignes de la grande distribution engrangent des bénéfices records. Alors, quelles solutions pour l'outre-mer ?

Chaque fois que j'aborde la question des prix en outre-mer, je m'entends dire que l'inflation en outre-mer serait moindre que dans l'Hexagone : permettez-moi de rappeler que le niveau général des prix des produits de grande consommation y est pourtant 7 % à 12 % plus élevé. Je m'entends également répondre que les collectivités devraient diminuer l'octroi de mer. Mais si, à mes yeux, l'octroi de mer mérite en effet une refonte, rogner sans contrepartie sur le budget de nos collectivités ne saurait être une solution. En effet, les collectivités, qui financent nos services publics et génèrent des emplois dans des territoires marqués par le chômage, sont elles aussi confrontées à l'envolée des prix.

Réviser l'octroi de mer nécessiterait un meilleur accompagnement des collectivités par l'État. Cela aurait pu être possible en indexant la dotation globale de fonctionnement (DGF) sur l'inflation, mais vu l'énergie que la majorité a déployée hier pour faire de l'obstruction aux propositions faites dans le cadre de la niche parlementaire de mon groupe, nous avons bien compris que vous n'en feriez rien. Si elles sont indispensables, les mesures de régulation de la concurrence en outre-mer ne suffisent pas à faire baisser durablement les prix. Partant, les solutions doivent se fonder sur deux axes : améliorer le pouvoir d'achat et encadrer les prix. Madame la ministre déléguée, quand allez-vous agir en ce sens ?

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Comme je déteste mettre le président Chassaigne en colère, je suggère de remplacer le name and shame par « promouvoir et dénoncer », même si ce n'est pas très joli. Je voulais donc dire, en bon français, que nous n'aurons aucun scrupule à faire la promotion des industriels qui jouent le jeu et à dénoncer les autres.

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Objection retenue, président.

Sourires.

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

S'agissant des prix en outre-mer, je ne rappellerai pas vos constats, d'autant que vous connaissez mieux que moi la situation. Plusieurs causes structurelles expliquent les écarts de prix entre l'outre-mer et l'Hexagone – vous les connaissez aussi –, au premier rang desquelles l'éloignement des territoires et l'étroitesse des marchés.

Comme vous le savez, en 2022, la démarche « Oudinot du pouvoir d'achat » a permis de négocier avec les acteurs locaux, qui ont renforcé leurs engagements et bloqué, voire diminué, les prix sur un panier de produits de première nécessité dans le cadre du bouclier qualité prix plus (BQP+). Ce dispositif m'a été inspiré par le BQP, créé en 2012, qui prévoit à ce jour une liste de 153 produits de grande consommation, dont le prix est réduit et contrôlé par l'État. Il permet donc de garantir leur rapport qualité-prix.

Enfin, vous avez mentionné la refonte de l'octroi de mer : je tiens à rappeler qu'il s'agit aussi et surtout d'une promesse électorale faite par le Président de la République. Ce n'est pas là une fin en soi, mais un moyen de favoriser l'émergence de nouvelles activités et d'adapter davantage le modèle économique ultramarin aux défis qui l'attendent, avec trois objectifs complémentaires : conforter le financement des collectivités locales, pour lesquelles l'octroi de mer constitue une ressource essentielle ; soutenir la production locale ; diminuer les prix grâce à la réduction de la fiscalité.

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Selon qu'il est installé outre-mer ou dans l'Hexagone, un foyer donné, disposant d'un revenu donné, n'a pas le même pouvoir d'achat : les prix des produits de grande consommation sont en effet plus élevés dans les territoires ultramarins. On dit que l'inflation y est moins marquée qu'au niveau national, mais il ne s'agit là que d'une moyenne : en fonction du lieu et du produit, les augmentations peuvent atteindre 40 %, voire davantage ! Vendus par les grands industriels au même prix que dans l'Hexagone, ces biens n'arrivent dans le panier du consommateur d'outre-mer qu'après avoir subi des renchérissements liés au fret, à la fiscalité, etc. Du reste, cette vente au même tarif est-elle normale alors que la communication des marques n'est pas la même outre-mer, que nos concitoyens ultramarins ne bénéficient pas de la même façon des campagnes de publicité, de marketing, dont le coût représente une bonne partie du prix des produits ? Serait-il envisageable de demander aux industriels d'adopter des tarifs « import » ?

