Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Ces questions sont à la fois tout à fait pertinentes et assez rarement posées. Vous avez en outre rendu service à cette commission en parlant des femmes. Elles sont essentielles dans la compréhension de la croissance de l'Afrique et sont probablement les meilleures gestionnaires du patrimoine des ménages, ainsi que le premier échelon de l'éducation. Dans notre pays matriarcal, où les femmes sont les grandes commerçantes de nos grands marchés, nous n'avons pas de difficulté à assurer la parité sur le plan politique. La situation est un peu différente dans les pays de tradition patriarcale, comme au Sahel. En tous cas, il est question de l'autonomie des femmes, de leur capacité d'accéder à la possession de la terre, qui est encore minoritaire en Afrique, et de leur capacité d'accéder à l'emploi.

Nous avons un problème terrible pour la démographie et le développement. Dans la capitale de mon pays, comme en Côte d'Ivoire ou au Ghana, nous avons 95 % de scolarisation : par conséquent, toutes les filles sont scolarisées. Au Nord, c'est-à-dire dans la région du Sahel, nous n'avons qu'à peu près 30 % de scolarisation et presque aucune fille n'est scolarisée. Les conséquences démographiques sont donc considérables car l'autonomie des femmes, le niveau d'éducation, la capacité d'avoir des grossesses suivies, celle de réduire la mortalité en couches et infantile sont corrélés. Par conséquent, la transition démographique est extraordinairement rapide dans les pays du Maghreb – et non dans le Sahel maghrébin – car les progrès de la santé, de l'éducation et de l'autonomie des femmes sont fondamentaux. Ce n'est pas qu'une question de planning familial mais du rôle qu'on donne aux femmes et de l'accès aux biens communs, ainsi qu'aux services publics.

C'est devenu une priorité, comme celle de la lutte contre les carences. L'extrême pauvreté se différencie de la pauvreté car même les générations suivantes ne peuvent pas en sortir : peu importe la croissance du pays, étant donné que des carences ont été accumulées. Cet enjeu se pose dans les mille jours de la grossesse de la mère allaitante et du nourrisson jusqu'à deux ans. Certains pays – et le mien en est le leader – travaillent sur la sécurité alimentaire, ainsi que sur les contenus vitaminiques et protéiques des mille jours clés, de façon à faire reculer les carences. Ce sujet explique les inégalités dans la rapidité de transition démographique. Du point de vue démographique, le Maghreb est devenu européen, de même qu'Abidjan et Cotonou, à l'inverse de Niamey et Ouagadougou.

Nous mettons d'ailleurs en place le plus de fonds d'investissement possible pour accompagner les femmes car nous avons une rareté incroyable du capital accrue pour celles-ci. Or l'Afrique est probablement le continent où il y a plus de femmes entrepreneuses et entreprenautes.

Sur l'aide et la juste rémunération des produits, j'avais travaillé avec Bruno Le Maire en 2011, lors de la présidence française du G20. Le président Sarkozy voulait en effet que nous travaillions sur des mécanismes de garantie de prix de matières premières, notamment agricoles. Cependant, nous n'avons pas le luxe, comme l'Union européenne, de fixer des prix et d'effectuer des transferts monétaires très importants de façon à permettre, en fonds structurel, un développement et à avoir une aide aux produits massive comme avec le fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA). Je possède une maison dans l'Orne, en dehors de ma maison au Bénin, et mes voisins gagnent la moitié de leur vie sur les prix des produits, c'est-à-dire les prix de marché, et la moitié sur les transferts, c'est-à-dire l'aide aux producteurs. Cependant, nous n'avons pas, en Afrique, les moyens d'avoir un système similaire.

En revanche, l'industrialisation de nos matières premières agricoles est en cours. Dès lors que vous avez un acheteur final qui va transformer votre produit, il y a en amont un intérêt de l'industriel – qui va décupler la valeur du produit – à investir lui-même pour fournir plus de semences, plus d'engrais, plus de mécanisation, ce qui transfère des ressources pour assurer des contrats de long terme. Ce système élève les rendements de façon très importante et la juste rétribution ne peut pas être un mécanisme de transfert budgétaire. En effet, il est nécessaire d'atteindre un niveau de développement et de ressources de finances publiques très supérieur, ce qui est à la portée de deux ou trois pays sur le continent. Les entreprises françaises qui sont tellement dominantes en matière agroalimentaire – Lactalis, Danone, Bell, les grandes coopératives, etc. – ont un boulevard et pourraient jouer ce rôle de meilleure rétribution de l'amont sans que des transferts de fonds publics soient nécessaires.

Par ailleurs, vous avez raison sur les taux d'intérêt et, d'ailleurs, les marchés financiers sont fermés à l'Afrique, sauf peut-être pour la finance verte, car ils sont devenus exorbitants en prix. En 2024 et 2025, l'Afrique va connaître un terrible credit crunch car il faut pouvoir rembourser les eurobonds des années précédentes en se réendettant, ce qui n'est plus possible sur les marchés. La baisse des taux d'intérêt constitue donc un enjeu vital pour l'Afrique.

Les pays de la zone franc ont l'immense avantage d'avoir les taux d'intérêt les plus bas du continent et la stabilité des monnaies les plus fortes. Dans mon pays, l'inflation est en effet à 3 %, alors qu'elle atteint respectivement 45 % et 30 % dans les pays voisins que sont le Ghana et le Nigéria, car nous avons une monnaie stable qui joue son rôle. Par conséquent, nous avons les taux d'intérêt les plus bas. Il existe quelques autres exceptions telles que le Maroc ou Djibouti. En dehors de celles-ci, les taux d'intérêt nous martyrisent plus que tous les autres car nous avons une prime de risque très élevée. Cependant, nous avons beaucoup moins de risques que la perception des risques.

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