Intervention de le général d'armée Thierry Burkhard

Réunion du mercredi 13 juillet 2022 à 15h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

le général d'armée Thierry Burkhard, chef d'état-major des Armées :

Les atouts de l'armée française en matière d'organisation de la subsidiarité et d'économie des forces sont précieux. Ils reposent sur l'effort de formation de nos cadres, à tous les niveaux, du caporal au colonel, du quartier-maître au capitaine de vaisseau, tout au long de leur carrière. Dans le commandement, on doit favoriser l'application de la subsidiarité, préparer les gens à prendre des initiatives et donc accepter que celui qui prend des initiatives puisse se tromper. S'il s'est trompé, c'est qu'il a pris une décision, qu'il a agi. S'il n'avait rien fait, il ne se serait pas trompé, mais il n'aurait pas rempli la mission. Ce constat basique mais déterminant est emblématique de la capacité d'une armée à produire des effets sur le terrain.

Sans parler de risque de « civilianisation » des armées, je constate qu'un écart se creuse entre le mode de vie d'un militaire, astreint à des sujétions dans sa vie de tous les jours, et le mode de vie d'un civil. Pour les armées, le défi est de ne pas abaisser le niveau de sujétion, car ces impératifs que le statut nous impose, en particulier l'exigence de disponibilité, sont indispensables pour nous permettre de remplir notre mission. La singularité militaire, c'est d'abord son rapport au temps. Il est disponible et en tout temps, à la différence d'un citoyen ordinaire.

Des entreprises ont expérimenté des semaines de quatre jours, estimant que le personnel était aussi efficace qu'en travaillant cinq jours, sans qu'il soit besoin d'embauche supplémentaire. Bien entendu, cela ne peut pas fonctionner dans les armées. Je dois, comme vous, prendre soin des militaires pour que, d'ici à cinq, dix ou quinze ans, on soit encore capable de recruter de jeunes Français et de jeunes Françaises acceptant de vivre de manière différente en s'engageant pour défendre leur pays. Baisser le niveau de sujétion risquerait de créer une armée qui n'en serait plus une, ce qui reviendrait à gaspiller les ressources qu'on y consacre. Le jour où il le faudrait, ces gens ne seraient pas prêts, n'auraient pas les qualités requises pour s'engager en opération. Il faut veiller à créer les conditions pour continuer d'attirer et fidéliser des jeunes Françaises et de jeunes Français volontaires. Le niveau de sujétion doit rester supportable et l'environnement qu'on leur fournit doit leur permettre de rester. Parmi les propositions envisagées figure la prise en compte des familles, car les sujétions pèsent moins sur les militaires eux-mêmes, qui en comprennent le sens, que sur leurs familles. Un militaire part rarement parce qu'il ne veut plus faire son métier, mais pour tenir compte des aspirations de sa famille.

Existe-t-il une documentation sur le changement climatique et le développement durable ? Les armées concourent directement aux dix-sept objectifs de développement durable de l'ONU couvrant les dimensions environnementale, économique et sociétale. En novembre 2020, une Stratégie de développement durable a été adoptée par les armées. À l'état-major des Armées, un officier général en charge du développement durable décline ces objectifs aux différents niveaux. La réduction de l'empreinte de nos activités ne doit pas nuire aux capacités opérationnelles actuelles et futures mais nous participons directement aux stratégies de la direction des territoires, de l'immobilier et de l'environnement (DTIE) sur la biodiversité. En outre, 80 % du domaine foncier des armées, soit 200 000 hectares, est protégé et classé. Les armées sont assez proches de la nature. Les militaires vivent sur le terrain. Nos camps sont des sortes de zones protégées.

De manière plus stratégique, on voit bien que le dérèglement climatique est un facteur de crise, des zones y étant plus sujettes que d'autres, ce qui est pris en compte dans la planification.

Dans le domaine capacitaire, les développements incluent systématiquement la prise en compte des nouvelles technologies, en particulier dans le domaine de la propulsion. La propulsion électrique est intéressante mais le problème du rechargement sur le terrain n'est pas totalement résolu. L'agence de l'innovation de défense (AID) a travaillé sur des scénarios de rupture pour le futur en prenant en compte la dépendance à l'électricité qui va devenir vitale.

