Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Réunion du jeudi 25 janvier 2024 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à neuf heures cinq.

Présidence de Mme Lisa Belluco, présidente.

La mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Sécurité civile et grands évènements ».

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L'organisation de la sécurité civile lors des grands événements nous intéresse au premier chef, puisque nous devrons relever des défis inédits en la matière à l'occasion des Jeux olympiques et paralympiques (JOP), que nous aurons l'honneur d'accueillir dans quelques mois, notamment à Paris. Coordonner les acteurs de la sécurité civile pour assurer la protection de tous constitue un élément majeur de la réussite des Jeux. Nous nous réjouissons donc de consacrer un temps d'échange spécifique à ces enjeux.

Nous remercions nos invités pour leur présence et leur participation à nos travaux.

Nos questions porteront principalement sur la préparation des Jeux en matière de protection et de sécurité civile, et sur les enseignements à tirer des grands événements qui ont été organisés en France ces derniers mois ou ces dernières années, notamment la toute récente Coupe du monde de rugby. Nous vous invitons également à nous faire part, plus largement, de votre regard et de vos analyses sur le modèle français de sécurité civile et sur les défis auxquels il est confronté.

Cette table ronde est enregistrée et retransmise sur le site internet de l'Assemblée nationale ; un compte rendu sera annexé à notre rapport.

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Nous avons déjà eu le plaisir et l'honneur d'entendre certains d'entre vous, mais il nous paraissait important de comprendre la préparation des Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de 2024. S'agissant d'une manifestation mondiale, les enjeux en matière de sécurité et de protection civile sont majeurs. Dans un premier temps, je vous propose de nous présenter votre organisation et de vos services.

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Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux

La Coordination nationale pour la sécurité des Jeux olympiques 2024 (CNSJ) s'inscrit dans un cadre interministériel défini. Nous avons la chance d'accueillir les JOP ; il s'agit d'un événement planétaire qui mettra notre pays dans la lumière, avec 206 nations – davantage qu'à l'ONU –, 4 milliards de téléspectateurs, dont 1 milliard pour la seule cérémonie d'ouverture, et 15 000 athlètes. Au sein de l'appareil d'État, la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), dirigée par M. Michel Cadot, coordonne les nombreux acteurs mobilisés ; elle dispose de relais dans tous les ministères – la CNSJ, pour le ministère de l'intérieur et des outre-mer. Je suis donc placé sous l'autorité à la fois du ministre et de la DIJOP.

Créée en 2018, la CNSJ a été conçue de manière empirique. Elle intervient uniquement lorsqu'une coordination est nécessaire ; son rôle est donc subsidiaire. Elle intervient en matière de sécurité publique parce que celle-ci relève de deux directions générales : celle de la police nationale (DGPN) et celle de la gendarmerie nationale (DGGN). En revanche, la CNSJ s'occupe peu de sécurité civile, puisqu'il existe en la matière un référent clairement identifié au ministère de l'intérieur, à savoir le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC). Bien évidemment, cela ne signifie pas que les questions de sécurité civile ne concernent pas la CNSJ.

Avant les Jeux, la CNSJ a pour première mission de cartographier les risques. Il faut les identifier et les hiérarchiser, en fonction de critères – plausibilité, fréquence, incidence sur les personnes, les biens ou le déroulement des Jeux –, puis élaborer des contre-mesures. Ce travail a été confié au centre de renseignement olympique (CRO), adossé à la CNSJ, qui a élaboré l'ANR, l'analyse nationale des risques, organisée en onze familles. On identifie deux risques transversaux – manipulation de l'information et risques cyber ; cinq intentionnels – terrorisme, atteinte aux personnes, atteinte aux biens, atteinte aux chantiers liés aux JOP, atteinte au bon déroulement des JOP ; sont également identifiés quatre risques non intentionnels – naturels, sanitaires, industriels, accidentels. Pour chaque famille, on élabore des scénarios, désormais au nombre de 300, puis des contre-mesures, qui visent à anticiper la crise et à prévoir notre conduite pendant son déroulement. Ce travail, commencé en 2021, est en constante évolution : nous en sommes à la septième version de l'ANR, car il faut vérifier l'application des mesures d'anticipation et intégrer les nouveaux scénarios. Nous avons, par exemple, ajouté en cours de route la famille des risques liés à la manipulation de l'information. Enfin, il faut parfois décliner l'ANR pour des aspects plus spécifiques. Nous avons établi une analyse des risques liés au relais de la flamme, avec 75 risques identifiés, et une autre pour les sites, par catégories, comme les stades et les équipements sportifs semi-ouverts, et pour certains sites spécifiques.

La CNSJ a pour deuxième mission d'élaborer une doctrine de sécurité, fondée sur trois piliers. Le premier consiste à prévoir un niveau de sécurité maximal dès le départ. Concrètement, cela signifie que des périmètres seront instaurés autour de chaque site ; que de très nombreux sites feront l'objet d'inspections visant à éliminer les explosifs et les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC) avant d'y positionner des équipes chargées de gérer les alertes ; que nous déploierons une couverture de lutte anti-drones (LAD) sur de nombreux sites ; que des forces d'intervention spécialisées seront prépositionnées près des sites pour assurer la protection des personnes – les forces de recherche assistance intervention dissuasion (Raid), le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN), la brigade de recherche et d'intervention (BRI). La loi relative aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a aussi étendu le champ des enquêtes administratives. Enfin, nous avons accordé une importance particulière à la robustesse des systèmes d'information, parce que le risque cyber est élevé.

Pour atteindre ce niveau maximal, nous avons mobilisé tous les préfets, chargés d'élaborer un plan Zéro délinquance en vue des JOP. Même lorsque leur territoire n'est pas directement concerné, des festivités peuvent y être organisées, comme des clubs Paris 2024 ou des fan zones n'ayant pas obtenu le label ; ils peuvent accueillir des centres de préparation ou se trouver sur le trajet d'équipes ; des spectateurs iront peut-être y faire du tourisme. Par ailleurs, certaines forces de sécurité territoriales seront envoyées à Paris.

Le deuxième pilier de la doctrine de sécurité consiste à prendre en considération l'expérience des spectateurs, pour assurer un bon accueil. Cela implique d'être partout où sont les spectateurs, dans les aéroports et les gares, dans les transports en commun et sur le trajet jusqu'aux stades, dans les fan zones. Pour cela, nous avons sollicité des patrouilles étrangères dans le cadre de la coopération internationale, pour que les gens retrouvent leurs forces de police nationale. Ensuite, il s'agit de bien gérer les flux d'entrée et de sortie des équipements sportifs – la Coupe du monde de rugby a montré que c'était essentiel.

Le troisième pilier concerne le Centre national de commandement stratégique (CNCS), dont je reparlerai.

Pour finir l'exposé du travail que la CNSJ accomplit avant les Jeux, je citerai quelques exemples de coordination. Il faut d'abord assurer les manœuvres en ressources humaines des forces de sécurité. Les enjeux de sécurité sont considérables, la région Île-de-France aura donc besoin d'effectifs nombreux. Nous mobiliserons prioritairement les unités de force mobile (UFM), mais cela ne suffira pas. Or, pour faire intervenir une partie des forces de sécurité intérieure (FSI), une coordination est nécessaire, notamment entre la police et la gendarmerie.

Deuxième exemple, les démineurs appartiennent plutôt à la DGSCGC, et les équipes cynotechniques relèvent plutôt de la police que de la gendarmerie. Là encore, nous savons que les besoins excéderont les capacités nationales. Une coordination est donc nécessaire au sein du ministère de l'intérieur, et il faut aller chercher des moyens supplémentaires, notamment auprès du ministère des armées, de l'administration pénitentiaire et des douanes. Enfin, nous ferons appel à la coopération internationale.

Le troisième exemple concerne la sécurité aérienne et la lutte anti-drones. Le ministère des armées est chef de file ; toutefois, le ministère de l'intérieur possède également des moyens, répartis entre la police et la gendarmerie, qu'il faudra coordonner.

Mon deuxième point concerne l'activité de la CNSJ pendant le déroulement des Jeux. Ce sera le temps du centre de commandement et de coordination. Dans les départements, l'organisation classique sera maintenue : le préfet est à la manœuvre avec son centre opérationnel départemental (COD) et un poste de commandement opérationnel (PCO) installé sur le site sportif, au plus près de l'organisateur. Le PCO sera situé au même endroit que le centre de sécurité du site, afin de fluidifier les échanges. Je laisserai Serge Boulanger expliquer l'organisation spécifique à l'Île-de-France, puisque la loi « olympique » prévoit que, pendant les JO, l'ordre public dépendra du préfet de police dans toute la région. Au niveau central, nous ne disposions pas d'une structure adéquate, comparable au COD, qui prend en charge aussi bien les crises que les grands événements. Par exemple, lorsque j'étais préfet du Calvados, nous ouvrions un COD pour le carnaval des étudiants, qui rassemble 35 000 personnes – en espérant qu'aucune crise ne survienne. Il existe une cellule interministérielle de crise (CIC), bien connue depuis la pandémie de Covid-19, mais pas de structure à même de gérer les grands événements. Nous avons donc créé le CNCS, qui doit assurer le bon déroulement des Jeux, et non gérer une crise – s'il en advenait une, il se transformerait en CIC. Sa mission consiste certes à résoudre les problèmes de sécurité qui peuvent survenir ici ou là, mais aussi les problèmes sanitaires ou liés aux transports, c'est-à-dire tout ce qui pourrait perturber la manifestation, sans atteindre la gravité d'une crise.

Le CNCS est donc une instance de supervision, et non une structure opérationnelle. Il recense le plus d'informations possible, les analyse et les restitue aux autorités politiques. On ne change pas le dispositif de sécurité civile : le préfet demeure responsable du domaine opérationnel, sur le terrain. C'est également une instance interministérielle, où des officiers de liaison représentent une quinzaine de départements ou de services.

Il a deux outils à sa disposition. Le premier, le centre de renseignement olympique, élabore l'analyse des risques. Mais cela ne suffit pas ; il faut ensuite anticiper la menace, ce qui suppose de la définir précisément. Le CRO produit donc régulièrement des états de la menace – état général de la menace sur les JOP, état de la menace sur le relais de la flamme, sur la cérémonie d'ouverture, par exemple. Il élabore ensuite systématiquement un bilan de la veille et une perspective à quarante-huit ou soixante-douze heures. L'anticipation des menaces est évidemment essentielle pour assurer la sécurité civile.

Le deuxième outil est un hyperviseur, c'est-à-dire un outil d'information. Il présente trois avantages. D'abord, il produit automatiquement des points de situation. C'est essentiel, car la gestion de l'information est primordiale ; or les centres de commandement consacrent 80 % de leur temps à recenser l'information et seulement 20 % à l'analyser. Nous voulons inverser ce rapport, en automatisant l'information. Nous y travaillons avec le Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop), plusieurs départements ministériels et les directions métier du ministère de l'intérieur, afin que les informations arrivent directement dans l'outil, qui produira des points de situation. Ensuite, il fonctionne en source ouverte, afin de tirer parti des publications en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux. Par exemple, quand je suis arrivé, l'outil m'a donné la carte des stations-services en rupture de stock – cela n'a rien à voir avec les JOP, mais c'est très utile pour les préfets en administration territoriale. Enfin, il intègre une main courante partagée. Jusqu'à présent, on se contentait de projeter un tableau Excel ; désormais, tous les officiers de liaison ont accès au fichier partagé, qu'ils peuvent compléter et dont ils peuvent transmettre des informations à d'autres acteurs. Nous travaillons à l'installer dans les différents départements ministériels sans porter atteinte à la sécurité de l'outil.

Après les jeux viendra le temps des retours d'expérience (retex). Nous aurons certainement de nombreuses enquêtes et missions à mener, mais quatre questions se posent déjà. La première concerne ce que j'appelle la CIC 2.0 : il faudra définir comment la CIC pourra tirer parti du travail du CNCS, par exemple en utilisant l'hyperviseur pour automatiser des procédures. Deuxièmement, faudra-t-il envisager de pérenniser ce centre de commandement hors temps de crise et sous quelle forme ? Un centre de veille existe déjà au ministère de l'intérieur, mais dans un format bien moindre que celui du CNCS. Troisièmement, la CNSJ a été créée pour combler des failles en matière de coordination ; peut-être faut-il modifier certaines organisations pour remédier aux angles morts ainsi détectés. Dernier point, la Coupe de monde de rugby et les JOP ont été l'occasion d'élaborer l'ANR. Cet outil mérite d'être conservé ; il faut réfléchir à son évolution.

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Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop)

Le Cojop est l'organisateur des Jeux olympiques et paralympiques, au sens légal et en pratique. Nous sommes responsables de l'ensemble des sites, ceux où se déroulera la compétition comme ceux qui accueilleront ses acteurs. Nous assurons la promotion et l'organisation des différentes manifestations sportives des Jeux olympiques, qui se tiendront du 26 juillet au 11 août, et des Jeux paralympiques, du 28 août au 8 septembre. Cela représente respectivement quelque 750 et 250 sessions sportives ; plus de 200 nations ; 10 500 et 4 400 athlètes ; 13 millions de billets, donc autant de détenteurs à acheminer, à accueillir, à sécuriser dans les sites de compétition, qu'il faudra animer. La plupart des sites se trouvent en Île-de-France, mais certains sont en province, par exemple à Châteauroux, et les épreuves de surf auront lieu à Tahiti.

Le Cojop est une association loi 1901, majoritairement administrée par le mouvement sportif, l'État et les collectivités territoriales impliquées. Nous sommes à 183 jours de la cérémonie d'ouverture. Certaines compétitions, comme le football ou le rugby, débuteront avant, parce qu'elles excèdent la durée comprise entre les cérémonies d'ouverture et de clôture. On essaie d'arrêter le temps, mais chaque jour l'échéance se rapproche, et la pression monte. Le Cojop emploie environ 2 000 salariés ; nous serons 4 500 pendant les Jeux. Nous avons presque finalisé le recrutement des 45 000 volontaires, les contrats avec les fournisseurs et les prestataires – en comptant ces entreprises, près de 180 000 personnes travailleront pour les JOP. Le Comité est donc la plateforme de coordination de tous les intervenants. Tous les jours, nous travaillons avec les acteurs ici présents pour nous répartir les missions. Le principe est assez simple : nous sommes responsables de la sécurité et des secours sanitaires dans le périmètre des sites de compétition ; les services de l'État prennent en charge l'extérieur, en particulier leurs abords.

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Malheureusement, nos prédécesseurs de 1924 ne nous ont pas laissé de retex ! Plus sérieusement, parce que le monde a beaucoup changé, nous avons évalué les dispositifs des précédents pays organisateurs d'olympiades pour nous en inspirer et pour bien appréhender les aspects volumétriques. Nous sommes partis d'une copie blanche : tout était à construire.

