Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Sébastien Lecornu, ministre des Armées :

J'ai d'abord une pensée pour nos soldats, notamment les blessés et les tués – notre travail implique un état d'esprit humain et fraternel envers ceux qui s'engagent pour notre pays.

Je vous adresse à tous mes félicitations républicaines pour votre élection ou réélection. Votre commission se caractérise par un sens profond du travail partenarial et républicain, mais aussi démocratique. Or, si certains de nos compétiteurs ne sont pas des démocraties, nos institutions, elles, imposent au Gouvernement – à la Première ministre et au ministre des armées – de rendre compte de son action devant la représentation nationale, et le Parlement devra prendre des décisions en la matière et se prononcer sur d'importantes orientations stratégiques.

J'insisterai d'abord sur l'actualité que suggèrent les théâtres opérationnels, car c'est d'elle que découle sinon le plan de bataille – l'expression serait malheureuse –, du moins l'effort collectif à fournir dans les temps futurs, auquel je viendrai ensuite.

Dans le contexte géopolitique et sécuritaire actuel, la question qui s'impose à nous est évidemment celle de l'Ukraine. L'aide que nous apportons à ce pays est cruciale. Du point de vue stratégique, intellectuel, géopolitique et diplomatique, il y a un avant et un après le 24 février dernier. En effet, alors que tout notre système stratégique a été remis à jour après la guerre froide, désormais, des agressions contre notre souveraineté – contre les souverainetés – sont commises aux portes de l'Europe. Quand l'Ukraine se bat pour protéger ses frontières, sa souveraineté et, donc, sa liberté – on redécouvre que l'une ne va pas sans l'autre –, elle se bat pour un principe du droit international auquel nous sommes attachés. Nous ne sommes pas en guerre contre la Russie, mais quand nous aidons les Ukrainiens, nous défendons nous aussi de tels principes, auxquels les républicains et la nation française tiennent depuis longtemps.

L'aide française à l'Ukraine est directe. Elle est d'abord matérielle – ce sont des armes, létales ou non, parmi lesquels les canons CAESAR (camion équipé d'un système d'artillerie) popularisés par les médias et qui, au nombre de dix-huit, forment une unité d'artillerie complète permettant aux forces ukrainiennes de se défendre. Mais il s'agit aussi de formation – à quoi servirait le matériel sans soldats capables de l'utiliser ? –, l'une de nos préoccupations à l'échelle européenne, ainsi que du soin aux blessés ; sur ce dernier point, nous avons peu communiqué, mais je me suis rendu au chevet de soldats ukrainiens à l'hôpital d'instruction des armées de Percy.

Comment poursuivre l'aide dans la durée ? Il le faut : puisque, malheureusement, le conflit peut durer, la solidarité ne saurait être ponctuelle. Elle doit donc faire l'objet d'une coordination entre les alliés pour affiner la compréhension des besoins – après une première phase où ils se manifestaient tous azimuts – et œuvrer à la logistique d'acheminement.

À cet égard, l'Union européenne a très heureusement joué un rôle sans précédent, sous l'impulsion de la présidence française. Quoi qu'on en pense, la facilité européenne pour la paix est un instrument inédit dans l'histoire de l'Union ; appelée à durer, elle est cruciale sur le plan financier comme sur le terrain de la coordination opérationnelle. Les sanctions, qu'il ne faut pas oublier, ont également fait l'objet d'un niveau de coordination qui n'allait pas de soi jusqu'alors. Il appartient aussi à l'Union européenne – je le dis souvent à nos partenaires de l'Alliance atlantique – d'apporter une réponse humanitaire par l'accueil des réfugiés, mis en œuvre dans vos circonscriptions.

Enfin, je ne serais pas complet si je ne mentionnais pas l'énergie et les matières premières alimentaires, même je ne suis pas en première ligne dans ce domaine qui appelle lui aussi une importante coordination.

La situation a remanié l'agenda de l'OTAN de manière inédite depuis la fin de la guerre froide – c'est un fait, quoi que l'on pense de l'Alliance atlantique. Au cours du mois passé se sont tenus une réunion ministérielle à Bruxelles puis le sommet de Madrid, qui a rassemblé l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement de l'Alliance.

