Intervention de François Braun

Réunion du mardi 2 août 2022 à 21h00
Commission des affaires sociales

François Braun, ministre de la santé et de la prévention :

Je suis honoré de m'exprimer le premier devant la commission des affaires sociales sur un sujet que je connais bien et qui est au cœur des préoccupations de nos concitoyens. Nos urgences sont le symptôme aigu d'une crise plus large que traverse le système de santé : en amont, avec la question du partage de la permanence des soins ; en aval, avec la difficulté à ouvrir des lits faute de personnel. Toute analyse qui n'adopterait pas cette vision large manquerait le sujet.

Cet été, les difficultés que rencontrent les urgences prennent une acuité particulière à la suite de la crise sanitaire qui éprouve notre pays et nos soignants depuis plus de deux ans. Ce phénomène n'est pas propre à la France. La crise a redonné du sens au travail des soignants, tous engagés pour prendre en charge les personnes malades, mais aussi mis en exergue les fragilités de notre système. Celles-ci tiennent à des tensions importantes sur le plan de la démographie médicale ainsi qu'à des mouvements sociétaux profonds, s'agissant en particulier de la pénibilité du travail moins bien acceptée qu'hier.

Nous devons regarder en face ces fragilités : je ne serai pas le ministre qui niera les réalités. Je souhaite les qualifier, trouver et évaluer des solutions, pour que notre effort réponde efficacement aux besoins des Français. Mon ambition est de fonder un nouveau modèle pour répondre toujours mieux aux besoins de santé de nos concitoyens, partout sur le territoire, aujourd'hui et demain. Il s'agit de passer d'une logique de l'offre, qui tend à devenir concurrentielle, à un système fondé sur les besoins de la population, qui se place du point de vue du patient et de son entourage, pour mieux prévenir, dépister, soigner et accompagner. Je souhaite que nous développions une culture de la prévention : prévenir et dépister précocement les pathologies, c'est une vie en meilleure santé, en particulier concernant les personnes les plus modestes pour qui il est souvent plus difficile de prévenir que de guérir.

Cette œuvre de refondation sera un travail collectif, qui demandera un certain courage et qui devra réunir soignants, soignés et élus aux côtés de l'État. C'est l'objet de la conférence des parties prenantes dont nous préparons les contours pour un lancement à la rentrée, et à laquelle vous serez naturellement associés. À cet égard, je me réjouis de la création de votre groupe de travail sur l'accès aux soins. Nous aurons à cœur de travailler, au-delà des étiquettes politiques, avec l'ensemble de la représentation nationale pour faire avancer cette cause qui nous tient tous à cœur. Les Français exigent que nous avancions ; il est temps.

Avant de présenter le plan « été » des urgences et des soins non programmés, je tiens à couper court à tout débat : l'accès aux urgences à ceux qui en ont besoin est garanti. Je réfute le terme de tri et, surtout, la philosophie malveillante sous-entendue par ceux qui l'utilisent. Chaque Français continuera à être pris en charge si nécessaire. Je suis médecin urgentiste : comment penser que je pourrais vouloir autre chose que soigner au mieux tous les Français, selon leurs besoins ? C'est précisément ce terme de besoin qui compte. Pour que chaque citoyen soit soigné de la manière adaptée et efficace, l'orientation en fonction du besoin est primordiale. Ce n'est pas une dégradation de l'accès aux soins ; c'est au contraire une meilleure organisation de notre système au service des patients. C'est tout l'état d'esprit du plan que je présente aujourd'hui.

Pour élaborer cette boîte à outils pour l'été, j'ai eu à cœur d'aller sur le terrain et d'y voir ce qui fonctionne ou non. Des solutions durables et innovantes émergent chaque jour, conçues par des professionnels engagés, qui ont la passion de leur métier. Je m'en suis beaucoup inspiré. Cette boîte à outils est riche de nombreuses mesures. Les territoires disposent de nouveaux leviers pour garantir une réponse adaptée aux besoins de santé tout au long de l'été. Ils sont parfois techniques : je concentrerai donc mon propos sur quelques mesures structurantes, et je serai à votre disposition pour détailler l'ensemble des autres.

Tout d'abord, je confirme le diagnostic posé avant la crise par les rapports de Jean-Yves Grall puis, en 2019, de Thomas Mesnier et Pierre Carli. Les urgences sont le point de convergence des difficultés de la ville et de l'hôpital. Par conséquent, elles sont le révélateur d'une crise plus profonde, qui touche l'ensemble du système – démographie médicale inadaptée ; offre de soins inadéquate ; mauvaise articulation entre l'amont, la médecine de ville, et l'aval, l'hôpital ; déserts médicaux ; perte de sens et d'attractivité de certains métiers. Les urgences sont en quelque sorte la partie émergée de l'iceberg. À beaucoup, elles apparaissent le seul recours ; cette situation mine la capacité du système entier à bien traiter les patients qui ont réellement besoin d'un tel plateau technique. Redonner à chacun son rôle, c'est permettre aux patients d'être mieux soignés et aux professionnels de faire leur travail efficacement et sereinement.

Face à ce défi, voici les solutions que nous proposons.