Je souhaitais par ailleurs signaler un autre problème rencontré par les consommateurs des territoires français éloignés du continent : les dates limites de consommation (DLC) y sont les mêmes que dans l'Hexagone, alors que les produits concernés parviennent outre-mer après huit ou dix jours de transport, ce qui laisse d'autant moins de temps pour les consommer. Les distributeurs sont alors contraints de les écouler plus rapidement ou de répercuter sur le client le coût des pertes – alors même que nombre de ces denrées seraient parfaitement consommables une, deux, trois, voire quatre semaines après leur DLC ! Il s'agit là d'une situation bien connue de tous les acteurs économiques, et ce depuis des années. Que diriez-vous, madame la ministre déléguée, d'une révision de ces DLC, qui constituent un facteur d'augmentation des prix et de gaspillage alimentaire ?

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Ne souhaitant pas me répéter, monsieur le député, je préfère ne pas revenir, par exemple, sur le BQP. Vous évoquez deux sujets que j'ai déjà abordés au cours de mes échanges avec l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) et l'Institut de liaisons et d'études des industries de consommation (Ilec), pour ne pas les citer ; il ne vous aura d'ailleurs pas échappé que ce n'est pas moi qui fixe les prix – heureusement, même si je sais que nous ne sommes pas d'accord sur ce point. Je suggère donc que nous organisions dans les prochaines semaines un rendez-vous avec l'Ania et l'Ilec auquel ce serait une bonne chose que vous participiez également, monsieur Mathiasin. Nous pourrions ainsi traiter à la fois de la part des dépenses de communication dans la constitution des prix industriels et de la pertinence de la DLC, car vous avez soulevé là un problème important, auquel je suis particulièrement sensible. Si vous y consentez, je vous propose que dans les jours qui viennent nous échangions directement, vous et moi, peut-être mes équipes, et que nous allions parler de tout cela aux représentants des industriels.

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L'été approche, et avec lui une période néfaste pour les animaux de compagnie : rappelons que la France détient le funeste titre de championne d'Europe des abandons – près de 100 000 chaque année. Si j'évoque aujourd'hui ce drame, c'est parce que son motif est de plus en plus souvent financier. Il ressort d'un récent sondage de l'Ifop qu'un Français sur quatre a déjà renoncé pour des raisons financières à adopter un animal de compagnie, ce qui ne va pas contribuer à vider des refuges saturés : dans ma région, la Société protectrice des animaux (SPA) de la Gironde tire régulièrement la sonnette d'alarme, celle de Limoges a annoncé sa très probable fermeture dans les semaines à venir, faute de moyens et face à la recrudescence du nombre d'animaux recueillis.

Pour les propriétaires, l'augmentation du coût de la nourriture de leur animal s'ajoute à celle de leur propre alimentation. Si l'on déplore que le prix des croquettes ait augmenté de 18 % par rapport à l'année dernière, il y a de quoi s'affoler quand on lit qu'en 2023, l'alimentation destinée aux animaux devrait connaître une inflation de 40 %, soit la plus forte hausse constatée dans les rayons. Un animal qui coûtait, il y a deux ans, 450 euros en coûte désormais 650, soit 200 euros de plus ! Ce qui est dramatique et scandaleux, c'est que ces augmentations ne sont pas seulement dues à l'inflation touchant l'énergie et les matières premières, mais aussi et surtout aux marges toujours croissantes des grands groupes. Lorsque les Français vont faire leurs courses, madame la ministre déléguée, ils ont l'impression de ne plus tant nourrir leurs animaux de compagnie que les actionnaires et les profiteurs de crise !

Au cours de votre propos liminaire, vous nous avez fait part de votre intention de négocier avec les industriels et distributeurs ; en revanche, vous n'avez pas mentionné l'alimentation animale. Ma question sera donc la suivante : ce sujet, qui concerne au plus haut point les millions de propriétaires d'animaux que compte la France, suscite-t-il également votre intérêt ? Je souhaite que ce soit le cas, ce qui permettrait d'éviter, dans les prochaines semaines, un drame animalier sans précédent.

