Intervention de Lionel Zinsou

Réunion du mercredi 17 janvier 2024 à 10h15
Commission des affaires étrangères

Lionel Zinsou, fondateur et partenaire managérial de SouthBridge, président de la Fondation Terra Nova, administrateur du musée Branly-Jacques Chirac, ancien premier ministre du Bénin (2015-2016) :

Je pense que le rapport d'information dont votre commission a autorisé la publication aurait peut-être pu écrire en toutes lettres que le pré carré africain francophone était une illusion française. Je crains même que ce soit de l'hubris française parce que la relation entre l'Afrique et la France repose très faiblement sur les pays francophones d'Afrique subsaharienne. Toutefois, le Maghreb est particulier car la Tunisie et le Maroc font plus de commerce avec les pays de l'Union européenne, en proportion de leurs échanges, qu'une partie des pays de l'Union européenne entre eux. Concrètement, on ne peut pas faire plus européens que la Tunisie et le Maroc du point de vue du commerce extérieur. La part de marché français, qui s'élève un peu moins de 3 % mondialement, atteint d'ailleurs 15 % au Maghreb.

L'Afrique subsaharienne n'est quant à elle pas du tout le partenaire africain de la France du point de vue économique. Les échanges avec le Nigéria sont les plus importants, suivis de l'Afrique du Sud et de l'Égypte, c'est-à-dire les trois pays les plus importants du continent en termes de PIB. L'Angola et la Namibie progressent en outre à toute vitesse. Par ailleurs, les pays de la Communauté économique africaine, l'ECA – Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda et Burundi –, sont avec l'Union économique monétaire ouest-africaine les moteurs de croissance mais ne sont pas des pays francophones. D'ailleurs, observez toujours, mesdames et messieurs les députés, la construction des chiffres sur l'Afrique. Les francophones sont beaucoup plus nombreux au Nigéria qu'au Bénin mais le Nigéria compte 220 millions d'habitants, dont 80 millions d'écoliers, et le français y est enseigné dans le secondaire ; la population du Bénin s'élève quant à elle à 12 millions d'habitants.

Lors de sa dernière visite au Nigéria, le président de la République a inauguré la plus grande Alliance française du monde, qui a été construite par des milliardaires nigérians en hommage à la France, car les listes d'attentes sont très longues aussi bien en Alliance française qu'en lycée français.

Pendant la campagne présidentielle au Bénin, des journalistes m'ont dit à la télévision que j'avais été envoyé comme gouverneur des colonies. Je leur ai alors répondu qu'en France, le parti des gens qui voulaient recoloniser l'Afrique me semblait quand même discret. Je leur ai ensuite demandé avec humour s'ils étaient sûrs que, si la France voulait recoloniser un pays, elle choisirait le Bénin, réplique qui m'a valu des insultes. Cependant, ne restons pas en arrêt sur image : la zone franc et les Comores représentent 0,6 % du commerce extérieur français. Nous vendons cependant des Rafale et des porte-hélicoptères amphibies à l'Égypte. Et à qui va-t-on livrer des centrales nucléaires à l'avenir ? Nous avons donc des relations avec l'Égypte et l'Afrique du Sud mais moins avec le Bénin, la Côte d'Ivoire ou le Gabon.

Il est incroyable de voir comme la France croit encore qu'il existe toujours un pré carré pour les intérêts français, ce qui est pourtant une fiction. Les Français commettent un péché d'hubris quand ils pensent qu'ils sont rejetés. Ce qui pourrait s'imposer est l'indifférence, et non le rejet.

Par ailleurs, dans les circonstances actuelles d'inflation, de taux d'intérêt très élevés et de chaos pour les pays émergents sur les marchés financiers, le franc CFA, qui ne fait l'objet d'aucun double change ou d'aucune fuite devant la monnaie, constitue un atout important.

Madame la députée Galzy, vous m'avez demandé si une révision monétaire était en cours, ce qui m'a amusé, et si la zone franc allait prochainement éclater – elle évoluera prochainement –, ce qui serait encore une preuve du déclin français. Je vous rappelle les propos de Mme Marine Le Pen à N'Djaména, aux côtés de feu Idriss Déby Itno, et sa critique de l'existence du franc CFA. Elle avait employé la métaphore suivante, que je ne suis pas sûr d'approuver : pour la monnaie, c'est comme pour la virginité, on n'est pas à demi-vierge et, par conséquent, on ne partage pas sa souveraineté monétaire, le franc CFA est une séquelle coloniale. Je vois que vous attendez que nous soyons encore rejetés de quelque chose à travers la monnaie et que ce soit une preuve du rejet français. Cependant, Marine Le Pen est la personnalité politique française la plus importante qui ait adressé une critique en territoire africain sur l'existence du franc CFA. Vous semblez trouver aujourd'hui que c'est un échec à venir mais il ne faut pas faire la publicité de l'échec.

Au sujet d'EACOP, j'ai indiqué que la France s'autoflagellait volontiers. Sur TotalEnergies, ce sont quantitativement davantage des ONG et fondations européennes, et notamment françaises, qui sont les plus actives. Évidemment, il existe des rejets locaux d'ONG et d'associations en Ouganda, en Tanzanie et au Mozambique : je vous renvoie à cet égard au rapport de Jean-Christophe Rufin sur le Mozambique. Ces rejets sont toutefois beaucoup plus marginaux que les attentes locales. Dans mon introduction, je soulignais l'existence d'un masochisme français sur l'Afrique.

Par ailleurs, Monsieur le député Julien-Laferrière, vous avez dit que Wagner gérait les pays africains en prenant l'exemple de la Centrafrique mais l'ordre public en Centrafrique est assuré par les troupes rwandaises ! Wagner y est en position de garde prétorienne du pouvoir politique dans Bangui ; cependant, ce sont les troupes rwandaises qui maintiennent le peu d'ordre public en Centrafrique. Le Mozambique a également fait appel à Wagner contre les Chabab, notamment dans la région de Cabo Delgado où l' Ente Nazionale Idrocarburi (ENI) et TotalEnergies sont présentes au niveau des plus grandes réserves de gaz naturel de l'océan Indien ; cependant, Wagner a échoué et a été congédié. Ensuite, les forces rwandaises ont rétabli la paix au Nord du Mozambique. Vous ne pouvez donc pas faire cette fixation sur Wagner. Comment voulez-vous que Wagner, en termes d'équipement et de commandement, n'ait pas été affecté par le fait que tout l'équipement russe va en Ukraine et que le commandement a disparu d'un coup par un malheureux accident ? Au Mali, l'armée malienne a reconquis Kidal – certes avec quelques hommes de Wagner – alors que la France est un peu accusée de ne pas avoir cherché à libérer Kidal du fait des Touaregs.

La Chine, la Russie et la Turquie sont des émotions françaises mais sur le terrain, ce sont des exceptions en Afrique. Au Mali, en Centrafrique et au Soudan, cela représente au total probablement 1 500 hommes, qui sont très loin d'accaparer les mines. Les mines d'or du Sahel sont sud-africaines, suisses, marocaines et canadiennes. L'organisation Wagner a quant à elle obtenu deux concessions.

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