Concernant l'OTAN, il me semble utile de vous rendre compte de certains aspects très précis, sur lesquels il faudrait peut-être que le Gouvernement revienne davantage devant le Parlement, ce qui pourrait éviter caricatures et fausses informations.

Le premier est évidemment l'élargissement de l'Alliance atlantique à la Suède et à la Finlande, à leur demande – ce ne sont pas les États-Unis d'Amérique, la République française ni le royaume de Grande-Bretagne qui sont allés les chercher : ces deux pays, qui ont une longue histoire de neutralité, ont décidé, pour pouvoir se défendre le cas échéant, de faire appel au mécanisme de solidarité prévu à l'article 5 du traité – mais pas seulement. Les discussions ministérielles, les échanges formels et informels, puis le sommet de l'OTAN ont permis de faire droit à cette demande d'adhésion, dont les premiers actes ont été signés ; il reviendra au parlement de chaque État de se prononcer sur elle – vous serez amenés à le faire au nom de la nation française dans les toutes prochaines semaines.

Deuxièmement, il a été question de posture stratégique et militaire, et c'est heureux – l'Alliance atlantique est une alliance militaire. À cet égard, le Président de la République a de nouveau insisté sur les points suivants.

D'abord, l'Alliance est défensive et dissuasive ; elle a donc une vocation nucléaire. C'est factuel, ce n'est pas nouveau, cela date de l'époque où le général de Gaulle a courageusement souhaité que la France soit dotée de cette arme, et nous avons à affirmer cette vocation.

Ensuite, l'Alliance a aussi une vocation euro-atlantique. Il est important de conserver cet équilibre otanien historique à l'heure où certains pays membres peuvent être tentés de regarder davantage vers le Pacifique ou vers la Chine.

S'y ajoutent des enjeux de moyens sur lesquels je reviendrai pour la partie française. S'agissant, je le répète, d'une alliance militaire, il faut s'intéresser à l'effort militaire réel, qui repose sur le budget, à propos duquel plusieurs pays se sont engagés, notamment concernant la proportion de 2 % du PIB. Quelle que soit sa taille, chaque pays doit participer à cet effort.

Troisième élément en ce qui concerne l'OTAN : la part que la France prend à l'affaire sur le terrain militaire. Nous assumons courageusement des missions non plus de police du ciel, mais bien de défense du ciel, en Estonie et en Pologne ; elles sont appréciées par nos partenaires et amis polono-baltes. Nous allons ainsi jusqu'à la frontière de l'Alliance et de l'Union européenne et, dans ces pays, les forces armées françaises – souvent l'armée de l'air et de l'espace, souvent nos chasseurs, mais pas seulement – sont engagées pour s'assurer de l'intégrité des frontières. Cette posture, dissuasive, est devenue également défensive avec des aviateurs français me disant, qu'au radar mais aussi à l'œil nu, ils peuvent apercevoir derrière la frontière, du côté russe, un certain nombre d'engagements. Tout cela étant très équilibré mais, enfin, c'est réel, c'est concret. Nous ne sommes plus dans un champ théorique, on est dans un champ évidemment complètement opérationnel.

En outre, en Roumanie – où des membres de votre commission pourraient se rendre rapidement –, nous assumons le rôle de nation-cadre. Il y a peu de pays dans l'Alliance qui savent assurer et assumer ce rôle de nation cadre : les Américains, les Britanniques et nous. Je le dis parce que nous avons souvent tendance, quelle que soit notre opinion politique, à sous-estimer le poids de la France ; mais on peut aussi être fier d'être Français ! Ce rôle inclut une défense du ciel qui dépend de l'armée de l'air et de l'espace et passe par des dispositifs sol-air, outre la construction d'une base militaire à Cincu, où le génie français est en train de se déployer et qui permettra d'accueillir des forces interalliées – c'est d'autant plus crucial que nous organisons, si malheureusement le besoin en était – je dis bien si malheureusement le besoin en était –, notre capacité à nous élever à un niveau de type brigade, chose totalement inédite depuis la fin de la guerre froide. Nos partenaires roumains apprécient eux aussi beaucoup cet effort.

