Intervention de Éric Dupond-Moretti

Réunion du jeudi 25 mai 2023 à 17h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Éric Dupond-Moretti, ministre :

Monsieur le rapporteur spécial, je vous remercie pour la présentation de votre travail. J'ai écouté ce que vous disiez très attentivement.

Avant de vous répondre à proprement parler, j'aimerais mettre en perspective ce programme immobilier, qui est le plus grand plan de construction pénitentiaire entrepris depuis trente ans et, en même temps, l'un des plus grands programmes immobiliers de l'État en cours. Ce plan consiste à mener simultanément cinquante opérations immobilières pénitentiaires neuves. Ce chiffre donne la mesure de l'ampleur herculéenne des travaux et explique que les établissements ne peuvent sortir de terre en un an.

Pour comparaison immédiate, je rappelle que, lors du mandat du président Sarkozy, vingt-trois établissements pénitentiaires ont vu le jour, et dix lors du mandat du président Hollande. Ce plan est une priorité du Président de la République. Il portera à 75 000 places le nombre total de places de détention disponibles d'ici à 2027, contre 60 000 aujourd'hui. Il permettra à la France de disposer de 223 établissements pénitentiaires, grâce à la création de cinquante structures dans toute la France.

Ce programme immobilier vise à assurer la réponse pénale, à améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires, à améliorer la prise en charge des détenus et à lutter contre la surpopulation carcérale. Quant à la méthodologie initiale de son élaboration, elle a consisté à territorialiser les besoins, sur la base notamment du nombre de places dans les établissements existants et des projections départementales d'évolution à dix ans de la population carcérale.

J'en viens au terme « procrastination », que vous avez choisi, au sein du vaste ensemble lexical qui est le vôtre et dont nul n'ignore rien, pour intituler cette discussion. C'est dire si nous nous plaçons d'emblée dans une forme d'objectivité ! Ce mot désigne une tendance à tout remettre au lendemain. Comme si le plan de construction de 15 000 places de prison avait été remis aux calendes grecques depuis son annonce ! Comme si nous n'avions rien fait, depuis des années, pour le poursuivre ! C'est tout le contraire, monsieur le rapporteur spécial. Depuis le lancement de ce programme, il y a plusieurs années, des centaines de personnes sont à pied d'œuvre pour identifier les terrains et lancer les chantiers, ce qui n'est pas une mince affaire.

Vous avez eu raison de rappeler qu'il faut d'abord – c'est une grosse partie du travail du garde des sceaux – convaincre des élus locaux. Par exemple, nous aurions pu envisager la construction d'un établissement pénitentiaire à Strasbourg, mais nous nous sommes heurtés à quelques réticences. Parfois, ceux qui appellent à la sécurité et m'accusent de procrastiner ne sont pas ceux qui m'ont aidé le plus.

Le choix d'un site d'implantation est la résultante d'analyses techniques multicritères et de concertations politiques au niveau local prenant nécessairement plusieurs années.

S'agissant des analyses techniques, un site d'implantation d'établissement pénitentiaire doit répondre à un cahier des charges de recherches foncières très contraint, notamment en matière de caractéristiques physiques du terrain. Voici quelques-uns de ses critères : surface ; topographie plane ; absence de surplomb ; proximité de réseaux d'électricité, d'eau et de gaz pour sa viabilisation ; cartographie des risques naturels et technologiques ; compatibilité avec le plan d'urbanisme ; absence de servitude incompatible avec l'implantation d'une prison ; desserte ; accessibilité ; proximité de transports en commun ; contraintes environnementales telles que le zonage Natura 2 000 et la présence d'une zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF).

S'agissant des concertations politiques, certains élus n'aident pas. Lorsque nous proposons des terrains en zone urbaine, notre offre est repoussée au motif que les riverains redoutent une dégradation de leur environnement. Lorsque nous proposons des terrains éloignés des zones urbaines, on nous oppose la lutte contre l'artificialisation des sols et la protection des espaces naturels et agricoles. Au fond, si la nécessité pour l'État de construire des prisons fait consensus, c'est toujours mieux chez les autres ! Souvent, ceux qui s'indignent du manque de prisons sont les premiers à les refuser chez eux. C'est ainsi.

Par contraste avec ces quelques préjugés, je rappelle que l'installation d'un centre pénitentiaire est un facteur évident de dynamisation socio-économique d'un territoire. À Noiseau par exemple, le projet immobilier pénitentiaire devrait mobiliser 300 compagnons pour la phase des travaux. L'impact sur l'emploi local est donc positif. Le groupement titulaire du marché de conception-réalisation est tenu, en outre, de respecter une clause d'insertion qui prévoit de réserver des heures aux publics les plus éloignés de l'emploi. Il devra aussi s'engager sur une part minimale réservée aux PME et aux artisans qui ne pourra être inférieure à 10 % du montant du marché.

