Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du vendredi 5 mai 2023 à 9h00
Crise de l'hôpital public

Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l'organisation territoriale et des professions de santé :

Nous débattons ce matin d'un sujet important. L'hôpital public est un pilier du système de santé, son cœur battant. Certains, à juste titre, parlent du « trésor de la République ».

En France, nous avons la chance de bénéficier d'un système de santé d'excellence, qui s'incarne dans l'hôpital public, reconnu comme l'un des meilleurs au monde – il est important de le souligner. La spécificité du modèle social français et de son l'hôpital est son universalité, cette promesse de soins de qualité et garantis pour toutes et tous, que nous avons fait le choix d'assumer collectivement. L'hôpital public accueille et soigne tout un chacun, quelle que soit sa condition, quelles que soient ses ressources : c'est le sens même de son étymologie latine hospitalia, qui signifie « refuge » ou « maison ».

L'hôpital public est notre maison commune, vivante ; elle a le visage des plus de 1 million de personnes qui y travaillent chaque jour – médecins, soignants, personnels administratif et technique –, qui prennent en charge les 12 millions de patients hospitalisés chaque année à travers le pays, dans quelque 1 400 établissements.

Je rends hommage à tous les professionnels hospitaliers. Grâce à leur engagement quotidien, la notion de service public prend tout son sens. Les débats de ce type sont nécessaires, surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer le sujet complexe et difficile de l'hôpital, qu'on ne peut épuiser en l'espace d'une heure ou deux, mais sur lequel il est toujours bon d'avoir des échanges directs et francs.

Je vais m'efforcer de vous exposer la politique que nous menons avec François Braun et de répondre à vos interrogations, de manière aussi directe et franche que possible.

« La crise de l'hôpital public » : c'est à travers ce prisme que vous avez voulu aborder cet enjeu. Je partage avec vous la priorité consistant à s'attaquer aux difficultés structurelles auxquelles fait face l'hôpital public, ainsi que le sens de l'urgence que sous-entend explicitement la notion de crise, que vous avez choisi de développer.

Certaines situations de tension appellent des réponses rapides et des actions immédiates qui nous mobilisent pleinement, François Braun et moi-même. Néanmoins, refonder l'hôpital public suppose aussi de voir loin et de mener toutes les réformes nécessaires pour assainir le système hospitalier, rénover l'attractivité des carrières et transformer son fonctionnement. En d'autres termes, cela suppose de bâtir dès aujourd'hui l'hôpital de demain, qui permettra de briser le cycle mortifère d'un modèle qui se voit comme l'épicentre d'un cycle de crises perpétuelles. Avec le ministre de la santé, nous y sommes pleinement attelés.

Assainir l'hôpital public et s'attaquer à ses problèmes structurels suppose d'avoir le courage de mener certaines réformes difficiles, mais nécessaires : plafonner les rémunérations des praticiens intérimaires ou appliquer la loi du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite Rist. Améliorer la régulation de l'intérim médical est une volonté constante du législateur, qui s'est traduite par deux lois adoptées sous les précédentes législatures et appliquées depuis déjà un mois.

Nous avons réussi cette réforme parce que nous n'avons pas reculé, là où beaucoup prédisaient un échec. Nous l'avons menée car les dérives de l'intérim menaçaient la soutenabilité financière des hôpitaux et empêchaient la création de collectifs de travail stables et pérennes, indispensables à la bonne prise en charge des patients. Cette réforme met nos principes éthiques et nos valeurs en actes. Comment expliquer à des praticiens quotidiennement engagés à l'hôpital que des intérimaires gagnent en une journée ce qu'ils perçoivent parfois en un mois ? Comment accepter des rémunérations de 5 000, voire 6 000 euros d'argent public pour vingt-quatre heures de service, quand de nombreux concitoyens peinent à boucler leurs fins de mois ?

Nous avons réussi cette réforme parce que nous avons poursuivi la dynamique de solidarité territoriale approfondie depuis l'été dernier : des solutions ont été élaborées partout, au cas par cas, en fonction du contexte local et dans une logique partenariale avec les élus. Nous avons mobilisé tous les outils, en particulier la prime de solidarité territoriale, qui rémunère les praticiens prêtant main-forte dans les établissements en difficulté. Avant-hier, le ministre l'a affirmé à l'occasion du CNR santé devant l'écosystème réuni : nous n'en avons pas fini avec l'intérim et nous comptons inscrire dans la loi son interdiction en début de carrière. La proposition de loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels comprend une disposition en ce sens.

