Intervention de Sébastien Lecornu

Réunion du jeudi 7 juillet 2022 à 10h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Sébastien Lecornu, ministre :

De quelles munitions parle-t-on au juste ? De munitions individuelles, de munitions d'artillerie, de munitions nucléaires ? Ce sont, sur des sujets redoutablement techniques, des raccourcis pénibles. Ils ne visent qu'à inquiéter, à tort. La question ne se pose pas dans ces termes.

Venons-en justement aux discussions stratégiques et à la place de la dissuasion. Pardonnez-moi d'enfoncer une porte ouverte, mais une puissance dotée ne connaît pas les mêmes enjeux conventionnels qu'une puissance non dotée. Le modèle de notre armée – une armée complète – exige une réflexion globale, à 360 degrés. Et notre sujet, c'est quand on a des menaces hybrides. Notre sujet, c'est quand on doit aider un allié en plus

Vous avez acté le fait, Monsieur Jacobelli, que nous tenions parole, « ni plus, ni moins », sur la trajectoire budgétaire. Il est logique que l'exécutif respecte le cadre que le Parlement a fixé. Cependant, la difficulté ne consiste pas à tenir parole, mais à le faire par tous temps. La Roumanie n'était pas prévue. On tient quand même. L'inflation à ce stade n'était pas prévue.

Précisément, les questions liées à l'inflation seront traitées lors du PLF, car nous raisonnons en effort militaire réel – j'y reviendrai lors d'une audition consacrée aux questions budgétaires. Tenons-nous en pour l'instant à deux affirmations : oui, il faut continuer à faire des efforts ; oui, il faut continuer d'augmenter le budget des armées. Vous voterez ensuite, en tant que parlementaires, les équilibres budgétaires globaux pour la nation tout entière. N'oublions pas que la souveraineté de la France tient aussi aux équilibres budgétaires.

Je ne peux vous en vouloir, Monsieur Lachaud, de vous être laissé aller à faire un peu de politique… mais comme M. Roussel nous y a invités, je vais évidemment essayer de me contenir dans les réponses. Vous avez parlé de « fait du prince ». Le Président de la République est, sous la Ve République, le chef des armées. Malgré mon jeune âge, j'ai un côté vieux gaulliste : qu'un président de la République, élu au suffrage universel direct, puisse engager les forces armées, la planification et la dissuasion nucléaire est à mes yeux une force. Vous n'êtes pas un militant de la Ve République telle qu'elle fonctionne aujourd'hui ; c'est votre opinion et je la respecte. Vous avez plus que jamais le droit, en démocrate et en parlementaire de la nation, de proposer un autre système constitutionnel. Mais vous ne pouvez pas reprocher au Président de la République d'appliquer la Constitution en vigueur.

Là où je vous rejoins, et j'espère vous avoir donné des gages sur ce point, c'est que nous devons rendre compte devant les parlementaires des sujets de défense, que ceux-ci ne sauraient être traités sans le Parlement. Plutôt que d'arriver dans des caricatures pendant des campagnes électorales présidentielles, il est bon que nous puissions, le temps d'une législature, déplier les différentes questions et confronter nos arguments. Si nous avons un débat sur l'OTAN ou la dissuasion, nous ne serons sans doute pas d'accord, mais il importe que les Français comprennent nos positions. Je suis d'ailleurs déçu de constater à quel point ces sujets n'ont pas été abordés lors des campagnes législatives. La guerre en Ukraine leur a donné un peu de visibilité, lors de la campagne présidentielle, mais la défense a été absente des débats au mois de juin, sauf dans les circonscriptions qui accueillent des unités militaires.

