Intervention de Jean-François Carenco

Réunion du mercredi 28 septembre 2022 à 15h05
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-François Carenco, ministre délégué :

Monsieur Vuilletet, vous m'interrogez sur l'Oudinot de la vie chère – ou plutôt du pouvoir d'achat –, que j'ai bon espoir de voir aboutir mi-octobre. Mon premier voyage en tant que ministre délégué a été pour La Réunion. Pour répondre au groupe LFI, je n'ai pas dormi, mais nous avons réussi ; la « convention canne » a été signée et je m'en félicite. L'État a joué son rôle de soutien, aux salariés des usines et aux planteurs de canne à sucre, puisqu'il injecte 200 millions de subventions pour une production de 70 millions.

C'est à La Réunion que j'ai découvert le bouclier qualité prix (BQP). Le sujet n'est pas nouveau. Avec le préfet et les élus, nous sommes convenus d'élargir ce panier familial de consommation. Les préfets ont donc reçu des instructions. Il s'agit de peser sur toutes les composantes de la valeur d'un produit – production, transport, taxes éventuelles, distribution. Tout le monde s'est mis autour de la table, notamment les régions, qui gèrent l'octroi de mer et sont prêtes à consentir un effort. J'ai bon espoir que, pour une période d'un an, voire un peu plus, les discussions locales aboutissent soit à un blocage de prix sur le panier de consommation familiale, soit à des baisses de prix sur certains produits. Parallèlement, je reçois, avec mon directeur de cabinet et Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, les grands acteurs, qui nous exposent leurs efforts – certains nous racontent des histoires – pour contenir la hausse des prix.

S'agissant du logement, le problème n'est pas d'ordre financier : il concerne le foncier et les normes. Le PLOM 2 doit être mené à son terme. Cela fait trop longtemps que l'on discute de la simplification des normes, et la tentation du bien étant parfois pire que celle du mal, on stagne. Hier, au congrès de l'Union sociale pour l'habitat (USH), les élus et les représentants de sociétés de HLM ont tous souligné que leurs problèmes étaient liés aux normes et au foncier. Je ne veux plus entendre certains élus me dire « Construisez ! », alors que, dans le même temps, ils ne mettent pas à disposition leurs terrains inutilisés. Nous allons traiter de manière ad hoc le problème du logement – l'aspect normatif sera aussi traité dans le cadre des réponses à l'appel de Fort-de-France.

Il y a plusieurs points d'attention particuliers. Je pense d'abord à Saint-Laurent-du-Maroni, dont je rencontrerai la maire prochainement. Je pense ensuite à Mayotte où l'état de certains quartiers, notamment à Koungou et à Mamoudzou, est épouvantable : ce ne sont même pas des bidonvilles. Je suis en liaison avec le maire de Mamoudzou. Comme je l'ai expliqué, nous allons mettre sur pied une SPLAIN ; j'ai reçu l'accord des deux maires concernés, du président de la collectivité territoriale, des sociétés de HLM, de l'ANRU et de l'Agence française de développement (AFD). Il faut maintenant engager le projet.

L'accès à l'eau en Guadeloupe est un vrai problème. La crise provoquée par la tempête Fiona a permis d'en prendre pleinement conscience ; au-delà même des dégâts matériels, chacun a été étreint par l'émotion devant la catastrophe. Le problème existe depuis de nombreuses années. Le Parlement a créé le syndicat mixte de gestion de l'eau et de l'assainissement de Guadeloupe (SMGEAG), mais la collectivité se heurte à des problèmes d'ingénierie, de maîtrise d'ouvrage et de prise de décision.

Là non plus, la question n'est pas d'ordre financier, au moins pour les trois prochaines années. Le syndicat mixte a besoin d'une assistance technique. C'est la raison pour laquelle nous lui envoyons des ingénieurs. Je recevrai vendredi le président du SMGEAG. Mon directeur de cabinet ira ensuite passer quatre jours sur place, en accord avec lui, pour « serrer les boulons » et voir ce qu'il convient de faire. Le président du conseil régional a reçu de l'argent européen ; en ce qui concerne la contribution de l'État, les crédits de paiement (CP) n'ont pas été consommés, alors que les autorisations d'engagement (AE) ont été inscrites au budget.