Évidemment, lorsque le Parlement a voté la loi de finances pour 2022, nous étions loin de nous douter que la Russie envahirait l'Ukraine : tout ce que nous faisons en Roumanie n'était pas prévu dans nos budgets.

J'en viens au reste du monde. Et le problème, c'est que la situation en Ukraine pourrait nous rendre myopes et nous pousser à regarder uniquement dans un sens, ce n'est pas une critique, même les médias nous emmènent là-dessus.

J'aimerais d'abord évoquer le terrorisme et la bande sahélo-saharienne. L'Afrique ne fait que trop peu, malheureusement, l'objet d'une attention et d'une actualité françaises, alors que ce qui s'y passe est clé : nous y avons beaucoup de ressortissants, il s'agit de pays amis, nous avons ensemble une histoire ancienne, et la déstabilisation sécuritaire sur place a des effets immédiats sur tous les pays de la Méditerranée, dont la France.

Un mot sur l'opération Barkhane, dont je veux défendre ici les résultats, car ce sont ceux de nos forces armées : nous pouvons ne pas converger politiquement sur les orientations politiques ou diplomatiques, mais je veux bien dissocier ces orientations du travail que font nos militaires sur le terrain. C'est toute la différence entre le gouvernement et l'État. Je fais la différence entre l'État et le Parlement, pardon pour ce moment de définition des mots mais je crois que c'est important. Le travail accompli dans le cadre de Barkhane, comme de Takuba et de la MINUSMA (mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), est objectivement remarquable et salué. La neutralisation et l'extinction de plusieurs groupes terroristes suffit à le faire comprendre. Néanmoins, la question du terrorisme est toujours présente, évidemment ; et elle est particulièrement préoccupante.

Nous prenons acte des décisions de la junte malienne, ce qui veut dire, non pas que nous sommes d'accord, ni que nous ne sommes pas inquiets – loin s'en faut –, mais que nous respectons la souveraineté du Mali. Si le président Hollande avait déclenché cette opération, c'est parce que les représentants du gouvernement et de l'État malien à l'époque l'avaient demandé. Si nous quittons le Mali, c'est parce que les représentants actuels de l'État du Mali ne souhaitent plus notre présence. Je le rappelle parce que l'on a entendu des propos curieux sur le sujet dans le débat public pendant la campagne pour l'élection présidentielle. La France respecte la souveraineté des autres États, comme elle s'attend à ce que l'on respecte sa propre souveraineté.

Nous menons actuellement une manœuvre logistique particulièrement délicate de réarticulation depuis le Mali vers le Niger, dans un contexte sécuritaire très difficile – je rends hommage à la manière dont nos forces armées conduisent l'opération. Nous avons restitué aux forces maliennes les bases de Gossi et de Ménaka et nous finissons les manœuvres de redéploiement sur la base de Gao. J'espère tenir l'échéance de la fin de l'été ou du début du mois de septembre, mais sans confondre vitesse et précipitation, car la sécurité des forces engagées est cruciale.

L'agenda est d'autant plus difficile qu'il y a en Afrique une menace nouvelle pour nos forces armées, dont on parle peu dans les médias alors qu'on l'évoque beaucoup à propos du théâtre ukrainien : Wagner, dont des renforts sont à enregistrer dans la zone. Le fait que la junte malienne fasse davantage confiance à cette milice qu'à la République française est pour le moins curieux.

Nous devons réaffirmer un agenda de sécurité en Afrique, en association étroite avec le Parlement. J'aurai l'occasion de me rendre avec la ministre Colonna au Niger juste après notre fête nationale ; je me rendrai également à Abidjan et je serai heureux de vous rendre compte, peut-être à la rentrée, des différents échanges que nous aurons eus. Nous ne pouvons pas regarder l'Afrique de trop loin, car l'Afrique elle-même nous regarde et nous attend.

