Commission d'enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l'avenir

Réunion du mardi 14 novembre 2023 à 11h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à onze heures trente.

La commission auditionne M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS.

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Nous accueillons M. Stéphane Layani, président-directeur général de la SEMMARIS (société d'économie mixte d'aménagement et de gestion du marché d'intérêt national de Rungis).

Monsieur Layani, merci d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête, dont les travaux, après plus de soixante-dix heures d'auditions, touchent à leur fin. De nombreux intervenants ont souligné le potentiel en grande partie inexploité que le transport de biens alimentaires représente pour le fret ferroviaire. Les marges de progression dans ce domaine sont importantes, s'agissant notamment des nœuds ferroviaires, dont celui de la région parisienne. Nous serons heureux de vous entendre sur la liaison ferroviaire Perpignan-Rungis, devenue un symbole national, et plus généralement sur le rôle que le rail est susceptible de jouer dans la politique de décarbonation et de décongestion des axes routiers de la région parisienne.

La part du ferroviaire dans les volumes acheminés à Rungis a-t-elle évolué depuis une quarantaine d'années ? Qu'en est-il de votre connexion au réseau ferré ? Quels enseignements tirez-vous des mésaventures de la Sogaris dans le réaménagement de l'ancienne gare de La Chapelle ? Enfin, quelles conséquences pourrait avoir le scénario de discontinuité annoncé par le Gouvernement au mois de mai, destiné à protéger Fret SNCF d'une sanction européenne si certaines aides publiques étaient considérées comme illégales ? Un tel plan de discontinuité peut entraîner une désoptimisation de la production industrielle du fret pour un certain nombre d'entreprises.

Avant de vous donner la parole pour une intervention liminaire, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Stéphane Layani prête serment.)

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Stéphane Layani, président-directeur général de la Semmaris

Je vous remercie de votre invitation à m'exprimer sur la situation et les évolutions du fret à Rungis et je salue l'initiative qui a donné lieu à cette commission d'enquête, qui, je l'espère, permettra de mieux cerner, relancer et orienter le fret ferroviaire, auquel Rungis est attaché.

Je le dis d'entrée, je me suis battu pour le « train des primeurs ». La question du fret en France est cruciale pour Rungis.

Le fret est essentiel à l'approvisionnement de Rungis, lui-même indispensable pour le ravitaillement de 28 millions de consommateurs, principalement des Franciliens. Quelque 3 millions de tonnes de produits alimentaires frais de toutes filières transitent chaque année par Rungis, qui viennent des terroirs de toute la France. Si 90 % des approvisionnements de Rungis arrivent par la route, les 10 % restants sont acheminés par la liaison historique Perpignan-Rungis – le train des primeurs. Cette liaison a été interrompue en 2019, bien avant le covid. Elle a repris en 2021, sous mon action conjointe avec celle de l'État. Je peux assurer la commission d'enquête que, dans sa forme actuelle, la circulation de ce train est assurée jusqu'au mois de juin 2024.

J'évoquerai dans un premier temps l'historique du fret à Rungis et le déclin de la liaison Perpignan-Rungis, puis j'exposerai le travail mené avec mes équipes depuis quatre ans pour relancer le fret ferroviaire sur le marché de Rungis. J'espère parvenir ainsi à vous faire comprendre les obstacles à la réussite du fret en France, mais aussi les opportunités qu'il offre.

Rungis a été ouvert en 1969, à la suite du déménagement des Halles de Paris. À l'époque, un train – l'Arpajonnais – desservait les Halles, traversant le boulevard Saint-Michel. Au moment de son ouverture, Rungis était un marché-gare, avec sept quais de déchargement et beaucoup de bâtiments reliés par le rail – certains en conservent des traces. Cet espace ferroviaire avait été dimensionné pour accueillir douze trains de cinquante wagons par jour.

