Intervention de Benjamin Saint-Huile

Réunion du mercredi 31 mai 2023 à 9h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBenjamin Saint-Huile, rapporteur :

Je suis très heureux d'avoir l'occasion de parler avec vous de démocratie, même si les regards sont plutôt tournés vers la commission des affaires sociales ce matin en raison de l'examen du texte portant sur la réforme des retraites.

Je dirai quelques mots, pour commencer, de la journée réservée à mon groupe. Si nous avons choisi d'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale la proposition de loi relative aux retraites dont tout le monde parle, c'est parce que nous considérons que l'utilisation de l'article 49 alinéa. 3 de la Constitution, alors même que le Gouvernement avait déclaré qu'il n'y aurait pas recours, a contribué à crisper le pays.

Nous avons également voulu démontrer qu'il était possible de trouver des recettes nouvelles en élargissant l'assiette de la taxe sur les transactions financières : c'est l'objet de la proposition de loi qui sera défendue par Christophe Naegelen.

Enfin, il nous a semblé important d'aborder la question de la démocratie. Selon nous il faut en effet interroger nos pratiques, voire régénérer notre démocratie. Tel est l'objet du présent texte.

Au-delà des propositions qu'il contient, beaucoup d'autres sujets auraient pu être abordés. Ainsi, certains des amendements déposés visaient à instaurer la proportionnelle, ou encore le vote à 16 ans. On pourrait parler aussi des référendums. Il fallait bien ouvrir le débat d'une manière ou d'une autre : nous avons donc choisi de travailler sur le vote blanc, sur le devoir de participer aux scrutins – sujet attendu – et sur l'inscription sur les listes électorales, question qui peut apparaître technique mais qui a des incidences directes sur la participation.

Nous partons d'un constat simple, que tout le monde peut partager : scrutin après scrutin, la participation diminue. Pour n'être désagréable avec personne d'autre que nous, je me référerai aux dernières élections législatives : la participation, lors du second tour, y était de 46 %, ce qui interroge quant à notre capacité à nous faire les porte-parole de tous nos électeurs. Mécaniquement, l'abstention est en augmentation constante, signe d'une défiance vis-à-vis des institutions et des élus. Je ne crois pas que certains élus sont plus disqualifiés que d'autres : toute la classe politique est concernée. Le Président de la République, dont il est souvent question ici, a reconnu « la forte abstention qui nous oblige tous à redonner davantage de sens à nos actions collectives, de lisibilité aux grands rendez-vous démocratiques ». Certains pourraient considérer la formule comme floue ; pour ma part, je considère qu'elle traduit clairement une volonté d'interroger nos institutions et notre fonctionnement démocratique.

Cette réflexion se construit dans un contexte particulier, marqué par des tensions sociales et politiques – certains parlent de « crise démocratique », expression qui, j'en suis sûr, reviendra au cours des débats. Nous faisons quelques propositions, tout en étant conscients que le sujet est plus large. Certains seront tentés de nous renvoyer à la grande concertation à venir sur les institutions, mais nous craignons que celle-ci apporte des réponses trop tardivement, alors qu'il est possible d'envoyer très rapidement certains signaux.

La question de fond, à nos yeux, réside dans le fait que certaines catégories de population sont quasiment exclues du vote car les expressions électorales de colère ou de rejet ne sont pas comptabilisées en tant que telles, au point que la légitimité des élus puisse être mise en question.

D'où le premier axe de la proposition de loi, qui consiste à renforcer la parole de l'électeur – formule poétique qui recouvre en fait la reconnaissance du vote blanc. Allons ensemble dans cette direction ! Il s'agit, en définitive, de reconnaître les expressions plurielles des électeurs, particulièrement lorsqu'elles manifestent un rejet. L'enjeu, derrière cette disposition, est de remédier à un problème plus large et complexe, qui mérite que nous engagions le débat : il s'agit de notre capacité à donner envie aux abstentionnistes de revenir vers les bureaux de vote.

Nous proposons de comptabiliser les votes blancs dans les suffrages exprimés, ce que n'a pas permis de faire l'évolution législative intervenue en 2014. Je sais que cette proposition donnera lieu à des discussions, comme en témoignent certains des amendements déposés. Un autre enjeu pèse également dans le débat, même s'il n'a pas fait l'objet d'amendements : le seuil de 5 % des suffrages exprimés, nécessaire pour obtenir le remboursement d'une campagne électorale et pouvoir fusionner des listes lors de certains scrutins. L'objectif de cette proposition de loi n'est pas de rendre ces opérations plus difficiles mais de renforcer la légitimité dont pourront se prévaloir les candidats élus.