Je suis partant pour que nous ayons ces débats. Je serais heureux, par exemple, que vous m'expliquiez comment arrêter la dissuasion pour imaginer quelque chose dans l'espace – si j'ai bien lu votre programme. Cela m'intéresse parce que je ne comprends pas bien. Je le dis sans malice car je suis convaincu, comme M. Roussel, qu'il ne faut pas surpolitiser nos échanges… les soldats qui prennent connaissance des travaux de la commission sont attentifs à la tonalité que nous donnons à nos discussions.

Vous m'avez interrogé sur les discriminations. Elles sont inacceptables et doivent être punies, aussi bien sur le terrain de la discipline que sur le terrain judiciaire, car elles constituent des infractions pénales. Ce n'est pas parce qu'on porte des étoiles ou des barrettes qu'on doit discriminer ceux qu'on commande ; au contraire, quand on est dans la hiérarchie, on doit protéger ceux qui servent de toute menace ou discrimination. Il nous faut être exemplaires.

S'agissant de l'égalité entre les hommes et les femmes, il y a un avant et un après Florence Parly. Je pense à la labellisation « Égalité » ou au plan de formation à l'égalité et à la diversité, mis en œuvre en 2020 et 2021, qui produisent déjà leurs effets. Il n'est pas question de les remettre en cause ; si vous considérez que les moyens qui y sont consacrés ne sont pas suffisants, je serai heureux de lire vos propositions et amendements.

Pareil sur les discriminations, quelles qu'elles soient : religieuses, sexuelles, qui doivent être combattues. Les armées doivent ressembler à la République. Ce sont les armées de la République ; les valeurs de la République doivent y circuler. La parole se libère parfois difficilement, et le combat contre les discriminations tient parfois moins aux dispositifs qu'à la capacité à s'emparer des situations individuelles. Si, comme parlementaires, vous vous trouvez saisis par des soldats, des civils de la défense ou des réservistes, je vous invite à me signaler directement leur cas. L'égalité des droits, c'est l'affaire des républicains. Les valeurs de la République doivent être réaffirmées dans les armées, y compris lorsque des conservatismes curieux s'y expriment. Quant aux phrases du passé, j'aurais beaucoup à dire sur l'interview que j'avais donnée lorsque j'étais jeune candidat, mais cela ne concerne pas la commission de la défense. Je serais heureux de vous l'expliquer dans un autre cadre.

Je reviens aux moyens. Pendant la campagne présidentielle, les sénateurs se sont émus de certains gels de crédits. Il s'agit de jeux de gestion, qui nous ont permis de financer d'autres opérations urgentes. Vous retrouverez, dans le PLFR qui sera présenté cet après-midi en conseil des ministres, les fameux 346 millions d'euros – 300 millions pour la mission Défense, 46 millions pour la mission Anciens combattants.

Qui pilote l'effort de résilience sur la BITD ? Politiquement, je prends le lead ; techniquement, il revient à l'état-major des armées de formuler les besoins, tandis que la DGA est compétente pour interagir avec les différents industriels. Il y aura ensuite un travail important à effectuer avec le SGDSN et Bercy. Certaines questions, qui tiennent à la visibilité, à la prévisibilité, aux choix stratégiques sont propres aux armées ; d'autres, comme les difficultés de recrutement, sont plus générales. Je me suis entretenu avec les responsables d'une entreprise à Valenciennes ce week-end : les problèmes qu'ils rencontrent ne sont pas proprement militaires mais concernent davantage la formation ou l'organisation de Pôle emploi et des missions locales. Nous ne découvrons pas aujourd'hui les difficultés qui touchent, dans ce pays, notre capacité à produire !

Madame Poueyto, vous m'avez interrogé sur l'OTAN. Je rappelle que les parlements des États membres sont représentés au sein de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Je le répète devant le président de cette commission, je suis favorable à l'organisation d'un débat, plus approfondi, dans cette enceinte, car je pense que beaucoup de choses mériteraient d'être bien bornées. La célèbre formule « amis, alliés, mais pas alignés » résume bien l'équilibre recherché. Certains d'entre vous souhaitent que la France sorte du commandement intégré, d'autres voulaient qu'elle quitte l'Alliance – mais l'invasion de l'Ukraine par la Russie les a peut-être conduits à réviser leur programme électoral. Je serais heureux de débattre de ce sujet.

