Intervention de Bérangère Couillard

Réunion du mercredi 27 juillet 2022 à 16h50
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie :

Je suis d'autant plus ravie de m'exprimer devant votre commission que j'y ai travaillé pendant les cinq dernières années, aux côtés de plusieurs d'entre vous.

Comme vous, monsieur le président, je salue l'engagement et l'héroïsme de nos sapeurs-pompiers et de nos forces de sécurité civile, qui luttent contre les flammes – en Gironde, bien sûr, où deux incendies d'une rare ampleur nous ont tous marqués, mais aussi en Bretagne dans les monts d'Arrée, dans les Bouches-du-Rhône à la Montagnette, dans l'Hérault à Gignac, dans le Vaucluse et ailleurs. Je salue également l'engagement de l'ensemble des services de l'État, notamment préfectoraux, qui ont coordonné l'action des forces d'intervention. J'ai une pensée particulière pour Mme Fabienne Buccio, préfète de la Gironde et de la région Nouvelle-Aquitaine, et pour ses équipes, qui ont fait preuve d'un sang-froid et d'un professionnalisme exceptionnels.

Les gendarmes, les policiers, les agents de l'Office national des forêts (ONF) et ceux de l'Office français de la biodiversité (OFB) se sont eux aussi mobilisés pour combattre ces incendies. Permettez-moi également de rendre hommage aux riverains et aux entreprises, qui ont spontanément apporté leur soutien à ceux qui luttaient jour et nuit contre le feu, en accueillant des sinistrés, en aidant à nourrir les animaux ou en mettant à disposition du matériel pour la logistique ou l'évacuation des arbres. La solidarité dont ils ont fait preuve a été précieuse pour accompagner l'action de nos pompiers et de nos forces de l'ordre.

Évidemment, je n'oublie pas les élus locaux, engagés auprès des habitants et des vacanciers. Ils devront être associés à la restauration de notre forêt et à sa préservation future. Les parlementaires ont également été très présents, plus particulièrement celles et ceux qui ont dû faire face à des incendies dans leur territoire, à l'image de Mme Sophie Panonacle, en Gironde.

Nous pouvons établir plusieurs constats. Le premier est que le changement climatique et la sécheresse sont des facteurs aggravants, en partie responsables de la catastrophe que nous vivons cette année. Depuis le mois de janvier, nous déplorons 5 800 feux, qui ont brûlé 38 700 hectares. C'est déjà trois fois plus que la moyenne des années précédentes. La suite de l'été pourrait s'annoncer très difficile, en raison des conditions météorologiques, qui combinent températures extrêmement élevées et sécheresse importante.

Les deux incendies de Gironde illustrent cette situation. Celui de Landiras a détruit à lui seul plus de 20 000 hectares, soit une surface équivalente à celle qui brûle en France chaque année. À La Teste-de-Buch, 6 000 hectares se sont consumés. De plus, c'est désormais l'ensemble du territoire français qui est concerné, et non plus seulement les régions du sud, comme le montrent les feux dans les monts d'Arrée, qui ont traumatisé toute la Bretagne. Il est donc nécessaire d'étendre à l'ensemble du pays les politiques de prévention, qui concernent principalement à ce stade les régions les plus touchées.

Cette année marque une rupture brutale dans l'amélioration continue que nous connaissons sur le front des incendies. Depuis les années 1980, la surface moyenne brûlée chaque année en France a été divisée par quatre, pour descendre à 13 000 hectares au cours de la dernière décennie. J'y vois le résultat de la politique de prévention menée depuis plusieurs années.

Il faut le rappeler en permanence, les feux de forêt n'ont rien d'une fatalité : neuf sur dix sont d'origine humaine, qu'ils résultent d'une imprudence ou d'un acte de malveillance. Nous pouvons donc les éviter. Les imprudences qui aboutissent à ces catastrophes sont connues : jets de mégots, barbecues mal maîtrisés ou étincelles émises par le bricolage. Les feux peuvent aussi partir lorsque les moissons sont faites dans des champs très secs ; ils mettent alors en danger, en premier lieu, les agriculteurs.

En adoptant les bons gestes et les bons réflexes, nous pouvons agir et nous protéger collectivement, pour éviter que nos pompiers prennent des risques inutiles et pour préserver notre patrimoine naturel.

Ces incendies nous enseignent qu'il est de la responsabilité de chacun de protéger nos forêts. Leur préservation dans certains territoires implique que des mesures courageuses soient prises, loin des postures politiques. En Gironde, de nombreux aménagements, qui étaient attendus, sont désormais indispensables.

Comme souvent lorsqu'il s'agit de transition écologique et de sauvegarde de la nature, la protection de la forêt impose que l'on change nos usages et nos habitudes. Nous devons faire de la préservation de ce bien commun une priorité.

La première partie de mon propos concernera les enjeux de prévention des incendies. J'aborderai ensuite la question de « l'après » et de la restauration des forêts. Dans ces domaines, des solutions devront être trouvées, que ce soit une meilleure sensibilisation du public, une simplification du droit ou encore un contrôle plus strict des obligations de débroussaillement.

Lors de son déplacement en Gironde, le Président de la République a annoncé le renforcement des moyens de lutte, notamment aériens ; le lancement d'un grand chantier de reboisement des forêts sinistrées ; l'ouverture d'une réflexion de fond pour améliorer la prévention contre le risque d'incendie, qui s'aggrave avec le changement climatique ; une modification des règles de la forêt usagère, pour la protéger contre ce risque.

La politique de prévention est multi-acteurs et intergouvernementale. Le ministère de la transition écologique et celui de l'agriculture en sont les principaux artisans, avec leurs services déconcentrés, partenaires clés sur le terrain et au quotidien. L'objectif de cette politique est de limiter le nombre et l'ampleur des feux et de réduire la vulnérabilité de nos territoires et de nos villes. Pour cela, nous disposons d'un ensemble d'outils : l'aménagement de nos villes et de nos forêts, qui s'inscrit dans le temps long ; la préparation de la saison des feux, qui impose chaque année le renouvellement de mesures préventives indispensables ; les actions à mener pendant la saison, qui tiennent essentiellement de la sensibilisation et de la surveillance des départs de feux.

Pour ce qui est du temps long, la politique de prévention s'appuie en premier lieu sur les plans de prévention des risques d'incendie de forêt (PPRIF), dans les territoires où ce risque est le plus fort. Élaborés par les préfets, les PPRIF ont pour objectif d'empêcher un accroissement de la vulnérabilité de ces zones sensibles. Ils peuvent se révéler très précieux : ils permettent de réguler les constructions, en donnant des règles claires pour la délivrance des permis de construire, notamment par des prescriptions adaptées. On compte aujourd'hui 200 PPRIF, principalement dans le sud du pays. D'ici à 2050, le risque de feu de forêt s'étendra progressivement à la quasi-totalité de l'Hexagone. Tout le territoire devra donc, à terme, être couvert par ces plans, et les moyens devront tenir compte de cette évolution. Il en va de la protection de nos concitoyens.

La politique de défense des forêts contre l'incendie (DFCI), menée sous l'égide du ministère de l'agriculture, est le deuxième outil. Sa finalité est de limiter la propagation des feux en créant des couloirs sans combustible. Elle vise également à créer des conditions propices à une intervention rapide et efficace des pompiers, en ménageant des voies d'accès jusqu'au cœur des massifs forestiers et en y implantant des réserves d'eau. Globalement, il s'agit d'aménager la forêt de manière préventive, afin que l'ensemble des outils de lutte contre l'incendie soient disponibles, dans de bonnes conditions. Ces infrastructures permettent de limiter l'ampleur des incendies et sont essentielles pour éviter la mise en danger des sapeurs-pompiers et des forces de sécurité civile.

Parallèlement à ce travail de long terme, il est nécessaire de préparer nos forêts à l'approche de la saison des feux. L'un des principaux enjeux est le débroussaillement. Or l'obligation légale fixée en la matière dans trente-deux départements du sud de la France n'est pas suffisamment respectée ; de nombreux propriétaires de parcelles forestières ou de terrains situés à proximité immédiate des forêts ne l'accomplissent pas.

Le débroussaillement est pourtant un moyen efficace de lutte contre les incendies, parce qu'il rompt les continuités de la végétation qui risque de brûler et permet d'éviter que des habitations ne s'embrasent. Un seul chiffre illustre son importance : un feu sur deux naît à la limite entre les massifs boisés et la ville, autrement dit près d'infrastructures de transport ou de maisons. Tous les acteurs sont donc concernés : entreprises, exploitants, gestionnaires de transport, particuliers.

L'inaction tient parfois à un manque de volonté, mais, plus souvent, à un défaut d'information. Ainsi, les nouveaux propriétaires ou locataires ne sont pas toujours informés, lors de la signature d'un acte de vente ou d'un bail, des obligations légales de débroussaillement qui s'appliquent non seulement à leur parcelle, mais aussi aux cinquante mètres qui l'entourent.

