Intervention de Nicolas Thierry

Réunion du mercredi 18 octobre 2023 à 15h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Thierry, rapporteur pour avis (Recherche dans le domaine du développement durable) :

Notre commission s'est saisie, pour la première fois, de la mission Investir pour la France de 2030. Nous émettions auparavant un avis sur la mission Recherche et enseignement supérieur, mais j'ai voulu faire évoluer le périmètre de notre travail : comme l'avaient remarqué les rapporteurs pour avis des années précédentes, la recherche en matière de développement durable et de décarbonation de l'économie est principalement financée par des plans d'investissements exceptionnels.

Depuis plus de dix ans, quatre programmes d'investissements d'avenir (PIA) ont ainsi été lancés. Le 12 octobre 2021, le Président de la République a présenté le plan France 2030, qui prend la suite des PIA précédents.

Les plans d'investissements successifs prévoient des efforts ciblés et exceptionnels qui vont au-delà du cadre budgétaire habituel pour financer tout le cycle de vie de l'innovation, jusqu'à son déploiement et son industrialisation. Dans le cadre de mon avis budgétaire, j'ai choisi de me concentrer sur les aspects liés à la recherche au sein du plan France 2030.

Il me revient, en tant que rapporteur pour avis, de vous faire une présentation synthétique des crédits demandés dans le projet de loi de finances pour 2024. Vous avez été destinataires de mon projet d'avis : je ne reviendrai donc que sur les éléments les plus importants.

Tout d'abord, il convient de souligner, objectivement, l'effort inédit que consacre le plan France 2030. Il intègre désormais le PIA 4, pour une enveloppe totale de 54 milliards d'euros. Notre commission ne peut que se réjouir de l'existence d'un plan de cette ampleur et de la logique d'investissement suivie : 50 % des dépenses devront servir à la décarbonation de l'économie, et aucune d'entre elles ne doit être défavorable à l'environnement.

Toutefois j'émets deux réserves importantes : d'une part, la lisibilité du dispositif doit être améliorée ; d'autre part, le recours aux appels à projets ne doit pas devenir le mode de financement habituel de la recherche française.

S'agissant du premier point, l'ambition affichée lors de la présentation du plan France 2030 était de simplifier et de renforcer la lisibilité du dispositif par rapport aux PIA précédents. Néanmoins, les auditions que j'ai menées démontrent d'ores et déjà que cette ambition n'est pas atteinte. Plusieurs acteurs, structures et thématiques s'empilent. Les instances de décision se superposent, ce qui a pour conséquence de rallonger les délais de sélection et de contractualisation des projets.

Ce ralentissement est préjudiciable pour les candidats des appels à projets qui attendent pendant plusieurs mois une décision finale. Il l'est également pour les organismes de recherche qui doivent, à l'instar du CNRS – Centre national de la recherche scientifique –, mobiliser des fonds propres pour ne pas pénaliser les équipes de recherche.

J'en viens à ma deuxième réserve, relative au mode de financement de la recherche.

Malgré l'effort d'investissement prévu, le plan France 2030 s'inscrit dans un contexte général très préoccupant. D'un côté, le Gouvernement lance un grand plan d'investissements pour financer des innovations de rupture du côté de la recherche, dont les entreprises sont largement bénéficiaires sans contrepartie environnementale. D'un autre côté, les dotations habituelles et les plafonds d'emplois des organismes de recherche stagnent.

Dans le modèle qui se dessine progressivement, la recherche se finance par des appels à projets de l'ANR – Agence nationale de la recherche – ou des quatre opérateurs du plan France 2030. C'est une logique de financement compétitif, qui présente plusieurs désavantages.