J'ai conscience des immenses efforts qui ont dû être consentis localement par les agences régionales de santé (ARS), le réseau de l'assurance maladie et les soignants, en collaboration avec les élus et les collectivités, pour réussir cette réforme. Je tiens à le souligner et à les saluer.

Je mesure combien cette réforme a été le révélateur de fragilités antérieures et persistantes dans de nombreux services, en particulier aux urgences et dans les maternités. Nous devons continuer à élaborer les parcours de soins dans tous les territoires et à trouver des réponses pour les spécialités les plus en tension. Aux urgences, dont il a été très largement question ce matin, se conjuguent toutes les difficultés qui touchent l'hôpital public et, surtout, toutes les solutions que nous voulons mobiliser.

Ce n'est pas un hasard si le Président de la République a fait du désengorgement des services d'urgences un objectif prioritaire ! Face à la crise, nous avons déjà apporté des solutions importantes l'été dernier. Il importe désormais de généraliser les SAS, pour qu'à toute heure du jour ou de la nuit, nos concitoyens puissent être orientés vers une réponse adaptée à leur besoin de soin non programmé. Une mission territoriale d'accompagnement de cette généralisation est en cours ; elle a été installée à Poitiers la semaine dernière pour mieux suivre les travaux des établissements de santé et atteindre la couverture de 100 % du territoire par des SAS – elle est de 50 % aujourd'hui.

Il importe également de poursuivre les efforts pour mieux valoriser le métier d'assistant de régulation médicale, en passe de devenir une profession de santé dans le cadre de la proposition de loi portant amélioration de l'accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé, dite Rist 2. Un autre objectif consiste à généraliser les bonnes pratiques de bed management adaptées aux établissements territoriaux. Enfin, il est nécessaire de s'assurer de la bonne mobilisation de toutes les chaînes de soins non programmés, pour les régulateurs comme pour les effecteurs libéraux.

À la crise de l'hôpital public, nous opposons une méthode qui fonctionne : un cadrage national qui donne aux établissements et aux territoires les outils pour bâtir des réponses adaptées. Il en va de même pour les maternités et tous les services en tension. Il s'agit de trouver partout un équilibre entre proximité et sécurité des soins.

Tout en menant une réflexion de plus long terme sur les parcours et les organisations territoriales, le ministre a annoncé son intention de lancer une mission pour étudier, avec l'ensemble des acteurs concernés, les pistes d'évolution possibles autour de la santé des femmes et des nouveau-nés, et pour améliorer les conditions d'exercice des professionnels de la périnatalité.

L'une de mes priorités consiste également à faire progresser la résolution de la situation problématique des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue), qui participent pleinement à la réponse aux besoins de santé dans l'hôpital public. Il faut sécuriser leur exercice et leur donner des perspectives. La procédure dérogatoire créée par la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé vise à régulariser les Padhue travaillant dans nos hôpitaux, parfois depuis longtemps. Dans ce cadre, près de 3 400 situations ont été sécurisées au 30 avril 2023.

La loi du 24 juillet 2019 prévoit désormais une voie d'accès unique à l'exercice en France pour les Padhue, qui passe par des épreuves de vérification des connaissances (EVC). Cette procédure répond à une attente très forte de nombreux praticiens déjà présents dans les établissements de santé, qui n'ont pu candidater aux EVC depuis 2021. En outre, nous avons tenu compte des écueils signalés lors de la session précédente, au terme de laquelle certains établissements n'avaient pas anticipé le départ de praticiens. Aussi le calendrier de la session 2023 des EVC a-t-il été adapté. La procédure d'autorisation d'exercice et d'inscription pour les EVC pour l'année 2023 a été lancée le 2 mai, par un appel à candidature pour les Padhue déjà en exercice sur le territoire depuis 2019 et pour ceux qui souhaitent venir en France. Au total, 2 737 postes sont ouverts.

