Intervention de Laure Miller

Réunion du mercredi 24 janvier 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure Miller :

Nous examinons ce matin une proposition de loi provenant du Sénat, et qui reprend des recommandations faites par la commission d'enquête sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Je veux ici souligner le caractère transpartisan de ce travail. Oui, nous sommes fort heureusement capables de travailler ensemble pour améliorer nos politiques publiques, en l'occurrence, pour assainir leur élaboration. En ce sens, cette proposition est, sur le principe, bienvenue.

Elle intervient donc après un rapport de la commission d'enquête créée en novembre 2021 et dont les travaux se sont achevée en mars 2022. Elle a été adoptée par le Sénat, le 19 octobre 2022. Précisons que, dans ce laps de temps, le Gouvernement a pris ses responsabilités : le régime juridique qui encadre les prestations de conseil a évolué dans le bon sens. Le Gouvernement Castex a introduit de nouvelles règles d'ordre réglementaire, par la voie d'une circulaire du 19 janvier 2022. Un nouvel accord-cadre a ensuite été conclu sur la réalisation des prestations de conseil en stratégie, en juillet 2022. Puis, la loi de finances pour 2023 a prévu la remise d'un rapport sous forme d'annexe au projet de loi de finances, portant sur le recours par l'État aux prestations de conseil. Enfin, une circulaire de la Première ministre en date du 8 février 2023, relative au pilotage et à l'encadrement du recours aux prestations intellectuelles informatiques, est venue renforcer le cadre de régulation.

Toutes ces évolutions ont permis de construire notre arsenal législatif pour lutter contre certaines dérives du recours aux cabinets de conseil, en contraignant l'administration à démontrer au préalable qu'elle ne disposait pas des moyens ou compétences nécessaires pour avoir recours aux cabinets de conseil, en fixant un objectif de réduction des dépenses et une maîtrise de leur montant, en instaurant un dispositif de pilotage par ministère et une évaluation après chaque prestation, en renforçant les règles de déontologie, de la transparence et de la protection des données. En somme, nombre de mesures de la proposition ont, d'une manière ou d'une autre, été traitées par l'exécutif, depuis 2021. S'il est sans doute nécessaire de transcrire dans la loi cette régulation, il me semblait important de préciser l'état du droit.

Je relèverai en revanche trois points d'alerte. En premier lieu, si nos administrations doivent gagner en compétence, elles ne peuvent, de toute évidence, pas disposer de toutes les expertises – parfois techniques –, a fortiori lorsque surviennent des sujets urgents et spécifiques, comme celui de la crise du Covid. Ne caricaturons donc pas la situation en empêchant tout recours à des expertises extérieures, sauf à vouloir créer un État omnipotent, impliquant des agents supplémentaires, qui ne seraient sollicités que ponctuellement : cela ne serait pas raisonnable.

Deuxièmement, notre droit est trop complexe. Nous construisons, chaque semaine, dans cette enceinte, la démobilisation générale, qu'elle soit économique ou sociale, en empilant des normes les unes sur les autres. En voulant protéger, nous finissons par empêcher toutes les initiatives. Certes, il s'agit de l'argent des Français et il est légitime de briser la relation de dépendance qui s'est parfois installée entre les cabinets de conseil et le secteur public. Il est donc extrêmement sain de vouloir encadrer le recours aux cabinets de conseil. Veillons cependant à ne pas prévoir des règles disproportionnées, à ne pas construire des usines à gaz et à ne pas aboutir, en privilégiant les grosses structures, au but inverse à celui recherché.

Dernier élément, cette PPL étant de nature politique, la tentation peut être forte, pour les uns et les autres, de politiser ce sujet. Je reprendrai à cet égard les mots de François Sureau, prononcés récemment devant l'Académie des sciences morales et politiques : « La France est un étrange pays, visiblement gouverné par le principe de l'échange des rôles ; chacun y fait le travail d'un autre. Les ministres tweetent comme des journalistes et parlent comme des fonctionnaires. Les parlementaires se rêvent juges d'instruction et convoquent, l'une après l'autre, des commissions d'enquête. » Je forme donc un vœu, sans doute pieux : restons ce matin dans notre rôle de législateur. Notre groupe formulera un certain nombre d'aménagements rédactionnels, afin que la proposition de loi soit davantage proportionnée au but recherché.

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