Dans l'Indo-Pacifique, nous avons des intérêts directs : avec près de 1,6 million de Français vivant dans la zone, nous en sommes riverains et nous devons y réaffirmer notre souveraineté, dont les instruments résident aussi dans nos zones économiques exclusives (ZEE), notamment par la lutte contre les pêches illégales, pour laquelle les armées sont très sollicitées. Il y a évidemment aussi des enjeux et des défis que pose la République populaire de Chine, qui suscitent un certain nombre d'inquiétudes auprès des différents États de cette zone, et que nous devons évidemment entendre, mais j'emploie le mot « de défi » à dessein, parce que c'est comme ça qu'il faut le regarder et le percevoir.

En Australie, enfin, la parole manquée du gouvernement Morrison a donné lieu à de nouvelles élections lors desquelles le peuple australien s'est prononcé, et le nouveau Premier ministre Albanese reprend une démarche de normalisation vis-à-vis de la République française ; elle s'est traduite par un accord entre l'Australie et Naval Group qui, de l'avis de Naval Group, est un bon accord, et je reprends ce jugement à mon compte puisque c'était à l'entreprise de le discuter et de le négocier. Cela nous permet de réaffirmer un agenda avec l'Australie dont nous avons besoin pour la Nouvelle-Calédonie et pour Wallis-et-Futuna, riverains immédiats. On l'a vu pendant la crise sanitaire et on le voit aussi dans un certain nombre de crises environnementales : le réchauffement climatique continue de faire de nombreuses victimes en Océanie, et l'élévation du niveau de la mer ainsi que le déclenchement de phénomènes de plus en plus violents nous font prendre conscience, à nous, Européens, de l'importance croissante que vont avoir les mécanismes de sécurité civile, tels que l'accord FRANZ (France, Australie, Nouvelle-Zélande) qui permet aux États concernés de se coordonner en cas de catastrophe.

Il nous faut déployer un agenda diplomatique, industriel et militaire dans l'axe indo-pacifique. L'aspect industriel est connu, et je viens de parler du volet diplomatique. Sur le terrain militaire, nous allons continuer à mener des opérations d'entraînement et de partenariat. L'année dernière, un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) français a été déployé dans la zone ; l'opération d'entraînement, particulièrement saluée par plusieurs de nos partenaires sur place, nous a permis d'y réaffirmer notre présence. Il en va de même du déploiement, pendant quelque temps, d'avions Rafale en Polynésie française ; depuis la fin des essais nucléaires, cela faisait longtemps que nos avions de chasse n'avaient pas effectué quelques missions et opérations dans le ciel polynésien. Je rappelle que la Polynésie est aussi grande que le continent européen. Nos forces y sont prépositionnées, de même que les FANC en Nouvelle-Calédonie et les FAZSOI (forces armées dans la zone Sud de l'océan Indien) à La Réunion et à Mayotte, mais nous en avons également à Djibouti et aux Émirats arabes unis ; cela représente 7 000 à 8 000 militaires en tout.

Je pense que c'est la situation géopolitique et sécuritaire qui, rationnellement et pragmatiquement, nous oblige à être imaginatif pour notre modèle d'armée de demain.

Le préalable en est les moyens. Tous les candidats à l'élection présidentielle ont inscrit dans leur programme des moyens pour nos armées, quelles que soient leurs divergences quant à l'utilisation de ces moyens ; voilà au moins une base d'accord pour la suite de nos constructions budgétaires. Celles-ci passent par les lois de programmation, auxquelles le ministère des armées a été le premier à recourir. Dans le cadre de la programmation 2019-2025 – des crédits dont je vous rendrai compte au fur et à mesure –, heureusement que l'on n'a pas attendu l'invasion russe de l'Ukraine pour réamorcer un effort budgétaire important. Parce qu'entre le moment où nous vous proposons un effort budgétaire, entre le moment où vous le votez et vous le décidez, et le moment où il se traduit par des effets réels dans les armées, il se passe inévitablement du temps. Deux symboles résument ces derniers. D'abord, l'arrivée du programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l'infovalorisation) dans l'armée de terre où il était attendu depuis de nombreuses années et où le Griffon et le Jaguar prennent leur place. Ensuite, dans la marine, l'admission au service actif du SNA Suffren, premier du programme Barracuda – une décision ancienne, mais financée dans le cadre de la présente loi de programmation militaire (LPM).

