Intervention de Jean Castex

Réunion du mercredi 27 juillet 2022 à 9h05
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean Castex :

Comme je m'y attendais et comme il est normal, certaines des questions qui ont été posées s'adressent autant à l'ancien Premier ministre et aux décisions qu'il a prises qu'au candidat aux fonctions de président du conseil d'administration de l'AFIT France.

Les infrastructures de transport sont variées et nombreuses. On me présente tantôt comme un fervent défenseur du train, ce qui est tout à fait exact et que je revendique, et tantôt comme un chaud partisan de la route. C'est, me semble-t-il – et vous le voyez sans doute dans vos territoires, mesdames et messieurs les députés – qu'il faut les deux. Vous avez été nombreux à citer M. Farandou. Or je ne suis pas le PDG de la SNCF pour répondre à toutes les questions réelles et concrètes que vous avez soulevées, mais M. Farandou pourra vous dire que j'ai été un Premier ministre particulièrement à l'écoute de toutes les questions et de toutes les préoccupations ferroviaires. Cependant, bien que la multiplication par deux de la part des déplacements ferroviaires soit un objectif auquel je pourrais souscrire, 90 % des déplacements se font encore par la route : si donc la part des déplacements ferroviaires passait à 20 %, il resterait encore des routes en France, dont l'état d'entretien n'est pas toujours fameux. Nous devons donc avoir des priorités claires : les transports décarbonés et les transports collectifs. Les chiffres l'attestent : dans le bilan de l'AFIT France, là est clairement la priorité. La réalité est cependant qu'il faut aussi investir dans la route, notamment pour désenclaver les territoires, comme cela a été dit à plusieurs reprises.

Lorsque j'étais Premier ministre, j'ai souvent eu l'occasion de m'exprimer à ce sujet. Peut-être y a-t-il un malentendu : si la route a mauvaise réputation en termes de développement durable, c'est parce que les véhicules qui circulent ont des moteurs thermiques et contribuent donc fortement aux émissions de gaz à effet de serre. Si cependant, même si ce n'est pas le rôle de l'AFIT France, nous nous engageons très fortement pour le développement des véhicules électriques, hybrides et décarbonés, la route ne contribuera plus de la même manière au bilan carbone. C'est ce que nous faisons, et l'Europe fixe en la matière un cadre assez précis, notamment calendaire.

Je ne sais pas d'où les deux intervenants qui l'ont cité tirent le montant de 18 milliards d'euros. Toujours est-il que, lorsque j'étais Premier ministre, j'ai favorisé ou développé certains projets routiers – essentiellement, monsieur Bricout, dans les territoires. Je suis, au demeurant, très à l'aise en vous répondant cela, et il y a là un lien avec ma présence ce matin devant vous : nous n'avons jamais autant investi par ailleurs dans le ferroviaire. Ce n'est du reste pas nécessairement contradictoire avec l'idée que cela ne suffit pas. Certains d'entre vous ont fait des comparaisons internationales avec l'Allemagne ou la Suisse, et il est exact que la France se situe derrière ces pays.

Monsieur Leseul, par exemple, vous avez souligné que les investissements consacrés à la régénération étaient insuffisants. Mon point de vue personnel est que vous avez raison, mais ces investissements sont toutefois nettement supérieurs à ceux des dix années précédentes, y compris avec le contrat de performance. Nous aurions certainement souhaité signer un contrat de performance plus ambitieux mais, en politique, on fait avec les moyens du moment. J'invite cependant votre commission à constater – la représentante du groupe Écologiste l'a fait – que nous avons désendetté la SNCF et donné des moyens nouveaux à SNCF Réseau. Tous les chiffres sont à votre disposition. Nous avons investi, alors qu'il existait un retard considérable, mis en lumière par des audits.

Ce retard n'est pas encore comblé et ce sont bien là les enjeux de demain. Il faudra poursuivre et, je l'espère, amplifier ce mouvement. C'est vous qui devrez faire ces choix et trouver les recettes y afférentes. Cependant, ni ce que vous avez appelé le « tout-TGV » ni les investissements nécessaires par ailleurs sur notre réseau routier, notamment pour le désenclavement des territoires et l'accessibilité des populations, n'ont jamais été faits au détriment des investissements ferroviaires, qui se sont significativement accrus et qui devront croître encore.

Je saisis cette occasion de dire aussi ma fierté d'avoir amplifié l'action de mon prédécesseur en accroissant, notamment au moyen de l'AFIT France – mais pas seulement –, les aides aux mobilités, avec notamment le plan Vélo.

On peut du reste se demander si l'agence est centrée sur de grands projets d'infrastructures. On a en effet évoqué les lignes de desserte fine des territoires et je rappelle à cet égard qu'en vertu de la décentralisation, les autorités organisatrices dans ce domaine sont les régions. Pour ce qui concerne par exemple les pistes cyclables, le maître d'ouvrage est, non pas l'État, mais les collectivités locales. Le choix a été fait, et je l'ai amplifié, de financer le développement de ces infrastructures – je me suis déjà longuement exprimé à ce propos. Je ne suis plus en situation de décider, mais mon avis personnel est qu'il faudra poursuivre ce mouvement, car il existe un effet de levier : même si l'agence ou l'État n'est pas, selon les canaux choisis, le principal financeur de ces ouvrages ou de ces infrastructures, qui sont décentralisées, il est indispensable, puisque le choix politique va dans le sens des mobilités durables, de continuer à les encourager.

