Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Je suis entièrement d'accord avec vous au sujet de la diplomatie mais je voulais juste ajouter un hommage à la qualité d'une diplomatie assez exceptionnelle en termes linguistiques et anthropologiques.

Par ailleurs, il faut rappeler qu'un certain nombre de pays francophones sont dirigés par des élites formées encore en France et je voulais y inclure les militaires, parce que je ne sais pas si la France endosse et assume le fait d'avoir formé des lieutenants-colonels aussi entreprenants. Certains d'entre eux, comme le président de la Guinée, étaient jusqu'à il y a quelques mois officiers français dans la légion étrangère.

S'agissant des coopérants, le président de la République a dit qu'il fallait que la France reste la France, tandis que Libération a titré en Une : « Emmanuel Macron : vielle France ». Cependant, il ne faut pas être trop « vieille France » et il ne peut pas y avoir 10 000 coopérants civils français en Afrique, simplement parce que l'Afrique n'en a pas besoin. Quand vous avez besoin de compétences, vous les formez d'abord nationalement. D'ailleurs, les universités et grandes écoles africaines sont récentes. Par exemple, l'université nationale au Bénin a été créée en 1968 et les bailleurs de fonds ne voulaient pas apporter leur soutien, arguant qu'il existait déjà une université de plein exercice à Dakar, qui est pourtant située à 2 000 kilomètres. Aujourd'hui, le campus que mon oncle a créé en 1968 au Bénin regroupe 120 000 étudiants. Par conséquent, nous formons nos propres élites et nous avons moins besoin de coopérants.

En revanche, nous avons besoin de consultants et d'experts. En effet, nous n'avons pas besoin d'un profil de coopérant, sauf peut-être dans l'éducation et la santé avec des enseignants du secondaire et du supérieur. De même, nous n'avons pas besoin de conseillers auprès des ministres car, lorsque nous souhaitons des conseils, nous nous adressons à des sociétés spécialisées en la matière – Boston Consulting Group (BCG), McKinsey, etc.

Par ailleurs, les États-Unis ont des ambassades regroupant davantage de personnel que les ambassades de France. Elles rassemblent plusieurs services, dont la National Security Agency (NSA), la Central Intelligence Agency (CIA), la Drug Enforcement Administration (DEA) et le Federal Bureau of Investigation (FBI). Nous n'avons d'ailleurs pas encore parlé du crime organisé, qui est beaucoup plus la réalité du terrorisme que les gens en croisade de djihad. Je crois d'ailleurs que ces personnels sont de plus en plus nécessaires parce que les pays occidentaux sont davantage déstabilisés par les trafics de drogue, de cigarettes, d'êtres humains et de faux médicaments que par des combattants armés d'une croisade religieuse. Le président Bazoum insistait toujours sur le fait que les djihadistes ne faisaient pas un djihad religieux mais des trafics qui ont une importance considérable.

Les États-Unis le reflètent mieux dans leur personnel sur le terrain et ont aussi quelque chose de très intéressant, à savoir le Peace Corps. Ce sont ces volontaires immergés, mais qui ne sont pas coopérants ou conseillers techniques du ministre des finances. Ils connaissent le terrain et sont obligés d'apprendre les langues vernaculaires. Cette coopération d'extrême proximité pour l'APD me semble plus intéressante. Les 10 000 coopérants français qui étaient en double commande des administrations ne sont plus nécessaires : nous avons l'équivalent ou nous nous adressons au marché des consultants ou à des banquiers d'affaires.

Je suis en outre d'accord avec vous au sujet de la presse mais le travail de la représentation nationale doit se diffuser. Il faut trouver les moyens pour que la presse française relaie votre rapport d'information. Même si vous l'écrivez, on ne diffuse pas les éléments qui montrent que la France n'est pas en déclin en Afrique. Malgré tout, on ne peut pas faire de la propagande à travers la presse. Il faut donner assez de respect à l'Afrique, même si je ne dis pas qu'il faut rétablir dans Le Monde une page Afrique tous les jours, comme il y a trente ans. En revanche, il faut s'organiser au Quai d'Orsay, mais aussi à l'Assemblée nationale. Par exemple, je faisais le compliment à M. Guiniot, député du Rassemblement national, pour le vote à l'unanimité de la loi qui a permis la restitution d'œuvres au Bénin sous la législature précédente mais personne n'en a connaissance. La presse relaie plutôt les échos relatifs à la controverse qui disait que les musées et les collectionneurs allaient être dépouillés, qu'ils étaient incapables de conserver ces œuvres et que ce n'est pas parce que les objets leur ont été volés qu'ils doivent leur être rendus, au motif que le voleur serait un meilleur conservateur que le propriétaire. Cependant, personne n'a dit que l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité sur ce sujet.

Il faut une volonté de parler d'Afrique et de développer la connaissance de ce continent. Par conséquent, les institutions et entreprises françaises doivent dire ce qu'elles font. Par exemple, la production en Afrique représente 40 % des résultats de TotalEnergies mais tout le monde l'ignore. La France doit donc parvenir à faire savoir qu'elle est quand même parmi les meilleurs partenaires de l'Afrique.

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