Intervention de Olivier Serva

Séance en hémicycle du jeudi 8 juin 2023 à 15h00
Renforcement du principe de la continuité territoriale en outre-mer — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Serva, rapporteur de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Je vais commencer mon intervention en vous exposant, dans ses grandes lignes, le budget, pour un mois de soins, d'un parent guadeloupéen contraint de faire soigner à Paris son enfant mineur souffrant de lourdes pathologies. Il lui faudra d'abord débourser 2 300 euros pour les deux billets d'avion aller-retour, contre 127,40 euros de frais de transport pour des administrés de Valognes en Normandie ou 136 euros pour un parent de Saumur, dans le Maine-et-Loire. Venons-en à l'hébergement dudit parent, qui n'a pas la possibilité de rentrer à son domicile pendant son séjour à Paris : il faudra compter 3 000 euros pour les nuitées d'hôtel. Il devra aussi s'acquitter de 170 euros de frais de transport en commun, de 900 euros de frais de bouche et de 700 euros de frais vestimentaires si nous sommes en hiver, soit un total de 7 070 euros ! La facture est salée ! Et je ne vous parle pas des frais médicaux non pris en charge par la sécurité sociale et la mutuelle…

Ce budget s'alourdit encore lorsque l'on est Mahorais : 2 436 euros pour chaque billet d'avion pour la période du 1er au 31 juillet. Pour un Guyanais, il faudra compter 1 188 euros et pour un Polynésien, plus de 3 350 euros !

Les ménages ultramarins sont pris à la gorge par un coût des transports qui ne cesse d'augmenter. Entre février 2022 et février 2023, au départ de la Guadeloupe, les prix des billets d'avion, toutes destinations confondues, ont augmenté de 48 %. C'est 45 % au départ de la Martinique, 30 % au départ de la Guyane, 25 % au départ de Mayotte ou de La Réunion.

Dans un contexte d'augmentation des prix inégalée, outre-mer, la précarité gagne du terrain encore plus rapidement que dans l'Hexagone. Si, en France hexagonale, près de 14 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ce taux s'élève à 30 % en Guadeloupe et en Martinique, 53 % en Guyane et 77 % à La Réunion.

Pas un jour ne passe sans que nous, parlementaires ultramarins, ne soyons interpellés. Mais peut-être est-ce aussi votre cas, chers collègues. Le 12 mai dernier, je devais recevoir à l'Assemblée nationale les élèves du collège Nestor de Kermadec de Pointe-à-Pitre. Ils ont dû annuler leur venue à Paris au regard des coûts exorbitants des billets d'avion. Je pense également à l'association Fair+, de Boissard, aux Abymes en Guadeloupe, vectrice d'inclusion sociale, qui devait permettre à quatre-vingts jeunes issus des quartiers prioritaires de la ville de venir dans l'Hexagone en échange culturel. Un projet, une fois de plus, avorté compte tenu du coût des transports.

Ces cas ne sont pas isolés. C'est aussi le sort réservé à des milliers d'étudiants, d'artistes, de sportifs, d'entrepreneurs issus de nos territoires, obligés de renoncer à des possibilités, contraints d'abandonner leur rêve car ils sont dans l'incapacité de se déplacer. Les pertes de chance se succèdent donc pour ces Français qui ne demandent qu'à travailler, se former, se soigner, performer. Il ne s'agit pas de séjours balnéaires en France hexagonale, mais de séjours professionnels ou sanitaires !

La situation que vivent nos concitoyens d'outre-mer dépasse l'entendement. Depuis la départementalisation de 1946, le compte n'y est pas. Cela transparaît à travers des décennies de gronde sociale : 2008 et 2017 en Guyane, 2009 et 2021 en Guadeloupe, 2018 à La Réunion, 2018 et 2023 à Mayotte.

Par ailleurs, alors que le principe de continuité territoriale, créé à juste titre pour la Corse en 1976, a été transposé aux territoires ultramarins en 2003, son application semble largement insuffisante dans ces derniers.