Tout d'abord, cela ne couvre pas les coûts fixes des organismes de recherche – je pense notamment à l'augmentation inédite des prix de l'énergie. L'Inrae – Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement – gère, par exemple, une emprise de 1 million de mètres carrés de bâtiments et de 10 000 hectares de foncier. Le surcoût pour son budget de 2024 est estimé à 11,2 millions d'euros, dont 6 millions que l'établissement absorbera par des mesures d'économies et une hausse des tarifs des fluides, compatible avec le maintien des activités de recherche. Toutefois, 5 millions d'euros devront être prélevés sur le fonds de roulement, ce qui n'est absolument pas souhaitable.

Ensuite, le financement par appels à projets ne permet pas des financements pérennes : ils sont associés à des projets spécifiques. Les chercheurs auditionnés ont exprimé une grande lassitude à l'égard de ce mode de financement qui ne donne pas la possibilité de travailler sur le long terme.

En conséquence, j'appelle votre attention sur le fait que cette manière de fonctionner ne doit en aucun cas devenir la principale source de financement des équipes de recherche.

J'ai souhaité faire porter la partie thématique de mon rapport sur les travaux de recherche relatifs aux effets écologiques et sanitaires des pesticides et des polluants chimiques, notamment les PFAS – substances polyfluoroalkylées ou perfluoroalkylées.

Les enjeux des effets des produits chimiques et des pesticides sur la santé humaine et la biodiversité sont sans précédent. Il s'agit d'une question de santé publique majeure sur laquelle les pouvoirs publics sont régulièrement amenés à se prononcer, et il m'a donc paru indispensable de dresser un panorama des travaux de recherche dans ce domaine.

D'une manière générale, les effets toxiques des pesticides sont désormais connus et largement documentés par la littérature scientifique.

S'agissant des effets nocifs sur la santé humaine, une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publiée en 2013 établit une présomption forte de lien entre l'exposition aux pesticides et six pathologies : les lymphomes non hodgkiniens (LNH), le myélome multiple, le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, les troubles cognitifs, la bronchopneumopathie chronique obstructive et la bronchite chronique.

Les pesticides ont également des effets préoccupants vers la biodiversité. Une étude de l'Inrae et de l'Ifremer – Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer – de 2022 démontre que tous les milieux sont contaminés par les pesticides. D'une manière générale, ces derniers ont un effet nocif sur la biodiversité, le vivant et les services écosystémiques, notamment la pollinisation et la fertilisation des sols.

Les travaux de recherche s'orientent essentiellement vers les solutions alternatives. Le plan France 2030 permet ainsi de déployer trois programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) : Cultiver et protéger autrement, dont l'enveloppe est de 30 millions d'euros ; Sélection végétale avancée, doté également de 30 millions ; Grand défi biocontrôle et biostimulants, pour 42 millions.

Ces PEPR étant encore en phase de lancement, il est trop tôt pour évaluer leur efficacité. Néanmoins, il me paraît important d'insister sur plusieurs axes de recherche.

De nouveaux pesticides, appelés « extincteurs de gènes », qui touchent à l'ADN du vivant, sont actuellement développés pour lutter contre les ravageurs des cultures. Si à ce jour, aucun produit de ce type n'a été autorisé, des expérimentations ont été menées en France durant la période 2020-2021. La nature des modifications induites dans les végétaux est encore méconnue et les risques pour la biodiversité n'ont fait l'objet d'aucun travail scientifique. Il est nécessaire de promouvoir la recherche dans ce domaine afin de mieux connaître les risques pour la biodiversité.

Les phénomènes de résistance aux pesticides sont également préoccupants. Depuis plusieurs années, l'apparition de résistance aux substances actives conduit à une perte d'efficacité des produits utilisés. Face à cela, les doses appliquées augmentent, ce qui accentue le phénomène de résistance. Il faut soutenir les travaux de recherche en la matière pour mieux connaître les mécanismes de résistance et les effets sur la biodiversité.

