Intervention de Laetitia Saint-Paul

Réunion du mercredi 3 mai 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaetitia Saint-Paul, rapporteure pour avis :

Je vous remercie, chers collègues, de m'avoir confié la mission de rapporteure pour avis de notre commission sur le projet de loi de programmation militaire (LPM), une responsabilité que j'avais déjà eue sous la précédente législature. À cette occasion, j'avais porté mon attention sur l'Europe de la défense, dont l'accélération amorcée au cours du dernier quinquennat avait été renforcée par la guerre en Ukraine. Pour le présent projet de LPM, mon rapport comportera un point particulier sur l'influence en tant que nouvelle fonction stratégique. Il me semble ainsi montrer que les travaux de notre commission complètent utilement ceux de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Ce projet de loi de programmation militaire est présenté alors que se produisent plusieurs grandes bascules dans le paysage de la conflictualité mondiale ; je vous remercie à nouveau, monsieur le président, d'avoir récemment organisé une journée d'auditions, qui a été très éclairante pour notre commission. Pour rester au meilleur niveau, notre modèle d'armée doit simultanément relever deux défis : l'intensité croissante des nouveaux conflits et l'extension des champs de la confrontation. C'est pourquoi l'on parle d'une LPM de « transformation ».

Nous sortons, depuis la fin de la guerre froide, de trois décennies de réduction des moyens consacrés à la défense nationale. Entre 2008 et 2019, le ministère des armées a ainsi perdu plus de 60 000 emplois, soit 20 % de ses effectifs. Dans ce contexte, la LPM 2019-2025 a engagé la « réparation » de notre outil de défense par l'augmentation progressive du budget des armées, la création de 6 000 emplois et le comblement des lacunes capacitaires les plus criantes.

La Cour des comptes a confirmé que le niveau des dépenses programmées avait été intégralement respecté, ce qui est totalement inédit. Le Parlement peut être salué : il s'est assuré, lors de l'examen de chaque projet de loi de finances, que la LPM était exécutée à l'euro près, et même « surexécutée » dans le contexte d'inflation faible, voire négative, que nous connaissions. En 2023, même si la marche était plus élevée, le budget des armées a bien progressé de 3 milliards d'euros, conformément à ce qui était prévu.

Malheureusement, depuis l'adoption de la précédente loi de programmation militaire, l'environnement international s'est profondément dégradé. La revue nationale stratégique adoptée fin 2022 montre que, de la zone indo-pacifique au Sahel ou en Europe avec la guerre en Ukraine, les tensions se sont aggravées partout dans le monde.

Le projet de loi de programmation militaire qui nous est soumis est le plus ambitieux depuis la fin de la guerre froide. Après la phase de réparation, il nous fait entrer dans une phase de transformation des armées. Avec des besoins programmés à hauteur de 413,3 milliards d'euros, il dépassera les 2 % du produit intérieur brut (PIB) dès 2025 – désormais non plus un objectif, mais un seuil. Par ailleurs, l'aide à l'Ukraine et l'effet d'une éventuelle hausse du prix des carburants sont exclus de la programmation et ne pèseront donc pas sur le budget des armées.

Les effectifs connaîtront une hausse, notamment au bénéfice du renseignement et de la cyberdéfense. La réserve fera l'objet d'un effort important, l'objectif à terme étant de disposer d'un militaire de réserve pour deux militaires d'active.

Des choix capacitaires cohérents concilieront le souci de la masse et de la sophistication : un dilemme qui a été parfaitement exposé au cours du cycle d'auditions que nous avons mené. S'agissant de la masse, l'accent sera mis sur l'artillerie, la défense sol-air, les drones et, malgré un étalement des cibles, sur les blindés, les frégates et les avions de chasse. La sophistication passera par la modernisation de la dissuasion nucléaire, la construction d'un nouveau porte-avions, la poursuite du système de combat aérien du futur (SCAF) et du système principal de combat terrestre (MGCS), le renouvellement des capacités spatiales et la prise en compte des nouveaux espaces de conflictualité liées à l'intelligence artificielle, au quantique ou au métavers.

Le projet de loi contient également des mesures normatives, dont certaines intéressent directement la politique étrangère. L'article 20, en particulier, renforce le contrôle sur les reconversions de nos militaires à l'étranger. Il n'est pas acceptable que ceux-ci puissent concourir au renforcement des capacités de nos compétiteurs.