Nous souhaitons simplifier encore le dispositif, afin de faciliter l'intégration de ces praticiens en prenant mieux en considération leur parcours. Ce sera l'objet de l'une des mesures de la proposition de loi déposée à l'initiative du groupe Horizons et apparentés, que j'évoquais tout à l'heure. Je me permets d'insister sur ces éléments de procédure parce que je sais que nombre d'entre vous sont régulièrement sollicités au sujet de la situation de ces praticiens dans les hôpitaux de leurs circonscriptions.

À côté des efforts d'application de cette méthode de gestion agile et territorialisée des tensions, nous investissons durablement dans l'hôpital public. Je l'ai mentionné d'emblée : le visage de l'hôpital public, ce sont les professionnels qui y travaillent. Je suis de celles et ceux qui croient fermement qu'« il n'est de richesse que d'hommes » et de femmes.

Si l'hôpital public a été mis à l'épreuve ces dernières années, c'est en grande partie en raison d'enjeux de démographie et d'attractivité des professions de santé. Nous devons répondre à la perte de sens décrite par certains professionnels, à la fuite vers d'autres métiers et à la crise des vocations. Une priorité élevée de notre action consiste à investir durablement et avec méthode dans les métiers de la santé, pour maintenir nos forces vives, assurer leur équilibre professionnel et inciter les plus jeunes à les rejoindre, sans jamais perdre de vue l'impératif de sécurité et de qualité des soins.

Un axe fort de notre politique concerne ainsi la formation. Nous diversifions les voies d'entrée et permettons à tous les profils d'accéder et de réussir dans les études en santé, grâce aux places ouvertes dans les instituts de formation – 5 000 places supplémentaires en soins infirmiers et 4 000 en formation d'aide-soignant depuis 2020 –, grâce aussi au mentorat, aux cordées de la réussite, aux passerelles interfilières et aux possibilités accrues de validation des acquis de l'expérience (VAE), d'apprentissage ou de parcours personnalisé.

Nous rénovons le cadre d'exercice de ces nouveaux soignants, dans un système de santé décloisonné où ils acquièrent de nouvelles compétences et de nouvelles responsabilités, au sein d'équipes dans lesquelles, autour du médecin, chacun à sa juste place pourra apporter toute sa valeur ajoutée à la prise en charge des patients. De nombreuses avancées seront permises par l'adoption définitive, la semaine prochaine, de la proposition de loi Rist 2. La transformation de la profession infirmière et la refonte de sa formation permettront de l'adapter à la réalité d'un métier qui évolue et aux aspirations de celles et ceux qui l'exercent. La lutte contre l'intérim s'inscrit également dans le chantier plus large du « mieux vivre à l'hôpital ».

De façon logique et juste, les économies réalisées sur les dérives financières auxquelles nous nous attaquons seront investies dans la revalorisation de l'exercice hospitalier. Nous tiendrons notre engagement de mieux reconnaître les soignants – ils font vivre l'hôpital. Ainsi, nous avons confirmé le maintien des majorations des indemnités horaires pour le travail de nuit et des indemnités de garde pour les personnels exerçant en établissement public de santé. Afin de pérenniser ces avancées, nous avons ouvert des négociations, à compter de ce mois de mai, avec les organisations syndicales représentatives des praticiens hospitaliers.

La qualité de vie des soignants passe aussi par l'attention portée à leur bien-être et à leur santé. J'ai engagé ces derniers mois une vaste démarche pour construire une stratégie inédite d'amélioration de leur santé. Elle a pour but d'objectiver la situation, mais aussi de prendre soin des professionnels de santé, notamment par le biais d'une consultation lancée avec les fédérations, les ordres et les représentants des professionnels de santé ; près de 50 000 questionnaires ont été remplis en trois semaines.

Il convient aussi de s'attacher à repérer les pratiques probantes de soutien aux professionnels de santé, identifiées par les acteurs de terrain. Fin mai, je recevrai les conclusions de la mission sur la sécurité des professionnels de santé. Je peux d'ores et déjà vous indiquer que je porterai une attention particulière aux étudiants en santé, qui sont nombreux à faire leurs premières armes à l'hôpital. Grâce à ces travaux, je proposerai à l'automne une stratégie de préservation et d'amélioration de la santé des soignants.