J'ai donc une vision des priorités claire, mais équilibrée, une vision réaliste et pragmatique de ce que sont la réalité et la densité du territoire français en matière d'irrigation par des infrastructures.

Il n'y a pas de « tout-TGV ». Nous avons inversé la tendance pour ce qui concerne le fret et les petites lignes de desserte du territoire. Il reste encore beaucoup à faire, bien entendu, et nous sommes là pour ça. J'ai pris des décisions pour accélérer certains projets – qui existaient, et que je n'ai pas inventés –, comme le GPSO, le Grand projet du Sud-Ouest.

Monsieur Prud'homme, j'ai été élu dans les Pyrénées-Orientales. Allez-vous dire aux habitants de Perpignan qu'ils n'ont pas droit au TGV ? Qu'on peut l'emprunter pour aller à Rennes ou à Strasbourg, mais pas à Toulouse ou à Perpignan ? C'est une question d'équité territoriale et il vaut mieux l'assurer.

Quant à la possibilité d'utiliser les voies LGV pour le fret ferroviaire, je rappelle qu'une partie de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) est en effet mixte et reçoit du trafic de voyageurs et du fret. Nous avons trouvé un accord avec les collectivités locales et créé la société de projet. Pour la desserte de Toulouse, de Perpignan et, plus loin, de l'Espagne, ainsi que pour la ligne nouvelle PACA, il est souhaitable, au nom de l'équité territoriale et du développement des territoires, que la grande vitesse puisse reprendre son cours – mais, j'y insiste à nouveau, pas au détriment des lignes de desserte fine du territoire. Cela fut le cas précédemment et nous devons veiller à ce que ce ne le soit plus désormais.

La politique des transports doit être une politique « tous azimuts ». Nous avons besoin de transports collectifs et devons être ambitieux en la matière, et veiller à ce que cela corresponde aux réalités du terrain et des usages.

Deux d'entre vous au moins avez posé la question de l'utilité même de l'agence. Je me suis déjà exprimé sur ce point. On ne peut pas dire que cette agence soit particulièrement coûteuse en termes de frais de fonctionnement, comme l'indiquent les comparaisons que vous avez citées – c'est même l'inverse. J'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire l'utilité de cette agence.

Par ailleurs, on ne peut pas la confondre avec l'ART, qui est une autorité administrative indépendante chargée de réguler ce secteur, car l'AFIT France a, au contraire, un rôle opérationnel. Il faut concilier des ressources affectées avec un contrôle du Parlement. À cet égard, des progrès sont encore possibles, mais beaucoup est déjà réalisé. La suppression de l'agence aurait, selon moi, un bilan coût-avantages clairement défavorable par rapport à son maintien. Nous devons améliorer le dispositif et tenir compte des préconisations de la Cour des comptes en la matière ainsi que des observations du Parlement, et améliorer la transparence et la gestion. Il serait, du reste, quelque peu paradoxal, si je pensais qu'il faut supprimer cette agence, de ne pas avoir essayé de le faire lorsque j'étais aux manettes et de venir me présenter devant vous dans l'intention de la présider. Je peux néanmoins entendre que certains d'entre vous n'aient pas la même opinion.

Il est au moins un point sur lequel nous serons d'accord, y compris avec vous, monsieur Prud'homme : l'agence est un établissement public administratif de l'État et, jusqu'à nouvel ordre, le pantouflage désigne les départs vers le secteur privé. Or, je ne pense pas que l'AFIT France relève en quoi que ce soit du secteur privé. C'est un outil du service public, et j'entends bien qu'elle le demeure. Vous l'avez d'ailleurs dit vous-même dans votre question, en considérant qu'il s'agissait d'un prolongement du ministère des transports – ce qui est vrai d'une certaine manière. Il n'y a donc pas de pantouflage.

Je ne reviendrai pas sur les points que j'ai déjà évoqués dans mon propos introductif.

Nous sommes confrontés à des besoins appelés à s'accroître et qu'il nous faudra hiérarchiser. C'est le sens de la proposition du COI.

Pour ce qui est des recettes, mon expérience me conduit à vous dire qu'il vaut mieux disposer d'un panier de recettes que dépendre d'une seule ressource pour assurer le financement de nos besoins. Il faudra continuer à disposer de ressources affectées, fiscales et non fiscales, et il y aura toujours un complément de crédits budgétaires. Le Plan de relance a été, je le répète, l'occasion de les « booster », si vous me permettez cette expression – c'est-à-dire de les augmenter significativement. Il faut, surtout, que nous nous accordions sur un niveau de besoins et une trajectoire de dépenses – ce qui sera le travail des six à douze mois à venir –, pour fixer ensuite le panier de recettes. C'est en tout cas la méthode que je suggère pour atteindre cet objectif.

La représentation nationale et le Gouvernement ont besoin d'une agence forte pour peser dans les choix, défendre les territoires et se montrer à la hauteur des enjeux.

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