Nous disposions quand même d'un constat : notre pays a éprouvé sa réactivité et sa capacité à affronter les crises de toute nature – sanitaire, sociétale, météorologique, par exemple – grâce à une organisation reposant sur les préfets de département, les préfets de zone et les instances nationales. En outre, nous bénéficions d'une solide expérience d'accueil de grands événements, même si l'échelle des JOP est singulière : vous avez évoqué la Coupe du monde de rugby ; les Jeux, c'est environ quarante-cinq Coupes du monde simultanées. Toutefois, quoi qu'en disent les campagnes de désinformation, notre pays a su, l'été dernier, organiser la Coupe du monde de rugby, répartie en plusieurs points du territoire, recevoir le roi Charles III, et accueillir le pape en même temps – trois événements certes différents, mais tous très sensibles.

Nous nous entraînons intensément. Depuis deux ans, nous avons organisé de très nombreux exercices en Île-de-France, et beaucoup sont encore prévus, afin de tester tous les dispositifs et de prévoir les incidents de toute nature. Tout ne relève pas du terrorisme ; un simple camion couché sur l'A4, voie olympique, nécessitera une intervention pour garantir la fluidité du transport.

Pour assurer la sécurité civile dans le cadre des JOP, nous avons élaboré un dispositif à trois niveaux, dont M. le général donnera le détail. En Île-de-France, le premier volet du plan de secours et de santé est conçu sur le modèle des risques courants aggravés, c'est-à-dire en considérant la vie normale de la région, avec une population supérieure. Il fait intervenir les services de secours existants – la brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) ; le Samu et le secteur hospitalier ; les secouristes.

Le deuxième volet concerne tous les risques connus spécifiques aux Jeux, susceptibles d'intervenir dans les sites de compétition ou à leurs abords.

Enfin, on ne peut exclure les risques exceptionnels, qui exigeraient de mobiliser des moyens considérables. Il peut s'agir d'un acte terroriste majeur, comme malheureusement la France en a déjà connu, d'une canicule, d'un orage violent, d'une épidémie.

L'importance de l'événement oblige à concevoir des réponses organisées par secteur, et non par site, car cela entraînerait une consommation excessive de moyens, au détriment d'autres interventions éventuelles.

Notre organisation est éprouvée, mais elle a été renforcée pour les Jeux olympiques. Les dispositions législatives déjà évoquées seront prochainement complétées par des dispositions réglementaires, suivant le principe un territoire – l'Île-de-France –, un chef, un décideur. Pour la période des JOP, le Parlement a donc confié au préfet de police des compétences supplémentaires, relatives notamment à la circulation ; s'y ajouteront des transferts en matière de police administrative. Ces compétences concernent en particulier le domaine aérien : l'Île-de-France possède plusieurs aérodromes, et il importe que les autorités militaires et celles chargées de l'aviation civile disposent toutes d'un même interlocuteur. Ainsi, les autorisations et interdictions seront cohérentes et partout identiques.

Évidemment, nous avons les Jeux olympiques, mais pas seulement. Les trois aéroports, Roissy, Orly et Le Bourget, accueilleront les dignitaires, les délégations sportives et tous les touristes. Thierry Mosimann a évoqué l'expérience du spectateur : nous travaillons de l'accueil à l'aéroport jusqu'aux hôtels, jusqu'aux gares d'où certaines équipes partiront pour se rendre sur les différents sites du pays. Nous avons élaboré un plan Zéro délinquance pour les sites touristiques, ainsi qu'un plan Tourisme.

Le Président de la République a insisté récemment sur le fait qu'un mouvement populaire devait accompagner ce magnifique événement que nous avons la chance d'accueillir sur le territoire français. À ce mouvement populaire s'ajoute l'élan collectif de tous les acteurs qui participent, de près ou de loin, à l'organisation des Jeux olympiques.

Comme l'a indiqué Édouard Donnelly, cet événement nous donne l'occasion de travailler au quotidien avec le Cojop Paris 2024, matin, après-midi et soir parfois très tard, y compris le week-end. Il est normal que nous ayons une telle intensité d'échanges avec l'organisateur et l'État, mais nous travaillons aussi avec nombre d'acteurs privés, publics et associatifs. Nous échangeons tous les jours avec des chefs d'entreprise, par exemple, car nous devons faire en sorte que l'activité économique continue pendant les JOP, compte tenu de leur durée. Pour le citoyen et l'entreprise, la vie doit continuer, certes en supportant quelques contraintes.

L'élan collectif nous permet de surmonter les quelques difficultés historiques de relations entre services qui peuvent subsister. Pour les Jeux olympiques, tout cela est gommé, effacé. Je suis convaincu que ce bénéfice nous restera en héritage.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

La BSPP, unité atypique dans le paysage des services d'incendie en France, est née en 1810 : cette année-là, l'incendie dramatique de l'ambassade d'Autriche poussa l'empereur Napoléon 1er à militariser le corps des gardes-pompes de Paris.

Je suis à la tête de la brigade, dont la compétence s'étend sur quatre départements : Paris et les trois départements de la petite couronne – les Hauts-de Seine, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. La BSPP est l'acteur clé des dispositifs existant en termes de prévention, protection et lutte contre les incendies. Elle exerce aussi une compétence partagée en matière de secours d'urgence lors des autres crises.

Elle est dimensionnée pour faire 450 000 interventions par an, autrement dit quelque 1 250 par jour, chiffre qui augmentera sans doute pendant les JOP. Elle compte théoriquement 8 700 sapeurs-pompiers, mais nous fonctionnons à 95 % de nos effectifs, soit environ 8 300 militaires. Fort heureusement, nous avons le renfort de 830 réservistes – ils seront 900 pendant les JOP – et de 250 volontaires en service civique, des jeunes qui montent dans nos ambulances comme équipiers.

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Dans le cadre de nos travaux, nous avons déjà interrogé, notamment, des représentants d'associations agréées de sécurité civile, ainsi que des responsables du bataillon des marins-pompiers de Marseille, de la BSPP ou des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS). Dans les propos qu'ils nous ont tenus, nous avons parfois décelé l'expression d'un manque de liens en dehors des crises – en cas de crise, tout le monde se sent concerné. Comment cette constellation d'intervenants de la protection civile, dans laquelle j'inclus notamment la Croix-Rouge, est-elle intégrée dans le dispositif mis en place à la faveur des JOP ? Ces intervenants sont-ils associés d'emblée, intégrés au fur et à mesure ou en cas d'événements ? Sont-ils concentrés spécifiquement à Paris ?

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

En matière de secours et de santé, nous travaillons avec la directrice générale de l'agence régionale de santé (ARS) et ses équipes, la BSPP, les quatre SDIS concernés, toutes les équipes d'intervention du secteur hospitalier, à commencer par celles du Samu, et toutes les associations de secourisme. Ces dernières font un grand nombre d'interventions, notamment pendant les week-ends et lors d'événements, participant ainsi au continuum de sécurité.

Elles sont déjà associées à nos travaux, sachant qu'elles apportent des réponses différentes selon les cas. Certains secouristes vont être engagés sur le terrain dans des postes appelés dispositifs prévisionnels de secours (DPS) – ceux de la Croix-Rouge, de la Fédération nationale de protection civile (FNPC) ou de la Fédération française de sauvetage et de secourisme (FFSS) nous sont familiers. Ces secouristes vont intervenir notamment dans les secteurs où nous estimons que les spectateurs devront effectuer des déplacements un peu longs entre la gare et le site. Pour arriver sur le site de Vaires-sur-Marne, où se dérouleront les épreuves d'aviron et des épreuves en eau vive, les spectateurs devront parcourir entre 1,3 et 2 kilomètres depuis l'une des trois gares des environs. En cas de canicule, par exemple, il peut être utile que des secouristes soient disponibles avec des sacs à dos remplis de bouteilles d'eau. Voilà pour ceux qui seront déployés dans les postes avancés autour de certains sites. Après analyse très fine de la part des services opérationnels, nous avons identifié des sites qui ne nécessitaient pas un poste avancé, en raison de la proximité de la gare avec le site olympique ou parce que l'organisateur prévoit déjà des moyens.

Deuxième cas de recours aux secouristes : le renfort en casernement, que la BSPP pratique de longue date. Les secouristes viendront en renfort de la BSPP ou des SDIS dans les cas où l'activité sera jugée un peu supérieure à la normale : lorsque des épreuves se dérouleront simultanément au Parc des Princes et à Roland-Garros, ou alors au Stade de France et au centre aquatique. Nous ne les mettrons pas directement sur le terrain, car les interventions auxquelles nous devrons faire face ne concerneront pas forcément les sites olympiques. Il est donc plus important de les garder en caserne, pour faire notamment du secours à personne sur le territoire francilien, que de les positionner exclusivement aux abords des sites olympiques.

Je le répète, toutes les associations, qu'il s'agisse de l'Ordre de Malte, de la FFSS, de la Croix-Rouge, des associations départementales de protection civile (ADPC) ou d'autres associations, sont déjà associées à tous nos travaux.

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Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop)

En tant qu'organisateur, nous sommes en charge du dispositif de secours santé à l'intérieur des sites. Nous travaillons depuis longtemps avec les associations agréées de sécurité civile dans un cadre normé, le référentiel national des missions de sécurité civile de 2006, qui nous donne des indications concernant le nombre de DPS et de secouristes à prévoir. Le caractère exceptionnel et complexe du dispositif mis en place pour les JOP tient à sa dimension – nombre de sites à couvrir et nombre de personnels nécessaires.

Dans ces conditions, nous avons anticipé au maximum nos liens avec les associations agréées de sécurité civile et lancé un appel d'offres dès 2022. Le Cojop est soumis aux marchés publics, mais c'est aussi par souci de transparence que nous avons décidé de lancer cet appel d'offres en deux vagues, sachant qu'en l'occurrence le critère financier n'était pas le plus important : l'une pour les sites de compétition, l'autre pour les autres sites. Nous avons choisi six associations agréées de sécurité civile pour l'ensemble des dispositifs de Paris 2024 : la Fédération nationale de protection civile ; un groupement solidaire composé de La Croix Blanche, la Croix-Rouge française, la FFSS, l'Ordre de Malte et l'Union nationale des associations de secouristes et sauveteurs (Unass). Le premier marché a été attribué fin janvier 2023. Le second, qui l'a été courant 2023, portait sur la cérémonie d'ouverture, le « marathon pour tous », qui sera ouvert à des pratiquants amateurs, et les sites restant à attribuer.

Comme je l'indiquais, l'enjeu tient à la dimension de l'événement : les besoins de l'organisateur représentent les trois quarts des besoins globaux des Jeux. Nous pourrons avoir besoin de jusqu'à 1 500 secouristes en une seule journée, notamment lors du marathon pour tous qui aura lieu la veille de la cérémonie de clôture.

Cette planification en amont nous a conduits à travailler avec les associations, afin de les aider et de leur fournir notamment les éléments de communication dont elles avaient besoin pour lancer une campagne de recrutement en Île-de-France, mais aussi dans toute la France, étant donné que la période estivale n'est pas la plus propice pour mobiliser de nombreux secouristes. Ce travail s'est fait sous l'égide de Michel Cadot, le DIJOP, qui a réuni régulièrement un comité de pilotage constitué de tous les acteurs de la protection civile et des représentants de l'État. Si nos propres besoins en secouristes sont très normés et relativement faciles à déterminer, nous devions avoir l'évaluation la plus fine possible des besoins totaux, couvrant ceux des services de l'État, des dispositifs aux abords des sites, des collectivités locales, des opérations de promotion et de célébration de l'événement, etc. Ce travail a donc été effectué sous l'égide de la DIJOP, en lien avec les préfectures concernées.

Le dialogue permanent engagé depuis 2022 avec les associations de sécurité civile nous a permis d'anticiper les besoins, de mobiliser un nombre suffisant de secouristes et de répondre à des demandes spécifiques, notamment en matière de communication.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Preuve de la confiance qu'elle leur accorde, la BSPP travaille depuis cinquante ans avec les associations agréées de sécurité civile. Leurs bénévoles sont présents dans nos centres de secours tous les week-ends et ils ont réalisé 10 000 des 500 000 interventions que nous avons faites l'an dernier.

Pour vous donner une idée du travail des associations dans les DPS, je vais prendre l'exemple d'un 31 décembre, quand 800 000 à 1 million de personnes sont sur les Champs-Élysées. Le DPS fonctionne avec 150 à 200 secouristes du milieu associatif, sous le commandement d'un officier de la BSPP et avec des moyens techniques de la brigade. Une association prend en charge le côté nord des Champs-Élysées, une deuxième s'occupe du côté sud de l'avenue, tandis qu'une troisième intervient au Trocadéro. Tout se passe bien avec elles le 31 décembre, comme d'ailleurs le 14 juillet. Nous sommes habitués à travailler ensemble. Notre centre opérationnel accueille alors un représentant des associations pour assurer la liaison avec le dispositif.

Nous sommes aussi amenés à travailler avec les associations lors des grosses interventions, comme l'explosion qui a eu lieu le 21 juin dernier au 277, rue Saint-Jacques. Il y a alors des urgences absolues et des urgences relatives. En l'occurrence, plus de 150 personnes se retrouvaient sans logement, leur appartement ayant été dévasté. La Croix-Rouge française a pris l'affaire en main et a fait un travail absolument remarquable lors de cette intervention, au cours de laquelle nous étions en lien permanent. C'est pourquoi je suis assez confiant dans notre capacité de coordination avec les associations agréées de sécurité civile.

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Vous nous décrivez une spécificité parisienne que l'on ne retrouve pas forcément dans l'ensemble du territoire national et des outre-mer. Les crises, elles, peuvent s'additionner et concerner tout le territoire. Les sites des Jeux olympiques réclament une attention particulière compte tenu des risques d'attentat, d'accident ou autres. Mais, au même moment, il peut y avoir des feux de forêts comme nous en avons connu au cours des dernières années. Comment sera-t-il possible d'y réagir, étant donné le nombre de sapeurs-pompiers, secouristes, policiers et gendarmes déployés pour les Jeux olympiques ? Le risque d'addition de crises a-t-il été anticipé ? Les gens trouvent tout à fait normal que l'on envoie des forces sur les sites olympiques, mais ils peuvent s'inquiéter des capacités de leur département ou de leur région à faire face à une crise qui s'y déroulerait au même moment.

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Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux

Les Jeux olympiques vont évidemment nécessiter beaucoup de ressources humaines, et nous allons mobiliser en région parisienne des forces venant des autres territoires. Nous avons demandé à tous les préfets de se préparer à une baisse de leurs capacités en termes d'unités de force mobile et d'effectifs de policiers et de gendarmes. Pour anticiper cette réduction, ils sont encouragés à engranger des succès en matière de délinquance, à faire place nette, et aussi à utiliser les leviers qui sont à leur disposition : faire appel aux réservistes, pour lesquels des budgets sont prévus ; décaler les congés, des négociations étant en cours sur ce point avec les organisations syndicales ; intensifier les renforts mutuels au niveau local – pendant la durée des Jeux, on oublie que policiers et gendarmes interviennent dans des zones différentes. Il faut optimiser l'emploi des ressources humaines et agir sur ces trois leviers.