Les 2 % du PIB sont tenus depuis 2020, mais ce maintien est fragile, le PIB s'étant beaucoup tassé à la suite de la pandémie. Il faut donc continuer à gravir les marches permettant d'aller de l'avant. Vous en avez autorisé dans le cadre de la LPM, puis chaque année ; je vous confirme que, l'an prochain, le Gouvernement vous proposera une nouvelle hausse de 3 milliards d'euros, la plus importante depuis le début de la trajectoire que vous aviez définie, ce qui portera le budget des armées à 44 milliards pour 2023.

Ces moyens n'ont de sens que si on les confronte à un premier retour d'expérience (retex) concernant notre action en Ukraine. Le moment est délicat : nous allons nous inscrire dans le cadre de la loi que vous avez votée, mais ce à quoi nous assistons depuis quelques semaines nous oblige à certaines mises à jour. C'est le sens de la commande que le chef de l'État a passée au chef d'état-major des armées et à votre serviteur et qui consiste à opérer de premiers ajustements, que nous allons vous proposer pour 2023 en plus de la LPM. Il s'agit par exemple des stocks stratégiques de munitions, qu'il faut réapprovisionner par suite de notre solidarité envers les armées ukrainiennes ou parce que le retour des conflits de moyenne à haute intensité de nature conventionnelle redonne une place particulière à l'artillerie et à l'infanterie dans notre schéma de défense.

Ce retour d'expérience ne serait pas complet si l'on ne s'interrogeait pas sur les capacités de production des bases industrielles et technologiques de défense (BITD) française et européenne. Le Président de la République a affirmé, lors du salon Eurosatory, que « nous entrons dans une économie de guerre. » Cela ne signifie pas que nous sommes en guerre mais qu'il faut s'adapter à la présence de la guerre aux portes de l'Europe. Les stocks de matériels servent habituellement aux exercices d'entraînement ou sont employés sur des théâtres classiques, soit onusiens – comme la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) –, soit dans le cadre de la lutte antiterroriste en Afrique. La guerre de haute intensité en Ukraine entraîne une augmentation de la consommation et du risque de destruction des matériels, en même temps qu'elle accélère leur obsolescence. Cela fait resurgir une question ancienne : C'est la capacité d'une industrie à très vite être résiliente si malheureusement nous devions être en guerre, la capacité à produire plus vite aussi bien dans les standards de qualité ou de sûreté, parce que nous ne mettons pas n'importe quelles armes dans les mains de nos soldats. C'est notre éthique. Et puis, notre capacité, bien sûr, à tenir les budgets.

J'ai écrit à l'ensemble des industries françaises pour leur demander de nous faire des propositions à ce sujet. Je crois savoir que le président Thomas Gassilloud souhaite que la commission travaille sur cette question. Il faut s'accorder un minimum de temps pour réfléchir, d'ici à l'automne, au cadre de l'économie de guerre. C'est un sujet qui me tient à cœur, car c'est le moyen d'avoir, à l'avenir, un système national encore plus fort qu'il ne l'est aujourd'hui. On pense souvent aux grands groupes mais les petites et moyennes entreprises (PME), les très petites entreprises (TPE) et les sous-traitants, dont le nombre est considérable dans notre pays, jouent un rôle primordial dans le cadre de la BITD nationale. Pour construire un canon ou un avion, ce sont parfois 500, 600 ou 700 sous-traitants, bien souvent français et n'employant fréquemment que 15 ou 20 salariés, qui sont mobilisés. Je travaillerai évidemment, sur ce débat économique, avec Bruno Le Maire.

Il s'agira aussi de réfléchir au cadre global de la prochaine LPM. Je m'emploierai à vous faire rapidement des propositions de méthode pour que l'on puisse co-construire ce cadre avec l'ensemble des formations politiques représentées au Parlement. Le retex de la guerre en Ukraine devra être approfondi mais un certain nombre de sujets s'imposent déjà à nous. Le caractère hybride du conflit met en lumière la question de la guerre informationnelle et du renseignement. S'y ajoutent les menaces cyber et les questions liées à l'espace et aux drones. Cela nécessite un travail important d'innovation, mais nous devons aussi être capable de revenir aux fondamentaux du combattant en proposant des équipements plus individuels et peut-être plus sobres et plus basiques, ce qui participera du modèle d'armée complet que nous défendons.

