Intervention de Emmanuelle Wargon

Réunion du mercredi 3 août 2022 à 11h00
Commission des affaires économiques

Emmanuelle Wargon :

Je suis très honorée de me présenter devant votre commission pour proposer ma candidature à la présidence du collège de la CRE.

J'ai eu l'occasion de travailler avec certains d'entre vous lors de mes précédentes fonctions mais je tiens à préciser, tout d'abord, que ma carrière est essentiellement administrative. Je suis conseillère maître à la Cour des comptes, j'ai exercé pendant vingt ans dans le service public au sein d'administrations centrales et d'établissements publics. J'ai dirigé des administrations en tant que secrétaire générale des ministères sociaux et déléguée générale à l'emploi et à la formation professionnelle – administration dont la taille est assez comparable à celle de la CRE. J'ai eu également deux expériences dans des institutions indépendantes de l'exécutif : la Cour des comptes, qui m'a formée, et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), où j'ai travaillé pendant quatre ans.

Pendant mes fonctions ministérielles, qui ont duré un peu moins de quatre ans, j'ai été successivement secrétaire d'État à l'écologie et ministre du logement, ce qui m'a donné très souvent l'occasion de travailler sur des dossiers énergétiques. Au fond, l'énergie a été très largement au cœur de mon action ministérielle, de cette page qui s'est ouverte en 2018 et qui se referme aujourd'hui. C'est ce qui m'a donné le goût, l'intérêt et même la passion des sujets énergétiques.

En tant que secrétaire d'État, j'ai piloté des groupes de travail sur la levée des freins au développement des énergies renouvelables, en l'occurrence, des freins plutôt réglementaires, notamment concernant la chaleur renouvelable et les réseaux de chaleur mais, aussi, l'éolien, la méthanisation et le solaire. J'ai également accompagné une centaine de territoires dans des contrats de transition écologique afin de concilier développement économique et écologique dans des dossiers « énergies ».

En tant que ministre, j'ai placé l'énergie au cœur de mon action tant l'efficacité énergétique et la rénovation des bâtiments constituent des enjeux importants : pour les particuliers, lancement de MaPrimRénov', soutien à la rénovation des bâtiments publics – État et collectivités locales – dans le plan France Relance.

À mes yeux, nous avons à disputer trois grands enjeux énergétiques.

Tout d'abord, la souveraineté énergétique et la sécurité des approvisionnements. Ces enjeux sont vitaux. Ils l'étaient déjà avant la crise de l'énergie et la guerre en Ukraine, mais nous le mesurons encore mieux aujourd'hui, en voyant tout le système énergétique travailler sur les moyens les plus adaptés pour passer les hivers 2022, 2023 et les suivants.

Ensuite, la protection des consommateurs et la compétitivité de nos entreprises. L'énergie à prix bas a longtemps été un atout national pour le consommateur, les entreprises et les collectivités locales. Nous savons ce que seraient les conséquences potentielles de la tension qui s'exerce aujourd'hui sur les prix de l'énergie pour nos grands industriels électro-intensifs mais aussi, plus largement, pour toutes les entreprises, de même que nous connaissons la part importante susceptible d'être prise par l'énergie dans l'inflation, donc sur le pouvoir d'achat des ménages. Ce sont d'ailleurs les mécanismes de régulation actuels – l'ARENH, les tarifs réglementés de vente, les mécanismes exceptionnels tel que le bouclier tarifaire – qui ont permis de limiter l'inflation dans notre pays.

Enfin, la transition écologique. Nous sommes confrontés à un double mouvement : pour atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre à l'horizon de 2050, nous devons baisser notre consommation d'énergie, globalement, de 40 % ; nous devons aussi modifier la part de nos énergies dans notre mix en favorisant le développement de l'électrification. Alors que la consommation d'électricité s'élève à 450 térawattheures, nous l'évaluons entre 600 et 700, voire plus à l'horizon de 2050. Ce sera d'autant plus le cas que notre stratégie de réindustrialisation, elle-même essentielle pour notre souveraineté, aura progressé.

Face à ces trois enjeux, nous disposons de trois leviers.

Tout d'abord, l'efficacité énergétique et la sobriété. La première vise à maintenir le même niveau d'utilisation en consommant moins ; la seconde concerne l'évolution de nos modes de vie, la possibilité de moins ou mieux utiliser l'énergie.

Ensuite, le développement des énergies renouvelables. Nous sommes un peu en retard sur les objectifs communautaires mais nous suivons une trajectoire indispensable à notre souveraineté, à notre sécurité d'approvisionnement, à la protection des consommateurs et à la transition écologique en matière d'éolien – en mer et terrestre –, de solaire, de méthanisation, de réseaux de chaleur.

Enfin, le nucléaire. Je suis favorable au maintien de nos réacteurs en allongeant leur durée d'activité, dans le respect de la sûreté nucléaire, et à l'investissement dans le nouveau nucléaire tant notre mix énergétique nécessite une part significative de ce secteur.

Secrétaire d'État, j'ai accompagné les territoires confrontés à la fermeture des centrales à charbon et le territoire de Fessenheim lors de la fermeture de la centrale nucléaire. Au début de 2019, alors que la décision de fermeture avait été prise plusieurs années auparavant, en accord avec l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et EDF, les opérations de maintenance lourde et de visite décennale n'avaient pas été engagées et la centrale ne pouvait plus continuer à fonctionner. J'ai donc accompagné techniquement et économiquement EDF, de même que le projet de territoire de Fessenheim avec le technocentre, le développement des énergies renouvelables et de projets industriels.

Nous considérions alors que notre consommation d'électricité serait stable, voire, en légère baisse. Aujourd'hui, nous savons que ce sera l'inverse et c'est pourquoi je suis convaincue de la nécessité de prolonger nos réacteurs et de lancer le programme de nouveau nucléaire.

Ces enjeux concernent l'ensemble du territoire mais ils sont particulièrement importants pour les zones non interconnectées : la Corse, nos outre-mer et quelques territoires insulaires. Le coût de l'énergie, en effet, y est plus élevé et les contraintes y sont plus grandes. Nous leur devons la solidarité nationale, à quoi je suis très attachée, de même qu'un soutien sans faille. Ce sont d'ailleurs là des missions de la CRE, à divers titres.

Ces enjeux impliquent la définition de politiques énergétiques de la part du législateur. Le rôle de la CRE – qui a été créée en 2000 – est très clair : réguler les marchés de l'électricité et du gaz afin de protéger le consommateur dans le respect des orientations de politique énergétique. C'est donc à partir des lois en vigueur et, surtout, de la loi dont vous débattrez d'ici à juillet 2023 sur la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie, que la CRE définira ses objectifs. Je vous ai fait part de ma vision mais la CRE est un acteur du système énergétique français qui ne définit pas lui-même ces grands objectifs. Il s'agit d'une autorité administrative indépendante et, si ma candidature est retenue, j'ai précisément l'intention d'exercer mes fonctions d'une manière parfaitement indépendante.

Comme je l'ai dit, j'ai l'expérience d'institutions indépendantes.

J'ai ouvert une page plus politique de ma vie en octobre 2018, qui s'est refermée avec la fin de ma participation au Gouvernement et une candidature politique qui n'a pas prospéré aux législatives. J'ai ouvert une autre page au service de mon pays. Je démissionnerai de mon mandat de conseillère régionale d'Île-de-France, de la même façon que je quitterai la présidence du conseil national de Territoires de progrès, afin de me consacrer totalement à la CRE.

D'autres membres de gouvernements ou figures politiques ont exercé des fonctions à la tête d'autorités administratives indépendantes. Ainsi Jean-Pierre Jouyet a-t-il été nommé à la tête de l'Autorité des marchés financiers juste après avoir quitté ses fonctions de secrétaire d'État aux affaires européennes. Je rappellerai également que Jacques Toubon a été Médiateur de la République et Dominique Versini, Défenseure des enfants. Il est tout à fait possible d'exercer, à la suite d'activités politiques, des fonctions d'autorité administratives en toute indépendance. Si ma candidature est retenue, je tirerai profit de ma longue expérience dans l'administration et le service public pour cultiver cette indépendance, en séparant clairement mes fonctions précédentes de mes attributions nouvelles.

Par ailleurs, le président ou la présidente de la CRE n'agit pas seul. Les décisions sont collégiales – je salue la qualité des travaux de ses membres. En outre, l'institution emploie 160 agents, dont le professionnalisme est reconnu. Le législateur a confié, depuis 2020, près de quatre-vingts missions nouvelles à la CRE, signe que la qualité de son travail est appréciée par tous les acteurs. Je voudrais saluer ses trois derniers présidents : Jean Syrota, Philippe de Ladoucette et Jean-François Carenco.

J'en viens aux priorités opérationnelles que je souhaiterais confier à la CRE.

La première concerne les réseaux, dans la régulation desquels la CRE joue un rôle déterminant : elle fixe le prix d'utilisation des réseaux, de distribution ou de transport, d'électricité et de gaz ; elle s'assure de leur égal accès pour tous.

Le premier enjeu, en la matière, est le raccordement des nouvelles énergies renouvelables et, demain, du nouveau nucléaire. Le développement des réseaux de transport et de distribution doit être massif pour que le raccordement se fasse dans de bonnes conditions et au tarif le plus juste pour protéger le consommateur. C'est le sens de la trajectoire 2021-2026 fixée par la sixième révision du tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE 6). Il faudra veiller à la prolonger.

Le deuxième enjeu est la qualité de service partout sur le territoire, en zone très urbaine comme en zone plus rurale. Je veillerai, en particulier, à la qualité du partenariat des acteurs des réseaux de distribution avec les collectivités locales, dans leur rôle à la fois d'autorités d'organisation de la distribution d'énergie et d'autorités concédantes.

Les réseaux ont également un rôle important à jouer dans le développement du stockage et des flexibilités, grâce aux mécanismes d'interruptibilité, d'effacement et de capacité, notamment dans les périodes d'approvisionnement tendu.

La deuxième priorité opérationnelle de la CRE est la régulation des marchés, qui doit permettre, tout en surveillant les prix de gros et de détail pour assurer la protection du consommateur, de conserver la capacité d'atteindre à long terme les objectifs stratégiques en matière d'énergie. À très court terme, la CRE doit renforcer sa surveillance des prix, en particulier en vérifiant que l'ARENH est bien répartie et utilisée au profit du consommateur final, sans que les fournisseurs alternatifs puissent en tirer une rente.

Très vite, la CRE devra être force de proposition et actrice de la réforme de la fixation des prix sur le marché de l'énergie en Europe puisque, en période de crise, le mécanisme ne fonctionne plus. Quant à l'ARENH, censé en atténuer les effets, il a atteint lui-même ses limites en raison de l'état de disponibilité du parc nucléaire et de son montant totalement sous-évalué. De surcroît, l'ARENH n'a pas contribué au développement de capacités de production alternatives, ce qui figurait parmi ses objectifs.

La CRE a commencé à faire des propositions, que je soutiendrai et approfondirai.

La première serait de changer le mécanisme de fixation du prix spot de l'électricité sur les marchés. Le 4 avril dernier, ce prix a atteint en France, pendant deux heures, un niveau de 3 000 euros, avec un effet cliquet pour tout le marché européen, où le prix est désormais de 4 000 euros. Pour éviter cette surenchère, il faut négocier avec le collège des régulateurs et l'instance européenne – l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) – un autre mode de fixation du prix spot. On peut aussi imaginer de fixer un maximum pour le prix du gaz.

Dans cette modification du design de marché, un gros enjeu sera de trouver le moyen de ne pas lier autant le prix spot de gros sur les marchés du gaz et de l'électricité, et le prix payé par le consommateur final – ménages, collectivités, entreprises, grands industriels. Cela implique de faire évoluer l'ARENH, qui arrive à expiration en 2025, probablement vers un mécanisme de tarifs régulés. Cela passe peut-être aussi par un changement de méthode de calcul des tarifs réglementés de vente de l'électricité. Cette méthode dite « par empilement », aboutit, lorsque l'ARENH est écrêté, à répercuter beaucoup plus fortement sur le consommateur le prix marginal du gaz, lequel n'entre que pour une faible part dans notre production d'électricité, et alors que celle-ci a lieu en France, par nos moyens de production propres et décarbonés : le nucléaire, l'hydroélectricité et les autres énergies renouvelables.

La CRE a donc un rôle extrêmement important à jouer comme régulateur mais aussi comme force de proposition et producteur d'analyses, de chiffrages et de simulation des différents scénarios. Elle a les capacités techniques de procéder à des simulations, à la demande du Gouvernement et du Parlement.

La troisième priorité opérationnelle de la CRE est le développement des énergies renouvelables. En ce domaine, elle agit pour le compte de l'État, en instruisant les appels d'offres et en développant les contrats de gré à gré de long terme, qui sont des outils complémentaires précieux. La CRE pourrait également jouer ce rôle pour le développement de l'hydrogène – les décrets d'application de la loi « énergie-climat », en cours de finalisation, pourraient ajouter ce soutien à celui du solaire, de l'éolien ou de la méthanisation.

La CRE définit également les schémas de raccordement de la méthanisation pour le droit à l'injection. Elle le fait en liaison avec les collectivités locales pour trouver les schémas les plus efficaces. Elle évalue et fixe aussi la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui couvre les surcoûts liés aux énergies renouvelables et assure la mise en œuvre de la solidarité nationale en faveur des zones non interconnectées.

La poursuite de ces priorités opérationnelles suppose une très forte implication européenne et internationale. Au niveau européen, la CRE a la capacité de négocier avec les régulateurs européens et de soutenir les projets français dans les discussions avec la Commission européenne. Au niveau international, elle est à la tête d'un réseau de régulateurs, notamment francophones, qui participent au rayonnement du pays.

Dans ces fonctions, je serais à la disposition du Parlement, non seulement dans le cadre des auditions mais aussi dans le cadre d'échanges plus informels sur les grands enjeux, pour aider à la structuration de la réflexion de la majorité comme des oppositions.

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