C'est peut-être notre dernière chance de faire des choses intelligentes ; après, cela risque de mal tourner, car les gens n'ont pas d'eau – l'un de vos collègues s'en plaint régulièrement. Il a fallu acheminer des instruments de potabilisation depuis la métropole. Quoi qu'il en soit, nous essayerons de régler le problème.

Monsieur Houssin, la République existe aussi à Mayotte. Le droit à l'éducation et le droit à la santé valent pour toute personne, quelle que soit sa nationalité. C'est là un principe indéfectible, pour moi comme pour M. Pap Ndiaye – avec qui nous parlons souvent de ces questions – et pour M. Braun. Il n'y aura pas d'exception au respect des droits des êtres humains, ce ne serait pas conforme à notre conception de la République. C'est vrai pour l'ensemble du Gouvernement et pour le Président de la République.

Les chiffres que vous avancez sont exacts, mais nous menons une lutte de longue haleine. La solution consiste à réduire l'immigration et à aménager le droit de la nationalité. Un enfant né à Mayotte devient désormais français à l'âge de 18 ans si l'un de ses parents était en situation régulière au moment de la naissance. Cette règle a favorisé les trafics de certificats de nationalité. Le projet de loi que présentera le ministre de l'intérieur et des outre-mer abordera ces enjeux. Je ne déflorerai pas la matière ; le Parlement en débattra. Nous essayerons aussi de rassembler les reconnaissances de paternité en un seul lieu pour mieux les contrôler.

L'enjeu est très important pour le ministre de l'intérieur et pour le Président de la République. Le problème est réel, et nous devons trouver des solutions, mais cela ne saurait passer par une négation des valeurs de la République. En tout cas, je ne l'accepterais pas.

Monsieur Ratenon, ce n'est pas très sympathique de me traiter de « ministre au rabais ». Dans l'histoire des outre-mer, c'est précisément lorsque des ministres délégués étaient adossés à des ministres forts que les choses se sont le mieux passées. Pour ma part, je souhaite être adossé à un ministre fort qui me pousse. Je n'ai donc aucun état d'âme. Nous travaillons bien et, lors de mes déplacements outre-mer, plus personne, y compris les élus, ne me fait de remarque à ce propos.

En ce qui concerne le rabais supplémentaire de 20 centimes proposé par le groupe Total dans tous les outre-mer, et le fait qu'il n'a pas été accordé – sauf à Mayotte, où il a même atteint quasiment 30 centimes, me semble-t-il –, je rappelle que l'État et vous-même, lors de l'examen devant le Parlement des mesures financières, avez accordé des baisses de taxes extrêmement fortes dans tous les outre-mer ; ce mécanisme joue désormais pleinement. J'ai dès lors assumé publiquement le choix de ne pas autoriser le rabais ailleurs qu'à Mayotte. Ne faites donc pas porter au groupe Total une responsabilité qui n'est pas la sienne.

Le groupe Total n'est pas en situation de monopole, sauf à Mayotte. Or les autres gros fournisseurs de carburant n'ont pas souhaité opérer ce rabais. Ils ont même convaincu les distributeurs et les pompistes que leur marge serait diminuée s'ils le faisaient – ce qui est faux, car cette marge est fixe. Devant la menace d'un désordre important, j'ai reculé : avec l'accord du ministre de l'intérieur, j'ai demandé que la mesure soit différée. Seule la victoire est jolie, monsieur Ratenon. Or, je l'ai reconnu publiquement, j'ai perdu cette bataille. Mais je ne suis pas sûr d'avoir perdu la guerre, si difficile soit-elle.

Certes, nous enregistrons des retards, mais les choses avancent. La vie est ainsi faite… La question d'ordre institutionnel que vous m'avez posée ne fait pas partie de celles que je traite en priorité. Je vous répondrai donc par écrit. La question majeure dont je m'occupe, en revanche, concerne la Nouvelle-Calédonie.

