Intervention de Christophe Castaner

Réunion du lundi 10 juillet 2023 à 17h00
Commission d'enquête sur la structuration, le financement, les moyens et les modalités d'action des groupuscules auteurs de violences à l'occasion des manifestations et rassemblements intervenus entre le 16 mars et le 3 mai 2023, ainsi que sur le déroulement de ces manifestations et rassemblements

Christophe Castaner, ancien ministre de l'intérieur :

Je dirai un mot des black blocs, même si vous avez eu l'occasion d'en parler avec des spécialistes du sujet. La difficulté est que ce ne sont pas, contrairement à ce que certains pensent, des personnes identifiées qui se donneraient rendez-vous pour semer le trouble. Si cela marchait comme ça, ce serait assez simple. La réalité, et je vais être provocateur, c'est que ce sont nos enfants qui décident, à un moment, de se joindre à un mouvement contestataire pour une cause qu'ils jugent noble, et qui participent ainsi à une forme de radicalité.

Moi qui suis un vieil élu local, j'ai le souvenir d'une personne – je vais dire que c'était une pharmacienne – qui votait traditionnellement à droite mais qui, dans un petit moment de folie et d'émotion au moment des élections européennes, s'est dit qu'elle allait soutenir le nouveau parti anticapitaliste. Des jeunes considèrent désormais, à propos de sujets qu'ils trouvent déterminants pour leur avenir ou celui de la planète, qu'une autre expression est nécessaire. Ils vont donc y participer. J'étais impressionné d'apprendre, quand on interpellait certains auteurs d'actes violents pendant les manifestations des gilets jaunes, qu'il s'agissait d'étudiants brillants qui ne faisaient l'objet d'aucune mention au traitement d'antécédents judiciaires.

D'une semaine à l'autre, d'une manifestation à l'autre, ce sont des gens très différents qui participent. Mais il y a un cœur, et l'évolution proposée consistait à intervenir dès la constitution de ce cœur. Quand 1 600 personnes sont en position de combat, en pleine ville, il ne faut pas que deux camps s'opposent, qu'une logique de guerre prévale. On doit traiter les choses de façon différente : limiter la mobilité du groupe, ne pas rechercher directement l'interpellation. En revanche, si vous intervenez lorsque commence à se constituer le cœur qui va ensuite agréger des centaines ou des milliers de personnes, c'est-à-dire lorsqu'il n'y a encore que quelques dizaines de participants, et que vous traitez le facteur déclenchant, le collectif n'arrivera pas à s'organiser.

Je vais donner un exemple précis qui a été l'occasion pour moi d'un apprentissage. J'ai évoqué le premier Forum de Paris sur la paix au cours duquel une manifestation a été organisée place de la République. Le principe retenu par le black bloc était de faire le tour de la place, en accélérant le mouvement, pour taper de temps en temps sur les forces de sécurité, les institutions, les commerces qui se trouvaient là. Nous avons adopté un système simple : nous avons placé en quinconce des véhicules, des objets, pour empêcher cette dynamique. Ce genre de méthodes, que nos forces de sécurité maîtrisent parfaitement sous l'autorité des préfets, permet d'intervenir.

Pour répondre concrètement à votre question, l'évolution de la doctrine était effectivement de tenter, dès la constitution du phare qu'est le black bloc, qui se signale maintenant par des parapluies noirs ou par le fait de s'habiller en noir, quand son cœur compte trente personnes, de neutraliser celui-ci immédiatement, de le casser sans forcément arrêter les gens, mais en les poussant à se répartir différemment. Cette évolution a fait la preuve de son efficacité. Elle ne permet pas systématiquement de gagner le rapport de force toutefois.

Il n'est pas interdit d'aller à une manifestation interdite, et dès lors on ne peut pas se dire qu'on va interpeller tout le monde. J'ai été confronté à ce sujet, qui m'a valu de nombreuses critiques, à la suite du décès de l'Américain George Floyd. Cela a donné lieu à une grande mobilisation mondiale, y compris à Paris. La manifestation a été spectaculaire, à la suite du confinement et du fait de l'émotion mondiale. Près de 30 000 personnes, très jeunes, ont manifesté. On m'a dit que la manifestation étant interdite, il fallait l'empêcher. J'ai souligné qu'il fallait aussi prendre en compte la réalité et que la loi devait être appliquée avec intelligence. Cette manifestation ne s'est d'ailleurs pas mal passée malgré des tentatives d'intrusion dans le Palais de Justice, que nous avons neutralisées. Il y a des manifestations non déclarées, voire interdites, et il y a la réaction des forces de l'ordre. Il faut faire, là aussi, des différences. Nos forces de sécurité ne sont pas en mesure, de toute façon, de déployer 10 000 policiers pour arrêter et mettre en garde à vue tout le monde pendant vingt-quatre heures. Ce n'est pas possible. Il faut donc une approche pragmatique. Ce n'est pas une doctrine mais je pense que c'est efficace.

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