Les installations ferroviaires font donc partie intégrante du marché : l'exploitation et la maintenance en ont été confiées dès 1967 à la SNCF, à titre gracieux. Cette convention, qui régit aujourd'hui encore nos relations avec la SNCF, dispose qu'il revient à la SNCF de déterminer les modes de desserte ferroviaire, leur nature et leur fréquence, et qu'elle doit en outre développer une tarification attractive pour promouvoir l'expansion du trafic ferroviaire. Il incombe également à la SNCF d'assurer la maintenance du terminal ; en échange, elle perçoit les éventuelles recettes liées aux trains. Dès l'origine, l'exploitation du terminal ferroviaire de Rungis a ainsi été dévolue à la SNCF. La SEMMARIS apporte son concours financier à la SNCF lorsqu'elle le sollicite.

La liaison Perpignan-Rungis, elle, date des années 1980. Il y avait à l'époque trois liaisons par jour : 50 % des arrivages étaient destinés aux grossistes du marché d'intérêt national (MIN) de Rungis, le reste étant essentiellement destiné, à l'extérieur du MIN, à la grande distribution. Dans les années 2000, le trafic s'est malheureusement progressivement réduit, pour passer à une liaison par jour.

Au milieu des années 2000, mon prédécesseur s'est rapproché de la SNCF pour investir dans le renouvellement des quais ferroviaires. Se projetant dans l'avenir, celle-ci a souhaité doubler le tonnage, le faisant passer de 200 000 à 400 000 tonnes de produits par an. La SEMMARIS a investi 20 millions d'euros dans une nouvelle gare. Le conseil régional d'Île-de-France, le département du Val-de-Marne et Geodis ont contribué au financement de la rénovation des quais. Il y avait donc une volonté de tous les acteurs de développer le fret ferroviaire alimentaire. La technologie retenue a été celle d'un train conventionnel, avec des wagons frigorifiques, où les palettes sont chargées une à une.

Ces nouveaux quais ont été inaugurés en 2009. Ils répondaient au besoin d'améliorer le temps de déchargement des wagons. À l'ouverture en effet, à deux heures du matin, il faut que les différents pavillons de Rungis soient remplis de victuailles, notamment de fruits et légumes : il est donc très important qu'ils arrivent à l'heure. Pour accueillir ce nouveau train des primeurs, les quais ont été élargis. Autre innovation importante, ce train roulait à 140 kilomètres heure, ce qui en faisait le TGV des trains de fret.

En 2019, on nous a annoncé à l'impromptu l'arrêt de la liaison Perpignan-Rungis. Pour nous comme pour les chargeurs du train, c'était impensable – c'est-à-dire pour l'autorité accueillante, qui est l'autorité du marché de Rungis, et pour les concessionnaires, qui étaient les chargeurs Primever et Roca à l'époque. Cela allait à l'encontre de toute la politique que je menais depuis quelques années visant à favoriser la transition écologique, à laquelle nous sommes très attachés. Nous nous sommes quelque peu battus contre Fret SNCF, sans être entendus.

J'insiste sur ce point : la décision a été prise de façon unilatérale et sans concertation avec le marché de Rungis. Les raisons avancées par Fret SNCF étaient de plusieurs ordres. La principale relevait de la compatibilité à l'égard de la réglementation européenne. Les motifs techniques invoqués touchaient à la vétusté des wagons frigorifiques, vieux il est vrai de plus de quarante ans. Les raisons économiques étaient liées à l'absence de rentabilité de cette ligne, le train repartant à vide. À cet égard, le téléphone portable a une grande part de responsabilité puisque, jusqu'en 2019, le trajet retour permettait d'acheminer la presse papier vers le sud de la France : désormais, les gens lisent leurs journaux sur leur iPad et le train repart à vide… Enfin, il a été question de flux irréguliers et trop saisonniers, de produits fragiles, d'une arrivée trop tardive dans la nuit, à trois heures trente.