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Madame la députée, vous évoquez une réalité qu'à Bercy, nous surveillons de près depuis des mois. Je ne suis donc pas étonnée d'entendre les chiffres que vous avez cités concernant la hausse du prix des croquettes pour animaux : nous avions anticipé le phénomène.

Pour ma part – c'est certainement l'un de mes défauts –, je parle rarement des « grands groupes » mais plutôt, selon le cas, des distributeurs ou des industriels : la complexité de la chaîne agroalimentaire nécessite d'identifier les acteurs que l'on peut soupçonner de profiter de la situation. Le chiffre de 40 % d'augmentation a ainsi été très tôt brandi sur les plateaux de télévision par M. Michel-Édouard Leclerc. En mentionnant les « grands groupes », il devient facile – mais tel n'était pas le sens de votre propos – de mettre tout le monde dans le même sac, ou plutôt dans le même caddie, et de désigner de la sorte des boucs émissaires ; encore une fois, si tant est qu'il y ait eu des abus, il importe d'être précis concernant leur provenance.

En réalité, les croquettes alimentaires sont très majoritairement composées de céréales, notamment de blé et d'avoine, dont l'évolution des cours a été particulièrement puissante. Il était donc logique que le prix de ces produits connaisse des hausses à deux chiffres ; il est tout aussi logique qu'il diminue en proportion de la baisse des cours. En un an, le prix du blé a été réduit de 40 %, celui de l'avoine de 25 % : ce sont là deux bonnes raisons d'inscrire ces croquettes sur la liste des produits dont faire baisser en priorité le tarif dans le cadre des renégociations commerciales que Bruno Le Maire et moi-même appelons de nos vœux. Nous sommes en droit de réclamer cette baisse, et je prendrai mes responsabilités à ce sujet.

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Le 6 avril, journée de niche parlementaire du groupe Écologiste – NUPES, était examinée la proposition de loi visant à mieux manger en soutenant les Français face à l'inflation et en favorisant l'accès à une alimentation saine. J'avais déposé, avec d'autres membres du groupe LFI – NUPES, un amendement prévoyant l'extension à l'ensemble du territoire national du BQP instauré outre-mer par la loi du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer, dite loi Lurel, et que vous venez d'évoquer de manière plutôt favorable, même si nous entendons qu'il reste des améliorations à apporter.

Le BQP consiste à fixer par arrêté préfectoral le prix global maximal d'un panier de biens de première nécessité – alimentation, hygiène, produits pour bébé, etc. –, prix déterminé à l'issue d'une négociation entre producteurs, industriels et distributeurs, conduite par le préfet et, depuis 2020, impliquant les citoyens, auxquels un questionnaire en ligne permet de participer à la sélection des biens dont ils souhaitent voir bloquer le tarif. Ce dispositif vertueux, notamment en raison de cette participation populaire, a fait ses preuves, même si, encore une fois, il demeure susceptible d'amélioration. Comme la majorité des députés présents le 6 avril, nous pensons donc que l'intégralité de notre territoire devrait pouvoir en bénéficier.

Il ne s'agirait pas ici d'une mesure analogue au trimestre anti-inflation voulu par le Gouvernement, qui revient à laisser la grande distribution décider seule des produits dont elle daignera baisser le prix – et qui, souvent, ne sont pas les meilleurs pour la santé. Dès lors, ma question est la suivante : puisque vous dites à qui veut l'entendre que vous souhaitez coconstruire, avancer en constituant des majorités au cas par cas, pourquoi ne pas tenir compte du fait que mon amendement, le 6 avril, avait été adopté, et généraliser le BQP ?

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Il est manifeste – cela contribue à l'intérêt de nos échanges – que nous ne sommes pas d'accord, entre autres, au sujet du trimestre anti-inflation, dont vous estimez qu'il laisse les distributeurs libres de choisir les biens en cause. Cette mesure appliquée du 15 mars au 15 juin concerne jusqu'à 2 000 produits – contre 153 pour le BQP, la réalité économique insulaire n'étant pas la même qu'en métropole – dont tous les acteurs de la grande distribution se sont engagés à ne pas augmenter le prix et à commencer à le réduire. Je ne vous dissimulerai d'ailleurs pas que je me suis inspirée du BQP au point de parler initialement d'un « panier anti-inflation », comme vous devez vous en souvenir ; la différence entre les difficultés structurelles que rencontre La Réunion, à l'origine du BQP, et la situation métropolitaine nous ont ensuite fait évoluer vers la notion de trimestre et vers le fait que, contrairement à ce qui se passe à La Réunion, l'État ne fixerait pas lui-même les prix.