Nous allons évaluer ce qu'il est possible de faire. Je souhaite lancer une réflexion sur l'opportunité de créer un dispositif d'information sur les obligations de débroussaillement associées à un bien, par l'intermédiaire notamment des notaires ou des agences immobilières.

Nous devons aussi chercher à lever des verrous techniques ou juridiques, afin de nous doter de meilleurs outils de contrôle des obligations légales, en particulier de systèmes automatisés d'imagerie. L'objectif est d'acquérir des moyens de détection plus massifs et systématiques. Le recours aux drones permettrait, par exemple, de détecter les puits de chaleur, ce qui est très utile pour les pompiers. Une étude de faisabilité est en cours à ce sujet, et nous avons des échanges avec la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Nous espérons aboutir d'ici à quelques mois.

Je serai attentive à la réflexion engagée avec la représentation nationale et les élus du territoire pour améliorer la mise en œuvre et le contrôle des obligations légales de débroussaillement, sachant que le Sénat a lancé une mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre le risque d'incendie. Il convient notamment de s'interroger sur les rôles respectifs de l'État, des collectivités et des propriétaires.

Pendant la saison des feux, mon ministère et celui de l'agriculture se concentrent sur la sensibilisation et sur la surveillance de la forêt. Je l'ai dit, c'est grâce à des gestes simples que l'on peut éviter la majorité des départs de feu. Malheureusement, ces gestes sont soit méconnus, soit insuffisamment pris en compte. Chaque année, mon ministère organise une campagne nationale pour les rappeler. La dernière date de juin 2022. Résidents, touristes, jeunes et moins jeunes, nous sommes tous concernés, où que nous vivions dans l'Hexagone. Avec le réchauffement climatique et l'extension des périodes de canicule, le Sud n'est plus la seule région vulnérable.

Le budget de sensibilisation pour cette année sera augmenté de 300 000 euros, pour atteindre 1,3 million. En outre, afin que chacun se sente acteur de sa propre sécurité et de celle de tous, le Gouvernement a décidé de faire du 13 octobre la journée nationale de la résilience. Elle sera consacrée à des exercices pratiques et se focalisera sur les comportements qui peuvent sauver des vies. Elle aura également pour objectif d'inculquer une culture du risque, dès le plus jeune âge. Les contours de cette journée seront précisés prochainement par le ministère de l'intérieur et celui de la transition écologique.

En matière de surveillance, l'enjeu est de détecter les départs d'incendie le plus tôt possible, avant que le feu ne se propage et ne prenne une force qui le rende difficilement maîtrisable. Les pompiers et les forestiers, notamment ceux de l'ONF, sillonnent les massifs boisés, sensibilisent la population et repèrent les départs de feu pour les éteindre au plus vite.

Afin d'informer les autorités publiques, Météo-France établit chaque jour un « indice forêt météo » (IFM), qui décrit l'état du risque d'incendie en fonction des conditions météorologiques. Les préfets peuvent interdire l'accès à certaines zones lorsque le risque est trop élevé. Tel a été le cas, jusqu'au 25 juillet dernier, de la forêt de Canéjan – située dans ma circonscription.

Au-delà des actions de prévention, l'enjeu est de poser le cadre de ce que nous pouvons faire pour restaurer les forêts détruites. Avant même de parler de reboisement, la première urgence, une fois les incendies totalement maîtrisés, est d'exploiter sans tarder les arbres brûlés ou fragilisés pour éviter une catastrophe sanitaire. En effet, après un incendie dans une forêt de pins maritimes, les scolytes profitent des arbres affaiblis pour se répandre dans les forêts limitrophes épargnées par le feu. Des opérations de coupes sanitaires doivent alors être réalisées partout où elles sont nécessaires, y compris dans la forêt usagère. Les préfets concernés peuvent délivrer localement, dans de brefs délais, les autorisations relatives aux sites classés.

Le réchauffement climatique a un effet délétère sur toutes les forêts. Le manque d'eau provoque un affaissement et un dépérissement de nombreuses espèces d'arbres. Les actions de reboisement doivent désormais, systématiquement, intégrer cet enjeu. C'est un des constats établis lors des assises de la forêt et du bois, clôturées en mars dernier. La diversification des essences, le recours à celles qui proviennent de zones plus méridionales et la biodiversité sont des leviers déterminants. Ils permettent de renforcer la résistance des peuplements forestiers face au réchauffement climatique et à l'émergence de nouvelles maladies.