Premièrement, mieux orienter les malades en amont. Pour cela, l'appel aux urgences, par le numéro 15, doit devenir un réflexe pour les Français – en cas de détresse naturellement, mais aussi lorsque, devant une situation aiguë, le médecin traitant n'est pas joignable. Ce numéro doit permettre d'orienter le patient selon son besoin, qui peut être, ou non, les urgences, car ce n'est pas au patient de savoir si son symptôme est une urgence. Pour faire du 15 un réflexe, des messages pédagogiques sont diffusés, sur les radios notamment, relayés par les agences régionales de santé (ARS), afin d'inciter les Français à y recourir avant de se déplacer à l'hôpital. Au bout du fil, ils trouveront soit le service d'aide médicale urgente (SAMU) soit un service d'accès aux soins (SAS) plus large, que nous entendons développer au-delà des vingt-deux sites pilotes, pour orienter le patient vers la solution disponible la plus adaptée. En parallèle, nous encourageons le recrutement d'assistants de régulation médicale (ARM), qui ont vocation à armer le dispositif d'orientation en transmettant l'appel à un médecin régulateur, urgentiste ou généraliste. En outre, nous améliorons la rémunération des médecins libéraux qui participent à la régulation au sein du SAS.

Notre deuxième priorité, en aval, est de libérer des capacités d'accueil en soins non programmés. La mobilisation solidaire de la ville et de l'hôpital est, en effet, indispensable pour désengorger les urgences. À cette fin, nous attribuons de manière temporaire un supplément de 15 euros pour tout acte effectué par un médecin libéral à la demande de la régulation du SAMU ou du SAS pour un patient hors patientèle – la majoration existe déjà pour une personne de la patientèle. Les médecins nous ont indiqué que la valorisation de leur participation aux consultations orientées par le SAS ou le SAMU représentait un frein à leur engagement : nous améliorons donc notre soutien. À eux de montrer que la mesure est utile et qu'elle renforce la mobilisation au service des Français ! L'objectif est de les inciter à libérer des plages horaires pour l'accueil de ces patients, qui n'ont pas vocation à être pris en charge aux urgences.

Notre troisième axe consiste à encourager le déploiement d'une offre cohérente de soins sur l'ensemble du territoire. Pour que nos concitoyens soient bien soignés rapidement, il faut un maillage et une articulation qui mobilise efficacement l'ensemble des professionnels, libéraux comme hospitaliers, publics comme privés, médecins comme paramédicaux. Pour ce faire, les mesures sont nombreuses ; elles incluent la possibilité pour un ambulancier d'amener un patient vers un cabinet de médecine libérale ou une maison médicale de garde, ainsi que les expérimentations de télémédecine et de suivi médical à distance. Nous facilitons également les admissions directes en service hospitalier, l'hébergement d'urgence en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et le recours à l'hospitalisation à domicile (HAD).

Plus largement, l'organisation de la permanence des soins en établissement de santé doit se faire à l'échelle du territoire. Nous demandons que les spécialistes, privés comme publics, soient associés, sous la coordination de l'ARS, car la pénibilité des gardes de nuit et de fin de semaine ne peut reposer uniquement sur le service public.

La pénibilité du travail de nuit dans les établissements publics ne doit pas être oubliée. Ces femmes et ces hommes font un travail difficile et courageux. Nous avons eu à cœur d'en renforcer la reconnaissance en doublant les majorations de nuit pour les personnels soignants et en revalorisant de 50 % les gardes pour les médecins pendant trois mois.

La mise en œuvre du plan est bien entamée. Il s'agit de mesures temporaires, jusqu'à la fin du mois de septembre, qui permettront aux services des urgences partout en France de passer l'été dans les meilleures conditions. J'ai adressé une instruction aux ARS et à l'ensemble des services de l'État, le 10 juillet, pour leur demander de veiller au déploiement rapide des mesures les plus adaptées à leur territoire. Les textes publiés offrent la souplesse nécessaire à la réponse estivale. La réussite reposera toutefois sur un engagement collectif. C'est pourquoi j'ai également demandé aux ARS d'associer l'ensemble des acteurs – préfets, élus locaux, professionnels de santé, représentants des patients et leurs familles – à ce déploiement.

Une fois le plan mené à bien, il faudra en tirer les leçons. Par conséquent, son impact sur les Français sera mesuré et évalué tout l'été. Par la suite, nous envisagerons de pérenniser ou de généraliser des dispositions en fonction des résultats obtenus. Selon la même logique, celles qui n'auront pas démontré leur efficacité ne seront pas reconduites. C'est dans cette optique que j'installerai prochainement un comité de suivi et d'évaluation du plan d'urgence. Afin de construire une vision véritablement partagée, il associera patients et professionnels de santé, mais aussi représentants des services de l'État et élus. Il sera l'occasion de se projeter vers une réforme du système de santé et de nourrir les travaux de la conférence des parties prenantes souhaitée par le Gouvernement.

Ce plan est ainsi un plan d'urgence, mais aussi une première pierre pour refonder et renforcer notre système de santé. Nous en tirerons toutes les leçons, et je me réjouis d'y travailler avec vous dans les mois qui viennent. Je ne doute pas que nous saurons être au rendez-vous de ce défi collectif.

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