Cela posera des questions sur nos coopérations industrielles en Europe. Je pense en particulier au char de combat du futur (MGCS, Main Ground Combat System ) et au système de combat aérien du futur (SCAF, système de combat aérien futur ), qui sont au cœur de nos échanges avec nos amis allemands, notamment, ainsi qu'avec les industriels, dans le cadre de la BITD européenne.

Peut-être une dernière série de remarques qui me tiennent particulièrement à cœur puisque le ministère des armées emploie plus de 260 000 personnels civils et militaires. Il n'y a pas d'armée sans soldats, ni de soldats sans leur famille. Nous devons réfléchir à ce que la nation doit à ses soldats, et nous demander ce que sera la militarité dans les années qui viennent. C'est vrai pour les forces armées comme pour la gendarmerie nationale, les sapeurs-pompiers de Paris, les marins-pompiers de Marseille… Autrement dit, on doit engager une réflexion globale sur le statut militaire. Lorsqu'on a les idées claires sur celui-ci, on les a également sur des questions comme la rémunération ou le système de retraite des militaires. Le statut permet d'expliquer dans notre identité, dans notre histoire, ce pourquoi il y a des spécificités attachées au métier de militaire.

Les soldats sont, comme tous les Français, confrontés à des difficultés en matière de pouvoir d'achat et attendent donc la revalorisation de 3,5 % du point d'indice de la fonction publique. Parallèlement, nous appliquons la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). J'ai eu un long échange, avant-hier, avec l'ensemble des représentations du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM), qui ont insisté sur le fait que les revalorisations indiciaires ne devaient pas se substituer, en tout ou en partie, aux effets de la nouvelle politique de rémunération, et inversement. Je souhaite que le troisième volet de cette politique de rémunération s'applique en 2023, en se laissant peut-être encore un peu de temps. La chaîne hiérarchique doit consacrer du temps à ce sujet et faire preuve de pédagogie auprès de chaque soldat – j'ai donné des instructions en ce sens. Je pense qu'on a un certain nombre de situations individuelles dans lesquelles il peut y avoir quelques perdants, comme toutes les réformes systémiques et macroéconomiques. J'ai demandé au secrétariat général pour l'administration et à la direction des ressources humaines du ministère de me faire des propositions en la matière. Nous veillons également à ce que les civils de la défense, que l'on oublie parfois un peu, soient pleinement pris en compte.

Je voulais vous annoncer que je travaille à l'élaboration d'un plan « famille » 2. Beaucoup a été fait en la matière, grâce à l'implication de Florence Parly, qui y a mis beaucoup de cœur et a engagé d'importants moyens, que le Parlement a approuvés. Des avancées spectaculaires ont été obtenues sur certains sujets, mais on doit pouvoir faire mieux sur d'autres. Le ministère des armées est un de ceux dans lesquels il y a le plus de mutations : on en compte parfois 35 000 au cours d'une année. Ce sont autant de conjoints et de conjointes qui doivent retrouver un nouvel emploi, d'enfants pour qui on doit trouver une solution de garde, proposer une place en crèche ou dans un établissement scolaire. Nous savons, pour être des élus, que ces tracas pratiques peuvent polluer l'existence et dissuader de mener une belle carrière. Être à hauteur de femme et d'homme, c'est aussi traiter ce sujet.