La seconde partie de mon rapport est consacrée au rôle joué par les armées dans la nouvelle fonction stratégique qu'est l'influence. Contrairement au Quai d'Orsay, le ministère des armées ne s'est pas encore doté d'une feuille de route à ce sujet. Je propose donc des pistes pour l'élaborer, en lien avec le ministère des affaires étrangères et de façon interministérielle.

La revue nationale stratégique témoigne d'une prise de conscience et d'une ambition en ce qu'elle a érigé l'influence en fonction stratégique, à côté des cinq fonctions stratégiques traditionnelles. L'influence est donc un sujet diplomatico-militaire. Nous faisons de l'influence en formant des militaires étrangers ou en développant l'interopérabilité avec des partenaires européens et africains. Les spécificités que présente le ministère des armées ne permettent pas de lui dupliquer complètement la feuille de route du Quai d'Orsay ; il en faut une qui lui soit propre.

La confrontation internationale s'est étendue au champ des perceptions, ce qui explique que l'influence ait acquis une telle importance. Nos compétiteurs utilisent désormais tous les leviers de l'influence à des fins stratégiques ; c'est probablement la fin du soft power. Cette tendance est particulièrement forte dans le domaine de l'information. Comme les démocraties le sont généralement, nous sommes sur la défensive face à cette évolution.

L'influence française n'est pas nécessairement en recul à l'échelle de la planète mais elle l'est dans la région stratégique du Sahel, où le sentiment anti-français progresse. J'y ai consacré l'essentiel de mes travaux et effectué un déplacement. Nous devons structurer une stratégie nationale d'influence intégrant les priorités que nos armées auront définies.

Laissant de côté le sujet de la désinformation, qui a été parfaitement traité par l'adoption d'une doctrine de lutte informatique d'influence en octobre 2021, je propose plusieurs axes de réflexion.

D'abord, l'accueil des stagiaires étrangers dans les écoles militaires françaises, qui favorise la création de liens humains durables et la coopération militaire sur le long terme avec nos partenaires. Politique méconnue, elle souffre de plusieurs limites que j'ai pu observer en visite aux écoles militaires de Saumur, notamment au regard des capacités et des conditions d'accueil. Je ne suis pas certaine que nous devions nous inspirer des États-Unis, qui offrent un per diem mais j'ai identifié quelques pistes d'amélioration. Depuis la mise en place de l'embasement, qui a retiré au commandement ses prérogatives en la matière, il est par exemple difficile de servir un repas chaud le week-end. Or ces personnes n'ont souvent pas d'autre option pour se restaurer. Nous présentons également un défaut de réciprocité : nous accueillons beaucoup d'élèves étrangers, venant notamment d'Afrique, mais nous envoyons peu d'élèves en scolarité hors les murs, ce qu'attendent pourtant nos partenaires, comme j'ai pu le constater en Mauritanie.

Ensuite, le réseau de personnels militaires insérés dans des organisations internationales ou dans les structures d'état-major de pays partenaires doit être renforcé. Nous avons beaucoup trop réduit la voilure dans ce domaine, laissant la place à d'autres, comme la Chine. Or nous n'arriverons à rien tant que le choix d'une mobilité à l'étranger restera aussi risqué pour la carrière d'un militaire. Je souhaite donc que ces mobilités internationales au sein de nos armées puissent être revalorisées.

Nos armées doivent aussi avoir des priorités sur le plan géographique. En Afrique, la réduction de notre présence militaire doit avoir pour corollaire le renforcement de nos leviers d'influence, en étant plus à l'écoute des besoins de nos partenaires et en renouvelant notre offre de coopération, notamment dans le domaine de la formation. Au niveau régional, l'outre-mer est la région la plus pourvoyeuse de soldats au sein de nos armées. À titre personnel, j'entretiens un lien particulier avec ces territoires, dont étaient originaires de nombreux soldats placés sous mes ordres. Je me félicite que la LPM y renforce nos moyens militaires car il s'agissait d'une de nos grandes faiblesses. Ces moyens devront être utilisés pour affirmer notre influence en Afrique de l'Est ou dans les îles du Pacifique. Je propose, par exemple, la création de centres de cadets de la défense ouverts aux pays situés dans le voisinage de nos territoires.

D'importants chantiers sont devant nous. Le texte qui nous est soumis est à la hauteur du changement d'époque et nous donnera les moyens de les conduire. Sans surprise, j'appelle donc à voter en faveur de ce projet de loi.

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