Ce qui m'importe aujourd'hui, c'est le résultat de cette mesure après six ou sept semaines. Au sujet des prix bloqués, nous ne sommes pas d'accord non plus : en Hongrie, où ce dispositif est en vigueur, les prix des denrées alimentaires ont augmenté d'environ 44 %, contre 30 % en Ukraine ! En revanche, le trimestre anti-inflation a d'ores et déjà entraîné dans les rayons une baisse des prix de 5 % : nous préférons cette solution.

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Certaines entreprises adoptent ouvertement une stratégie de profiteurs de crise : il y a là matière à rouvrir le débat concernant la taxation des superprofits, d'autant que les choses sont pires encore lorsque ces sociétés dominent fortement le marché, voire se trouvent en situation de quasi-monopole, comme dans les secteurs de l'énergie et des transports. En attendant le rapport consacré au coût de la vie outre-mer qui sera réalisé à l'initiative de mon collègue martiniquais Johnny Hajjar, nous constatons cette réalité dans les territoires ultramarins.

S'agissant des denrées alimentaires, envisagez-vous de fixer un plafond ? Cela a déjà été fait par le passé. La loi de 1793 dite du maximum, par exemple, imposait un plafond au prix des grains. On a tendance à oublier également que, de 1793 à 1986, le prix du pain était réglementé en France. Il paraît toutefois difficile d'encadrer la totalité des prix des biens de consommation, je dois bien l'admettre. Dès lors, outre l'encadrement des prix des produits de première nécessité, seriez-vous favorable à l'indexation des salaires sur l'inflation, de telle sorte que les salaires augmentent automatiquement, en parallèle de la hausse des prix ? Une telle mesure n'aurait, elle non plus, rien de très révolutionnaire. Ce que l'on appelle l'échelle mobile des salaires a existé en France de 1952 à 1982 et existe encore dans certains pays. Ainsi, en Belgique, l'ensemble des salaires a augmenté mécaniquement cette année, car ils sont indexés sur l'inflation, et le salaire de base des employés a progressé de 11 % l'année dernière ; au Luxembourg, il existe également un système d'ajustement automatique des salaires et des traitements dès que l'inflation cumulée de l'indice du coût de la vie atteint 2,5 %. Cette obligation s'impose à tous les employeurs. Quelle est, madame la ministre déléguée, la position du Gouvernement sur les différentes propositions que je viens d'exposer ?

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Votre question est riche, monsieur le député, et je vais m'efforcer d'y répondre en tous points. Vous pointez des acteurs qui auraient indûment profité de l'inflation alimentaire. Je fonderai la première partie de ma réponse sur deux documents qui me semblent intéressants et importants et qui, quoi qu'en pensent certain, ne divergent pas dans leur analyse : l'étude de l'Institut La Boétie

Mme Aurélie Trouvé sourit

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

– eh oui, il peut m'arriver de vous surprendre ! – et celle de l'Inspection générale des finances (IGF) sur l'inflation alimentaire. La seule différence entre les constats que les deux organismes font froidement de la situation tient aux dates qu'ils ont respectivement retenues. D'après les calculs de l'Institut La Boétie, la marge des industriels contribuerait à hauteur de 36 % à la hausse des prix de production des biens agroalimentaires entre le quatrième trimestre 2021 et le quatrième trimestre 2022, contre 59 % pour la flambée des coûts liée aux intrants et 5 % pour l'augmentation des salaires et impôts nets sur la production.

Si l'institut a bien repris la méthode retenue par la mission diligentée par l'IGF, ce sont les dates de comparaison qui posent problème dans son analyse. L'institut compare en effet le quatrième trimestre 2022 au quatrième trimestre 2021, là où l'IGF compare l'année 2022 à l'année 2019, antérieure à la vague inflationniste. Si l'on retient ces deux bornes, l'excédent brut d'exploitation (EBE) – que l'on peut considérer comme le profit – ne contribue qu'à hauteur de 2 % à la hausse des prix du secteur et non à hauteur de 36 % comme indiqué par l'institut. L'augmentation des prix de vente s'explique entièrement par l'augmentation du prix des intrants et, en parallèle – c'est le point le plus important –, les industriels ont simplement restauré leurs marges post-crise. Je tiens à la disposition de ceux d'entre vous que cela intéresse le graphique qui me semble être le plus intéressant, présentant le taux de marge des industriels.