Quelle que soit notre incompréhension, le service a donc été interrompu. La presse s'en est émue, même s'il est vrai que la qualité de service s'était beaucoup dégradée les dernières années. Ne pouvant nous résoudre à voir disparaître cette ligne historique, nous avons lancé un travail collaboratif – réunissant l'État, la Semmaris, les entreprises du marché et les acteurs du territoire, notamment la région Occitanie – qui a permis de relancer le fret ferroviaire. Je regrette que M. Jean Castex ne figure pas dans la liste des personnes que vous avez auditionnées : choqué par l'interruption du train des primeurs, il m'avait reçu à Matignon et je dois dire qu'à cette période, l'appui de l'État a été important.

Ma priorité consistait bien évidemment à faire repartir le train traditionnel. Il a fallu détruire les arguments de la SNCF sur la vétusté des wagons – j'observe du reste qu'après quelques réparations, ces wagons qui n'étaient pas censés pouvoir rouler tiendront jusqu'en 2025. Nous avons également essayé de rendre solide l'offre du train traditionnel, ce qui supposait de la régularité. Nous nous sommes donc battus avec le prédécesseur de SNCF Réseau pour obtenir des sillons.

Si nos relations avec la SNCF sont très fluides, ce n'est pas le cas pour SNCF Réseau, qui a tout d'un État dans l'État. À titre d'exemple, le préfet de département m'a un jour appelé pour s'étonner que je veuille détruire le TGV Est. Le fond de l'histoire était simplement qu'après avoir sollicité SNCF Réseau en vain durant deux ans, j'avais commencé à faire des travaux sur un poste de commande du marché de Rungis : c'est seulement alors que SNCF Réseau avait réagi ! J'ai stoppé les travaux immédiatement, mais en en gardant le sentiment que la communication n'est pas fluide entre la SNCF et SNCF Réseau.

J'ai interrogé les entreprises du marché, les acteurs des fruits et légumes, pour comprendre leurs besoins. Il en est ressorti qu'ils avaient tous un intérêt fort pour le service ferroviaire, à la condition d'avoir une offre fiable, ponctuelle et modernisée. Chaque retard d'un train est fatal pour une partie de la cargaison, avec des pertes financières importantes à la clé : si un produit de consommation classique peut arriver avec trois heures de retard, le même retard pour une barquette de fraises du Perpignan-Rungis se traduit par vingt-quatre heures de délai dans sa commercialisation, soit une grosse différence en termes de fraîcheur. Les entreprises du marché ont également fait valoir que de nouvelles liaisons ferroviaires pourraient être utiles, notamment avec la région d'Avignon et avec le port de Dunkerque.

Dans un second temps, nous nous sommes interrogés sur la pertinence de la technologie du wagon conventionnel. Ayant d'excellentes relations et Fret SNCF et son président, M. Frédéric Delorme, nous savons qu'il leur est difficile de trouver un équilibre sur cette ligne, du fait de l'absence de retour de flux. Nous avons donc envisagé d'autres options pour le trajet du retour en région, y compris des produits industriels. En discutant avec une dizaine d'opérateurs ferroviaires, nous avons compris que l'unité de base du fret ferroviaire était, qu'on le veuille ou non, celle du transport combiné, autrement dit le conteneur, par chargement vertical ou horizontal. Nous avons donc envisagé une solution de transport combiné à Rungis.

Nous sommes sortis de tout cela avec une solution en deux temps. D'abord, le trafic du Perpignan-Rungis a repris en 2021 et, je l'espère, jusqu'en 2025. Le second temps serait celui de la pérennisation de la desserte ferroviaire du marché de Rungis par un service de transport combiné. Cela nécessite cependant des aménagements coûteux. Cette solution a été élaborée en concertation avec le département des Pyrénées-Orientales, la région Occitanie, nos chargeurs, la plateforme de Saint-Charles – l'un des deux marchés de gros de Perpignan – et bien sûr SNCF Réseau et Fret SNCF. Elle présentait l'avantage d'une reprise rapide du fret. C'est pour cette raison que l'État a lancé, à l'automne 2020, un appel à manifestation d'intérêt (AMI) pour faire redémarrer la liaison Perpignan-Rungis, remporté par Fret SNCF.