Le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises pourrait vous dire ce qu'il en est pour la sécurité civile, mais j'imagine que la logique est similaire. Un effort va être demandé pour faire face à un afflux de population, et pas seulement en Île-de-France. Une cinquantaine de colonnes de renfort sera dédiée aux feux de forêt. Les JOP feront l'objet d'un dispositif particulier pour faire face à des risques spécifiques : les équipes habituelles seront étoffées et il sera fait appel à des renforts venant d'autres départements.

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Les préfets ne travaillent pas chacun dans leur coin pour la préparation de cet événement, et les démarches sont forcément coordonnées par l'échelon central – Thierry Mosimann a rappelé le rôle du DGSCGC.

Durant l'été 2024, l'Île-de-France sera ainsi dispensée de contribuer aux colonnes de renfort pour les feux de forêt, contrairement à la pratique habituelle : des renforts sont souvent envoyés pour combattre les incendies dans le Sud ou le Sud-Ouest, comme on a pu en envoyer récemment dans le Pas-de-Calais, confronté à des inondations récurrentes. Selon cette approche nationale, certains territoires vont donc fournir des renforts ou en bénéficier, en fonction de leur situation et du calendrier. La BSPP et les quatre SDIS précités vont bénéficier du renfort de 500 sapeurs-pompiers pour répondre aux besoins identifiés à ce stade.

Que se passerait-il s'il survenait un événement dans l'événement ? Nous l'avons anticipé, nous ne mettons pas tous nos œufs dans le même panier, pour reprendre une expression familière. Thierry Mosimann est à la tête du CNSJ et donc du CNCS, mais la CIC est activée en parallèle pour d'autres événements. De même, à la préfecture de police, une instance va gérer les Jeux olympiques : le centre de supervision zonal, placé directement sous l'autorité du préfet de police, qui va coordonner, faire la synthèse et anticiper les événements à l'échelle de l'Île-de-France. Mais nous gardons volontairement la disponibilité de notre structure habituelle de crise : le centre opérationnel de zone (COZ), qui fonctionne tous les jours vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui nous permettra de réagir le cas échéant, sans compromettre le bon déroulement des JOP.

Pas plus tard qu'hier, nous avons échangé avec le responsable d'une fédération de secouristes de Haute-Savoie. Il nous a expliqué qu'il allait nous envoyer des renforts, mais qu'il garderait des secouristes en réserve en été, pour faire face à l'arrivée des touristes et être en mesure de répondre à des demandes venant de Marseille ou de Nice. Chaque responsable organise la manœuvre de manière à garder des effectifs localement, que ce soit en matière d'ordre public, de sécurité publique ou de sécurité civile.

N'oublions pas non plus que la France ne vit pas repliée sur elle-même et qu'elle reçoit parfois l'appui de renforts internationaux, notamment dans le cadre du traité de Prüm, qui prévoit des accords de coopération. Durant les Jeux olympiques, nous allons bénéficier de renforts humains et matériels, ce qui va nous éviter la gabegie budgétaire que représenterait l'achat d'équipements dont nous n'aurions pas besoin de façon pérenne – nous pouvons, par exemple, emprunter ou louer des barrières. Les Jeux olympiques, c'est un collectif, une occasion d'échanges avec les Allemands, les Italiens, et même avec les Britanniques, qui ne sont plus partie au traité de Prüm.

Tout cela se fait de manière intelligente, avec une volonté d'objectiver la ressource et de n'être pas totalement focalisé sur les JOP. C'est l'élément majeur et moteur de notre organisation, mais la vie continue et il peut toujours survenir un événement dans l'événement.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

J'ai effectivement demandé 500 sapeurs-pompiers de province – en expliquant pourquoi, car je sais qu'ils manqueront à leur SDIS. Nous avons fait une analyse théorique qui distingue trois types de risque, comme l'a expliqué Serge Boulanger, et une analyse empirique.

Pour cette dernière, nous sommes partis de notre expérience de grands événements, notamment de la Coupe du monde de football de 2018. Elle se déroulait à Moscou, mais elle a été remportée par la France, ce qui avait provoqué quatre jours d'intenses rassemblements, les 13, 14, 15 et 16 juillet 2018 : 500 000 personnes se pressaient tous les jours dans les rues ou les fans zones pour voir le match, célébrer la victoire, accueillir l'équipe de France, reçue à l'Élysée. Pendant ces quatre jours, dont une journée à 31 degrés, nous avons fait entre 1 700 et 2 000 interventions quotidiennes.

Nous nous sommes interrogés sur l'opportunité d'appliquer ce modèle aux Jeux olympiques, sachant que les publics ne sont pas les mêmes, bien qu'il y ait aussi du football aux JOP, et que l'événement ne va pas durer quatre jours, mais quinze jours. En reprenant la météo des quatre derniers étés, nous avons relevé qu'ils avaient tous été marqués par des périodes de canicule de durée variable, parfois de seulement quatre ou cinq jours. Mais une courte période caniculaire peut tomber au mauvais moment, pendant les Jeux.

Nous en avons conclu que nous devions nous attendre à une tendance similaire pour le nombre d'interventions quotidiennes – 1 800 à 2 000 –, mais pendant une quinzaine de jours au lieu de quatre. Ne pouvant l'assumer seuls, nous avons demandé le renfort de 500 sapeurs-pompiers. Ils vont certes manquer à leurs départements, mais il faut rappeler que la France compte 200 000 sapeurs-pompiers volontaires et 40 000 sapeurs-pompiers professionnels. Quand j'en demande 500, je ne pille pas le vivier ; il en restera pour aller éteindre les feux de forêt. Le DGSCGC ayant agi avec la grande intelligence qui est la sienne, je pense que nos renforts viendront plutôt du Nord-Est que du Sud de la France. C'est pourquoi je suis plutôt serein quant aux capacités du dispositif de sécurité civile à faire face à la situation.

Qu'en serait-il si la région parisienne devait affronter plusieurs crises ? L'an dernier, nous avons vécu deux crises sociétales : le mouvement de protestation concernant les retraites, et les violences urbaines de la fin juin. Ces crises étant distinctes, les sapeurs-pompiers de banlieue sont venus éteindre les feux dans Paris lors des manifestations contre la réforme des retraites, tandis que leurs collègues du centre de Paris sont allés en banlieue au mois de juin. En 2022, nous avons eu des canicules. Pour l'instant, nous n'avons pas eu tout en même temps, mais il faut prévoir à la fois ceinture et bretelles pour faire face à ce genre de scénario.

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Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop)

Tout ce travail d'anticipation avec les associations permet de traiter les situations qui se présentent usuellement tous les étés. Nous disposons de centres opérationnels : la CIC pour l'État et le centre principal des opérations ( Main Operation Center ou MOC) pour le Cojop. Le MOC possède une unité médicale baptisée Medoc – ce n'est pas une boutade française mais l'acronyme de Medical operations center. À partir de ce centre, où seront représentées toutes les associations agréées de sécurité civile avec lesquelles nous travaillons, nous coordonnerons l'ensemble de nos dispositifs médicaux. En cas de situation exceptionnelle nous conduisant à libérer certains secouristes, nous pourrions nous coordonner immédiatement avec les associations agréées de sécurité civile pour adapter nos dispositifs. Pour résumer, l'anticipation permet de traiter l'essentiel des situations qui sont connues à date, ce qui inclut tous les événements qui peuvent survenir en été, et les centres opérationnels permettent de s'adapter en fonction de toutes les situations inattendues – la coordination avec les associations étant la clé pour ce qui relève des secouristes.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

À la BSPP, personne ne sera en vacances pendant les JOP. Quelque 2 700 des 8 700 sapeurs-pompiers de Paris seront logés sur place. En cas de crise, ceux qui sont en repos sont rappelés, descendent de chez eux et montent dans des engins. Lors des attentats du Bataclan, nous avons ainsi rappelé les médecins et infirmiers qui étaient de repos. Au lieu des sept ambulances de réanimation que nous armons quotidiennement, nous en avons eu jusqu'à vingt-deux. En situation de crise exceptionnelle, nos effectifs maximums peuvent passer de 2 800 à plus de 3 000 si le besoin s'en fait vraiment sentir.

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Général, je remarque que le nombre de sapeurs-pompiers demandés en renfort correspond plus ou moins à l'écart entre l'effectif théorique et l'effectif réel de votre brigade. Pourquoi ce déficit de 400 personnes ? Si la brigade était au complet, les 500 sapeurs-pompiers auraient pu rester dans leur département ou contribuer à un effort supérieur.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Les 400 manquants sont devenus pompiers professionnels… Non, je plaisante, même si nous sommes un peu siphonnés par nos camarades professionnels. Quand mes pompiers passent avec succès le concours de sapeurs-pompiers professionnels, qui est un concours de la fonction publique territoriale, je n'ai aucun droit de les empêcher de rejoindre ce corps.

Étant devant des députés de la nation, j'en profite pour faire une demande : pourriez-vous faire en sorte qu'un militaire ne puisse pas passer le concours de sapeurs-pompiers professionnels lorsque son premier contrat de cinq ans est en cours ? Ces gens-là sont utiles et ils ont signé un contrat de cinq ans comme militaires ; j'ai besoin d'eux et je m'engage à les garder pendant cinq ans. Alors qu'ils ne passent pas ce concours de sapeurs-pompiers professionnels et qu'ils restent avec moi, bon sang ! L'an dernier, 115 d'entre eux sont devenus sapeurs-pompiers professionnels avant la fin de leur contrat de cinq ans. Mon sous-effectif est dû en partie au siphonage, sinon au pillage, de la ressource par les sapeurs-pompiers de province. Je n'ai aucun mal à le comprendre, puisque 70 % de mes jeunes arrivent de province et aspirent à y retourner après avoir acquis une bonne expérience professionnelle. Néanmoins, j'aimerais qu'ils restent cinq ans avec moi, qu'ils ne puissent donc pas passer ce concours ou qu'ils attendent pour en bénéficier.

Outre ce souci de fidélisation, j'ai aussi des difficultés de recrutement dont je vous ai parlé la dernière fois que vous m'avez fait l'honneur de me recevoir. J'attire moins que mes prédécesseurs pour des raisons qui, à mon avis, n'ont rien à voir avec ma personnalité. Alors que nous n'avions aucun problème à recruter 1 200 jeunes chaque année par le passé, l'an dernier nous en avons péniblement recruté 1 060. Nos portes sont pourtant ouvertes, nous faisons de la publicité, de la communication. Il y a beaucoup de jeunes Français qui sont généreux et veulent servir comme sapeur-pompier. Sont-ils des Rastignac désirant conquérir Paris ? J'en doute.

Pour ces deux raisons, mes effectifs ne sont pas au complet, vous avez raison de le souligner, monsieur le député. S'il y avait une loi nous permettant de garder nos jeunes pendant les cinq premières années de leur contrat, peut-être cela m'aiderait-il.

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Le général évoque le départ anticipé de certains de ses militaires, qui est peut-être spécifique, mais n'oublions pas qu'il existe une vacance frictionnelle permanente de 3 % à 7 % dans toutes les entités, qu'elles soient publiques ou privées. Dans les grosses structures, l'effectif n'est jamais au complet pour des raisons de départs en retraite, mutations et autres. Cela fait partie de la vie. Cette vacance frictionnelle pose plus de problème dans certaines circonstances – en l'occurrence, un événement exceptionnel – qu'en temps normal où il est possible de s'adapter.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Je vais compléter pour rassurer nos camarades sapeurs-pompiers professionnels : ils seront « sur la photo » ; je ne vais pas les mettre au fin fond du Val-de-Marne où il n'y a aucune épreuve olympique. Ils seront dans les casernes proches des sites olympiques et dans des détachements prépositionnés en périphérie. De toute façon, il y aura beaucoup de monde dans les concerts, les spectacles, etc. Le colonel Roger Barreau, qui m'accompagne, est un peu le grand manitou des Jeux olympiques chez les pompiers de Paris. Je lui ai dit qu'il fallait que nos amis sapeurs-pompiers professionnels soient bien sur la photo et non pas relégués en deuxième division.

Quant aux directeurs des SDIS, ils me disent qu'il existe un vrai engouement des volontaires. Je ne sais pas si le DGSCGC me le confirmera, mais, pour l'instant, j'ai 80 % de volontaires attendus et 20 % de professionnels. Ils pourraient me donner davantage de volontaires, mais il est préférable de conserver un pourcentage suffisamment important de professionnels qui peuvent les conseiller.

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Ces difficultés de recrutement dont vous nous aviez déjà fait part, général, nous les retrouvons à l'échelle nationale tant chez professionnels, que chez les volontaires, ainsi que dans le monde associatif.

Parlons des avancées technologiques. Pensez-vous qu'elles pourront être mises à profit afin de renforcer la sécurité et le secours à personne pendant les Jeux olympiques et, dans l'affirmative, de quelle manière ?

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Sur le plan opérationnel, je laisserai aux sachants le soin de vous répondre. L'intérêt des JOP réside aussi dans l'héritage qu'ils vont laisser, compte tenu des engagements pris en matière budgétaire ou de transition écologique – cette préoccupation accompagne chacune de nos démarches, de la construction des logements du village olympique jusqu'à la traduction opérationnelle.

Nous travaillons à l'élaboration de deux outils informatiques qui seront livrés dans les semaines à venir. L'un, le DPS, va permettre la remontée en temps réel du bilan victimaire. Actuellement, les nombreux postes de secours, déployés tous les week-ends lors d'événements se déroulant en Île-de-France, transmettent chacun leur bilan par des moyens classiques – radio ou téléphone. Lors de grands événements, nous avons constaté que la fiabilité de l'information laissait à désirer.

Avec ce nouvel outil, chaque entrée de patient dans un poste de secours sera intégrée en temps réel dans la base de données – dans le respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) et de l'ensemble de la réglementation. Ces informations, non nominatives et ne comportant aucune donnée médicale, permettront de suivre en temps réel les bilans victimaires et ainsi de détecter les signaux faibles – par exemple, l'augmentation du nombre de victimes dans des DPS ou centres de secours situés à proximité les uns des autres.

Le deuxième outil, Polaris, est une application de gestion des flux de circulation et de transports collectifs. Nous avons pu constater, à l'occasion de la Coupe du monde de rugby, que les transports collectifs étaient le nerf de la guerre. Ils le seront d'autant plus durant les Jeux olympiques que le comité d'organisation s'est engagé à ce que les spectateurs puissent les emprunter pour se rendre sur l'ensemble des sites. Le contrat conclu entre la France et le Comité international olympique (CIO) nous impose par ailleurs des temps de déplacement maximums pour les athlètes ; 185 kilomètres de voies, complétés par des axes concourants alternatifs, leur seront ainsi réservés. L'application Polaris, en cours de développement, permettra d'informer le préfet de police de la fluidité de la circulation en surface, mais aussi dans les transports en commun. À l'heure actuelle, les opérateurs de transport ne sont pas en mesure de nous informer du nombre d'usagers présents sur les quais ou embarqués dans les rames. Or, une telle information est essentielle lorsqu'il s'agit d'évacuer une rame, comme nous avons eu à le faire récemment.

Ces deux outils opérationnels, que nous développons actuellement en régie, feront partie de l'héritage des Jeux. Ils seront extrêmement utiles aux structures en charge de la coordination des événements.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

L'arrivée de la lance diphasique constitue une avancée certaine, et une première en France : parce qu'elle projette un mélange d'air et d'eau, elle nous permettra d'utiliser environ 80 % d'eau en moins. Nous avons déjà un fourgon qui en est équipé et en aurons cinq au moment des Jeux.

Au-delà de cette avancée, je voudrais évoquer trois regrets. D'abord, j'aurais aimé que nous puissions organiser avant la fin du mois d'août la migration vers le futur système d'information opérationnelle de tous les sapeurs-pompiers de France, NexSIS, afin de pouvoir le roder avant les JOP. Malheureusement, le projet a pris du retard et cette migration ne pourra avoir lieu avant la fin de l'année 2024, voire le début de l'année 2025. Je reste néanmoins confiant dans le système actuel, Adagio, qui, en dépit de quelques signes de fatigue, a prouvé sa robustesse lors des violences urbaines de juin dernier : lorsque nous avons dû affronter 1 400 feux dans la nuit du 28 au 29 juin, il nous a permis d'envoyer les bons engins au bon endroit. Nous continuerons donc de l'utiliser le temps des Jeux.

Mon deuxième regret concerne Libellule, un projet de drone autonome doté d'une intelligence artificielle, capable de détecter les mouvements d'une personne se débattant dans l'eau et de lui envoyer une bouée. Ce drone ne pourra pas être utilisé pendant les Jeux olympiques, pour des raisons à la fois réglementaires et de financement. Je pense néanmoins que nous l'utiliserons à terme sur le bief parisien de la Seine, où nous intervenons une centaine de fois par an pour secourir des personnes tombées à l'eau.

Mon troisième regret, enfin, concerne le projet Intuition, qui consiste à faire analyser par une intelligence artificielle les sons enregistrés durant les treize secondes pendant lesquelles les appelants au 18 ou au 112 attendent avant de pouvoir parler à un opérateur. Les éventuels bruits ou hurlements peuvent en effet permettre d'identifier un arrêt cardiaque et de classifier l'appel en extrême urgence. Sachant qu'en prodiguant les soins une minute plus tôt, on augmente les chances de survie de 10 %, nous pourrions ainsi réduire le taux de mortalité des arrêts cardiaques. Malheureusement, nous devrons attendre, pour développer ce projet, la migration vers NexSIS, auquel il est très lié.

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Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux

En matière d'équipement, l'héritage des Jeux olympiques sera triple. Il comprendra d'abord l'hyperviseur, mis en place au sein du CNCS, dont nous pourrons tirer profit lors de la prochaine cellule interministérielle de crise.

Il faudra également intégrer à l'héritage les programmes d'acquisition, prévus notamment dans le cadre du contrat capacitaire interministériel (CCI) de lutte contre le terrorisme. La loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) prévoit ainsi des investissements à hauteur de 26 millions d'euros pour acheter des équipements de lutte contre les menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. Il convient d'y ajouter le lancement du programme Réseau radio du futur (RFF), destiné aux forces de l'ordre et de secours.

Enfin, l'héritage des Jeux comprendra de nouveaux équipements – par exemple, les outils de vidéosurveillance augmentée, qu'il faudra évaluer au terme de l'expérimentation courant jusqu'en mars 2025. S'agissant des scanners à ondes millimétriques, qui sont utilisés dans les aéroports, les organisateurs ont fait le choix de ne pas les utiliser à l'occasion des Jeux, en raison de dysfonctionnements constatés par fortes températures.

Citons aussi les portiques Express, déjà utilisés à l'Accor Arena de Bercy, qui détectent les masses métalliques de façon très performante, tout en permettant un passage très rapide, et dont il nous restera à définir les règles d'emploi.

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Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop)

Je retiendrai, quant à moi, la digitalisation du pilotage des dispositifs de secours et de santé, rendue nécessaire par la dimension de l'événement. Cette digitalisation s'appuiera sur des technologies existantes. Des caméras installées dans l'ensemble des sites de compétition nous permettront de détecter les éventuels problèmes et, grâce à la géolocalisation, d'envoyer l'équipe la plus proche. Ces outils nous seront également utiles en termes de reporting et de monitoring. Nous disposerons, dans l'ensemble des centres opérationnels locaux et nationaux et notamment dans le Medoc, d'informations en temps réel relatives au nombre et à la typologie des interventions sur le terrain. Nous pourrons ainsi mieux réagir et mieux coordonner les réponses. Je précise, comme Serge Boulanger l'a fait avant moi, que ces données à valeur statistique seront anonymisées et ne comporteront aucun détail médical.

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Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux

En tant qu'ancien préfet, je voudrais souligner à quel point la lance diphasique constituerait un progrès important dans l'équipement des forces de secours, en particulier en milieu rural et en ces temps de pénuries d'eau.

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Selon leur nature, les crises mobilisent différents ministères. S'agissant des Jeux olympiques et paralympiques, il existe, à vous entendre, une parfaite entente interministérielle et interservices sur les sujets relatifs à la sécurité et à la protection civile. Ne devrions-nous pas nous inspirer de cette entente, à l'avenir ? Identifiez-vous à cet égard des pistes d'amélioration pour notre modèle de protection et de sécurité civiles ? Je précise que ma question englobe l'acculturation des citoyens aux questions de sécurité civile, qui demeure selon moi un enjeu important.

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Edouard Donnelly, directeur exécutif des opérations du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (Cojop)

Notre priorité est de réussir l'organisation des Jeux et d'en faire une grande fête populaire, mais nous ne travaillons pas uniquement pour les quelques semaines de compétition : nous veillons également à laisser un héritage, sur ce sujet comme sur les autres, et à faire en sorte que les dispositifs soient prolongés au-delà des Jeux.

Lors des événements sportifs, le dispositif de secourisme est habituellement normé, voire très normé, mais il s'inscrit dans un cadre médical – médecins et infirmeries, pour les spectateurs comme pour les athlètes – qui l'est beaucoup moins. Cela peut provoquer des frictions : au sein du comité de pilotage mis en place par la délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), des débats ont eu lieu avec les associations agréées de sécurité civile, notamment, qui ne travaillent pas systématiquement avec un médecin urgentiste sur les événements – il n'existe en effet pas de cadre en la matière. Il en ressort que la répartition des compétences et des missions entre les équipes médicales et les équipes de secourisme est floue.

Je n'irais jusqu'à dire qu'un cadre légal ou réglementaire devrait imposer la mise en place d'un dispositif médicalisé complet pour l'ensemble des événements, qui n'ont pas tous la même envergure. En revanche, l'articulation entre les différents dispositifs que nous avons définie au sein du comité de pilotage pourrait sans doute servir de guide aux organisateurs d'événements. Sur des sujets aussi sensibles que la santé et le secours, domaines dans les lesquels la barre est toujours placée très haut, leur tâche en serait facilitée. Cela éviterait aussi que les différents intervenants ne se marchent sur les pieds, entraînant parfois des complications dommageables pour la sécurisation des événements. Sans doute y a-t-il matière à progresser dans ce domaine.

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Pierre Mauger, responsable des services médicaux du Cojop

La DIJOP a effectivement réuni les différents intervenants à plusieurs reprises, afin que nous puissions les contraintes liées aux obligations de médicalisation et de mise en place de DPS puissent faire l'objet d'une coordination. Des frictions sont apparues dès la constitution du dossier, et nous avons consacré plusieurs réunions à l'élaboration d'une matrice RACI ( Responsible, accountable, consulted, informed – réalisateur, approbateur, consulté, informé) intégrant le chef du dispositif de secouristes et le médecin responsable du dispositif médical sur site. Sans doute pourrait-on, à l'avenir, s'inspirer de cette matrice qui a obtenu la validation de la DIJOP et de la DGSCGC.

J'ajouterai, pour compléter les propos d'Edouard Donnelly, qu'il n'existe aucune interconnexion entre le dispositif de secouristes, très réglementé, et le dispositif médical, moins réglementé – sachant toutefois que la société française de médecine d'urgence nous fait des recommandations. Aucun des deux ne tient compte de son voisin dans la définition du besoin. Il ne s'agit pas d'imposer la médicalisation de tous les événements en France, mais d'établir un référentiel commun médico-secouriste pour les DPS de grande envergure, afin de mieux répartir les rôles et d'optimiser les ressources – ce qui sera d'autant plus nécessaire à l'été 2024.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Je voudrais d'abord préciser à M. le député Chauche que les 500 pompiers supplémentaires viendront avec leurs véhicules de secours et d'assistance aux victimes (VSAV) et leurs engins-pompes.

J'en viens à la question du rapporteur au sujet de l'entente interservices et interministérielle. Rappelons, en premier lieu, qu'un centre opérationnel sert d'abord à collecter et analyser l'information, avant de la transmettre aux autorités et de la partager avec les autres centres d'information et de décision. Les centres de secours et de santé de la BSPP ont aussi pour rôle, plus spécifiquement, de s'assurer qu'en cas de crise, les engins sélectionnés se présentent bien sur le lieu où ils sont attendus en renfort. Enfin, leur troisième mission est importante aussi, même si elle est souvent oubliée : il s'agit de veiller au maintien d'une bonne couverture opérationnelle et de faire en sorte qu'en cas de crise, on trouve encore dans chaque secteur des pompiers ou secouristes pour intervenir sur une opération courante de secours à victime.

À l'occasion des JOP, le centre opérationnel de la BSPP, auquel la police est déjà intégrée puisque c'est un centre « 17-18 », va accueillir aussi les associations agréées de sécurité civile et, pour la première fois – c'est une révolution –, des équipes du Samu ainsi que des officiers de liaison des SDIS de la grande couronne. Le principe est que, pour ce qui concerne le secours santé, le centre reporte vers l'échelon zonal, à la préfecture de police. Il joue un rôle de renseignement et, en cas de crise à Paris ou en petite couronne, assure son rôle de commandement et veille au maintien de la couverture opérationnelle. Ce n'est pas encore un centre « 15-17-18 », comme celui qu'appelait de ses vœux le Président de la République en 2017, mais il accueille une division santé comptant soixante-quinze médecins et entretient des liens très forts avec les quatre Samu de la petite couronne. En intégrant un assistant de régulation médicale (ARM) et un médecin du Samu de Paris, il va franchir une nouvelle étape dans la coordination interservices.

Enfin, en plus des contacts que j'ai moi-même avec le ministère des armées, un officier de liaison de l'opération Sentinelle rejoint le centre opérationnel de la BSPP lors des grands événements, afin d'assurer la transmission d'informations dans les deux sens.

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Au cours des quarante années que j'ai passées au ministère de l'intérieur, j'ai vécu un certain nombre de réformes de l'État, ainsi que les vagues de décentralisation. Fort de cette expérience, je pense que notre organisation répond aux enjeux et aux exigences liées aux grands événements, quels qu'ils soient, qui se déroulent sur le territoire français – même si le dispositif doit sans doute faire l'objet de légères adaptations. Le rôle du préfet de police en tant que coordonnateur, pilote et chef des services de l'État au niveau local, au côté des préfets de département, prend toute son importance. Sa capacité à mobiliser les collectivités locales et le secteur associatif est essentielle également. Il a développé des relations avec l'ensemble des autorités judiciaires de la région – les deux procureurs généraux et chacun des procureurs de la République – au sein d'un comité de pilotage sécurité-justice, mais aussi avec la direction générale de l'ARS, avec les sapeurs-pompiers de la BSPP et des SDIS, avec les secouristes et, pour les problématiques de sécurité publique, avec les CRS, les gendarmes et la police. Quant aux collectivités locales, elles sont, elles aussi, très impliquées dans l'organisation des JOP, mobilisant leurs polices municipales et leurs services techniques.

Ce dispositif fonctionne. Il nécessite une immense implication de la part de chacun d'entre nous, car il faut penser à tout et travailler de façon collective. Le bilan que nous ferons à l'issue des Jeux démontrera certainement que ce n'est pas un big bang qui sera nécessaire, mais plutôt des améliorations – par exemple, une approche par périmètre plutôt que par site, s'agissant des associations de secouristes. Nous y travaillons d'ores et déjà avec le directeur général de la sécurité civile et de la gestion des crises. Il est plus facile d'évoquer une mobilisation de 100 % des moyens durant l'été lorsque l'on a pour interlocuteur le général Dupré la Tour que lorsque l'on discute avec quatre directeurs départementaux de SDIS, l'État n'étant pas l'employeur des sapeurs-pompiers. Il y a donc des pistes d'amélioration et, le moment venu, nous pourrons faire évoluer notre organisation, tant sur le plan humain que sur le plan matériel.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

La deuxième partie de la question du rapporteur portait sur la population. À la suite des attentats du 13 novembre 2015, nous avons mis en place une formation de deux heures aux gestes qui sauvent, dont nous organisons régulièrement des sessions, en lien avec les communes. Il faut avouer, néanmoins, que la dynamique s'essouffle un peu. Avec la mairie de Paris, nous prévoyons de former les volontaires des Jeux et, à plus long terme, nous travaillons à l'ouverture d'un centre dédié à la résilience de la population. Les publics scolaires et les adultes y seraient formés aux gestes qui sauvent et sensibilisés aux risques domestiques. Nous avons pu constater, lors de nos voyages, que les pays asiatiques étaient très en pointe sur ce sujet.

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Thierry Mosimann, préfet, coordinateur national pour la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et les grands événements sportifs internationaux

Notre modèle de sécurité civile repose sur la juxtaposition d'une force professionnelle et de volontaires, lesquels sont présents de façon très inégale selon les départements. Or, ce sont les volontaires qui nous permettent de couvrir l'ensemble du territoire, notamment les zones rurales dépourvues de professionnels, et de tenir dans la durée : lorsque l'on doit faire face à des inondations durant trois semaines, par exemple, on fait appel aux volontaires partout dans le département. Il serait intéressant de faire des Jeux de Paris un moment de célébration de l'engagement : j'aimerais que, de la même façon que l'on observe traditionnellement une augmentation du nombre de nouveaux licenciés dans les clubs de sport après les Jeux, on puisse constater une augmentation du nombre de volontaires dans les SDIS – à condition de bien les accueillir, pour qu'ils ne repartent pas un an plus tard !

S'agissant de ce que l'État pourrait retirer des Jeux, j'ai déjà évoqué dans mon propos introductif la CIC 2.0, l'instauration d'un Centre national de commandement stratégique pérenne en dehors des périodes de crise, la possibilité de remédier de façon structurelle aux angles morts en tirant parti des coordinations mises en place et, enfin, la cartographie des risques.

S'agissant de la résilience de la population, il conviendrait, selon moi, de donner plus d'écho à la Journée nationale de la résilience, instaurée récemment, et d'amplifier les actions organisées à cette occasion. Soyons clairs, au début, cela ennuie tous les services concernés ! Néanmoins, des actions très intéressantes ont été menées : des responsables d'entreprises classées Seveso sont allés parler du risque dans des écoles, par exemple. Pour améliorer la résilience de la population, rien de tel que de l'informer à l'occasion de moments symboliques, en veillant à associer les écoles.

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Nous vous remercions pour votre temps et pour ces échanges très riches, comme d'habitude. N'hésitez pas, si vous ne l'avez pas déjà fait, à répondre par écrit au questionnaire ou à nous envoyer toute autre information, en lien avec le sujet de notre mission, que vous jugeriez utile de nous transmettre.

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le général Joseph Dupré La Tour, commandant la brigade de sapeurs-pompiers de Paris

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, messieurs les députés, si vous souhaitez visiter le centre opérationnel de la BSPP, vous êtes les bienvenus !

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Serge Boulanger, préfet, secrétaire général de la zone de défense et de sécurité de Paris

Le général m'a devancé ! Vous êtes également les bienvenus à la préfecture de police pour découvrir les différentes salles de commandement. Ce sera pour nous l'occasion de montrer que nous sommes une grande maison ouverte et, pour vous, l'opportunité de percevoir la réalité d'une salle où sont prises les décisions en matière de circulation, de sécurité publique et de secours.

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Merci de votre invitation. Les déplacements participent de l'acculturation des citoyens que nous sommes au risque, et nous permettent de mieux débattre ensuite de ces sujets.

Puis la mission d'information auditionne M. Thierry Hubert, président Île-de-France, M. Guillaume Blavette, membre du réseau énergie, et Mme Malou Boisson, chargée des risques naturels de France nature environnement.

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Bonjour à tous, et bienvenu. Pour mémoire et sauf erreur de notre part, France nature environnement (FNE) a été fondée en 1968 afin d'agir pour la protection de la nature et de l'environnement, puis a été reconnue d'utilité publique en 1976. Elle regroupe aujourd'hui une équipe fédérale composée de 180 bénévoles et 45 salariés, et réunit plus de 47 associations.

Notre mission, qui a débuté ses travaux au mois de septembre et a souhaité partir du terrain, a déjà entendu les représentants des élus, ceux des professionnels et des volontaires, des experts et les associations agréées de sécurité civile, notamment ; votre audition vient utilement compléter nos travaux sur les liens entre enjeux environnementaux et sécurité civile.

Nous avons tenu plusieurs tables rondes et organisé des déplacements à la suite de catastrophes naturelles ou industrielles survenues récemment en Gironde (feux de forêt, notamment à l'été 2022), en Seine-Maritime (incendie de Lubrizol) ou dans les Alpes-Maritimes (tempête Alex). Votre regard sur elles nous intéresse, car il s'agit de cas concrets, et il nous semble que le dérèglement climatique pourrait conduire à des crises plus fréquentes mettant à l'épreuve notre sécurité civile.

Vous pourrez bien sûr nous présenter les moyens et les actions menées par votre association, ainsi que son rôle et son regard en matière de prévention et de réduction des risques environnementaux. N'hésitez pas non plus à nous faire part de votre analyse critique sur l'organisation actuelle de notre système de protection et de sécurité civile et sur les possibilités de l'améliorer.

Notre mission est composée de vingt-cinq députés de tous groupes politiques. Elle a été créée à l'initiative du groupe Horizons et a pour rapporteur notre collègue Didier Lemaire.

Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l'Assemblée ; elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

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Pouvez-vous présenter sommairement votre association, ainsi que la manière dont elle contribue à l'étude des enjeux environnementaux pouvant avoir des conséquences sur les risques pour la sécurité et la protection civiles ?

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Malou Boisson, chargée des risques naturels au sein de France nature environnement

Tout d'abord, merci de nous avoir conviés à cette audition. Sur ce sujet, le dialogue est très important, et nous y sommes très attachés. Il est toujours intéressant pour nous de venir défendre nos positions auprès du Parlement.

France nature environnement est la fédération des associations pour l'environnement en France : nous en fédérons plus de 6 000 – les 47 que vous avez mentionnées sont les associations nationales, mais il faut y ajouter des associations locales sur tout le territoire, hexagonal et ultramarin – et nous comptons plus de 900 000 militants.

Les grands leviers que nous actionnons sont la mobilisation citoyenne et le plaidoyer institutionnel ainsi que le contentieux juridique ; nous faisons aussi de la formation et de la sensibilisation en matière d'éducation à la nature et à l'environnement et nous sommes représentés dans des instances. Il s'agit par exemple, concernant les risques, du conseil d'orientation pour la prévention des risques naturels majeurs, du conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, de la commission mixte inondation (CMI) et de tous les comités de bassin qui traitent des programmes d'action pour la prévention des inondations. Nous sommes également présents au sein d'instances plus locales, partout sur le territoire, comme les comités locaux d'information sur les risques industriels ou les commissions locales de l'eau.

Notre fédération s'appuie sur des expertises scientifiques. Nous comptons parmi nos associations adhérentes de nombreuses sociétés savantes. Nous sommes également porteurs d'une expertise citoyenne de terrain. Nous plaidons notamment pour l'utilisation et la valorisation des solutions fondées sur la nature : il s'agit de s'appuyer sur les écosystèmes et sur les services qu'ils nous rendent pour traiter des risques naturels. Par exemple, les zones humides, capables de stocker le carbone et d'épurer l'eau, sont nos meilleures alliées dans la lutte contre les inondations et les sécheresses.

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

J'ajoute que la fédération et toutes les associations peuvent être, et sont la plupart du temps, des interlocuteurs pour les institutions et qu'elles sont en contact avec la population.

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Quelles sont selon vous les conséquences actuelles et prévisibles du dérèglement climatique sur la survenue de situations ou d'événements (sécheresse, incendies, inondations, tempêtes…) pouvant occasionner des crises pour nos services de sécurité et de protection civiles ?

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

Je parlerai plus spécifiquement des risques et catastrophes naturels, et je laisserai Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement, développer la question des risques industriels.

Le dérèglement climatique est constaté depuis très longtemps par des associations qui en observent les impacts sur les milieux naturels, y compris localement, et les conséquences en matière de dégradation des systèmes environnementaux et des écosystèmes. Il est certain que le dérèglement climatique va induire des phénomènes climatiques plus violents et plus fréquents. C'est sur la résilience des territoires et sur la prévention qu'il faut agir : en matière de catastrophes naturelles, l'action ne peut pas venir uniquement des services de sécurité et de protection.

L'aggravation du changement climatique se traduit localement par la sécheresse, des incendies de forêt plus nombreux, des tempêtes inattendues et compliquées. Celles-ci sont observées depuis plusieurs années – nous pourrons reparler de Xynthia – et ont provoqué sur le littoral d'énormes conséquences, notamment des inondations littorales qui ont fait des victimes.

Les événements sont de plus en plus concentrés et violents. Auparavant, on pouvait espérer que, dans un environnement global à peu près équilibré, la nature régule les choses. Aujourd'hui, les différentes expertises, dont celles du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), le disent : on assiste à des phénomènes inattendus, inconnus, qui surprennent non seulement par leurs conséquences, mais également lors de la crise que doivent gérer les services de sécurité et de protection. Les températures sont plus élevées, les inondations plus abondantes ; il n'y a peut-être pas plus d'eau de manière générale, mais les concentrations sont plus fortes, et peuvent provoquer des catastrophes même dans des zones qui ont connu des sécheresses : l'eau qui tombe sur des sols durs ruisselle directement dans des cours d'eau vite débordants, vu l'intensité des phénomènes, ce qui entraîne de très graves conséquences pour les villes et les villages, d'autant plus importantes quand les sols sont artificiels.

Les inondations actuelles dans le Nord n'ont pas encore été complètement analysées. Toutefois, on peut observer que la probabilité de dommages dépend de l'endroit où l'eau tombe – présence de biens, de villes – et du fait d'avoir ou non organisé le territoire en conséquence.

L'intensité de ces événements, si elle augmente, peut causer encore plus de dégâts aux biens, mais aussi accroître le nombre de victimes dans la population.

Tout cela nécessite de la prévention, pour que les secours puissent anticiper les événements.

Je reviens au littoral et à l'exemple de Xynthia. Cette tempête a entraîné les 27 et 28 février 2010 des montées des eaux et des submersions, en lien avec d'importants phénomènes de tempête qui ne se sont jamais reproduits ; plusieurs événements naturels s'étaient combinés. L'organisation des activités humaines doit absolument prendre en compte de tels événements. En l'occurrence, on avait construit dans une zone inondable en ne prévoyant pas une protection suffisante. L'événement, qui a dépassé les références en matière d'inondation, a fait 53 victimes, dont, à cause de la rupture d'une digue, 29 dans la seule commune de La-Faute-sur-Mer, sur un littoral pourtant protégé. Les juges ont eu l'occasion de traiter cette affaire.

Bref, les conséquences peuvent être graves ; nous en sommes conscients ; les associations le constatent et peuvent essayer d'apporter des solutions pour tenter d'atténuer ces conséquences.

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

En ce qui concerne le trait de côte, les services de l'État et les élus en Seine-Maritime sont dans l'embarras, car nos falaises patrimoniales – dont celles d'Étretat, classée au patrimoine mondial de l'humanité – sont en péril. Les effets du changement climatique percutent l'ensemble des politiques publiques et nous invitent à créer des solutions innovantes. C'est pour cette raison que le conseil régional de Normandie a créé un Giec normand, afin que scientifiques, associations et élus réfléchissent à des solutions adaptées. Personne ne possède en propre la solution : c'est par le dialogue environnemental que l'on avancera. Nous ne pouvons donc que vous inviter à regarder les bonnes pratiques en vigueur dans les territoires.

Par ailleurs, j'aimerais appeler votre attention sur les risques sanitaires. Le changement climatique entraîne des catastrophes, mais pose aussi des problèmes durables et très difficiles à gérer. Les épisodes de fortes chaleurs, l'été, accroissent la pollution de l'air dans les aires urbaines ; élus et préfets ne savent pas comment concilier activité économique et santé publique.

Je vis à Rouen, la ville de France où se trouve le plus gros service de pneumologie dans un CHU (centre hospitalier universitaire) ; nous sommes confrontés au problème des pollens, insoluble, qui affecte l'ensemble de la chaîne de soins, laquelle est pour le moins tendue. Cela pousse le corps médical à changer ses pratiques. Nous nous efforçons d'éduquer les gens à ces risques pollen, mais il s'agit d'un défi, car nous ne le faisions pas auparavant. Nous essayons de progresser vers l'élaboration de bonnes pratiques.

Je suis très heureux que le Parlement s'empare de ces questions, car c'est ensemble que nous trouverons les réponses adéquates.

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Les services de sécurité et de protection civiles vous semblent-ils suffisamment formés aux enjeux environnementaux et climatiques actuels et futurs ?

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

J'ai vécu de près l'accident de Lubrizol. Je vous invite à consulter à ce sujet le rapport de la mission d'information présidée par M. Damien Adam et celui de la commission d'enquête présidée par M. Hervé Maurey au Sénat. Il en ressort que, face à des événements de grande ampleur, très localisés, il faut souvent aller chercher des moyens à plusieurs dizaines, voire à plusieurs centaines de kilomètres. J'ai siégé très longuement au CoDERST (conseil départemental de l'environnement et des risques sanitaires et technologiques) ; je reconnais la compétence de ses membres et leur conscience aiguë des enjeux, notamment chez les représentants des SDIS (services départementaux d'incendie et de secours), mais ils n'ont pas nécessairement les moyens d'intervenir. Le financement des SDIS est un problème majeur. La question de leur capacité à instruire des dossiers se pose également.

Parmi les risques industriels connus, celui que représentent les grands entrepôts a fait sensation dans mon territoire. Le SDIS a eu des difficultés pour instruire ce dossier, et son avis n'a été pleinement pris en compte que lorsque le président de la métropole a repris ses arguments, face à une préfecture qui cherchait à octroyer des autorisations pour le moins surprenantes.

L'État peut se féliciter d'avoir des agents experts et conscients de leurs tâches, mais ils n'ont pas toujours les équipements requis. Les problèmes de lutte contre les feux de forêt et les inondations montrent les difficultés d'une intervention efficace pour secourir les biens et les personnes.

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

Les services de sécurité ont des formations très spécifiques, notamment dans le secours aux personnes, et disposent de matériels solides qu'ils maîtrisent très bien ; mais ils ne connaissent pas précisément tous les territoires, et leurs évolutions actuelles ne sont pas propices à un tel savoir. La connaissance de l'environnement et des cycles naturels n'est pas leur force. Ils sont très intéressés par ces sujets, notamment lorsqu'ils sont confrontés à des dommages aux biens dus à une non-prise en compte des milieux et des phénomènes naturels – inondations, mouvements de terrain sur le littoral ou le long des cours d'eau –, mais ils ne peuvent pas en devenir des spécialistes. Les scientifiques, les sociétés savantes locales, les travaux conduits dans les zones à risque sont donc indispensables à cette connaissance du territoire.

En ce qui concerne le changement climatique, ces services ont certainement aussi besoin d'une formation et sont très preneurs de solutions, mais ce ne sont pas eux qui peuvent les inventer.

Le point de vue que nous défendons au nom des associations et que nous tenons à souligner devant vous est que la prévention est indispensable à l'efficacité des services de sécurité et de protection.

Enfin, il ne faut pas oublier les effets complexes de la combinaison de différents phénomènes. Par effet domino, un phénomène naturel entraîne des conséquences sur des installations industrielles. L'exemple de Fukushima parle de lui-même. En France aussi, nous avons des installations implantées sur le littoral, la centrale nucléaire du Blayais est au bord de la Gironde, et des industries sont installées depuis très longtemps dans des vallées, donc exposées au risque d'inondation ou de mouvement de terrain. Dans ce contexte, une connaissance croisée et multirisques est souvent utile aux services d'intervention comme aux décideurs et aux populations.

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France nature environnement cherche-t-elle à sensibiliser la population aux différents risques que vous décrivez ?

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

Comme l'a dit Malou Boisson, c'est en effet l'un de nos rôles. France nature environnement et toutes ses associations disposent d'une documentation sur la nature, le fonctionnement des écosystèmes et différents aléas – crues, inondations, autres phénomènes géologiques. Les associations peuvent l'approfondir et l'appliquer au niveau local.

La sensibilisation passe par des réunions, des interventions à la demande ou par des initiatives des collectivités. La fédération développe des programmes de formation et est disponible pour aider à la diffusion de ces connaissances.

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Malou Boisson, chargée des risques naturels au sein de France nature environnement

France nature environnement ne fait pas de sensibilisation aux gestes qui sauvent en cas d'inondation, par exemple. Notre action porte sur la nature et l'environnement ; il s'agit d'éducation à la nature.

Parce que nous croyons que la prévention – pour prendre l'exemple des inondations – passe par les solutions fondées sur la nature, nous insistons sur les moyens de rendre le territoire résilient : le rôle des zones humides, des mares, le fait que l'enjeu est de retarder l'eau, de laisser le lit de la rivière suivre son cours en respectant les méandres, en supprimant les canaux, en favorisant la pousse de la végétation et la désartificialisation des sols. Nous sensibilisons à ce que les écosystèmes permettent de faire pour prévenir les risques. C'est aussi une occasion de parler de ces derniers : sensibiliser la population à ces aspects et à sa propre capacité d'action sur les jardins et les paysages, par exemple en créant davantage de haies, appelle son attention sur les risques propres au territoire où elle vit. C'est important pour sa sécurité.

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

La fédération régionale FNE Île-de-France a mené des travaux avec l'établissement public territorial de bassin Seine Grands Lacs, qui s'occupe des lacs-réservoirs. Les points de vue étaient au départ opposés. FNE considère que les ouvrages ne suffisent pas à traiter tout un bassin ; Seine Grands Lacs l'a reconnu et a beaucoup évolué. Cet établissement dispose d'ailleurs d'experts qui comprennent très bien cette idée de solutions fondées sur la nature. Nos réflexions et les exemples de terrain que nous leur avons donnés montrent qu'il vaut mieux, par exemple, protéger les zones d'expansion de crue que canaliser ou réaliser des ouvrages très lourds.

Vous connaissez sans doute le gros différend à propos de la zone de La Bassée. Seine Grands Lacs a cherché à atténuer autant que possible les effets des travaux sur la réserve naturelle ; mais la solution des pompages n'a pas convaincu les associations.

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

L'État, les régions, les départements ont fait de gros efforts depuis au moins une décennie en matière d'éducation à l'environnement et au développement durable : ainsi, il y a maintenant des éco-délégués dans les établissements scolaires. Je suis professeur et je peux témoigner que beaucoup de choses ont été faites, en partenariat avec des associations comme FNE, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) ou des associations locales. Le niveau de connaissances des élèves comme des collègues a beaucoup progressé.

Mais il y a un parent pauvre : l'éducation au risque. On peut en prendre la mesure avec un exemple : chaque établissement scolaire dispose d'un plan particulier de mise en sûreté (PPMS), mais c'est un peu n'importe quoi. Je le dis depuis mon point de vue associatif : les gens, jusqu'aux personnels de direction, ne voient pas pourquoi on fait cela, ne comprennent pas les mesures envisagées. On évoque souvent l'exemple japonais ; à l'inverse, il nous manque une vraie démarche publique qui rassemble notamment les SDIS, les associations, les SIRACEDPC (services interministériels régionaux des affaires civiles et économiques de défense et de la protection civile) et les DREAL (directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement), pour élever le niveau de compréhension des événements et ensuite amener les gens à développer de bonnes pratiques.

Je vous renvoie encore vers les différents rapports sur l'incendie de Lubrizol : je peux en témoigner, c'était la panique, les gens ne savaient pas ce qu'ils devaient faire. Il y a eu des mises en danger et, pire encore, de grandes différences dans les actions de l'État et des élus. Certains, plus au fait des sujets environnementaux et industriels, ont pris immédiatement les bonnes mesures – quelle que soit leur sensibilité politique : je remercie la maire de Mont-Saint-Aignan d'avoir immédiatement fermé les écoles ; elle n'est pas du tout écologiste, mais elle a le sens de l'État et savait devoir protéger ses concitoyens. Dans la commune d'à côté, les enfants faisaient la queue devant leurs écoles sous le nuage polluant.

Beaucoup d'idées ont été proposées, par exemple par des organismes comme l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), par des associations, par exemple à Grenoble. Il existe bien des experts du risque technologique, mais malheureusement cette culture ne se répand pas. Quand les préfets élaborent les plans de prévention des risques technologiques (PPRT), on dirait qu'ils craignent que la diffusion des préconisations des experts et des associations n'inquiète la population. C'est le contraire ! La population est intelligente, elle a le souci de ses enfants et le droit de savoir. Notre pays a une marge de progression importante dans ce domaine.

En ce qui concerne plus spécifiquement le nucléaire, je veux citer le comité directeur pour la gestion post-accidentelle d'un accident nucléaire (Codirpa), qui se réunit depuis 2005 sous la présidence de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) – c'est une garantie de sérieux. Je regrette que ses préconisations ne soient pas suffisamment prises en considération.

La culture du risque, qu'il s'agisse des risques industriels ou naturels, n'est donc pas assez diffusée. Je l'ai vu dans mon territoire, il y a des élus qui ne savent pas quoi faire lorsqu'il y a des pluies diluviennes. Bien sûr, certains – comme Christophe Bouillon à Barentin – savent accompagner la population. Mais les inégalités demeurent trop grandes : les retours d'expérience ne sont pas faits, les bonnes pratiques pas assez valorisées.

Vous pouvez compter sur FNE pour élever le niveau de connaissance et de compréhension des risques par la population en général comme par les services de l'État.

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

Nous sommes à votre disposition pour vous exposer la multitude d'expériences qui existent en matière de formation et de sensibilisation. Il y a une grande expertise en ce domaine.

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L'acculturation est un sujet majeur pour notre mission d'information. Comment remédier à ce déficit de culture du risque ? Quelles actions de sensibilisation menez-vous, auprès des citoyens comme des élus ?

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

Nous avons mis en place des programmes de sensibilisation pour les citoyens, en particulier pour nos adhérents. Dans la foulée de nos échanges avec Seine Grands Lacs, des actions ont été menées en direction des associations, à l'échelle départementale : nous avons ouvert les journées que nous organisions à tous ceux qui souhaitaient y assister. Il est difficile d'aller plus loin dans la sensibilisation sans s'appuyer sur d'autres partenaires. Des actions d'information du public sont en particulier conduites à l'initiative des élus.

Quelques associations s'occupent spécifiquement de formation aux risques. C'est le cas notamment des organisations des personnels de secours et de sécurité, comme les pompiers. Il y a un enjeu énorme : le rapprochement des formations, notamment pour des formations diplômantes. Il arrive aux associations d'être sollicitées pour intervenir dans ces cadres. Il existe un organisme de formation spécialisée, l'Institut de formation de l'environnement (Ifore), qui fait intervenir des experts, mais ses actions pourraient être plus développées. Il travaille avec différents partenaires et organise des formations avec France nature environnement dans tous les départements, dans tous les secteurs.

Nous devons nous demander comment cibler particulièrement les secteurs à risque élevé, ceux où des catastrophes naturelles graves peuvent survenir. Il faut non seulement informer sur les phénomènes naturels, mais aussi faire intervenir les services de sécurité et de protection, qui insistent sur l'importance de réduire le risque à sa source afin de faciliter leurs interventions. On l'a vu récemment dans le Nord : dans certains cas, les pompiers peuvent secourir, mais une fois que les dégâts sont là, il ne reste parfois plus qu'à déplacer les personnes.

Il est donc essentiel de dialoguer, d'échanger des informations, de mettre en place des formations communes.

Les institutions évoluent énormément sur ces sujets. Ainsi, à l'échelle des bassins, les programmes d'action pour la prévention des inondations (PAPI) permettent aux associations d'être associées aux réflexions. La commission mixte inondation accorde des financements spécifiques et les associations sont parfois invitées à présenter leurs réflexions. Dans ce cadre, nous avons demandé un dialogue entre les parties prenantes locales à propos des projets de prévention, qui visent à réduire les risques, donc à faciliter l'intervention des services de secours.

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

France nature environnement n'a pas de moyens spécifiquement dédiés à la sensibilisation et à l'information. Nous sommes une association agréée, et nous effectuons les missions pour lesquelles nous sommes financés. C'est un enjeu.

Nous contribuons à l'éducation, à la formation et à la sensibilisation dans le cadre des instances auxquelles nous participons.

Je pense en particulier aux commissions de suivi de site, qui comprennent en particulier des installations classées Seveso seuil haut : souvent, les responsables associatifs y sont très assidus, et insistent auprès des agents de l'État et des industriels sur l'adoption de bonnes pratiques. À Rouen, après l'incendie de Lubrizol, nous avons ainsi mis en place avec la chambre de commerce et d'industrie (CCI) un système appelé Allô industrie, qui permet à tout un chacun de disposer d'une information rapide et claire sur les événements survenus dans les industries du secteur – et, à Rouen, vous imaginez bien qu'ils ne sont pas rares.

L'un des gros travaux des commissions locales d'information (CLI), qui concernent le nucléaire – j'ai longtemps siégé à la CLI Paluel-Penly –, c'est justement la sensibilisation des élus, la préparation de périodiques, l'accompagnement de distribution de pastilles d'iode. La dernière distribution y a été ratée par l'exploitant nucléaire ; cela a été reconnu, et c'est l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI) et les CLI qui sont venues à la rescousse, pour permettre à tout un chacun de disposer de ces substances indispensables en cas d'accident majeur.

Je voudrais enfin citer les secrétariats permanents pour la prévention des pollutions et des risques industriels (S3PI). Ce sont les lieux d'échange et de débat pluraliste les plus intéressants pour développer les bonnes pratiques. Je vous invite à regarder le retour d'expérience dans le secteur du Havre ou dans le Nord de la France : certains S3PI fonctionnent vraiment bien. Ils n'existent malheureusement pas partout ; ainsi, à Rouen, en dépit de la catastrophe marquante de Lubrizol, nous n'en avons toujours pas. Il nous manque, de ce fait, un outil réglementaire d'information et de sensibilisation du public, mais aussi de dialogue entre la société civile et les exploitants. Or, sans dialogue, la population n'est pas rassurée. On touche là à la question de l'acceptation des risques technologiques.

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Nous connaissons mal les S3PI, pouvez-vous nous en dire plus ?

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

Au Havre, chaque trimestre, nous rencontrons les industriels pour faire un état des lieux de ce qui se passe dans les installations ; ils nous présentent les réponses qu'ils apportent aux sollicitations de l'inspection des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), et nous abordons cette question de l'information du public et de la prévention : comment favoriser les bonnes pratiques, mais aussi comment amener les gens à considérer les événements à leur juste mesure. Ainsi, le dégazage d'une raffinerie peut être extrêmement impressionnant, mais ce n'est pas grave. Dans le S3PI, l'industriel n'est pas seul à prendre la parole : on parle à trois voix, les associations expertes des risques technologiques, l'industriel et les services de l'État. Au Havre, Atmo Normandie, l'observatoire de la qualité de l'air, présente également la réalité des impacts et d'éventuels dépassements de seuils.

Le public attend des informations claires ; il n'aime pas qu'on lui mente ou qu'on lui présente des données qu'il ne considère pas comme robustes. De ce point de vue, beaucoup de choses pourraient être perfectionnées, en s'appuyant sur des expériences locales – je pense notamment aux amis de l'Institut écocitoyen de Fos-sur-Mer, qui ont permis d'avancer vers de meilleures pratiques.

L'excellence environnementale est un argument concurrentiel pour les industriels français : montrer qu'ils savent bien gérer leurs impacts, informer, mener des concertations, établir des relations de confiance avec les riverains, c'est quelque chose qui est très valorisé. On ne peut pas traiter tous les industriels de la même manière.

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Malou Boisson, chargée des risques naturels au sein de France nature environnement

Concrètement, nous avons réalisé un ensemble de fiches intitulées « Que peut faire ma commune ? », dont trois concernent spécifiquement les risques : « Limiter les risques de submersion marine », « Lutter contre les inondations » et « Préserver des forêts résilientes ». Chacune de ces fiches tient en une feuille recto-verso et présente, à destination principalement des élus, des solutions concrètes, très principalement fondées sur la nature et qui permettent d'agir en amont, de prévenir : comment lutter contre le ruissellement en désimperméabilisant les sols, par exemple. Elles sont accessibles sur notre site internet, je vous ferai parvenir le lien.

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Vous avez insisté sur l'acculturation. Vous inspirez-vous d'autres pays, si c'est possible ? Connaissez-vous leurs démarches ?

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Thierry Hubert, président Île-de-France de France nature environnement

L'exemple français est très regardé par nos voisins, même si nous ne sommes pas absolument exemplaires. Les échanges avec les pays d'Afrique et du pourtour de la Méditerranée sont nombreux. L'expertise française est bien considérée.

Guillaume Blavette citait le Japon, qui a une grande culture du risque, notamment sismique. Les populations vivent avec ces phénomènes, les connaissent, s'entraînent.

Le système anglais est très naturaliste, insistant sur la préservation des milieux naturels. Ces pratiques sont tout à fait intéressantes pour nous.

On peut citer aussi les îles et les pays à grands littoraux, et même les États-Unis, avec lesquels nous échangeons. Il y a eu des inondations à La Nouvelle-Orléans et à Manhattan. On s'est aussi rendu compte des dangers de la destruction des mangroves, notamment dans les Antilles – c'est intéressant pour nos outre-mer. Tout cela a amené des évolutions importantes. Leurs actions ne sont pas forcément exemplaires, mais la prise de conscience est bien réelle et peut nous apprendre des choses.

Les points de convergence sont toujours les mêmes : il faut beaucoup de dialogue, une information bien diffusée, une acculturation. Informer les populations d'un risque d'accident, ce n'est pas faire preuve de catastrophisme ! Pourtant, dans notre pays, certains ont peur d'informer les populations. Mais les populations les plus réactives sont celles qui sont le mieux informées des risques auxquels elles sont exposées, celles qui savent si le risque vient et qui s'y sont préparées. On peut regretter, bien sûr, l'exposition à un risque, mais il doit toujours être connu pour pouvoir réagir. Ainsi, en région parisienne, on sait que l'inondation de 1910 peut se reproduire, une information est donnée. Certains territoires ne sont pas assez résilients et l'information doit porter aussi sur ce point.

S'agissant de résilience, les autres pays s'en préoccupent aussi. Aucun n'est exemplaire, mais il y a une importante coopération, même si nos territoires sont très différents les uns des autres. En matière d'inondations, nous avons ainsi beaucoup à apprendre du système hollandais et de leur culture très particulière des polders, comme ils peuvent apprendre de nous comment se protéger sans nécessairement se lancer dans la réalisation de très grands ouvrages. De la même façon, pour le littoral, nous pourrons consulter les Anglais, pour les séismes, les Japonais. Encore une fois, il n'y a pas une seule politique de prévention et de secours.

En matière d'incendies de forêt – sujet important, dont je vois que nous n'aurons pas le temps de l'aborder –, il y a de grandes discussions entre les différents pays. Les pays de l'Est préparent principalement des interventions d'équipements lourds, notamment des avions ; la France est organisée différemment, avec deux systèmes, le système provençal et le système aquitain – même si nous faisons aussi appel aux équipements lourds.

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Guillaume Blavette, membre du réseau énergie de France nature environnement

La France est un modèle au niveau international : beaucoup de pays nous regardent, en particulier dans le domaine du nucléaire. Après l'accident de Fukushima, M. Naoto Kan, Premier ministre du Japon, a reconnu l'excellence de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) dans la gestion de crise et l'information du public. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.

Il y a des expériences très intéressantes à l'étranger, par exemple en matière de protection de l'air, comme en Espagne avec les supermanzanas, des dispositifs très souples. FNE les a recommandés aux services de l'État, mais ceux-ci ont préféré les zones à faibles émissions – dont on voit bien qu'elles ne sont pas bien acceptées. Les exemples existent, les associations les connaissent, mais les services de l'État doivent nous entendre. Seul un dialogue dans la durée le permettra.

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Malou Boisson, chargée des risques naturels au sein de France nature environnement

Il y a beaucoup de bonnes idées en France, beaucoup de belles initiatives ; mais il faut leur donner assez de temps et de moyens pour se développer. Ainsi, pour nous, pour lutter contre les inondations comme contre les sécheresses, la clef, ce sont les sols : il faut réfléchir aux questions de ruissellement, d'infiltration et de stockage de l'eau dans le sol. À cet égard, le dispositif Zéro artificialisation nette est essentiel, car c'est en luttant contre l'artificialisation et en désartificialisant que nous aurons moins d'inondations et que les sols seront nos alliés pour lutter contre les sécheresses. Il nous paraît indispensable de le suivre et de le soutenir.

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Je vous remercie. N'hésitez pas à nous écrire pour nous apporter toute information complémentaire que vous jugerez utile.

Puis, la mission d'information auditionne Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale, et M. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'Office national des forêts (ONF).

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Chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir Mme Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF), qui est accompagnée par M. Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels, et par M. Guillaume Peghaire, chef du département risques naturels à l'ONF.

La semaine dernière, en recevant Mme la sénatrice Nathalie Delattre, nous sommes revenus sur les très graves incendies qui ont frappé la Gironde au cours de l'été 2022. Lorsqu'on évoque le rôle de l'ONF dans la sécurité civile, c'est spontanément la lutte contre les incendies qui vient à l'esprit. Cette mission n'est pourtant que l'arbre qui cache la forêt, pour le dire ainsi, puisque votre établissement assume, plus largement, un rôle essentiel dans la prévention des risques naturels et la sensibilisation du public à ces enjeux. Il déploie en outre ses activités dans des situations et des environnements très différents, de la montagne aux zones littorales en passant par les territoires ultramarins.

Madame la directrice générale, nous sommes très désireux d'entendre vos analyses et vos éventuelles recommandations pour améliorer le cadre dans lequel l'ONF intervient, ses moyens pour prévenir les feux de forêt, ou encore la coordination entre ses agents et les autres acteurs intervenant en matière de protection et de sécurité. Cela nous permettra de compléter, sous cet angle spécifique, le vaste paysage de la sécurité civile que notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe Horizons et composée de 25 députés appartenant à tous les groupes politiques, découvre depuis septembre.

Cette audition est filmée et accessible sur le site internet de l'Assemblée. Elle fera l'objet d'un compte rendu qui sera annexé à notre rapport.

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Madame la directrice générale, pourriez-vous nous présenter l'Office national des forêts, en rappelant les principaux traits de son organisation, ses missions, ses moyens et les budgets qui sont à votre disposition ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter notre action en matière de sécurité civile. L'ONF, créé en 1966, est un établissement public industriel et commercial placé sous la double tutelle du ministère de l'agriculture, en charge des forêts, et du ministère de la transition écologique. Sa mission principale, qui lui est confiée par la loi, est la gestion durable de la forêt publique – tant de la forêt domaniale, propriété de l'État, que des forêts publiques des collectivités locales, principalement des communes forestières. En métropole, cela représente 1,7 million d'hectares pour la forêt domaniale et 2,9 millions pour les forêts des collectivités locales. L'ONF est donc gestionnaire de ces 4,6 millions d'hectares, auxquels s'ajoutent 6 millions d'hectares en outre-mer, principalement en Guyane.

Aux termes de la loi, l'ONF gère ces forêts publiques sous l'autorité du propriétaire, qui est, dans le premier cas, l'État et dans le second, le maire. Le régime forestier couvre 1 300 forêts domaniales et 15 000 forêts des collectivités locales. Depuis sa création, l'ONF assume plusieurs missions fondamentales : la surveillance, la protection et la préservation des forêts, leur gestion durable en vue d'assurer leur transmission aux générations futures, ainsi que la production de bois, qui était historiquement destinée à approvisionner la filière – ce qui reste vrai – mais qui contribue aussi, aujourd'hui, à la neutralité carbone.

Le budget de l'ONF se compose de recettes propres, principalement le produit du domaine, c'est-à-dire le produit des ventes de bois, et d'autres produits comme ceux procurés par les conventions d'occupation temporaire du domaine ou la location de lots de chasse. D'autres ressources propres proviennent des activités de services exercées, au-delà du régime forestier, pour les collectivités locales. Les recettes propres représentent environ 60 % du budget annuel de l'établissement, qui est compris entre 750 et 800 millions d'euros en fonction de la vente de bois. S'y ajoutent, de manière croissante, les crédits de l'État.

Historiquement, le soutien de l'État a pris la forme du versement compensateur, qui a vocation à couvrir la plus grande part du coût engagé par l'ONF au service des collectivités locales – lesquelles perçoivent, en tant que propriétaires, le produit de la vente de leur bois. Peu à peu, le soutien des ministères de l'agriculture et de l'écologie s'est accru pour assurer le développement de missions d'intérêt général, qui sont de l'ordre soit de la préservation de la biodiversité, soit de la gestion des risques. Parmi ces dernières figurent bien sûr la défense des forêts contre les incendies (DFCI), mais aussi d'autres missions un peu moins connues et plus anciennes, qui sont également essentielles pour les territoires : la restauration des terrains de montagne et la gestion du littoral dunaire – au titre du risque historique éolien et, aujourd'hui, du risque de submersion marine. Ces missions d'intérêt général représentent respectivement 28 millions d'euros pour la DFCI, 14,5 millions pour le risque montagne et un peu plus de 2 millions pour la gestion des dunes sur le littoral. Ces missions nous sont commandées par l'État ; l'ONF est rémunéré pour le service qu'il fournit.

S'agissant de l'organisation, l'une des forces de l'ONF est son réseau territorial, qui est réparti selon plusieurs niveaux. Il existe, tout d'abord, l'échelon des directions territoriales. On en dénombre six dans l'Hexagone, qui couvrent peu ou prou le périmètre des régions administratives, mais qui vont parfois bien au-delà – par exemple, la direction territoriale Centre-Ouest-Aquitaine englobe les régions Nouvelle-Aquitaine, Bretagne, Centre et Pays de la Loire. La Corse abrite également une direction territoriale. Enfin, compte tenu de l'importance des enjeux forestiers et de biodiversité, des directions territoriales ou régionales sont présentes dans chacun des départements d'outre-mer, étant précisé qu'une délégation est située à Mayotte.

L'échelon suivant est constitué par les directions d'agence, qui sont environ une cinquantaine en métropole, soit en gros une agence pour deux départements – avec des disparités selon la répartition de la surface forestière publique : nous avons deux agences dans les Vosges et, parfois, une seule pour quatre départements. Au sein du périmètre des agences, nous avons conservé un maillage au plus près des attentes des élus, grâce à nos 310 unités territoriales, qui représentent un peu plus de 3 000 personnes.

J'en viens à la contribution de l'ONF aux missions de sécurité civile, au sens large. En cas de sinistre grave dans les milieux forestiers qui nous sont familiers et qui sont placés sous notre gestion, nous pouvons bien sûr nous porter volontaires pour répondre aux demandes des pouvoirs publics concernant les opérations de secours ou de remise en état. L'ONF peut participer, sur réquisition ou mise à disposition, à plusieurs types d'opérations : construction d'infrastructures, rétablissement ou dégagement de lignes électriques ou de voies ferrées, en l'absence d'accident. On parle là d'actions non essentielles à la sécurité des personnes. Mais l'intervention principale de l'établissement se fait par la conduite des missions d'intérêt général – DFCI, risque montagne et restauration des dunes – qui lui sont confiées par les ministères de l'agriculture et de l'écologie, en vertu de conventions quinquennales déclinées annuellement.

S'agissant de la DFCI, l'ONF assure quatre missions principales. La première, qui n'était pas dans notre cœur de cible au départ, a été singulièrement renforcée à la suite des incendies de 2022 : il s'agit du contrôle des obligations légales de débroussaillement. La deuxième est le déploiement de patrouilles de surveillance sur le terrain pendant la période estivale, pour détecter les comportements à risque ou identifier les zones à risque dans la forêt. La troisième mission est assurée par les patrouilles de première intervention, qui parcourent les massifs pour détecter un incendie naissant, le porter à la connaissance des autorités compétentes et, le cas échéant, essayer de l'éteindre. La dernière mission consiste à apporter une expertise et un appui à la coordination sous l'autorité des préfets.

La DFCI a été considérablement renforcée à la suite des incendies de 2022. L'État demande désormais à l'ONF d'étendre son action au-delà de la zone historique du Sud, en direction du Sud-Ouest et même de l'ensemble du territoire national. Les crédits de l'État qui y sont consacrés s'élèvent à 28 millions et l'ONF y affecte 385 équivalents temps plein (ETP) annuels. Les patrouilles assurent la surveillance des massifs, informent le public et délivrent des messages à des fins préventives. Les agents rappellent aux usagers de la forêt les règles de sécurité incendie, mènent des actions de détection et d'alerte et, in fine, s'ils ne peuvent faire autrement, verbalisent les contrevenants. La patrouille de première intervention, quant à elle, assure essentiellement la surveillance des massifs, détecte les feux naissants et, le cas échéant, donne l'alerte afin de prévenir leur extension.

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Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF

L'existence de deux familles de patrouilles est liée à la stratégie française en matière de sécurité civile. Elle part du principe qu'il faut essayer d'éviter le départ de feu : c'est le rôle des patrouilles de surveillance qui, en parcourant le terrain, réduisent la probabilité que des gens mettent le feu par accident ou par imprudence. Si malheureusement un feu s'est déclenché, il faut intervenir le plus rapidement possible pour essayer de le tuer dans l'œuf : c'est le rôle des patrouilles de première intervention, qui sont équipées d'une réserve de 600 litres d'eau.

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Le système français de protection et de sécurité civiles repose sur de nombreux acteurs, publics ou associatifs. Comment cela se traduit-il au regard des enjeux propres à la forêt ? Cette constellation vous semble-t-elle adéquate d'un point de vue opérationnel ? La répartition des compétences entre les acteurs est-elle suffisamment claire et pertinente ? À défaut, comment pourrait-on l'améliorer ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Le système français de protection et de sécurité civiles repose certes sur de nombreux acteurs mais, dans le domaine forestier, la répartition des rôles est claire entre les acteurs de l'État et les acteurs territoriaux. L'ONF se positionne sur le segment de l'expertise technique, qui est particulièrement bien illustrée par notre action de restauration de terrains de montagne. Sur le plan opérationnel, nous nous inscrivons plus dans une perspective de prévention que de gestion du risque. L'ONF n'a pas de compétences particulières en matière de gestion des risques : il faut laisser cela à ceux dont c'est le métier.

Notre politique de prévention se décline sous la forme d'actions de surveillance et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage ou à la maîtrise d'œuvre – particulièrement pour la restauration de terrains de montagne. En matière de prévention, nous répondons à la commande des ministères de tutelle. Nous travaillons de concert, en amont des crises, avec des organismes qui détiennent, eux aussi, une forte expertise technique : l'INRAE (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement), l'IGN (Institut national de l'information géographique et forestière), le BGRM (Bureau de recherches géologiques et minières) et le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement). Nous nous répartissons les rôles en fonction de nos savoir-faire.

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Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF

La direction générale de la prévention des risques (DGPR) a adressé, il y a deux ou trois ans, aux pools d'organismes travaillant sur ces questions des feuilles de route, qui désignent un organisme référent pour chaque risque. L'ONF a été identifié comme référent ou coréférent pour l'incendie de forêt, le risque torrentiel et le risque d'avalanche. En revanche, concernant le risque gravitaire – par exemple les chutes de blocs – ou les inondations en plaine, nous contribuons seulement aux travaux.

Si nous sommes référents en matière de risque incendie, c'est parce que nous en avons une connaissance très intégrée, depuis l'expertise en amont jusqu'à l'intervention opérationnelle en aval. De surcroît, nous disposons d'un maillage territorial, en particulier en milieu rural, qui a peu d'équivalents, hormis chez les pompiers : les autres organismes constituent des structures d'expertise plus concentrées.

L'INRAE conçoit des modèles, des méthodes et des techniques destinés à évaluer le niveau de risque, que nous transformons en dispositifs d'alerte et de prévention opérationnels. Bref, nous les faisons passer de la théorie à la pratique. L'IGN, lui, intervient quand il faut porter les données relatives à l'incendie de forêt, ou à d'autres risques bien sûr, à la connaissance du citoyen et des élus – elles ont toujours partie liée à l'aménagement du territoire. L'interface avec l'IGN est précieuse, compte tenu de son expertise dans l'élaboration des cartes et dans les nouvelles technologies, à l'image de la télédétection, laquelle prend une importance croissante dans l'évaluation et le suivi des risques. Le BRGM et le Cerema, quant à eux, ont des compétences dans des domaines complémentaires des nôtres, en particulier pour les mouvements gravitaires, ce qui nous est utile pour évaluer les risques littoraux ou en montagne.

D'une manière générale, nous nous efforçons d'articuler au mieux nos compétences et d'éviter toute redondance. Et, pendant les périodes de crise, au cours desquelles nous intervenons à deux ou à trois, la complémentarité devient synergie pour apporter le meilleur conseil possible au demandeur – préfet ou élus.

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Avez-vous des chiffres à nous communiquer au sujet de votre activité d'extinction des feux naissants ?

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Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF

Les chiffres varient beaucoup d'une année à l'autre, d'abord parce que le nombre de départs de feux est lui-même très variable, ensuite parce que, suivant la répartition géographique des patrouilles et des départs de feux, le nombre de départs détectés peut changer considérablement.

Ce qui, en revanche, est assez constant est la proportion des départs de feux détectés qui ont pu être éteints par la patrouille avant l'arrivée des pompiers. Elle se situe autour de 60 %.