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

La vraie question, monsieur le député, est celle-ci : cette hausse constitue-t-elle bien un rattrapage ou ne s'agit-il que d'une tendance ? La première hypothèse peut s'entendre, pas la deuxième.

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Je voudrais revenir, madame la ministre déléguée, sur un point abordé au début de notre échange. La méthode du Gouvernement consiste à envisager des modalités pour prolonger le panier anti-inflation, à faire appel à la responsabilité ou à solliciter les industries agroalimentaires pour l'ouverture de négociations commerciales… Bref, on voit bien que c'est une méthode de Bisounours, en quelque sorte. Vous dites que le Gouvernement est vigilant à ce que tous jouent le jeu. Ma question est donc la suivante : quels sont les outils dont vous disposez pour évaluer l'action des uns et des autres ? La question a été soulevée lors de la première partie de nos échanges, en particulier par le représentant de l'UFC-Que Choisir : quels contrôles existent actuellement sur la politique qui est conduite ? On nous répond en citant l'Institut La Boétie ou encore l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, dont le président nous expliquait tout à l'heure que l'analyse des marges nécessite un délai, un certain temps – comme le refroidissement du canon de Fernand Raynaud !

L'approche du Gouvernement consiste à faire confiance à la grande distribution et à l'industrie agroalimentaire. Ne pensez-vous pas, madame la ministre déléguée, qu'il faudrait faire une analyse plus approfondie ? De quels outils disposez-vous pour cela ? Ne croyez-vous pas, comme plusieurs intervenants, qu'il faudrait contraindre les prix ? Au final en effet, tout ce dont nous parlons est provisoire et nourrit la communication. Mais dans la durée, les prix augmentent et on ne sait pas si ce sera aussi le cas des marges.

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Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Nous ne serons pas d'accord sur cette question, monsieur le président Chassaigne – c'est ce qui rend notre échange intéressant. Je ne crois pas en effet, et je l'assume, que l'inflation alimentaire soit condamnée à aller de pair avec une inflation normative. L'inflation, c'est maintenant – ce n'est pas faute de l'avoir dit dès la fin de l'année dernière. C'est au deuxième trimestre de cette année 2023 qu'elle se révèle très forte, et nous nous y attendions. Pour tout vous dire – je n'ai pas vocation à le cacher –, la situation sera encore difficile au mois de mai, et le mois de juin ne sera pas facile non plus. S'il avait fallu que nous nous mettions tous autour d'une table pour envisager une loi, vous qui avez plus d'expérience que moi, monsieur le député, savez bien que le trimestre anti-inflation ne serait pas en place. Nous aurions en effet pris le temps de légiférer, nous aurions été soumis à des injonctions contradictoires, et il n'y aurait sans doute aujourd'hui ni panier ni trimestre.

Il est vrai qu'avec Bruno Le Maire, nous avons fait volontairement un choix qui n'est pas un choix de Bisounours – avec tout le respect que j'ai pour ces derniers. C'est un choix de confiance. Mais vous savez mieux que moi, historiquement, que la confiance n'exclut pas le contrôle. La DGCCRF contrôle depuis le 15 mars, dans l'ensemble des établissements de la grande distribution, la réalité des prix affichée et, le cas échéant, celle des prix coûtants, au regard des prix pratiqués juste avant la mise en œuvre du trimestre anti-inflation. Le président de l'OFPM a raison de souligner qu'il faut du temps – raison pour laquelle les contrôles ont lieu chaque semaine et de façon régulière – pour mesurer la réalité de l'évolution des marges, huit à neuf semaines après le lancement du trimestre anti-inflation.

Vous savez comme moi, ensuite, qu'il existe des acteurs indépendants et des acteurs cotés. L'avantage des indépendants, c'est qu'ils nous donnent leurs chiffres, que nous les vérifions et que la DGCCRF est ainsi en train de les analyser.

