Intervention de Alexandre Holroyd

Réunion du mercredi 14 juin 2023 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandre Holroyd, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations :

Tout d'abord, je veux vous remercier de nous donner l'occasion, avec le directeur général, de venir rendre compte de l'action du groupe Caisse des dépôts et consignations (CDC) devant la commission des finances. Avec à peu près 1 300 milliards d'euros d'engagements, ce groupe est absolument unique, par sa dimension et par sa mission de servir l'intérêt général, sous la protection très spéciale du Parlement. Je lis souvent que nous sommes le bras armé financier de l'État, mais je préfère dire que nous sommes le bras armé financier de la Nation, puisque nous sommes placés sous cette protection parlementaire.

En tant que président d'une commission de surveillance composée de membres issus du Parlement, d'élus ou de personnalités qualifiées, je suis évidemment particulièrement attaché au lien qui unit la Caisse et le Parlement et qui se manifeste par ailleurs annuellement par la présentation des résultats du groupe.

Aujourd'hui, la commission des finances de notre assemblée souhaite que nous rendions compte du raisonnement qui a conduit la Caisse à envisager une entrée au capital de l'entreprise Orpea. Nous sommes ravis de pouvoir le faire : c'est la première fois que l'on nous appelle à rendre compte d'une opération particulière, et nous sommes évidemment prêts à aborder tout autre sujet qui relèverait de la Caisse des dépôts et consignations.

Je tiens en préambule à souligner que cette entrée n'est pas encore effective, et le directeur général y reviendra. Dans un premier temps, il me semble important de rappeler brièvement le fonctionnement de la commission de surveillance, tel qu'il est prévu par les textes et dans la pratique. La commission est composée de seize commissaires-surveillants, dont une majorité nommée par les deux présidences de notre Parlement et elle fonctionne comme un organe de gouvernance traditionnel, avec une articulation entre séances plénières et comités spécialisés.

Au cours d'une année, elle se réunit près de 80 fois en comités ou en séances plénières pour examiner tous les éléments stratégiques afférents au groupe Caisse des dépôts : son modèle de risque, sa stratégie, l'affectation de ses ressources propres, son budget, sa politique de ressources humaines, son engagement en matière de responsabilité sociale et environnementale, ses opérations de croissance ou de cession, et les activités de ses filiales.

Ce rythme de travail très intense implique un dialogue permanent entre les membres de la commission de surveillance et la direction générale. De façon très pratique, je suis en contact permanent avec les membres de la direction générale, et évidemment avec le directeur général en particulier. Définies par la loi, les compétences de la commission de surveillance varient d'un domaine à l'autre. En matière de stratégie, la commission a un pouvoir délibératif et non décisionnaire. C'est la direction générale qui définit cette stratégie et la soumet à la commission de surveillance, qui délibère et qui, éventuellement, émet des recommandations.

En l'occurrence, en ce qui concerne le sujet que nous évoquons aujourd'hui, la commission de surveillance a exprimé à plusieurs reprises un franc soutien à l'axe stratégique de la direction générale visant à mobiliser les moyens du groupe pour contribuer à apporter des réponses aux défis collectifs que constitue le grand âge. S'agissant des investissements, la commission de surveillance a ici un pouvoir décisionnel pour toute opération d'une valeur supérieure à 150 millions d'euros. Étant donné que l'opération dont nous parlons aujourd'hui dépasse ce seuil, la commission de surveillance l'a formellement autorisée.

En raison de l'importance de l'opération sur Orpea et des enjeux qui y sont liés, comme en témoigne cette audition devant vous, la commission de surveillance s'est penchée sur ce sujet avec une attention toute particulière. Étant donné l'ampleur de l'opération, la sensibilité particulière du contexte et la gravité de la crise que traversait Orpea, il m'a semblé nécessaire de mettre en place un cadre de suivi différent de la norme et deux décisions importantes ont été prises en ce sens.

Premièrement, alors que la grande majorité des opérations que nous examinons sont étudiées au sein du comité des investissements, délégataire de la commission sur ce sujet, j'ai retiré cette délégation afin que cette opération soit examinée en séance plénière. Il me semblait en effet essentiel que les seize commissaires-surveillants soient présents et aient l'occasion de se prononcer sur cette opération.

Deuxièmement, au-delà de l'acceptabilité des conditions financières inhérentes à toute opération, cette opération particulière nécessitait une réflexion plus approfondie. Était-ce le rôle de la Caisse des dépôts et consignations d'intervenir ? Si oui, pourquoi ? Quel modèle économique à l'avenir pour l'entreprise concernée ? Dans quelles conditions ? J'ai donc pris la décision de scinder l'examen de ce dossier en deux.