Nous pourrions nous contenter de comptabiliser les votes blancs dans les suffrages exprimés, mais cela ne changerait pas grand-chose. Nous ajoutons donc une autre disposition, qui donnera lieu, elle aussi, à bien des commentaires, visant à annuler une élection au cours de laquelle les bulletins blancs décomptés représentent plus de 50 % des suffrages exprimés. On m'objectera que cela risque d'aggraver les dépenses publiques, puisqu'il faudra alors revoter. Certains me diront aussi que c'est un peu compliqué. À quoi je répondrai que, d'une part, le cas de figure ne se produira que rarement, et que, de l'autre, nous avons prévu un nouveau scrutin dans un délai relativement court : entre vingt et quarante jours. Cela permet d'éviter une vacance du pouvoir trop longue, qui fait peur à tout le monde – même si les Belges ont eu l'occasion de constater que ce n'était pas un problème en soi. Par ailleurs, lors de ce nouveau scrutin, ce mécanisme ne s'appliquerait plus, de manière à ne pas entraîner de nouveau l'invalidation, quand bien même le candidat élu le serait sur des bases fragiles.

La deuxième proposition consiste à instaurer le vote obligatoire. Certains considèrent cette mesure comme une provocation, une disposition irritante. Je le comprends. Nous nous sommes interrogés à ce propos lors de la rédaction du texte. Nous avons considéré qu'il fallait lier la question du vote blanc à celle du vote obligatoire, mais ce choix peut être discuté.

Je souhaitais que la représentation nationale ait l'occasion de s'exprimer sur le vote obligatoire. Certaines catégories d'électeurs se trouvent de fait dans l'impossibilité de s'exprimer : de manière générale, ce sont les jeunes qui sont les plus mal inscrits sur les listes, et les catégories sociales les plus fragiles sont aussi les plus éloignées du vote. Nous considérons qu'il faut les « raccrocher » à la vie démocratique du pays à travers le vote obligatoire. Cela forcerait – enfin – les candidats à parler à tout le monde. Si nous sommes ici, c'est parce que nous avons mené une campagne électorale. Pour cela, que vous le reconnaissiez ou non, nous avons choisi nos cibles, nous nous sommes adressés à certains segments de la population. Certains d'entre vous m'objecteront que la République est une et indivisible. Force est toutefois de constater que, lorsque l'on s'adresse aux retraités, on n'évoque pas tout à fait les mêmes sujets que lorsque l'on parle aux étudiants.

L'augmentation de la participation vise aussi à renforcer la légitimité des élus. En effet, moins il y a d'électeurs qui se déplacent pour aller voter, plus il est facile pour certaines personnes de dire que nous ne sommes pas représentatifs.

Je connais les difficultés que peut poser le vote obligatoire. D'une part, il s'agirait d'une nouvelle contrainte, et, d'autre part, on ferait peser de manière presque accusatoire sur les électeurs la responsabilité des difficultés que rencontre notre démocratie. Je comprends que certains d'entre vous ne soient pas prêts à contraindre les électeurs à aller voter parce que ce n'est pas leur philosophie. Tel n'est pas, selon moi, l'objet de la discussion : l'objectif est de renforcer la légitimité des élus et de raccrocher au système démocratique des catégories de population qui en sont éloignées. Il convient de le faire intelligemment, en permettant aux candidats de formuler des propositions qui s'adressent à ces personnes.

L'instauration du vote obligatoire suppose de s'interroger aussi sur la sanction. D'abord – et je le dis pour dépassionner le débat –, ceux d'entre vous qui ont participé aux auditions pourront en témoigner : dans tous les pays où le vote est obligatoire sans qu'une sanction soit prévue, il n'y a pas de modification substantielle de la participation. La vraie question est de savoir quelle sanction il convient d'instaurer. On peut faire preuve de beaucoup d'imagination en la matière : une sanction peut être « pédagogique » et revêtir – ou pas – un caractère dissuasif.

Pour en avoir discuté avec des universitaires, je considère, d'après l'exemple du Brésil, qu'une sanction dissuasive ou perçue comme telle amène les gens à se mobiliser davantage. Nous avons toutefois fait le choix d'une sanction correspondant à une contravention de première classe, d'un montant de 11 euros. Une telle sanction est symbolique. Il s'agit d'engager la discussion sur la possibilité d'assortir d'une sanction l'obligation de vote. Là encore, j'aimerais vous entendre sur le sujet, même si, après avoir lu certains amendements, j'ai mon idée sur ce que le groupe majoritaire pense du vote obligatoire.

Notre objectif est de créer une sorte de nouveau contrat entre les électeurs et ceux qui se présentent à leur suffrage.

La troisième proposition concerne un enjeu majeur : l'inscription sur les listes électorales. En effet, l'un des premiers freins à la participation est la non-inscription ou une mauvaise inscription sur les listes électorales. Environ 7 millions de personnes sont concernées. Les règles administratives sont très contraignantes, ce qui n'aide pas à « raccrocher » nos concitoyens. Certes, le répertoire électoral unique (REU) a été créé en 2016, et il conviendra d'en étudier les résultats dans la durée, mais nous considérons qu'il faut aller plus loin. Nous proposons donc une inscription automatique. Certains amendements visent à aller moins loin ; nous essaierons de trouver une solution intelligente.

Nous voulons engager le débat, en espérant qu'il ait lieu aussi en séance, de façon à retisser ensemble un lien de confiance entre les Français et ceux qui sollicitent leur suffrage, alors que nos concitoyens s'interrogent de plus en plus sur les institutions.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion