Intervention de Thierry Mosimann

Réunion du jeudi 25 janvier 2024 à 9h00
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux :

La Coordination nationale pour la sécurité des Jeux olympiques 2024 (CNSJ) s'inscrit dans un cadre interministériel défini. Nous avons la chance d'accueillir les JOP ; il s'agit d'un événement planétaire qui mettra notre pays dans la lumière, avec 206 nations – davantage qu'à l'ONU –, 4 milliards de téléspectateurs, dont 1 milliard pour la seule cérémonie d'ouverture, et 15 000 athlètes. Au sein de l'appareil d'État, la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), dirigée par M. Michel Cadot, coordonne les nombreux acteurs mobilisés ; elle dispose de relais dans tous les ministères – la CNSJ, pour le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Je suis donc placé sous l'autorité à la fois du ministre et de la DIJOP.

Créée en 2018, la CNSJ a été conçue de manière empirique. Elle intervient uniquement lorsqu'une coordination est nécessaire ; son rôle est donc subsidiaire. Elle intervient en matière de sécurité publique parce que celle-ci relève de deux directions générales : celle de la police nationale (DGPN) et celle de la gendarmerie nationale (DGGN). En revanche, la CNSJ s'occupe peu de sécurité civile, puisqu'il existe en la matière un référent clairement identifié au ministère de l'intérieur, à savoir le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Bien évidemment, cela ne signifie pas que les questions de sécurité civile ne concernent pas la CNSJ.

Avant les Jeux, la CNSJ a pour première mission de cartographier les risques. Il faut les identifier et les hiérarchiser, en fonction de critères – plausibilité, fréquence, incidence sur les personnes, les biens ou le déroulement des Jeux –, puis élaborer des contre-mesures. Ce travail a été confié au centre de renseignement olympique (CRO), adossé à la CNSJ, qui a élaboré l'ANR, l'analyse nationale des risques, organisée en onze familles. On identifie deux risques transversaux – manipulation de l'information et risques cyber ; cinq intentionnels – terrorisme, atteinte aux personnes, atteinte aux biens, atteinte aux chantiers liés aux JOP, atteinte au bon déroulement des JOP ; sont également identifiés quatre risques non intentionnels – naturels, sanitaires, industriels, accidentels. Pour chaque famille, on élabore des scénarios, désormais au nombre de 300, puis des contre-mesures, qui visent à anticiper la crise et à prévoir notre conduite pendant son déroulement. Ce travail, commencé en 2021, est en constante évolution : nous en sommes à la septième version de l'ANR, car il faut vérifier l'application des mesures d'anticipation et intégrer les nouveaux scénarios. Nous avons, par exemple, ajouté en cours de route la famille des risques liés à la manipulation de l'information. Enfin, il faut parfois décliner l'ANR pour des aspects plus spécifiques. Nous avons établi une analyse des risques liés au relais de la flamme, avec 75 risques identifiés, et une autre pour les sites, par catégories, comme les stades et les équipements sportifs semi-ouverts, et pour certains sites spécifiques.

La CNSJ a pour deuxième mission d'élaborer une doctrine de sécurité, fondée sur trois piliers. Le premier consiste à prévoir un niveau de sécurité maximal dès le départ. Concrètement, cela signifie que des périmètres seront instaurés autour de chaque site ; que de très nombreux sites feront l'objet d'inspections visant à éliminer les explosifs et les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) avant d'y positionner des équipes chargées de gérer les alertes ; que nous déploierons une couverture de lutte anti-drones (LAD) sur de nombreux sites ; que des forces d'intervention spécialisées seront prépositionnées près des sites pour assurer la protection des personnes – les forces de recherche assistance intervention dissuasion (Raid), le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), la brigade de recherche et d'intervention (BRI). La loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a aussi étendu le champ des enquêtes administratives. Enfin, nous avons accordé une importance particulière à la robustesse des systèmes d'information, parce que le risque cyber est élevé.

Pour atteindre ce niveau maximal, nous avons mobilisé tous les préfets, chargés d'élaborer un plan Zéro délinquance en vue des JOP. Même lorsque leur territoire n'est pas directement concerné, des festivités peuvent y être organisées, comme des clubs Paris 2024 ou des fan zones n'ayant pas obtenu le label ; ils peuvent accueillir des centres de préparation ou se trouver sur le trajet d'équipes ; des spectateurs iront peut-être y faire du tourisme. Par ailleurs, certaines forces de sécurité territoriales seront envoyées à Paris.

Le deuxième pilier de la doctrine de sécurité consiste à prendre en considération l'expérience des spectateurs, pour assurer un bon accueil. Cela implique d'être partout où sont les spectateurs, dans les aéroports et les gares, dans les transports en commun et sur le trajet jusqu'aux stades, dans les fan zones. Pour cela, nous avons sollicité des patrouilles étrangères dans le cadre de la coopération internationale, pour que les gens retrouvent leurs forces de police nationale. Ensuite, il s'agit de bien gérer les flux d'entrée et de sortie des équipements sportifs – la Coupe du monde de rugby a montré que c'était essentiel.

Le troisième pilier concerne le Centre national de commandement stratégique (CNCS), dont je reparlerai.

Pour finir l'exposé du travail que la CNSJ accomplit avant les Jeux, je citerai quelques exemples de coordination. Il faut d'abord assurer les manœuvres en ressources humaines des forces de sécurité. Les enjeux de sécurité sont considérables, la région Île-de-France aura donc besoin d'effectifs nombreux. Nous mobiliserons prioritairement les unités de force mobile (UFM), mais cela ne suffira pas. Or, pour faire intervenir une partie des forces de sécurité intérieure (FSI), une coordination est nécessaire, notamment entre la police et la gendarmerie.