Nous avons obtenu une réponse qui nous permet d'exploiter le train des primeurs jusqu'en 2024, nonobstant le plan de discontinuité qui a été établi. Il a recommencé à circuler le 22 octobre 2021. Hier même a circulé le premier train de la saison, le train d'hiver – en été, les productions qui arrivent sur le marché de Rungis sont françaises, plus régionales et locales ; en hiver, ce sont des productions du sud de la France et d'importation, remontant depuis Perpignan.

La reprise de l'exploitation a été un succès. En 2022, malgré la grève contre la réforme des retraites, le train a circulé quasiment à 90 %. C'est pourquoi la décision de la Commission européenne nous inquiète, le train étant supposé cesser de circuler en décembre 2023. Je ne saurais être précis sur ces questions, mais il semblerait qu'une dérogation ait été obtenue par l'État pour assurer la circulation jusqu'en juin 2024. L'État a lancé un nouvel AMI dont les résultats ne nous ont pas été communiqués, pour envisager une prolongation de 2024 à 2025.

S'agissant de la solution à long terme, je dispose de davantage de liberté. J'ai lancé un appel d'offres pour développer un terminal de transport combiné sur le marché de Rungis, l'objectif étant de trouver un concessionnaire qui conçoive, finance et exploite le nouveau terminal de transport combiné au cœur du marché, avec un modèle économique pérenne. Nous mettons à disposition toute l'emprise ferroviaire du marché sous la forme d'un contrat de concession, sans imposer notre solution technique. Nous ne voulons pas d'éléphant blanc : nous avons laissé les spécialistes du secteur proposer leur technologie – combiné vertical par portique, autoroute ferroviaire, quais conventionnels… –, sachant qu'elles peuvent être mixées. Le concessionnaire investit et se rémunère sur les trafics, qu'il est forcément incité à développer pour amortir son investissement.

Dans l'affaire de Fret SNCF, et malgré toute l'amitié que j'ai pour Frédéric Delorme, j'ai été frappé par la passivité de la maison SNCF en matière commerciale. Il me semble qu'une entreprise, même publique, doit aller chercher ses clients : il ne suffit pas de proposer un service en attendant qu'ils viennent spontanément. S'agissant du train des primeurs, nous avons pris l'initiative, avec Primever, de chercher des clients pour Fret SNCF, mais nous ne pouvons pas le faire éternellement. Cela relève de leur responsabilité.

La concession que nous avons proposée permettra de responsabiliser l'opérateur privé tout en garantissant des exigences de service public. Nos cahiers des charges comportent en effet des objectifs minimums en matière de qualité de service – car le marché de Rungis est un service public. Nous souhaitons avoir au moins 20 % de fret ferroviaire alimentaire dans l'ensemble des trafics qui auront lieu sur le marché de Rungis.

Si nous atteignons l'équilibre économique, nous espérons maintenir la ligne traditionnelle Perpignan-Rungis, sous son format actuel ou en format combiné – à mon avis, ce dernier s'imposera vite, et ouvrir de nouvelles liaisons en provenance d'Avignon et des ports de Sète, de Dunkerque, d'Anvers et de Rotterdam. En diversifiant les lignes, nous pourrons augmenter les volumes. Le marché des fleurs se trouve à Rotterdam, nulle part ailleurs, et Dunkerque est le premier port de pêche français.

En septembre dernier, après deux ans de procédures et d'analyses, nous avons attribué la concession à l'opérateur VIIA, filiale de la SNCF. Vous avez la primeur de l'information : nous n'avons pas communiqué sur le sujet. Le projet de VIIA nous est apparu comme le plus pertinent car il repose sur un modèle économique viable, propose de nouvelles liaisons et combine deux technologies – autoroute ferroviaire et chargement vertical.

