Intervention de Stéphane Layani

Réunion du mardi 14 novembre 2023 à 11h30
Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Stéphane Layani, président-directeur général de la Semmaris :

Pour vous répondre, je vais aller du général au particulier.

Si l'on veut modifier la part du fret modal, il faut multiplier les infrastructures afin d'avoir une offre concurrente qui ne soit pas isolée, sachant que ces infrastructures ne seront pas rentables si elles restent purement nationales. Il faut donc raisonner sur des partages de flux transeuropéens. Pour développer le fret, la puissance publique – au niveau national et européen – doit se doter d'un schéma directeur définissant quels seront les grands hubs de fret en Europe. À défaut de raisonner à cette échelle européenne, nous n'arriverons pas à développer le fret en France et nous dépenserons de l'argent public inutilement. Personnellement, je pense que les ministres des transports et les ministres de l'écologie européens doivent se réunir pour établir un projet de développement du fret à l'échéance de 2030 en Europe.

Dans ce contexte, la question de M. le rapporteur sur les autres MIN prend toute son importance. Étant trésorier de la Fédération des marchés de gros de France, je suis très proche de mes collègues. Soyons précis : tous les MIN du pays sont embranchés au fer, mais Rungis est le seul qui fonctionne. Les vingt-cinq marchés de gros français ont une importance locale ; certains, comme ceux de Nantes, d'Angers ou de Châteaurenard, sont des marchés de production qui servent des métropoles. Si nous étions mieux connectés par le fer, nous pourrions évidemment échanger des marchandises de façon plus fluide. Mais au préalable, il faudrait avoir une vision assez claire de la manière dont nous souhaitons alimenter les métropoles à l'avenir. Rappelons que si la part de marché de Rungis se situe entre 55 % et 68 % en région parisienne, celle des autres marchés de gros est relativement limitée par rapport à la grande distribution sur le segment des produits frais – entre 15 % et 20 %. C'est une question de choix – soit on développe les circuits courts, soit on développe les circuits longs – qui a de larges implications en matière de transport.

Pour en venir à la Bretagne, le marché de gros de Rennes a été supprimé par décision des autorités locales. Un transporteur routier – dont je tairai le nom, mais qui est très bien – s'est développé, qui distribue les produits bretons en France et sur le marché de Rungis. Sur la façade ouest, il ne reste que trois marchés importants : celui de Nantes-Rezé, marqué par une forte production agricole en partie vendue à Rungis, celui d'Angers et celui de Bordeaux, qui est beaucoup plus limité pour de nombreuses raisons. Si nous adoptions l'approche gaullienne qui a présidé à la création des MIN, nous mettrions ces marchés en réseau, en incluant le rail. Cette part importante de la production maraîchère et porcine française pourrait ainsi arriver à Rungis autrement que par camion, mais cela implique des décisions régaliennes qui n'ont pas été prises au cours des dernières années – en remontant à l'arrivée d'un épicier breton bien connu.

Il est vrai, monsieur le rapporteur, que nous pourrions songer à cette mise en réseau, tout en ayant conscience que le fret ferroviaire a un point mort : en deçà d'un certain niveau de circulation, on tombe dans la vente à perte – c'est ce qui rend les subventions nécessaires pour le train des primeurs. Au passage, je signale que tous les sondages effectués à ma demande montrent que les Français ne comprennent pas la suppression de ce train des primeurs, et que c'est un irritant majeur.

Comment cela s'est-il passé ? C'est assez triste. Quand j'ai rencontré la directrice de Fret SNCF en début de mandat, elle ne m'a parlé que de camions, pas du tout de trains. Quelques années plus tard, en décembre 2018, elle m'a annoncé l'arrêt du train des primeurs en juin 2019. Je n'y ai pas cru. En janvier 2019, lors d'un déplacement au Caire avec le Président de la République et Guillaume Pepy, j'ai fait remarquer à ce dernier que cet arrêt était tout de même un peu gênant. Il a évoqué les règles européennes et m'a dit de m'adresser aux Espagnols ou aux Allemands. Jusqu'au dernier moment, nous avons pensé qu'ils allaient tenir mais très vite, vers le mois de mars, nous avons prévenu le Gouvernement et le ministre délégué chargé des transports de l'époque, Jean-Baptiste Djebbari, que la situation était très compliquée.

Comme nous avons travaillé bien en amont de l'arrêt du train et en ayant toujours l'idée de le faire repartir, les wagons n'ont pas été détruits – ils ont même été retapés pendant l'interruption du service. Nous avons cherché des solutions techniques et depuis que le train est reparti, il fonctionne relativement bien. Il arrive qu'il y ait des interruptions, mais on ne peut pas dire qu'elles soient fondamentales pour le trafic : si Primever sait qu'il ne va pas y avoir de train pendant un mois, il est capable de se retourner car il utilise aussi des camions. Ce qui n'est pas bon, c'est l'irrégularité horaire.

Avec tous les partenaires – les régions Occitanie et Île-de-France, les départements du Val-de-Marne et des Pyrénées-Orientales, Fret SNCF et l'État – nous avons bien travaillé, en ignorant un peu l'effet médiatique. L'objectif a toujours été de faire repartir le train des primeurs, même si nous nous sommes posé des questions, comme celle d'aller directement à Bonneuil-sur-Marne – mais cela ne pouvait pas fonctionner car le site est saturé. Un tel travail interministériel et interentreprises est le seul moyen de régler le problème, sachant pour le reste qu'on ne peut échapper à la médiatisation. Quoi qu'il en soit, la SEMMARIS était très attachée au train des primeurs et la SNCF y tenait aussi, symboliquement en tout cas.

Monsieur le président, vous m'avez demandé ce qui se passe à Chapelle international. Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris, est un ami. Dès le départ, je lui avais dit que le projet n'était pas viable : on ne peut pas construire une gare au milieu de nulle part. En la matière, la politique de l'offre ne fonctionne pas, il faut s'appuyer sur une politique de la demande. Or, je le dis sans aucun mépris, le nord de la France ne nous fournit que des racines et des pommes de terre : les flux alimentaires remontent essentiellement du sud, d'où la localisation de Rungis, au sud de Paris. Pour que Chapelle international soit un hub, il faudrait développer des liaisons européennes avec Rotterdam, Anvers, Bettembourg au Luxembourg et autres – et même dans ce cas, je pense que le hub serait Rungis. Outre la taille modeste de son terminal, Chapelle international souffre du fait que les liaisons embranchées sont trop courtes.

J'en viens à l'absence de répercussion des coûts de SNCF Réseau. Tous les députés connaissent par cœur la question de la répercussion des coûts, qui revient à s'interroger sur les transferts de charges. Qui assume ces transferts de charges ? Pour comprendre les questions de logistique à Rungis, il faut savoir une chose : malgré l'inflation, les prix des produits alimentaires frais, en particulier ceux de la plupart des fruits et légumes, sont très bas à Rungis : 1,40 euro le kilo en moyenne. Toute répercussion de coûts importante entraîne donc un effet inflationniste sur les prix des produits alimentaires. Les grossistes, dont les marges sont très faibles, surveillent de très près l'évolution du coût du transport. La plupart du temps, ils achètent d'ailleurs une marchandise dont le coût de transport est assumé par le producteur. La faiblesse du prix de gros des produits est aussi une raison de limiter autant que possible les ruptures de charge.

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