Monsieur Balanant, j'aimerais que l'ensemble des collectivités locales soient plus réactives pour ce qui est de la signature des programmations pluriannuelles de l'énergie (PPE). Celles-ci constituent un accord entre l'État et les collectivités. Il y a toujours une bonne raison, d'un côté comme de l'autre, de ne pas franchir le pas ; les torts sont partagés. À ce jour, seule La Réunion a signé une véritable PPE s'inscrivant dans la durée. Ailleurs, on conçoit des PPE simplifiées pour créer tel ou tel outil.

Dans l'ensemble, je suis favorable au maintien d'une centrale au biocombustible dans chacun des territoires, en espérant qu'elles servent le moins possible. Il y va de la sécurité du système et de notre capacité à le piloter. C'est la raison pour laquelle je me bats comme un lion pour que la centrale du Larivot soit construite. C'est difficile ; nous verrons ce que décidera la cour administrative d'appel de Bordeaux, qui est saisie de la dernière question restant en suspens – celle du permis de construire. Quoi qu'il en soit, n'opposons pas les grosses installations aux autres, dès lors qu'elles passent au biocombustible. Le maintien d'une grande centrale assure la sécurité du système. C'est vrai en Corse aussi bien qu'en Nouvelle-Calédonie, où il existe une centrale à gaz.

À côté de ces installations, il faut développer les ENR. Encore faut-il, par ailleurs, accepter les nouveaux tarifs ainsi que le fait que les grosses installations ne fonctionnent que 700 heures par an. C'est ce qu'a fait la Commission de régulation de l'énergie (CRE), que j'ai eu l'honneur de présider.

J'ajoute que, dans les grosses installations, il y a des enjeux sociaux. Le sort de leurs salariés me préoccupe. Regardez, par exemple, ce qui se passe depuis des mois chez ContourGlobal, en Guadeloupe, ou encore la juste mobilisation des agents d'EDF à Larivot. On ne peut pas décréter que l'on ferme et dire : « Circulez, il n'y a rien à voir. ».

Le développement des ENR est en cours. Il n'y a pas de problème d'ordre financier. Il suffit de vouloir en produire. Si les collectivités locales, comme c'est déjà le cas dans l'Hexagone, veulent être elles-mêmes productrices, elles peuvent le faire. Étant donné le prix de l'énergie, les candidats sont d'ailleurs nombreux.

Les RSMA seront dotés au total de 91 équivalents temps pleins (ETP) supplémentaires : 80 jeunes en seront bénéficiaires et 10 volontaires viendront renforcer le dispositif sur le plan technique, par l'apport de compétences professionnelles. L'un d'entre eux ira en Nouvelle-Calédonie, un autre en Polynésie française, deux à Mayotte, deux à La Réunion, deux aux Antilles et en Guyane. L'une des priorités sera de renforcer les savoirs, notamment la capacité de lecture, avec un enseignant de plus par régiment. Au total, les effectifs avoisinent 6 000. Quand ils arriveront à 6 500, l'enveloppe augmentera – j'ai reçu l'accord de M. le ministre des comptes publics. L'évolution est donc très positive, et je vous remercie de m'avoir interrogé sur ce point important, monsieur Pradal.

La politique de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie est une compétence de la République, certes, mais pas de l'État : elle entre dans le champ des compétences du gouvernement du territoire. Il n'en demeure pas moins que nous travaillons à la question, notamment avec la Croix-Rouge française. L'organisation a ouvert un service de prévention des addictions. J'ai visité récemment avec des éducateurs la prison de Nouméa. Nous avons gagné : celle-ci va être rénovée. Il faut dire que les conditions de détention y étaient vraiment « limites » – on y trouvait, par exemple, quatre personnes par cellule.

Il est vrai que le plan territorial de sécurité et de prévention de la délinquance a été adopté il y a quatre ans, mais, dans cette période de négociations globales concernant la Nouvelle-Calédonie, je prends grand soin de respecter les compétences du territoire et de ne pas me substituer à l'exécutif local. Or la sécurité fait partie de ses compétences. Cela dit, nous sommes attentifs à la question et nous essayons de donner des moyens à la collectivité.