Les perspectives françaises à l'OTAN sont nombreuses. Fruit de l'histoire, des généraux français tiennent des positions importantes. Je veux saluer le travail remarquable qu'accomplit le général d'armée aérienne Philippe Lavigne au poste de commandant suprême allié pour la transformation, notamment sur les efforts de prospective, la numérisation et l'interopérabilité. Par ailleurs, la France étant une force dotée, sa voix est écoutée, même si elle ne fait pas partie des organismes de planification nucléaires.

Madame Pic, le visage que doit prendre la présence française à l'étranger est une question clé, qui ne concerne pas seulement le ministère des armées. Deux modèles existent. Plutôt que d'installer, à l'américaine, des bases fermées, tournées vers elles-mêmes, nous préférons des bases ouvertes sur leur environnement, qui permettent, sans se substituer aux autorités locales, de s'intéresser à ce qui se passe en matière de culture, d'éducation, de sport ou d'accès à l'eau potable.

Cela est d'autant plus important que la France subit, vous l'avez rappelé, des attaques scandaleuses de désinformation, notamment de la part de Wagner, en Afrique, et ailleurs. Je dois dire, à cet égard, que la mise en scène macabre épouvantable sur la base de Gossi n'a pas suscité suffisamment de réactions de la part de la classe politique française. J'estime que les républicains que nous sommes ne se sont pas montrés assez solidaires face à cette attaque hybride. Le chef d'état-major des armées et le directeur général de la sécurité extérieure, que vous auditionnerez prochainement, vous parleront avec plus de technicité et de détails de cette menace terrible, qui pèse davantage sur les démocraties que sur les autres formes de régimes. Mais nous sommes aussi très attachés à la liberté d'expression.

Monsieur Larsonneur, le Président de la République s'est exprimé sur la taxonomie depuis Eurosatory. Nous poursuivons nos efforts avec le commissaire Thierry Breton et l'ensemble de la Commission européenne, mais disons-le simplement : il est inutile de nous compliquer la tâche au moment où nous devons faire face.

La compensation des matériels mis à disposition des armées ukrainiennes fait partie des éléments du retex. Nous ferons des propositions dans le cadre du PLF pour 2023. La capacité à reproduire, rapidement, de nouveaux matériels relève de la résilience. Il convient, à cet égard, de se demander si cela ne doit pas être l'occasion d'effectuer un saut technologique.

Monsieur Roussel, cela fait cinq ans que nous nous parlons franchement ; nous allons continuer. Je vous ai répondu sur la nouvelle posture stratégique dans l'Indo-Pacifique. On parle de puissance d'équilibre, accordons-nous sur le mot « équilibre. On ne peut pas être naïf sur les défis que la Chine porte à l'ensemble du monde et à tous les pays riverains, et en même temps alliés mais non alignés. Donc il faut trouver ce cadre-là, et c'est un travail exigeant. La revalorisation du point d'indice prendra effet dans les armées, comme dans toutes les fonctions publiques, dès le 1er juillet. Il y aura peut-être un décalage avec la nouvelle politique de rémunération des militaires, mais la mise en œuvre de la NPRM, initialement prévue au 1er janvier 2023, pourrait être avancée au 1er septembre. Je tiendrai le Parlement informé de l'évolution des concertations que je mène actuellement en interne, avec les partenaires du CSFM.

1 commentaire :

Le 11/10/2022 à 14:17, Aristide a dit :

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"Pareil sur les discriminations, quelles qu'elles soient : religieuses, sexuelles, qui doivent être combattues. "

Vous militez pour l'abrogation de la loi de discrimination religieuse et raciale qui interdit le foulard dans les écoles ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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