Intervention de Damien Maudet

Séance en hémicycle du vendredi 5 mai 2023 à 9h00
Crise de l'hôpital public

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Maudet :

Qui a dit le 21 novembre 2022, en parlant de l'hôpital : « Dans six mois, ça va aller mieux. » ? Je n'ai pas lu cette blague sur l'emballage d'un Carambar ; je l'ai entendue de la bouche du ministre de la santé. Six mois plus tard, tout va tellement bien que nous voilà réunis pour aborder à nouveau la crise de l'hôpital public.

Madame la ministre déléguée, il y a six mois, vous êtes venue présenter votre premier budget de la sécurité sociale. Celui-ci actait au moins une chose : loin de vouloir le reconstruire, vous ne comptez même plus financer l'hôpital à la hauteur de ses besoins. À l'époque, nous vous parlions d'Emma, salariée de l'hôpital Saint-Louis, qui expliquait : « Je suis arrivée il y a trois mois, et je suis déjà une des plus vieilles du service. Je suis déjà fatiguée, douleurs au dos, j'ai commencé à voir une psy. » Malgré ces alertes, vous avez quand même fait adopter ce budget austéritaire en recourant, dans les règles de l'art, à l'article 49.3. Emma, elle, a été arrêtée pour burn-out quelques semaines plus tard.

Depuis, que s'est-il passé ? Tout ne va pas mieux. En janvier, à Autun, en Saône-et-Loire, la maternité a fermé définitivement ; à Cergy, dans le Val d'Oise, l'hôpital psychiatrique a fermé ; à Laval, en Mayenne, les urgences la nuit ont fermé. En février, à Châteauroux, dans l'Indre, l'unité de soins continus a fermé définitivement ; à Saintes, en Charente-Maritime, les urgences pédiatriques ont fermé ; à Vénissieux, dans le Rhône, il a été décidé de fermer les urgences la nuit. En mars, à Neufchâtel-en-Bray, en Seine-Maritime, le service de médecine a été fermé ; à Nantes, en Loire-Atlantique, il a été décidé de fermer les urgences pédiatriques la nuit ; à Issoudun, dans l'Indre, de fermer les urgences la nuit. En avril, à Sarlat, en Dordogne, une maternité a fermé ; à Cadillac, en Gironde, la moitié de l'hôpital psychiatrique a fermé ; à Val-de-Briey, en Meurthe et Moselle, il a été décidé de fermer les urgences la nuit. Toujours, des heures et des heures d'attente aux urgences ; parfois, tristement, des décès sur des brancards, comme à Grenoble le mois dernier.

Il fallait s'y attendre, après avoir voté un budget qui réduit l'investissement pour la santé. Contrairement à ce que vous pourrez nous dire sur tous les tons, en vous appuyant sur tous les chiffres que vous voudrez, quand les organisations demandent 5 milliards d'euros pour l'hôpital et que vous en donnez 4, en vérité vous en volez 1, vous demandez des sacrifices aux soignants comme Stéphane, Emma, Étienne, Isabelle, Nicolas, Sylvain, Florence et vous creusez un peu plus la tombe de l'hôpital.

Vous avez passé les six derniers mois en consultations, annonçant que votre Conseil national de la refondation (CNR) allait tout régler. Le résultat est une boîte à outils, supposée sauver l'hôpital public en permettant de réduire le recours aux certificats médicaux inutiles et de recruter des assistants médicaux pour libérer du temps de soin…

Surtout, vous reprenez votre éternelle solution : il faut appeler le 15 ! L'été dernier, vous preniez vos fonctions quand les services d'urgences fermaient : il fallait appeler le 15. Cet hiver, la bronchiolite a ravagé les services pédiatriques au point que des enfants ont été intubés dans les couloirs – même pendant la crise du covid, les patients n'étaient pas ventilés dans les services d'urgences. Que recommandiez-vous ? D'appeler le 15 ! Encore aujourd'hui, les mesures encadrant le recours à l'intérim de la loi Rist, justes mais mal préparées, conduisent à fermer des dizaines de services d'urgences. Que recommandez-vous ? D'appeler le 15 !

Sauf que ceux qui travaillent au 15 n'en peuvent plus. François, l'un des assistants médicaux de régulation en grève que nous avons rencontrés, explique ainsi : « Alors que nous ne sommes que trois, nous avons reçu 700 appels depuis minuit ; 11 ce matin. De toute façon, si quelqu'un nous appelle maintenant pour un arrêt cardiaque dans le centre-ville, aucun médecin n'est disponible pour s'en occuper. »

La vérité, c'est que, six mois après vos annonces, plus personne ne vous prend au sérieux. Pour le docteur Salachas, de la Pitié-Salpêtrière, « encore une fois, une sorte de mesure de consultation accouche d'une souris. On va bientôt pouvoir faire un élevage de souris avec tous ces plans successifs. »

La vérité, c'est que vous avez passé six mois à nous dire que vous consultiez, six mois à repousser toutes les solutions à plus tard, six mois pour dévoiler ce que nous savions déjà – vous êtes impuissants.

En son temps, Victor Hugo a usé d'une célèbre anaphore, que nous pourrions reprendre ici. Madame la ministre déléguée, monsieur le ministre de la santé, vous n'avez rien fait, tant que les soignants continuent de partir par centaines en burn-out ! Vous n'avez rien fait, tant que des services d'urgences continuent à fermer ! Vous n'avez rien fait, tant que des enfants sont intubés dans les couloirs, faute de place ! Vous n'avez rien fait, tant que des Vanessa nous disent : « quand je rentre chez moi, j'ai envie de me foutre en l'air… On est maltraitants. » ! Vous n'avez rien fait, tant que vous refusez l'examen de la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé ! Vous n'avez rien fait, tant qu'on ne sort pas de l'Ondam ! Vous n'avez rien fait, tant qu'on ne recrute pas 100 000 soignants supplémentaires.

Vous n'avez rien fait mais, en vérité, vous ne ferez rien car le Président a un autre projet. Je le cite : « On est dans une période où on refonde. On est en train de réinventer un modèle. C'est plus dur de le réinventer quand tout n'a pas été détruit. »

« Quand tout n'a pas été détruit »… Le voilà votre projet ! En vérité, votre boîte à outils est, au mieux, inefficace, au pire, remplie de marteaux. J'ai donc une question pour le ministre de la santé, qui n'est pas là aujourd'hui : lui, l'ancien hospitalier, l'ancien syndicaliste, est-il prêt à signer le certificat de décès de l'hôpital public ?

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