À l'automne 2022, le directeur général et moi-même avons commencé à échanger sur ce sujet et je l'ai invité, avec ses équipes, à expliquer le raisonnement qui l'incitait à envisager cette opération et les conditions dans lesquelles l'investissement lui semblait acceptable, devant la commission de surveillance. Par mon intermédiaire, la commission de surveillance a ensuite formalisé les conditions nécessaires pour envisager l'opération :

– un nouveau modèle économique plus inclusif qui mette la mission au cœur de la raison d'être de l'entreprise ;

– des moyens de contrôle pour assurer la bonne mise en œuvre de ce nouveau modèle économique ;

– un recentrage géographique ;

– un renforcement considérable des ressources humaines d'encadrement.

Dans un deuxième temps, le 31 janvier 2023, et à l'issue des négociations menées par les équipes encadrées par ce mandat clairement défini, une séance a été dédiée à l'aboutissement définitif des négociations, y compris toutes les conditions financières afférentes. À l'issue de cette deuxième délibération, la commission de surveillance a décidé d'approuver l'opération. La commission de surveillance est une instance collégiale et je ne me permettrais pas ici de divulguer le détail des échanges qui l'animent, puisque son règlement, dans la lignée de la loi, l'interdit. Cependant, il me paraît primordial de partager avec vous certains des points importants qui ont animé ce débat.

Premièrement, l'opération Orpea s'inscrit dans le cadre des activités concurrentielles du groupe Caisse des dépôts, c'est-à-dire avec ses fonds propres, sans aucun lien avec l'épargne des Français. En revanche, cette épargne finance et continuera à financer le secteur public dans le grand âge, partout dans les territoires, dans les conditions définies avec le Trésor. Aujourd'hui, presque 7 milliards d'euros d'encours sont dédiés à ce travail. La Caisse des dépôts continuera également à accompagner le privé associatif en parallèle.

Deuxièmement, la volonté de mobiliser la CDC en matière de grand âge est conforme à la mission de cohésion sociale de la Caisse des dépôts. Elle s'inscrit dans le contexte d'une action transversale de l'ensemble du groupe, qui inclut une mobilisation de ses filiales, notamment du groupe La Poste, de CDC Habitat ou encore d'Arpavie.

Troisièmement, l'entrée au capital de la CDC se ferait au sein d'un consortium de grands investisseurs institutionnels (Maif, Macsf) qui partagent une vision commune de l'investissement à long terme. Quel meilleur associé dans ce projet que la mutuelle d'assurances du corps de santé français ?

Quatrièmement, s'il existe toujours un « risque à faire » concernant un investissement, il y a aussi un « risque à ne pas faire ». Orpea représente 32 000 lits sur notre territoire répartis dans près de 350 établissements, accueillant des personnes en grande dépendance, et emploie plus de 25 000 salariés en France. À défaut du succès de cette opération que nous évoquons, ces résidents et ces personnels deviendraient sans doute les premières victimes d'une situation très dégradée.

Cinquièmement, compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie et malgré les moyens engagés pour accroître le maintien à domicile, les besoins de places en résidence vont a priori continuer de croître dans les années qui suivent. Les Ehpad accueillent aujourd'hui environ 15 % des plus de 80 ans, soit environ 600 000 résidents. La demande de lits en Ehpad atteindrait 900 000 à l'horizon 2050, soit 300 000 de plus qu'aujourd'hui. Le secteur privé et commercial est certes minoritaire (à peu près 25 % des places aujourd'hui), mais il est très probable qu'il restera indispensable à l'avenir. Il paraît donc essentiel qu'un modèle éthique, respectueux des résidents et des personnels, soit assuré dans ce secteur concurrentiel. Le groupe CDC peut y participer en assurant un actionnariat solide, à long terme, éthiquement très exigeant, qui disposera de droits de gouvernance forts et qui aura la capacité d'accompagner cette transformation dont nous parlons aujourd'hui.

Pour conclure, Monsieur le président, je veux vous remercier à nouveau de la possibilité d'avoir permis cet échange, et je veux souligner que la commission de surveillance est parfaitement consciente du caractère très sensible de cette opération. Un dispositif de suivi particulier sera mis en œuvre afin que la commission de surveillance continue de regarder avec l'attention nécessaire l'intégration de cette opération. Enfin, je veux renouveler ici ma confiance dans la nouvelle direction d'Orpea qui travaille d'arrache-pied pour transformer la société de fond en comble.

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