En Gironde, où les terrains sont sableux ou marécageux, le pin maritime est l'essence la plus adaptée. Il s'agit en outre d'un patrimoine paysager et économique, indispensable à une filière bois très importante pour la transition vers la neutralité carbone. Il n'en demeure pas moins que cette homogénéité à grande échelle est un facteur de grande fragilité. Les projets de reboisement à dominante de pins maritimes devront donc jouer la carte de la diversité : recours à différentes techniques de plantation, accompagnement de la régénération naturelle, diversification des essences quand ce sera possible.

Les forêts disposent parfois d'aptitudes à se régénérer naturellement après le passage du feu. On ne peut pas exclure cette hypothèse en Gironde. Nous devrons veiller à préserver les sols et la végétation sur les berges, ainsi que nos belles lagunes. Le massif de La Teste-de-Buch, une forêt ancienne, dispose d'un potentiel naturel de diversification sur lequel les forestiers pourront s'appuyer pour accompagner la nature. Le projet de reboisement de ce massif littoral en site classé se doit d'être exemplaire.

Le grand site de la dune du Pilat est indissociable de la forêt usagère. Le projet de restauration devra s'inscrire dans une démarche d'ensemble, intégrant les enjeux paysagers, écologiques et touristiques, sans oublier la question de l'érosion du trait de côte. L'État, aux côtés des collectivités locales, mobilisera ses dispositifs d'accompagnement en faveur de la restauration de la biodiversité et l'expertise de ses opérateurs – l'OFB, le Conservatoire du littoral, l'ONF et le Centre national de la propriété forestière (CNPF). Il accompagnera également les propriétaires forestiers pour les aider à reboiser. Nous sommes en train de définir les dispositifs d'aide avec le ministère de l'agriculture. Le Gouvernement a confirmé l'octroi de financements pérennes pour soutenir le renouvellement et l'adaptation des forêts au changement climatique, notamment 200 millions d'euros déjà inscrits dans les moyens du plan France 2030.

Je connais l'engagement des sylviculteurs, girondins notamment, qui ont toujours su restaurer les forêts après des calamités : les grands incendies de 1949, qui ont touché ma circonscription, à Cestas et à Canéjan ; les feux de 1989, à Lacanau et au Porge ; la tempête Klaus de 2009, qui a détruit 200 000 hectares de forêt, au cœur des Landes de Gascogne. Je sais pouvoir compter sur eux pour relever ce nouveau défi. Comme l'a indiqué le Président de la République, l'État sera aux côtés des sylviculteurs et des communes forestières.

J'ai entendu ces derniers jours quelques amalgames et raccourcis. On ne peut pas opposer la sylviculture et la diversité des essences forestières. L'exemple girondin est à cet égard édifiant : nous avons, d'un côté, une forêt cultivée monospécifique et, de l'autre, une forêt mélangée en libre évolution ; or l'une et l'autre ont brûlé avec la même intensité. Tous les modèles ont leurs avantages et leurs inconvénients. Ce qui importe, c'est d'éviter une trop grande homogénéité des paysages forestiers sur de vastes étendues, qui favorise la propagation des grands feux et l'exposition aux ravageurs.

Il ne faut pas non plus opposer la DFCI et la biodiversité, même dans les aires protégées, qui doivent elles aussi être défendues contre les incendies – j'y serai très attentive. À titre d'exemple, le parc national des Calanques et celui de Port-Cros ont fait de la DFCI un de leurs axes stratégiques. Celle-ci contribue à la protection de la biodiversité en réduisant les risques de destruction des écosystèmes naturels. Il existe des méthodes de débroussaillement raisonnées, compatibles avec les enjeux des espaces sous protection forte.

Les grands incendies que nous déplorons dans plusieurs régions françaises sont l'un des graves symptômes du réchauffement climatique. Ils nous incitent à accélérer la transition écologique et énergétique. Ils nous obligent à repenser, à renforcer et à adapter nos politiques de prévention et de lutte contre les feux de forêt et de végétation. Les conclusions de la mission d'expertise interministérielle relative à la prévention et au débroussaillement ainsi que les retours d'expérience des territoires alimenteront nos prochaines décisions.

Mesdames et messieurs les membres de la commission, il est indispensable que les questions que nous évoquons aujourd'hui fassent l'objet d'un suivi. Je ne manquerai pas d'échanger avec vous à propos des différentes solutions qui pourront être apportées dans les prochains mois.

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