Alors que LPM se profile, faut-il un livre blanc ? Ce n'est pas à moi d'en décider. On ne saurait être totalement surpris par la situation stratégique, dont l'évolution de fond est perceptible depuis longtemps, mais il y a eu le passage à l'acte de la Russie. Dans les faits, cela va certes un peu plus vite que prévu mais la tendance était bien prise en compte. À ce titre, je ne suis pas sûr qu'il y ait un besoin de réécriture. Un ajustement est néanmoins sans doute à opérer pour assurer la plus large prise en compte des problématiques.

ORION, lancé début 2020, soit antérieurement à la crise ukrainienne, se veut un exercice de préparation à la haute intensité. Il prend en compte le changement d'échelle, puisqu'il est de niveau division, alors qu'on travaillait plutôt sur des exercices de niveau bataillon. Dans le domaine de la préparation opérationnelle, nous l'avons également complété par des exercices d'état-major de niveau corps d'armée. Ce qui se passe en Ukraine donne évidemment des idées à ceux qui définissent les thèmes de l'exercice.

Le SNU s'articule autour de la jeunesse. Les armées ont beaucoup de choses à apporter à la jeunesse. Elles s'y sont toujours intéressées. Il y a par exemple le service militaire adapté (SMA) et le service militaire volontaire (SMV) qui, à mon sens, ne peuvent être considérés comme des instruments de militarisation de la jeunesse, car le terme militaire renvoie plus au style d'encadrement qu'au contenu des activités. Or, il y a dans le SMA et le SMV une implication de l'armée beaucoup plus forte que celle prévue dans le SNU sans que cela ne se traduise par une militarisation. De même, je ne vois pas de militarisation dans les classes de défense et sécurité globale organisées en coopération par des professeurs de l'Éducation nationale, qui peuvent rechercher le concours des armées, d'unités militaires pour des témoignages et d'autres activités.

En tant que citoyen, je considère que la jeunesse, qui est l'avenir de notre pays, mérite qu'on s'y intéresse. En tant que militaire, je pense que les armées ont quelque chose à lui apporter. En parlant de cohésion nationale, je ne pense pas : « Engagez-vous ! ». Recruter des jeunes Françaises et de jeunes Français est certes essentiel, mais en matière de force morale, la cohésion nationale est d'un ordre encore supérieur. « Engagez-vous ! » concerne une faible partie des Françaises et des Français, tandis que la cohésion nationale concerne tout le monde. Le SNU est conforme à cette approche globale qui permettra de toucher toute une classe d'âge. En effet, la surface de contact entre les armées et la population civile est très restreinte. Au total, tous les efforts consentis par les armées dans le cadre du SNV, du SMA, des classes de défense et sécurité globale et des préparations militaires touchent environ 40 000 jeunes par an, sur une classe d'âge de 800 000.

Donner une coloration trop militaire au SNU ne donnerait pas les résultats escomptés et ce n'est pas ce que souhaitent les armées.

Je constate que la dissuasion fonctionne. Elle exige des certitudes. La dissuasion est vivante, puisque tous les cas sont différents, et elle s'est adaptée à ce cas de figure. Vous évoquez la dissuasion française et l'Europe. Dans son discours du 7 février 2020, le Président de la République déclarait : « nos forces nucléaires renforcent la sécurité de l'Europe par leur existence même et, à cet égard, ont une dimension authentiquement européenne ». Ces paroles s'adressaient aux pays européens, et la dissuasion, c'est un homme, le Président de la République.

Le traité sur l'interdiction des armes nucléaires affaiblit le processus de désarmement de l'ONU (TNP), auquel nous participons. Il y a deux voies divergentes. Le traité sur la non-prolifération est très important. Soyons attentifs à la capacité de déstabilisation qui pourrait en résulter et à nos préoccupations vis-à-vis de l'Iran.

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