La France dispose d'un programme de recherche particulièrement adapté à l'évaluation de ce type de risque : le programme national de recherche environnement-santé- travail (PNREST), doté de 6 à 8 millions d'euros. Le champ de recherche santé-environnement couvert par ce programme est au cœur des préoccupations exprimées par la société civile, et l'existence d'un appel à projets généraliste permet une meilleure réactivité face aux sujets émergents et un cadre plus souple pour les communautés de recherche. J'appelle à un soutien renforcé pour ce programme de recherche.

Les PFAS, polluants éternels, sont un autre problème sanitaire majeur, dont nous avons encore parlé ce matin. Je ne reviendrai pas sur la définition de ces substances, mais il me paraît utile de faire un rapide état des travaux de recherche dans ce domaine.

Tout d'abord, les chercheurs que j'ai auditionnés ont souligné la complexité de leur travail du fait du nombre de substances à analyser. Il existe néanmoins des données solides sur la toxicité de certains PFAS.

S'agissant des effets sur la santé humaine, plusieurs travaux de recherche ont mis en évidence un caractère cancérigène, l'altération du système thyroïdien, une perturbation du niveau de cholestérol et une altération du système immunitaire. S'agissant des effets sur l'environnement, les PFAS ont été détectés dans tous les milieux à l'échelle planétaire et à des niveaux de concentration très élevés. Ces substances sont retrouvées dans une grande partie des organismes vivants du fait du transfert le long de la chaîne trophique. De 2014 à 2016, Santé publique France a conduit une étude épidémiologique concluant que 100 % de la population française présentait des traces de PFAS dans le corps. Nous sommes donc face à une contamination généralisée, à laquelle personne n'échappe.

Au cours de mes auditions, j'ai identifié trois champs de recherche prioritaires sur les PFAS. Premièrement, au regard des multiples expositions, il est primordial d'étudier les effets synergiques que peuvent avoir les molécules des polluants chimiques entre elles. À ce jour, l'Anses – Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail – et l'Efsa – Autorité européenne de sécurité des aliments – n'évaluent que la toxicité de la substance active de manière isolée.

Deuxièmement, la méthodologie utilisée par les agences sanitaires pour évaluer la toxicité des molécules doit être améliorée par un travail de recherche approfondi. Il s'agit d'éviter les divergences d'analyses, comme le montre le cas emblématique du glyphosate : dans une étude publiée le 6 juillet 2023, l'Efsa conclut que le glyphosate n'est pas un domaine critique de préoccupation, alors que les travaux de l'Inserm et du Centre international de recherche sur le cancer classent le glyphosate comme cancérigène probable pour l'humain. Lors de son audition, l'Inserm a estimé que ces divergences sont d'abord liées à des méthodes de travail différentes. Pour répondre à ces difficultés, l'Union européenne a lancé le projet Parc – Partenariat européen pour l'évaluation des risques liés aux substances chimiques –, qui vise à développer une nouvelle génération de méthodes d'évaluation des risques et des substances chimiques.

Troisièmement, il est impératif d'approfondir les connaissances liées aux techniques de dépollution. La technique de dépollution par filtrage de l'eau au charbon actif semble prometteuse. Néanmoins, elle est extrêmement coûteuse et ne permet de dépolluer que de petites quantités. Au regard de l'ampleur de la contamination, il est donc nécessaire d'accompagner le changement d'échelle du processus industriel et des techniques existantes. J'encourage d'ailleurs le lancement d'un appel à projets sur le sujet copiloté par l'Ademe – Agence de la transition écologique – et par BPIFrance.

Pour conclure, je veux insister sur un point important du rapport. Il me paraît primordial de rappeler que la réduction du poids des appels à projets au profit d'un renforcement des crédits récurrents des universités et des centres de recherche reste l'orientation la plus viable pour assurer la continuité des travaux de recherche et l'attractivité de la recherche française. Néanmoins, l'effort porté par France 2030 est salué par les communautés de recherche et témoigne d'une ambition pour la recherche en matière de développement durable. J'émets donc un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

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