Nous espérons avoir un nouveau terminal en 2026 – et je suis en général assez rigoureux concernant le respect des délais dans mon entreprise. L'investissement, de l'ordre de 35 millions d'euros, sera supporté en partie par VIIA. De notre côté, nous avons besoin d'un soutien public à l'investissement, pour ce qui est une infrastructure de service public. Je vais donc déposer une demande de subvention auprès de la Commission européenne dans le cadre de l'appel à projets de la Connecting Europe Facility. L'État, le préfet de région, le ministre délégué chargé des transports et la région Île-de-France ont aussi répondu favorablement à ma demande d'inscrire ce projet dans les contrats de plan État-région en cours d'élaboration. Le soutien public à ces infrastructures est essentiel pour une raison purement juridique : c'est à l'État qu'elles appartiennent, même si la SEMMARIS remplit une mission de service public.

D'ici à 2030, nous espérons avoir six trains aller-retour par jour et un trafic de 120 000 unités de transport intermodales. Connu pour avoir des engagements solides, VIIA a déjà ceux de chargeurs tels que Froidcombi et Primever, déjà utilisateurs du Perpignan-Rungis. En cas de succès, ce report modal permettrait d'éviter 60 000 camions par an sur les routes, et donc l'émission de 25 000 tonnes de CO2.

L'attribution de cet appel d'offres constitue une première étape significative, mais il faut en franchir d'autres pour que le projet soit un succès. Comme je l'ai dit, la question des sillons et des péages est centrale dans le développement du fret ferroviaire : sans sillons réservés, les trains ne peuvent pas circuler, alors qu'une entreprise commerciale a besoin de régularité. Je comprends qu'il faille faire des travaux compliqués sur le réseau ferré et privilégier les trains de passagers, mais la réussite du fret ferroviaire en France passe par l'octroi de sillons réservés et sanctuarisés. Ces trains, qui transportent des produits alimentaires frais, doivent être suffisamment nombreux et programmés à des horaires adaptés.

Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, nous nous heurtons à une énorme difficulté : la saturation du réseau ferroviaire en Île-de-France, qui représente un risque majeur pour le fonctionnement du terminal de Rungis. C'est aussi le cas pour le transport classique, d'ailleurs : le risque ne se situe pas à Bordeaux ou ailleurs en amont, mais lorsque les trains abordent la région parisienne. Vous devez vraiment plaider pour une forme de sanctuarisation des sillons réservés au fret si vous voulez que ça marche : ce n'est certes pas agréable pour les voyageurs de rester bloqués dans un train, mais les opérateurs industriels ont en tout état de cause des normes à respecter et si les trains n'arrivent pas à l'heure, ils passeront à la concurrence modale. Et, pour assurer des sillons réguliers, il faut investir dans le réseau. C'est la base.

Il faut garantir aux entreprises du marché de Rungis la fiabilité et la ponctualité des trains : elles se sont montrées très critiques sur ce point lors de nos échanges avec elles. Cela étant, le train possède un avantage essentiel pour encourager le report modal : sa compétitivité économique par rapport à la route. Nous pensons donc, sans méconnaître le contexte, que les aides publiques au fret ferroviaire doivent être rendues licites au niveau de l'Union européenne, seule solution pour développer la décarbonation par le fret. Notons que le respect de la concurrence n'est pas toujours aussi évident qu'on peut le croire quand de nombreux camions traversent l'Europe en utilisant une infrastructure totalement gratuite. Il faudrait réaliser une étude pour montrer que sur notre marché pertinent, la route est avantagée par sa souplesse et l'absence de coût, en tout cas direct, de ses infrastructures.

Pour conclure, Rungis est complètement impliqué dans le développement de son terminal. Plutôt optimiste, je pense que l'on peut réunir tous les acteurs autour de ce projet et le faire réussir. Les liens entre le public et le privé sont essentiels : c'est pourquoi j'ai lancé une concession, qui met l'économie mixte en avant. L'opérateur ferroviaire, qui doit prendre ses responsabilités dans l'exploitation du terminal en assurant un service public de qualité, sera rémunéré en fonction de son succès. Pour ce faire, il doit bénéficier d'un soutien public à l'investissement.

Sur le plan technique, tant qu'il n'y a pas de pierre philosophale, la solution passe par la mixité des technologies ferroviaires. Il faut accepter d'avoir plusieurs solutions techniques concurrentes avant qu'un format ne s'impose. Si l'on veut accroître le flux, il faut diversifier le modèle économique.