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Il est important de dire que la part de marge que les acteurs de la grande distribution ont rognée pour faire baisser les prix dans le cadre du trimestre anti-inflation se compte en dizaines de millions d'euros pour l'immense majorité d'entre eux et dépasse 100 millions d'euros pour certains. Le pacte de la solidarité commerciale en octobre-novembre a tout de même démontré, monsieur le président Chassaigne, que sans loi, sans décret, sans arrêté, il n'y a pas une seule PME qui n'ait réussi à surmonter l'augmentation de ses coûts énergétiques. C'était un engagement fondé sur la confiance, qui a été respecté.

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L'autosatisfaction du Gouvernement me paraît quelque peu inopportune. Je voudrais vous présenter un graphique qui démontre l'ampleur de l'urgence.

L'oratrice brandit une feuille sur laquelle est imprimé un graphique.

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Il ne vous est pas permis de présenter un document, madame la députée.

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La chute montrée par ce graphique au cours des derniers mois illustre l'évolution du volume de consommation alimentaire. Celui-ci a retrouvé cette année son niveau de 2007, alors que notre pays compte 4 millions d'habitants en plus. Je ne sais pas si vous imaginez ce que cela signifie. Les gens sont de plus en plus nombreux à sauter des repas. Il y a deux jours, la fédération des banques alimentaires m'a précisé qu'en un an, 30 % de personnes supplémentaires ont fait appel à l'aide alimentaire. Voilà ce qui se passe !

Au profit de qui ? Avec mes collègues économistes – mon ancien métier –, nous avons travaillé sur des statistiques, de l'Insee notamment, démontrant qu'au cours du dernier semestre 2022, la hausse des prix alimentaires s'explique, à hauteur de 51 %, par la hausse des marges de l'industrie agroalimentaire. Votre loi Descrozaille, tendant à renforcer l'équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, aggrave d'ailleurs les choses, madame la ministre déléguée. Le ministre Bruno Le Maire lui-même, interpellé à ce sujet par un média, a dû admettre le problème.

Votre fameux trimestre anti-inflation ne fait que prier les seuls distributeurs de faire un effort. Je sais bien que la directrice de la communication de l'Ania vient de rejoindre le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, au sein duquel elle occupera le même poste, mais on s'attendrait tout de même à ce que vous fassiez davantage, dans cette situation d'urgence, pour agir contre les grands groupes agroalimentaires. Ma question est donc simple : à partir de quelle ampleur de drames humains et de non-respect de la sécurité alimentaire dans notre pays consentirez-vous à réguler un tant soit peu les prix et les marges des grands groupes agroalimentaires ?

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Je répondrai avec plus de calme et, en tout cas, sans désigner personne nommément – ce que je trouve peu élégant, en particulier en politique. Je vous laisse à vos ressentis, madame la députée, s'agissant de l'autosatisfaction que vous évoquez. Lorsque l'on fait face aux difficultés que nous traversons depuis plusieurs années, il n'y a pas d'autosatisfaction, il n'y a que la réalité. Un économiste – vous l'étiez, je ne sais pas si vous l'êtes encore – doit aussi considérer la froideur des chiffres. Il n'est pas nouveau qu'un certain nombre de nos compatriotes rencontrent des difficultés. J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte pour m'être occupée de ces sujets pendant deux ans en tant que secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable, au service des associations luttant notamment contre la précarité alimentaire. Constater le taux d'inflation alimentaire en mars 2023 en Europe, ce n'est pas faire preuve d'autosatisfaction, mais faire une observation : la moyenne européenne se situe à 19,2 %, contre 14,9 % en France. En dépit de ce que disaient certains de vos collègues, ce taux est bien inférieur à celui que connaît la Belgique où les salaires, je le rappelle, sont indexés sur l'inflation – je n'avais pas eu le temps de répondre au député Baptiste à ce sujet.

Pour le reste, madame la députée, vous mentionnez ce qui serait « ma » loi Descrozaille. Je rappelle que ce texte, d'initiative parlementaire, a été voté à l'unanimité. Je subodore donc qu'un certain nombre de députés ici présents, possiblement de votre groupe, y ont adhéré. En tout cas, par définition, aucun député ne s'y est opposé.

Nous n'avons pas la même vision politique des choses, mais cette divergence peut s'exprimer dans le respect. Je ne crois pas que le blocage des prix soit la solution, comme le prouve la situation de certains pays européens. Je crois aussi que tout ne doit pas obligatoirement passer sous les fourches caudines de la loi et que, comme d'autres démocraties, nous pouvons trouver des accords avec les acteurs économiques sans les caricaturer ou les décrédibiliser. Je l'ai dit et je le redis avec force : premièrement, nous avons écrit aux industriels. Deuxièmement, nous les rencontrerons bientôt et n'hésiterons pas à dénoncer ceux qui ne veulent pas rouvrir des négociations, ainsi qu'à communiquer le nom de ceux qui acceptent de le faire. Troisièmement, je redis clairement ce qu'a dit Bruno Le Maire : si les deux premières étapes ne fonctionnent pas, il nous reste une arme, celle de la fiscalité, et nous prendrons nos responsabilités.)

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Il a été reconnu, à l'occasion des débats de la niche parlementaire du groupe Écologiste, que le bouclier qualité prix n'avait reçu qu'un accueil mitigé de la part des Réunionnais, notamment parce que 20 % des produits proposés dans ce BQP sont fréquemment en rupture de stock. La majorité a même reconnu qu'il s'agissait d'une mesure perfectible. Ce panier est aujourd'hui composé de 153 produits, pour un prix total de 348 euros. Votre collègue Jean-François Carenco se félicite de l'ajout de produits de bricolage, qui ne correspondent cependant en rien aux besoins des Réunionnais en matière de pouvoir de vivre – et non de pouvoir d'achat. Ce que nous voulons, ce sont des mesures efficaces répondant à leurs attentes. Il y a beaucoup de communication sur le passage du BQP au BQP+, mais force est de constater que la montagne a accouché d'une souris ; « Tant d'arrivisme pour si peu d'arrivage », aurait dit Salvador Dali.

La commission d'enquête sur la vie chère dans les outre-mer a permis de confirmer la présence d'une structure oligopolistique des acteurs de la grande distribution, fixant les prix en fonction de leur bon vouloir. L'Observatoire des prix, des marges et des revenus (OPMR) ne peut en effet accéder aux données relatives à la formation des prix, qui relèvent pourtant de sa mission principale. La grande distribution lui impose un droit au secret des affaires qui rend impossible l'exécution de sa mission. Il est également important de rappeler que le statut juridique et les fonds de l'OPMR sont trop limités pour lui permettre de mener à bien ses enquêtes.

Madame la ministre déléguée, vous qui êtes chargée du commerce, quels leviers pourrait-on actionner pour faire baisser efficacement les prix en outre-mer ? Cette question n'a rien de politique ni de clanique ; croyez-moi, à La Réunion, on est en train de crever la bouche ouverte. Les prix flambent partout et cela devient très compliqué. Je me fais porte-parole d'un peuple en souffrance : il faut trouver des solutions rapides. Une commission d'enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer est en cours ; quand la France découvre la vie chère, nous sommes déjà dans la vie très, très chère depuis bon nombre d'années !