Monsieur Rimane, j'ai pris rendez-vous avec la directrice de l'antenne guyanaise de l'Office national des forêts (ONF). Je suis fâché que l'accord de 2017, qui prévoit une mise à disposition des terrains de l'État dans des conditions encadrées, ne soit pas appliqué. Il est vrai que le financement pose problème : si l'on ne fait rien de ces terrains, l'État ne paye pas la taxe foncière, mais dès que l'on y installe un opérateur, on y est assujetti. C'est le cas, par exemple, à Saint-Laurent-du-Maroni. J'ai dit à M. Serville que, s'agissant de l'attribution des terrains, quelque chose n'allait pas.

Les crédits consacrés au logement outre-mer me semblent suffisants. Pendant longtemps, ceux qui étaient affectés à la LBU n'ont pas été consommés, pour des raisons de foncier disponible et de procédure. On inscrivait toujours, en loi de finances, un peu plus de crédits que l'on n'en consommait. En 2021, 247 millions étaient disponibles sur la LBU, alors que le Parlement avait voté 225 millions – nous en avons ajouté en prenant sur les crédits généraux du ministère. Dans le projet de budget pour 2023, nous passerons de 225 millions à 239 millions. Toutefois, ce n'est pas une question d'argent. Ce qui est en cause, c'est la capacité à rassembler les volontés pour agir sur les normes et trouver des terrains.

Certes, il existe des entreprises outre-mer, mais mon ambition est qu'elles se développent, qu'elles donnent du travail aux jeunes et moins jeune de tous ces territoires. Je suis content qu'un abattoir de volailles soit implanté à Mayotte. Je me réjouis que la Guyane agisse pour développer les ENR.

Vous dites que l'État a failli, mais l'État c'est nous, tous ensemble. Du reste, nous n'avons pas failli partout. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder comment on vit outre-mer par rapport aux pays voisins. Même si ce n'est pas suffisant, ce que la République a fait depuis 1946 est à son honneur. Pourquoi, selon vous, y a-t-il 10 millions de touristes chaque année à Saint-Domingue, contre 850 000 en Guadeloupe et à peu près autant en Martinique ? C'est parce qu'à Saint-Domingue, un employé d'hôtel ne coûte que 400 euros toutes charges comprises, ce qui garantit au pays une exploitation tranquille… C'est dans ce domaine qu'il faut agir, en trouvant le chemin de la solidarité, ce qui n'exclut pas d'ailleurs de créer de la valeur – au contraire, cela permet d'en créer. C'est le résultat que nous visons à travers les mesures fiscales. J'aborderai ce point ce soir lors de mon audition par la commission des finances.

En ce qui concerne l'aide de rentrée pour Saint-Pierre-et-Miquelon, d'un montant de 100 millions d'euros, la réponse est « oui », monsieur Lenormand. Par ailleurs, à la demande du président de la collectivité territoriale, le ministère a débloqué 700 000 euros pour aider à faire baisser le prix du fioul en fin d'année. Il est convenu que le ministère, le président de la collectivité territoriale et le préfet dressent un bilan du dispositif.

Enfin, l'aide alimentaire, qui s'élève à 15 millions d'euros, est répartie de la façon suivante : 2,1 millions pour la Guadeloupe, 3,5 millions pour la Guyane, 1,9 million pour la Martinique, 2,6 millions pour La Réunion, 4,8 millions pour Mayotte et 50 000 euros pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Je dois rencontrer M. Baland, président de la Banque alimentaire, cette semaine ou la suivante, pour lui demander un effort supplémentaire. Je n'en suis pas très fier, car ce n'est pas comme cela qu'on doit nourrir les gens.

Voilà mon engagement en faveur des outre-mer. Lors de mes déplacements dans ces territoires, je sens une envie d'agir, d'entamer une nouvelle période, sous l'impulsion du Président de la République. Celui-ci a énoncé son programme : création de valeur et de richesses, action en faveur de la culture, responsabilisation et différenciation.

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