En Europe, Rungis est le seul marché de gros qui soit vraiment embranché à un réseau ferroviaire, originalité formidable que j'aurais peut-être dû souligner d'entrée de jeu. Un seul autre terminal, à Bettembourg, au Luxembourg, dispose d'une mixité de technologies.

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Il se trouve que nous étions hier à Woippy, à quelques kilomètres à peine de Bettembourg, qui possède, en effet, l'une des plus grandes plateformes logistiques d'Europe, très bien connectée au réseau ferré.

Partageant l'essentiel de vos constats, je me contenterai de quelques remarques. Tout d'abord, je tiens d'autant plus à vous féliciter pour votre combat en faveur du ferroviaire que, j'imagine, cela ne faisait pas explicitement partie de vos missions lorsque vous avez été nommé PDG de la SEMMARIS en 2012.

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Stéphane Layani, président-directeur général de la Semmaris

C'est même pire : la doxa est de ne pas gêner ses collègues présidents d'entreprise publique, ce qui complique les choses.

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Si nous n'avons pas auditionné M. Jean Castex, ce n'est pas par méconnaissance de son intérêt pour le sujet, mais parce que nous avons voulu procéder de manière systématique et choisi d'entendre plutôt tous les anciens ministres des transports en poste à partir de 1995. Si nous avions reçu M. Jean Castex, nous aurions dû recevoir tous les Premiers ministres en fonction au cours de la même période, alors que, vous en conviendrez, ils n'ont pas tous manifesté le même intérêt pour le ferroviaire.

Il serait peut-être intéressant que vous reveniez sur les circonstances de l'annonce de l'interruption de la ligne Perpignan-Rungis en 2019, car elles me semblent assez symptomatiques de la manière dont la branche fret de la SNCF travaille parfois avec ses clients. Vous avez décrit une forme de passivité dans l'action commerciale de la SNCF que nous avions aussi identifiée, et qui est peut-être encore plus marquée pour le réseau que pour le fret. Dans l'absolu, l'intérêt d'un gestionnaire d'infrastructure est de maximiser l'utilisation. Il existe certes des nœuds ferroviaires, mais il n'y en a pas soixante-quinze à passer ! Or, au cours de certains échanges, nous avons eu plusieurs fois le sentiment que la dimension de valorisation et de commercialisation des sillons potentiels n'était pas intégrée de manière systématique chez SNCF Réseau, pour des raisons qui sont aussi liées à l'organisation. Dans le cas particulier de Rungis, Fret SNCF peut aussi avoir des difficultés à répercuter les coûts de circulation sur les utilisateurs, notamment en raison du caractère de service public du MIN.

Enfin, je suis totalement d'accord avec vous concernant la nécessité d'investir dans le réseau, bien au-delà des opérations nouvelles. D'ailleurs, je compte sur vous pour relayer ce message, car les acteurs économiques aussi doivent le faire entendre. Très longtemps négligé, l'investissement a commencé à se redresser en 2003, puis de manière plus nette à partir de 2018-2019, mais le retard reste criant. Lors de notre déplacement à Woippy, plus grande gare de triage de France, nous avons constaté les effets de ce manque. La vétusté des équipements est flagrante, alors qu'il s'agit d'une gare stratégique pour l'activité du wagon isolé et pour des transports sensibles et militaires. Il y avait un fax et des ordinateurs à disquettes !

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Tout d'abord, monsieur le président-directeur général, je vous remercie de votre présentation dense et précise.

Peut-être pourriez-vous revenir sur cette annonce de 2019 que vous avez qualifiée d'impromptue et unilatérale, et sur la manière dont elle a été reçue par le milieu – entreprises, chargeurs et autres.

Votre réflexion vous conduit à tenir des propos très encourageants pour l'avenir de ce beau projet de terminal, avec un objectif de retour à six trains par jour. Vous envisagez aussi de développer des liaisons avec Dunkerque, Anvers ou Rotterdam. Que pensez-vous de régions comme la Bretagne ou l'Aquitaine, qui sont en retard par rapport à d'autres en matière de fret alors qu'elles sont de gros producteurs de denrées agricoles ? Comment pourrait évoluer la contribution de ces régions agricoles au MIN de Rungis ?

Seul marché de gros à être embranché au réseau ferroviaire en Europe, selon vos dires, Rungis est donc, a fortiori, le seul à l'être à l'échelle nationale. Qu'en est-il des capacités de raccordement des autres MIN du pays au réseau ferroviaire, qui pourrait entraîner un recalibrage à la hausse du trafic ferroviaire fret, y compris par le recours au transport combiné ?

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Stéphane Layani, président-directeur général de la Semmaris

Pour vous répondre, je vais aller du général au particulier.

Si l'on veut modifier la part du fret modal, il faut multiplier les infrastructures afin d'avoir une offre concurrente qui ne soit pas isolée, sachant que ces infrastructures ne seront pas rentables si elles restent purement nationales. Il faut donc raisonner sur des partages de flux transeuropéens. Pour développer le fret, la puissance publique – au niveau national et européen – doit se doter d'un schéma directeur définissant quels seront les grands hubs de fret en Europe. À défaut de raisonner à cette échelle européenne, nous n'arriverons pas à développer le fret en France et nous dépenserons de l'argent public inutilement. Personnellement, je pense que les ministres des transports et les ministres de l'écologie européens doivent se réunir pour établir un projet de développement du fret à l'échéance de 2030 en Europe.

Dans ce contexte, la question de M. le rapporteur sur les autres MIN prend toute son importance. Étant trésorier de la Fédération des marchés de gros de France, je suis très proche de mes collègues. Soyons précis : tous les MIN du pays sont embranchés au fer, mais Rungis est le seul qui fonctionne. Les vingt-cinq marchés de gros français ont une importance locale ; certains, comme ceux de Nantes, d'Angers ou de Châteaurenard, sont des marchés de production qui servent des métropoles. Si nous étions mieux connectés par le fer, nous pourrions évidemment échanger des marchandises de façon plus fluide. Mais au préalable, il faudrait avoir une vision assez claire de la manière dont nous souhaitons alimenter les métropoles à l'avenir. Rappelons que si la part de marché de Rungis se situe entre 55 % et 68 % en région parisienne, celle des autres marchés de gros est relativement limitée par rapport à la grande distribution sur le segment des produits frais – entre 15 % et 20 %. C'est une question de choix – soit on développe les circuits courts, soit on développe les circuits longs – qui a de larges implications en matière de transport.

Pour en venir à la Bretagne, le marché de gros de Rennes a été supprimé par décision des autorités locales. Un transporteur routier – dont je tairai le nom, mais qui est très bien – s'est développé, qui distribue les produits bretons en France et sur le marché de Rungis. Sur la façade ouest, il ne reste que trois marchés importants : celui de Nantes-Rezé, marqué par une forte production agricole en partie vendue à Rungis, celui d'Angers et celui de Bordeaux, qui est beaucoup plus limité pour de nombreuses raisons. Si nous adoptions l'approche gaullienne qui a présidé à la création des MIN, nous mettrions ces marchés en réseau, en incluant le rail. Cette part importante de la production maraîchère et porcine française pourrait ainsi arriver à Rungis autrement que par camion, mais cela implique des décisions régaliennes qui n'ont pas été prises au cours des dernières années – en remontant à l'arrivée d'un épicier breton bien connu.

Il est vrai, monsieur le rapporteur, que nous pourrions songer à cette mise en réseau, tout en ayant conscience que le fret ferroviaire a un point mort : en deçà d'un certain niveau de circulation, on tombe dans la vente à perte – c'est ce qui rend les subventions nécessaires pour le train des primeurs. Au passage, je signale que tous les sondages effectués à ma demande montrent que les Français ne comprennent pas la suppression de ce train des primeurs, et que c'est un irritant majeur.

Comment cela s'est-il passé ? C'est assez triste. Quand j'ai rencontré la directrice de Fret SNCF en début de mandat, elle ne m'a parlé que de camions, pas du tout de trains. Quelques années plus tard, en décembre 2018, elle m'a annoncé l'arrêt du train des primeurs en juin 2019. Je n'y ai pas cru. En janvier 2019, lors d'un déplacement au Caire avec le Président de la République et Guillaume Pepy, j'ai fait remarquer à ce dernier que cet arrêt était tout de même un peu gênant. Il a évoqué les règles européennes et m'a dit de m'adresser aux Espagnols ou aux Allemands. Jusqu'au dernier moment, nous avons pensé qu'ils allaient tenir mais très vite, vers le mois de mars, nous avons prévenu le Gouvernement et le ministre délégué chargé des transports de l'époque, Jean-Baptiste Djebbari, que la situation était très compliquée.

Comme nous avons travaillé bien en amont de l'arrêt du train et en ayant toujours l'idée de le faire repartir, les wagons n'ont pas été détruits – ils ont même été retapés pendant l'interruption du service. Nous avons cherché des solutions techniques et depuis que le train est reparti, il fonctionne relativement bien. Il arrive qu'il y ait des interruptions, mais on ne peut pas dire qu'elles soient fondamentales pour le trafic : si Primever sait qu'il ne va pas y avoir de train pendant un mois, il est capable de se retourner car il utilise aussi des camions. Ce qui n'est pas bon, c'est l'irrégularité horaire.

Avec tous les partenaires – les régions Occitanie et Île-de-France, les départements du Val-de-Marne et des Pyrénées-Orientales, Fret SNCF et l'État – nous avons bien travaillé, en ignorant un peu l'effet médiatique. L'objectif a toujours été de faire repartir le train des primeurs, même si nous nous sommes posé des questions, comme celle d'aller directement à Bonneuil-sur-Marne – mais cela ne pouvait pas fonctionner car le site est saturé. Un tel travail interministériel et interentreprises est le seul moyen de régler le problème, sachant pour le reste qu'on ne peut échapper à la médiatisation. Quoi qu'il en soit, la SEMMARIS était très attachée au train des primeurs et la SNCF y tenait aussi, symboliquement en tout cas.

Monsieur le président, vous m'avez demandé ce qui se passe à Chapelle international. Jonathan Sebbane, directeur général de Sogaris, est un ami. Dès le départ, je lui avais dit que le projet n'était pas viable : on ne peut pas construire une gare au milieu de nulle part. En la matière, la politique de l'offre ne fonctionne pas, il faut s'appuyer sur une politique de la demande. Or, je le dis sans aucun mépris, le nord de la France ne nous fournit que des racines et des pommes de terre : les flux alimentaires remontent essentiellement du sud, d'où la localisation de Rungis, au sud de Paris. Pour que Chapelle international soit un hub, il faudrait développer des liaisons européennes avec Rotterdam, Anvers, Bettembourg au Luxembourg et autres – et même dans ce cas, je pense que le hub serait Rungis. Outre la taille modeste de son terminal, Chapelle international souffre du fait que les liaisons embranchées sont trop courtes.

J'en viens à l'absence de répercussion des coûts de SNCF Réseau. Tous les députés connaissent par cœur la question de la répercussion des coûts, qui revient à s'interroger sur les transferts de charges. Qui assume ces transferts de charges ? Pour comprendre les questions de logistique à Rungis, il faut savoir une chose : malgré l'inflation, les prix des produits alimentaires frais, en particulier ceux de la plupart des fruits et légumes, sont très bas à Rungis : 1,40 euro le kilo en moyenne. Toute répercussion de coûts importante entraîne donc un effet inflationniste sur les prix des produits alimentaires. Les grossistes, dont les marges sont très faibles, surveillent de très près l'évolution du coût du transport. La plupart du temps, ils achètent d'ailleurs une marchandise dont le coût de transport est assumé par le producteur. La faiblesse du prix de gros des produits est aussi une raison de limiter autant que possible les ruptures de charge.

La séance s'achève à midi quarante.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. David Valence, M. Hubert Wulfranc