Dans ces conditions, du fait de la faiblesse des moyens, le principe de continuité territoriale est loin de répondre au principe d'égalité qui le sous-tend. Pire, les territoires ultramarins souffrent d'une distorsion du principe d'égalité, fait générateur du sentiment d'abandon des populations sur place.

Ce principe a été mis à mal par des années de politiques publiques – tous bords politiques confondus – peu ambitieuses et sous-dotées en matière de continuité territoriale entre les outre-mer et l'Hexagone. Alors que les Corses bénéficient d'un accompagnement budgétaire à la continuité territoriale de 257 euros par habitant – tant mieux d'ailleurs –, les îles Baléares, les Canaries et Ceuta, de 223 euros par habitant, les outre-mer émargent difficilement à 90 euros par habitant.

C'est ce qui justifie que, dans le cadre de la niche parlementaire du groupe LIOT, mon collègue Max Mathiasin et moi ayons déposé cette proposition de loi. Les travaux en commission ont été prolifiques. Je remercie mes collègues de tous bords pour ce travail qui a abouti à la coconstruction de la proposition de loi telle qu'elle vous est présentée aujourd'hui, ainsi qu'à son adoption à l'unanimité en commission.

Que proposons-nous ? Tout d'abord, un renforcement de l'accompagnement des actifs dans leur mobilité. La rédaction de l'article 1 issue de l'examen en commission prévoit une extension des missions de L'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (Ladom), avec la création d'un passeport pour le retour au pays pour les ultramarins résidents dans l'Hexagone et d'un passeport pour la mobilité des actifs destiné à accompagner ces derniers dans leur mobilité dans le cadre de leur formation continue. Sur cet article, je vous proposerai d'adopter un amendement coconstruit avec la majorité, qui prévoit la définition des modalités de ces nouvelles aides par voie réglementaire, après le comité interministériel des outre-mer (Ciom) début juillet, dans l'intérêt des territoires ultramarins.

À l'article 2, nous suggérons d'augmenter par voie réglementaire les montants de l'aide à la continuité territoriale, afin qu'ils puissent mieux prendre en compte l'évolution des prix des billets d'avion. Ainsi, l'aide est actuellement de 340 euros pour la Guadeloupe, ce qui est bien trop peu, vous le savez, monsieur le ministre délégué, lorsque le billet dépasse 1 000 euros. J'ai proposé 950 euros dans la première mouture du texte, et j'ai l'espoir que le Gouvernement procédera à une revalorisation à la hauteur des attentes des ultramarins.

Enfin, il nous a semblé opportun d'accompagner davantage la mobilité des familles faisant face à la maladie d'un enfant. En ce jour si particulier, nos pensées accompagnent les victimes des barbares. À l'article 4, nous plaidons en faveur d'un cumul entre l'allocation journalière de présence parentale et le complément et la majoration de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé pour les parents résidant dans un territoire ultramarin ou en Corse.

Enfin, je salue le travail de l'ensemble des collègues – députés, sénateurs, membres du Conseil économique, social et environnemental (Cese) – membres des délégations aux outre-mer. Je remercie également l'ensemble des personnalités et institutions auditionnées – Ladom, les compagnies aériennes, les élus locaux, les associations de retour au pays, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) – qui se sont prêtées au jeu.

Je me félicite également de l'excellente relation avec la majorité, notamment avec le responsable du texte, M. Guillaume Vuilletet – même s'il est absent, j'ai une pensée pour lui –, et de ce travail transpartisan, en bonne intelligence, également avec les cabinets de la Première ministre et du ministre délégué chargé des outre-mer, ainsi qu'avec le ministre délégué lui-même, et le président de la commission. Avec le groupe LIOT, nous avons à cœur que ce texte prospère au-delà des murs de l'Assemblée nationale et soit examiné par le Sénat, sans être trop dénaturé. Pour conclure, je remercie l'administratrice qui nous a accompagnés, ainsi que les conseillères de notre groupe politique, pour leur appui technique et logistique.

Il est l'heure, chers collègues, de débattre ! Je ne doute pas que la richesse de nos échanges contribuera à améliorer, encore, ce texte.

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