Intervention de Sabrina Sebaihi

Réunion du mercredi 3 mai 2023 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

Votre rapport est édifiant à la fois concernant nos convergences et nos divergences.

Compte tenu de l'évolution du contexte géostratégique, investir dans nos armées est évidemment nécessaire. Le monde est en pleine mutation et nous devons anticiper la place que la France prendra en son sein. Nous avons également pour objectif d'accentuer les efforts de coopération européenne, notamment pour échapper à toute forme de dépendance vis-à-vis des États-Unis ou d'une autre puissance.

S'agissant de la BITD, je pense cependant que nous devons aller beaucoup plus loin et construire dès maintenant l'Europe de la défense, stratégique et souveraine. Elle sera le véhicule des valeurs démocratiques de la France et permettra de garantir une sécurité collective et autonome face aux grands blocs. Même si des divergences fondamentales existent au sein de l'Union européenne, en particulier avec les pays qui ont vu l'extrême droite arriver au pouvoir, le modèle fédéral européen me semble être le seul capable de nous positionner sur l'échiquier mondial comme une puissance de premier plan.

Il est indéniable que la France a perdu de son influence. Si nous partageons le constat général, les raisons avancées pour l'expliquer me semblent présenter un paradoxe. Vous admettez la persistance d'un esprit colonial dans l'imaginaire des militaires français, sans reconnaître qu'il fonde en partie la vision stratégique qui nous a conduits à la situation actuelle. La Russie, avec d'autres pays, décrédibilise l'action de la France en Afrique. Tout en ayant recours à des méthodes peu recommandables, ces pays surfent avant tout sur nos erreurs, que nous n'admettons que timidement et dont nous ne sommes pas capables de tirer des enseignements.

Selon votre rapport, la France est accusée d'avoir un double discours en Afrique et des valeurs à géométrie variable en fonction de ses intérêts. De fait, comment qualifier autrement la politique du président de la République vis-à-vis de certains États africains ? Après avoir proclamé depuis l'Élysée une réinvention de nos relations avec le continent, celui-ci a effectué une tournée catastrophique aux accents néocolonialistes, donnant la priorité au commerce et s'affichant tout sourire avec des dictateurs qui n'hésitent pas à massacrer leurs opposants, comme au Gabon.

Avant d'évoquer notre « supériorité dans le champ informationnel », nous devons faire preuve de vigilance et observer une forme d'humilité. S'il faut évidemment lutter contre la désinformation et être les vecteurs de valeurs démocratiques et humanistes, nous n'en devons pas moins porter un regard clair sur nos actions, en particulier sur nos erreurs. Il faut être lucide pour pouvoir répondre sans tomber dans le discours de propagande d'une vérité unique.

S'agissant de l'engagement des armées dans la stratégie d'influence de la France, il faudrait commencer par un rééquilibrage. Je partage la nécessité de redonner des moyens à nos armées mais l'influence doit rester la prérogative principale du Quai d'Orsay. Ce dernier subit depuis trop longtemps des coupes budgétaires, qui l'ont profondément abîmé. Notre action extérieure ne peut pas reposer seulement sur le pilier militaire et celui-ci ne peut pas s'arroger les missions de nos ambassadeurs.

Reconnaître que le monde change n'est pas admettre l'inéluctabilité d'un conflit majeur. Partout où elle peut l'être, la paix doit être préservée.

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