Deuxième exemple, les démineurs appartiennent plutôt à la DGSCGC, et les équipes cynotechniques relèvent plutôt de la police que de la gendarmerie. Là encore, nous savons que les besoins excéderont les capacités nationales. Une coordination est donc nécessaire au sein du ministère de l'intérieur, et il faut aller chercher des moyens supplémentaires, notamment auprès du ministère des armées, de l'administration pénitentiaire et des douanes. Enfin, nous ferons appel à la coopération internationale.

Le troisième exemple concerne la sécurité aérienne et la lutte anti-drones. Le ministère des armées est chef de file ; toutefois, le ministère de l'intérieur possède également des moyens, répartis entre la police et la gendarmerie, qu'il faudra coordonner.

Mon deuxième point concerne l'activité de la CNSJ pendant le déroulement des Jeux. Ce sera le temps du centre de commandement et de coordination. Dans les départements, l'organisation classique sera maintenue : le préfet est à la manœuvre avec son centre opérationnel départemental (COD) et un poste de commandement opérationnel (PCO) installé sur le site sportif, au plus près de l'organisateur. Le PCO sera situé au même endroit que le centre de sécurité du site, afin de fluidifier les échanges. Je laisserai Serge Boulanger expliquer l'organisation spécifique à l'Île-de-France, puisque la loi « olympique » prévoit que, pendant les JO, l'ordre public dépendra du préfet de police dans toute la région. Au niveau central, nous ne disposions pas d'une structure adéquate, comparable au COD, qui prend en charge aussi bien les crises que les grands événements. Par exemple, lorsque j'étais préfet du Calvados, nous ouvrions un COD pour le carnaval des étudiants, qui rassemble 35 000 personnes – en espérant qu'aucune crise ne survienne. Il existe une cellule interministérielle de crise (CIC), bien connue depuis la pandémie de Covid-19, mais pas de structure à même de gérer les grands événements. Nous avons donc créé le CNCS, qui doit assurer le bon déroulement des Jeux, et non gérer une crise – s'il en advenait une, il se transformerait en CIC. Sa mission consiste certes à résoudre les problèmes de sécurité qui peuvent survenir ici ou là, mais aussi les problèmes sanitaires ou liés aux transports, c'est-à-dire tout ce qui pourrait perturber la manifestation, sans atteindre la gravité d'une crise.

Le CNCS est donc une instance de supervision, et non une structure opérationnelle. Il recense le plus d'informations possible, les analyse et les restitue aux autorités politiques. On ne change pas le dispositif de sécurité civile : le préfet demeure responsable du domaine opérationnel, sur le terrain. C'est également une instance interministérielle, où des officiers de liaison représentent une quinzaine de départements ou de services.

Il a deux outils à sa disposition. Le premier, le centre de renseignement olympique, élabore l'analyse des risques. Mais cela ne suffit pas ; il faut ensuite anticiper la menace, ce qui suppose de la définir précisément. Le CRO produit donc régulièrement des états de la menace – état général de la menace sur les JOP, état de la menace sur le relais de la flamme, sur la cérémonie d'ouverture, par exemple. Il élabore ensuite systématiquement un bilan de la veille et une perspective à quarante-huit ou soixante-douze heures. L'anticipation des menaces est évidemment essentielle pour assurer la sécurité civile.

Le deuxième outil est un hyperviseur, c'est-à-dire un outil d'information. Il présente trois avantages. D'abord, il produit automatiquement des points de situation. C'est essentiel, car la gestion de l'information est primordiale ; or les centres de commandement consacrent 80 % de leur temps à recenser l'information et seulement 20 % à l'analyser. Nous voulons inverser ce rapport, en automatisant l'information. Nous y travaillons avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop), plusieurs départements ministériels et les directions métier du ministère de l'intérieur, afin que les informations arrivent directement dans l'outil, qui produira des points de situation. Ensuite, il fonctionne en source ouverte, afin de tirer parti des publications en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux. Par exemple, quand je suis arrivé, l'outil m'a donné la carte des stations-services en rupture de stock – cela n'a rien à voir avec les JOP, mais c'est très utile pour les préfets en administration territoriale. Enfin, il intègre une main courante partagée. Jusqu'à présent, on se contentait de projeter un tableau Excel ; désormais, tous les officiers de liaison ont accès au fichier partagé, qu'ils peuvent compléter et dont ils peuvent transmettre des informations à d'autres acteurs. Nous travaillons à l'installer dans les différents départements ministériels sans porter atteinte à la sécurité de l'outil.

Après les jeux viendra le temps des retours d'expérience (retex). Nous aurons certainement de nombreuses enquêtes et missions à mener, mais quatre questions se posent déjà. La première concerne ce que j'appelle la CIC 2.0 : il faudra définir comment la CIC pourra tirer parti du travail du CNCS, par exemple en utilisant l'hyperviseur pour automatiser des procédures. Deuxièmement, faudra-t-il envisager de pérenniser ce centre de commandement hors temps de crise et sous quelle forme ? Un centre de veille existe déjà au ministère de l'intérieur, mais dans un format bien moindre que celui du CNCS. Troisièmement, la CNSJ a été créée pour combler des failles en matière de coordination ; peut-être faut-il modifier certaines organisations pour remédier aux angles morts ainsi détectés. Dernier point, la Coupe de monde de rugby et les JOP ont été l'occasion d'élaborer l'ANR. Cet outil mérite d'être conservé ; il faut réfléchir à son évolution.

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