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Merci pour votre question, monsieur Maillot. Il est intéressant de vous entendre critiquer les limites du BQP. Quoi qu'en pensent certains, les pénuries observées sur l'île de La Réunion sont aussi, pour partie, les conséquences du blocage des prix. Je mesure vos propos et je sais qu'ils représentent la réalité. Je pourrais vous répondre en lisant des fiches et sans, au fond, vous répondre vraiment. Comme pour votre collègue Mathiasin, je préfère choisir une autre option : je vous propose, si vous l'acceptez, qu'on en parle concrètement, en partant des éléments étayés par la commission d'enquête sur le coût de la vie dans les outre-mer – dès qu'elle est terminée. Je ferai remonter la question ultramarine en général et réunionnaise en particulier à Bruno Le Maire. J'entends le désarroi, pour ne pas dire le désespoir des Réunionnais, que vous exprimez ; cette question mérite une vraie réponse, et ne saurait être expédiée en deux minutes. Je suggère de convenir d'un rendez-vous avec Bruno Le Maire ou du moins avec ses équipes, et, quoi qu'il en soit, avec moi, pour en parler et essayer de comprendre ce que nous pourrions faire mieux.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame la ministre déléguée, vous êtes entre autres chargée des PME (petites et moyennes entreprises) – et des TPE (très petites entreprises). Notre échange montre qu'il y a une pression pour faire baisser les prix : nous le demandons nous-mêmes, nous pointons l'insuffisance des contrôles. La consommation de certains produits, notamment de produits de qualité, est également en recul, car la grande masse des gens ne peut plus se les permettre. Parmi les constats que vous faites, notez-vous des difficultés particulières pour les PME et les TPE ? Le monde de la très petite, de la petite et de la moyenne entreprise traverse-t-il une période difficile en lien avec ces problèmes ? Je parle notamment des PME et des TPE de l'agroalimentaire. Leurs difficultés peuvent d'ailleurs parfois être liées à la décapitalisation – la vente de vaches laitières et la baisse de la production handicaperaient ainsi les laiteries. Ces entreprises peuvent également buter sur des questions environnementales, notamment liées à l'eau. Quels constats faites-vous et quelles solutions pouvez-vous apporter spécifiquement aux TPE et aux PME ?

Debut de section - Permalien
Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et du tourisme

Je n'oublie pas le commerce de proximité, et je travaille avec ses acteurs sur des stratégies anti-inflation, mais n'oublions pas que 72 % de nos compatriotes font leurs courses dans les zones commerciales qui hébergent des grandes et moyennes surfaces ; c'est pourquoi je commencerai par elles. Contrairement à ce qu'on pourrait penser – ce n'est pas très bon signe, mais c'est intéressant à noter, car la consommation fait également partie de mes attributions –, les produits dont la consommation chute le plus actuellement dans ces enseignes, ce ne sont pas les aliments de la meilleure qualité, mais les plats cuisinés – prépréparés, parfois surgelés –, donc transformés et saturés en acides gras. Ils sont moins consommés, au profit de produits frais, ce qui signifie que cette vague inflationniste pousse à refaire de plus en plus la cuisine. On aura l'occasion d'en parler dans le cadre d'un échange sur la consommation responsable, mais il faut le souligner.

Les PME sont a priori exposées, bien entendu. Elles sont quelque 50 000, et couvrent 200 000 à 250 000 salariés. Plusieurs actions que j'ai engagées les ont toutefois protégées.

D'abord, fin 2022, sans renfort médiatique et sans flonflons, mais à la suite de beaucoup de travail, on a obtenu de l'ensemble des acteurs de la grande distribution et des organisations professionnelles qu'ils s'engagent à assumer la hausse du prix de l'électricité et du gaz, si les PME sont capables de le justifier. Cela a permis à nos PME de faire passer sur eux, pour ainsi dire, leur hausse de prix. Je rappelle également que les PME ont beaucoup augmenté les salaires, et ont pu avoir tendance à répercuter ces hausses sur les prix. Les négociations se sont plutôt bien passées.

La question est importante et les marchés qu'elle touche, complexes ; c'est pourquoi, madame la présidente, je me permets de prendre un peu de temps.

On protège aussi les PME grâce à la remontée des volumes dans le cadre du trimestre anti-inflation. Les produits frais – le lieu, le cabillaud, la viande rouge et blanche, les volailles – connaissent des augmentations de volume à deux chiffres : 15 %, 20 %, voire 25 % pour certains produits. Quand ces produits sont vendus en grande surface et qu'il s'agit des MDD, ils proviennent, à 95 %, des PME françaises de l'agroalimentaire. Certains distributeurs – vous le savez, président Chassaigne – ont leur propre production et leurs abattoirs. Le fait que les paniers anti-inflation comprennent beaucoup de MDD représente aussi un soutien très fort aux PME de l'agroalimentaire, majoritaires parmi les producteurs de ces produits qui remontent actuellement en volume.

J'ajoute que les PME ne seront pas concernées par les renégociations commerciales visant à baisser les prix – Bruno Le Maire et moi-même l'avons expressément demandé.

Debut de section - PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :

Questions sur le thème : « Quelle politique du logement ? Habiter et se loger dignement dans les territoires. »

La séance est levée.

La séance est levée à douze heures cinquante.

Le directeur des comptes rendus

Serge Ezdra