En phase d'exploitation, le projet entraînera la création sur le territoire de 450 emplois directs – personnel de surveillance, personnel administratif, encadrement, personnel de santé, enseignants, fonctions supports déléguées au secteur privé – et de plus de 150 emplois indirects et induits – agents chargés des extractions judiciaires, forces de sécurité intérieure (FSI), administrations partenaires de l'établissement, commerce et services locaux. En matière de finances locales, la population pénale présente au sein de l'établissement est comptabilisée dans la population de la commune pour le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF) versée par l'État. Elle augmente donc de façon mécanique.

En matière de sécurité, rappelons que la plupart des personnes qui se rendent dans un centre pénitentiaire sont membres du personnel pénitentiaire, des familles des personnes détenues ou de l'ordre des avocats. Un établissement pénitentiaire est une institution dont l'activité génère par essence une surveillance et une présence accrue des forces de sécurité intérieure (FSI). Celle-ci est en outre renforcée par le déploiement des équipes locales de sécurité pénitentiaires (ELSP) aux abords de l'établissement. On ne constate donc aucune hausse de l'insécurité du fait de l'installation d'un établissement pénitentiaire, au contraire.

En matière d'incidence sur le prix de l'immobilier, le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc) relève « l'impossibilité de relier les différentes évolutions de prix de vente entre les alentours de l'établissement pénitentiaire, la commune ou le canton au contexte territorial seul ».

À ce jour, tous les terrains sont identifiés pour les cinquante établissements pénitentiaires du programme 15 000. La moitié sera opérationnelle en 2024. Onze établissements ont été mis en service pour la seule année 2023. Je tiens à les citer de façon exhaustive : Le Mans-Les Croisettes, que j'ai inauguré au mois d'avril ; Koné en Nouvelle-Calédonie, qui a ouvert en février ; Montpellier, que j'ai inauguré le 6 décembre dernier ; deux établissements à Caen, dont l'un a été inauguré le 21 décembre dernier ; Avignon ; Valence ; Troyes-Lavau ; Osny-Pontoise ; Meaux ; la réhabilitation de l'ex-centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis.

Voici, monsieur le rapporteur spécial, des photographies de ce qui sort de terre. On dit parfois qu'un petit dessin vaut mieux qu'une longue explication ; de belles photos valent sans doute mieux que de longues explications ! Si vous saviez le nombre de truelles – on m'en offre une à chaque inauguration – dont je dispose ! S'il vous en faut une pour bricoler, j'ai tout ce qu'il faut ! J'ai passé mon été à visiter des établissements pénitentiaires et je pousse en permanence l'APIJ pour que nous soyons au rendez-vous des obligations qui sont les nôtres.

Ces ouvertures complètent huit établissements déjà en service fin 2022 et issus du programme 15 000 : Mulhouse-Lutterbach, que j'ai inauguré en avril 2021 avec le Premier ministre Jean Castex ; Paris-La Santé ; Nanterre-Hauts-de-Seine ; Aix-Luynes II ; Draguignan ; Baumettes ; Papeari ; Saint-Martin-Boulogne. Tous les autres projets sont engagés à divers stades d'avancement – études préalables, concertation avec le public, passation ou notification de marchés publics de conception-réalisation.

Du point de vue budgétaire, le coût de la construction de ces cinquante établissements pénitentiaires est estimé à 5 milliards d'euros, dont 1,3 milliard a été investi avant 2023. Certes, la totalité des crédits alloués depuis 2017 n'a pas été consommée au rythme initialement envisagé. Cela, monsieur le rapporteur spécial, je le reconnais humblement.

Je l'ai dit, cet état de fait découle des énormes difficultés de recherche foncière que nous avons connues au début de la mise en œuvre du programme, qui elles-mêmes tiennent à des raisons de faisabilité technique ou environnementale, mais également à des raisons d'acceptabilité par les élus ou les riverains. La recherche foncière a également été entravée par des démarches contentieuses visant à ralentir l'avancée des projets, notamment à Muret, à Tremblay-en-France et à Orléans. Quoi qu'il en soit, les terrains nécessaires au lancement de tous les projets étant clairement identifiés, le rythme des livraisons s'accélérera et celles-ci s'échelonneront jusqu'en 2027.

Le programme immobilier pénitentiaire que je porte, après des années dévolues à l'identification des terrains, dont j'ai rappelé toute la complexité, est entré dans une phase active de construction. Si l'on peut affubler ce programme de nombreux qualificatifs, on ne peut en aucun cas le décrire comme une « inexorable procrastination ».

D'ailleurs, si j'étais cruel avec vous, Monsieur le rapporteur spécial, je vous rappellerai les dates de mise en chantier et de réalisation de précédents programmes immobiliers pénitentiaires initiés par votre famille politique. Mais je ne le serai pas, c'est inutile et j'ai de l'affection pour vous. J'ai dit que nous avançons et je vous ai montré des photographies.

Disons-le aussi, il y a eu la crise de la covid. Ceux qui ont engagé la construction d'une maison individuelle savent très bien qu'elle a considérablement ralenti les choses. Par ailleurs, la guerre en Ukraine a retardé l'avancée de certains travaux, en raison du manque de matériaux de construction qu'elle a provoqué. Or il n'y a pas un mot, dans votre discours, sur la crise de la covid ni sur la guerre en Ukraine, dont ni vous ni moi ne sommes responsables.

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