N'oublions pas l'effort d'investissement important, puisque des moyens considérables ont été mobilisés, notamment dans le cadre du Ségur de la santé. En trois ans, le budget consacré à la santé a augmenté de 50 milliards d'euros ; une grande partie est destinée à l'hôpital, pour les rémunérations bien entendu, mais aussi pour les structures hospitalières en tant que telles. Au total, 19 milliards de crédits continuent d'être déployés pour rénover les établissements publics partout en France et pour donner aux soignants un cadre d'exercice plus adapté et plus attractif. La LFSS pour 2023 consacre 245 milliards à la santé, dont 100 milliards concernent les établissements. De plus, comme l'a rappelé Frédéric Valletoux, aucune économie n'a été effectuée au détriment de l'hôpital ces deux dernières années.

Les bâtiments rénovés seront le lieu où se déploiera une nouvelle organisation hospitalière, plus fluide, plus ouverte et plus adaptée aux enjeux de notre temps. Cette organisation s'articulera autour de trois priorités. Il s'agit d'abord de conforter la place du service au cœur de l'organisation des soins et de donner aux équipes la fluidité et la marge de manœuvre pour s'organiser de façon autonome et responsable. Ainsi, elles auront un maximum de liberté dans la construction des plannings, sous la conduite du binôme cadre-chef de service. Le service doit redevenir l'unité organique et humaine pour organiser les choses.

Ensuite, il faut rénover la gouvernance hospitalière en installant à la tête des établissements un tandem administratif et médical, pour bâtir des projets d'établissement partagés.

Enfin, nous avons pris l'engagement de sortir du tout T2A à l'hôpital, en posant les fondements de cette évolution dès le prochain PLFSS. Cela nous permettra d'aller vers un mode de financement mixte, associant des financements basés sur les besoins de santé de la population, sur la qualité et la pertinence des soins et un financement spécifique pour les actes plus complexes. Le premier cadre de cette réforme de la tarification sera proposé, comme l'a demandé le Président de la République, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.

Nous ne réglerons pas les problèmes de l'hôpital public en un claquement de doigts, mais en posant, l'une après l'autre, les briques de sa refondation et en continuant de réformer, d'investir et de nous investir, avec constance et détermination. Si tous les résultats ne sont pas immédiatement visibles, ils seront solides dans le temps. Nous faisons bouger les lignes pour fournir des fondations saines à l'hôpital public et le projeter dans une nouvelle modernité. Nous écrivons ensemble une nouvelle page du système de santé ; même s'il reste beaucoup de travail à réaliser ces prochains mois, je sais que nous sommes sur la bonne voie !

Avant de conclure, je voudrais répondre à certaines de vos préoccupations. Madame Sebaihi, vous avez parlé de prévention et de santé environnementale. Il ne vous aura pas échappé que, pour la première fois, l'intitulé complet du ministère inclut la prévention, ce qui témoigne d'une véritable volonté d'en faire un objet culturel de la prise en charge de la santé. Le PLFSS pour 2023, d'ailleurs, traduit cette volonté par la création de trois rendez-vous de prévention à trois âges clés de la vie. De plus, nous partageons avec le ministère de l'éducation la volonté de veiller à la santé des enfants dès l'âge scolaire.

Pour la première fois, l'expression « santé environnementale » figure dans la feuille de route d'un ministre chargé des questions de santé, que j'ai l'honneur de mettre en œuvre. Ma présence régulière aux côtés du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire montre à quel point la question de la santé environnementale est traitée au niveau interministériel, notamment par le ministère de la santé et de la prévention.

Enfin, certains d'entre vous ont souligné que la refondation de l'hôpital était nécessaire. Mais pour la réussir, il faut refonder notre système de santé. Celui-ci marche sur ses deux jambes – l'hôpital et la médecine de ville – et tout en travaillant à la refondation de l'un, nous devons aussi œuvrer à la refondation de l'autre.

Je souhaite terminer mon propos sur une note optimiste. Sans nier les difficultés que nous connaissons et qui nous inquiètent toutes et tous, il importe de rappeler que notre hôpital public soigne bien, grâce à l'engagement au quotidien de tous les professionnels qui y travaillent. M. Juvin l'a rappelé, l'hôpital public n'est pas condamné, il est fort : il sait innover et nos professionnels, à l'issue de la crise sanitaire durant laquelle ils ont permis à l'hôpital de tenir, ont envie de continuer à se mobiliser. Accompagnons-les avec lucidité et confiance. Ayons la volonté d'aller vers plus d'agilité et d'autonomie, et de mener ensemble la refondation nécessaire de notre système de santé.

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