Sur cette question, je souhaite qu'une réflexion plus approfondie ait lieu avec les collectivités territoriales. Dans les territoires abritant une implantation militaire, l'armée a parfois la tentation de traiter ce sujet en son sein, en oubliant, éventuellement, que le centre communal d'action sociale, les travailleurs sociaux du conseil départemental, les propositions existantes en matière culturelle et sportive, les bailleurs sociaux du département peuvent offrir des solutions. Je vais lancer sans tarder une concertation avec les associations d'élus afin que, dans les grands territoires militaires, qui ont toujours la chance d'avoir une emprise militaire, des partenariats plus étroits soient conclus sur la base du volontariat mais que les élus qui souhaitent montrer leur attachement à nos armées développent aussi des politiques d'attractivité en faveur des femmes et des hommes qui servent dans les armées. Les tuyaux ne se sont pas suffisamment croisés jusqu'à présent. Nous verrons s'il faut passer par des labellisations, des contractualisations, etc. Je serai heureux de recueillir les propositions des parlementaires à ce sujet. Le retour du terrain nous permettra de réussir la deuxième édition du plan « famille ».

Nous devons aussi aller plus loin dans la rénovation immobilière et l'entretien des bâtiments des forces armées. Bien souvent, on construit un grand bâtiment plus vite et plus facilement que l'on ne répare une douche dans un casernement. J'ai connu cela au sein de la gendarmerie. Cet état de fait pollue l'atmosphère et le moral des troupes au quotidien. Le ministère de l'intérieur a mené l'opération « poignées de porte » dans les commissariats de police et les brigades de gendarmerie. Elle a bien fonctionné, d'après ce que j'ai constaté dans l'Eure. Je souhaite que nous menions une réflexion symétrique pour les forces armées. Ce ne sont pas des travaux spectaculaires, mais ils redonnent rapidement de la confiance.

Dans le domaine des ressources humaines, il faut également renforcer la fidélisation. Le ministère des armées recrute beaucoup, mais il doit aussi former et garder les compétences, civiles comme militaires. Je serai heureux que le Parlement contribue à cette réflexion. La rémunération joue un rôle clé en la matière, comme le plan « famille », mais d'autres instruments peuvent être sollicités.

Enfin, un tout dernier point pour nos blessés. à manière dont un pays traite ses blessés dit quelque chose de la considération qu'une nation a pour ses forces armées. Il suffit de regarder ce qui se passe aux portes de l'Europe. Beaucoup a été fait dans notre pays ces dernières années, souvent au sein de l'armée de terre, mais aussi, plus largement, au sein de chaque arme. Cela mènera sans doute à faire des propositions en ce domaine dans le cadre de la discussion du budget des anciens combattants et de la mémoire. Il conviendrait de dégager des moyens nouveaux, notamment en faveur des maisons dédiées aux blessés, pour lesquelles le retour d'expérience qui est important et sur lequel je veux qu'on puisse aller plus loin.

Le service de santé des armées (SSA) est essentiel, comme j'ai pu le constater lorsque j'étais ministre des outre-mer. Une partie du système sanitaire en outre-mer aurait été beaucoup plus en souffrance qu'il ne l'a été si le SSA n'était pas intervenu. Il y a, en la matière, un avant et un après covid. Plus généralement, on le sait, il n'y a pas de condition opérationnelle sans services de soutien – cela s'applique aussi à la direction interarmées des réseaux d'infrastructure et des systèmes d'information (DIRISI) et à d'autres grandes directions. Le SSA joue toutefois un rôle particulier, et je formulerai un certain nombre de propositions le concernant.

Je n'ai pas évoqué le service national universel (SNU) car je sais que vous souhaitez auditionner Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel, qui a une double tutelle : celle du ministre de l'éducation nationale et celle de votre serviteur. Je répondrai, le cas échéant, à vos questions.

Il en va de même de la mémoire et des anciens combattants, questions essentielles dont est chargée Patricia Mirallès. Sans racines, sans identité, sans histoire, on ne peut pas donner de sens aux combats que nous menons. Il n'y a pas d'anciens combattants, il n'y a que des combattants : ceux d'hier, ceux d'aujourd'hui et ceux de demain. C'est une seule et même famille.

Je laisserai les deux secrétaires d'État placées sous ma tutelle – qui ont fait preuve, dans leurs fonctions de députée, d'un engagement remarquable – développer ces points particuliers devant vous.

J'aurais aussi beaucoup à dire sur les opérations extérieures (OPEX) et les moyens de reconnaissance.

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