Je précise que, dans tous les cas de figure, en France, la lutte contre les feux est du domaine exclusif des services d'incendie et de secours. Ainsi, quand une patrouille de l'ONF intervient sur un feu naissant, elle ne se substitue pas aux pompiers : elle les informe tout de suite. Si le feu est éteint avant que l'équipe du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) n'arrive, c'est autant d'économisé.

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Le bilan de l'année 2023 relatif aux feux de forêt a été positif, notamment en raison des conditions climatiques. La surface brûlée est en baisse. Pourtant, le nombre des départs de feux, lui, est en hausse. Cela signifie sans doute, nonobstant cet effet des conditions climatiques, que les interventions ont été plus rapides, plus nombreuses et plus efficaces.

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En matière de gestion de crise, la prévention reste cruciale. L'ONF semble très actif dans ce domaine, en particulier s'agissant des feux naissants.

Puisque nous parlons d'innovation, quelles sont les attentes de l'ONF vis-à-vis des nouvelles technologies ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Elles sont très importantes, dans tous les compartiments de notre activité, que notre contribution se limite à une expertise technique ou qu'il nous soit demandé d'agir – en raison de notre couverture du terrain ou de notre capacité opérationnelle, par exemple. Dans tous les cas, nous avons besoin des nouveaux outils technologiques, tout particulièrement pour accomplir nos missions d'intérêt général.

Pour ce qui est de nos missions opérationnelles par exemple, notre connaissance du terrain peut être valorisée par des dispositifs de saisie mobile. L'efficacité de nos agents sera renforcée s'ils peuvent, en forêt, saisir des données sur des appareils mobiles. À titre expérimental, des tablettes sont mises à disposition des patrouilles et permettent, grâce à la géolocalisation, d'assurer un meilleur suivi et de mieux faire remonter les événements en temps réel.

Depuis les incendies de 2022, les synergies se sont développées, mais nous pouvons encore aller plus loin, afin d'augmenter l'interopérabilité de nos équipes avec les réseaux de sécurité. Le mouvement est en cours et ne rencontre aucune réserve des parties impliquées : il faut juste le temps nécessaire à l'acquisition de ces technologies.

S'agissant de nos missions d'expertise de haut niveau, nous avons besoin, pour ce qui concerne les risques aussi bien que pour ce qui concerne l'adaptation de la forêt au changement climatique, de toutes les technologies qui peuvent aider au suivi et à la détection. Il peut s'agir de drones, de la télédétection par laser Lidar, que nous développons en partenariat avec nos collègues de l'IGN, ou encore de l'utilisation de données satellitaires, pour laquelle nous collaborons avec l'INRAE.

De façon plus générale, il est important d'éviter tout décrochage technologique, à la fois parce que l'ONF est un établissement public en période de renouvellement et qu'il y a une différence de compétence entre les nouvelles et les anciennes générations dans le maniement des nouvelles technologies, et parce que la maîtrise de ces nouveaux outils constitue un facteur d'attractivité qui facilite le recrutement.

Enfin, il est important de disposer des infrastructures nécessaires pour rassembler, stocker et gérer toutes les données que nous brassons et que nous devons mettre en relation les unes avec les autres – et, demain, exploiter grâce à l'intelligence artificielle.

L'ONF a donc de nombreux projets, qu'il propose à ses autorités de tutelle, en particulier dans le cadre de la dynamique France nation verte numérique.

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Albert Maillet, directeur forêts et risques naturels de l'ONF

Il existe plusieurs grandes familles d'outils technologiques. Certains permettent de mieux appréhender la réalité des territoires. Nous sommes là dans le domaine de la prévention pure, très en amont de l'incendie. Mieux nous connaissons un territoire, sa structure, sa sensibilité aux feux, sa composition, mieux nous pouvons préparer notre stratégie de lutte. C'est la télédétection par laser qui est ici en jeu. Pour disposer d'une information très fine sur de vastes étendues, elle doit être combinée avec les outils de modélisation développés par l'INRAE ou par l'IGN, qui permettent l'interprétation des données que produit la télédétection. Nous pouvons ainsi recueillir une photographie des territoires avant même la survenue d'un problème.

L'étape d'après, c'est d'améliorer les capacités opérationnelles. Pour détecter rapidement les départs de feux, ce qui est essentiel, nous devons d'abord nous appuyer sur la détection par l'œil humain, qu'il s'agisse des agents de l'ONF ou des citoyens. Nous commençons à déployer des systèmes permettant à ces derniers de lancer l'alerte de façon ordonnée et calibrée par le biais de leur téléphone portable. Nous devons aussi faire usage de technologies de détection automatique – capteurs, drones, etc. – qui sont en cours d'expérimentation.

Enfin, pour bâtir des politiques de prévention efficaces, il nous faut parvenir à dresser les diagnostics pertinents, retraçant les bons liens de causalité. Cela suppose d'engranger une quantité importante de données statistiques et de les traiter, grâce à un matériel informatique puissant et à des méthodologies qui le sont tout autant, pour les restituer aux décideurs sous une forme très compréhensible et susceptible d'être traduite sur le plan opérationnel. Nous nous efforçons de nous outiller dans ce but.

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Sur le plan humain, quels enseignements avez-vous pu tirer des crises auxquelles notre pays a eu à faire face – les feux de forêt certes, mais aussi les inondations, tempêtes et autres ? Vous amènent-ils à envisager des évolutions, notamment pour ce qui est de la coordination des acteurs ? Nous avons en effet constaté, tant dans le cadre de nos auditions qu'en nous rendant sur le terrain, d'importantes disparités entre les territoires, en métropole ou en outre-mer, dans les milieux ruraux ou urbains, dans les zones de montagne ou littorales.

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Le plus souvent, l'ONF est associé aux retours d'expérience (Retex) effectués à la suite de ce type d'événements, quelle que soit la nature du risque. Notre sentiment est que ces retours sont plutôt positifs. D'une part, les acteurs de la sécurité civile associent de plus en plus l'ONF à leurs actions. D'autre part, plus les risques s'accroissent, meilleure est l'association des partenaires. Cette évolution est encourageante.

Par exemple, dans le domaine de la DFCI, en plus des procédures internes à l'établissement, l'ONF a contribué aux Retex des zones de défense. La synthèse de ces derniers a fait l'objet d'une présentation à l'état-major de la sécurité civile en décembre 2023. L'ONF était représenté lors de cet événement, ce qui montre bien que les acteurs prépondérants de la sécurité civile prennent soin d'associer les experts qui gravitent autour d'eux.

Je le disais, l'année climatique 2023 a été favorable, avec beaucoup de départs de feux, mais moins de feux perdurant. Mais ce bon bilan est aussi dû, outre les phénomènes naturels, à l'approche de plus en plus intégratrice que les acteurs publics ont choisi d'adopter, qu'il s'agisse du renforcement de la coordination nationale, en associant tous les acteurs, ou de la coordination locale et territoriale.

Mais, c'est vrai, des améliorations restent possibles. La prise de conscience des risques progresse partout, mais elle demeure hétérogène suivant les territoires, ce qui est certainement dû au fait que certains d'entre eux, étant moins exposés, sont moins acculturés aux risques que d'autres.

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J'en viens à la prévention. Quels sont les moyens à votre disposition pour prévenir les risques d'incendie de forêt ? Vous semblent-ils suffisants ? Qu'en est-il de l'acculturation des citoyens et des élus ? Avez-vous des pistes d'amélioration à proposer ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

L'ONF s'est vu attribuer sa mission de prévention au titre de la DFCI à la fin des années 90, à la suite des grands incendies qui avaient eu lieu. Elle a été progressivement mise en œuvre pendant vingt ans. Nous avons connu un basculement du fait des incendies de 2022, lorsqu'il nous a été demandé d'étendre notre action à l'ensemble du territoire national, en fonction du risque propre à chaque territoire.

En deux ans, les moyens mis à notre disposition pour le risque incendie ont presque doublé, ce qui a bénéficié en particulier à l'intervention ou à la surveillance dans les territoires en période estivale. Cette mission d'intérêt général de l'ONF s'est vu consacrer 10 millions d'euros supplémentaires, qui nous ont permis, en période estivale, de multiplier par deux notre présence humaine sur le terrain.

Pour cela, il a été décidé de faire cesser la baisse des effectifs de l'ONF, en 2023 puis en 2024. Ce choix salutaire a permis à l'établissement de redéployer 120 ETP en deux ans vers ces nouvelles missions.

Un seul exemple de ce renforcement de nos moyens humains : si nous armions, avant les incendies de 2022, un peu moins de cent patrouilles de surveillance et d'intervention, chargées de détecter et d'éteindre les feux naissants dans la zone Sud, nous pourrons en 2024 doubler ce nombre, dans la France entière.

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Quelle est votre appréciation du respect des obligations légales de débroussaillement (OLD) ? Auriez-vous des recommandations à formuler pour améliorer les choses ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

À l'origine, le contrôle du respect des OLD ne faisait pas partie du cœur des attributions de l'ONF. Toutefois, du fait de notre expérience en la matière, l'État nous a demandé de nous y consacrer davantage. Il est important de le mentionner, car cette activité de contrôle était nouvelle pour tout le monde, surtout dans certains territoires.

Nous nous sommes efforcés de jouer un rôle actif de communication, afin que le message passe bien. Ainsi, les agents chargés du contrôle ont d'abord fait œuvre de pédagogie, plutôt que de verbaliser immédiatement les infractions constatées. En accord avec le donneur d'ordres, à savoir le préfet, nous avons choisi cette approche, car elle nous paraît plus efficace que l'adoption d'une attitude d'emblée répressive.

Nous participons activement à une communication collective, plutôt qu'individuelle, autour des OLD et du risque incendie. Nos équipes de terrain participent aux diverses campagnes d'information, ou mènent des opérations d'accueil du public en forêt et de sensibilisation. Les agents de l'ONF ont aussi été particulièrement sollicités pour des entretiens dans les médias locaux, ce qui leur a permis de bien diffuser les règles de prévention élémentaires.

D'une manière générale et en particulier s'agissant des OLD, il nous paraît important de commencer par cette phase d'appropriation. Ensuite, en 2024, à mesure de l'abondement des moyens et lorsque nous aurons un peu plus de recul, un dispositif plus coercitif se mettra peut-être progressivement en place.

La loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie fixe des règles claires de calcul des surfaces devant être débroussaillées, qui nous simplifient la vie au quotidien. Cela contribuera à améliorer les choses. Cette loi prévoit également que les zones à risque incendie soient désignées par arrêté interministériel et non plus dans le code forestier, dans une démarche de souplesse et d'adaptation bienvenue. Nous attendons cet arrêté pour passer à la phase plus coercitive du contrôle du respect des OLD.

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Souhaitez-vous encore aborder un sujet qui vous tiendrait particulièrement à cœur ?

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Valérie Metrich-Hecquet, directrice générale de l'Office national des forêts (ONF)

Nous considérons que la succession des aléas et des épisodes extrêmes que nous connaissons engendre une prise de conscience collective et que le système de sécurité civile, proche de la constellation, selon votre terme, est en train de s'organiser.

Dans ce cadre, on peut imaginer que tous les systèmes d'information que renseignent chacun des acteurs, par exemple la base de données de l'ONF sur les feux de forêt en France, puissent être partagés, que toutes ces données puissent être croisées. La tâche est immense et l'apport de l'intelligence artificielle sera très utile, mais cela contribuerait largement à renforcer la politique de prévention.

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Merci beaucoup pour votre contribution. N'hésitez pas à nous faire parvenir tout élément qui vous semblerait important, le cas échéant hors du cadre du questionnaire qui vous a été adressé.

Enfin, la mission d'information réunit une table ronde, ouverte à la presse, sur le thème « Sécurité civile, logistique d'urgence et gestion de crise ».

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Nous poursuivons cet après-midi le cycle de tables rondes thématiques engagé en décembre 2023, avec un temps d'échange consacré à la sécurité civile, à la logistique d'urgence et à la gestion de crise.

Nous avons le plaisir d'accueillir des acteurs d'horizons différents, dont l'expérience est reconnue, en France et dans d'autres pays, en matière de réponse aux crises ou de logistique d'urgence, domaines essentiels pour l'évolution de notre modèle de protection et de sécurité civile.

Nous recevons Mme Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac) et Mme Julie Morin Gonzalez, juriste au sein de la Fenvac ; M. Thomas Alliot, président fondateur de l'Unité nationale de secouristes citoyens (UNSC) et M. Jean-Luc Wertenschlag, ambassadeur de cette association, président du collectif Citoyen du 13 Novembre et auteur du livre Impacté 13 Novembre, dans lequel il relate son intervention, avant même l'arrivée des secours, sur le lieu de l'un des attentats du 13 novembre 2015 à Paris ; le docteur Arnaud Derossi, enfin, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial.

Je tiens à souligner l'importance de cette table ronde pour approfondir notre compréhension des enjeux actuels de la sécurité civile et de la gestion des crises. Je vous remercie donc de votre présence et de votre participation à nos travaux.

Notre mission d'information, créée à l'initiative du groupe Horizons, est composée de vingt-cinq députés issus de tous les groupes politiques ; mon collègue Didier Lemaire en est le rapporteur. Nos échanges seront enregistrés et accessibles sur le site internet de l'Assemblée. Ils feront l'objet d'un compte rendu, lequel sera annexé à notre rapport, que nous espérons rendre au printemps.

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Merci d'avoir répondu à notre invitation pour évoquer une question qui nous tient à cœur : notre capacité à anticiper et adapter notre modèle de sécurité civile. Notre mission s'attache à toute la constellation des acteurs de la sécurité civile, car elle entend des représentants non seulement des corporations – sapeurs-pompiers, unités de sécurité civile – mais aussi des associations agréées et au-delà, puisqu'il est aujourd'hui question de citoyenneté et d'acculturation à la sécurité et à la protection civiles.

Dans un premier temps, chacun d'entre vous pourra présenter son organisation, en donner la date de création, les missions, la façon dont elle contribue à la sécurité civile ou à la protection de la population dans un contexte de crise, éventuellement le budget et les moyens dont elle dispose, et préciser si ceux-ci vous paraissent suffisants.

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

La Fenvac a été créée en 1994 à la suite des carences et des non-réponses qu'ont révélées plusieurs accidents collectifs – l'effondrement de la tribune du stade de Furiani, la collision ferroviaire de la gare de Lyon, l'incendie des thermes de Barbotan. En 2011, Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentats, a rejoint la Fenvac, ce qui a permis de lui adjoindre un pôle attentats, pôle dont elle est restée administratrice jusqu'en 2017.

Depuis 1994, notre fédération, pluridisciplinaire, a accompagné plus de 8 000 victimes dans différents domaines, de la prise en charge lors de l'événement jusqu'au procès et ses suites, en passant par le suivi judiciaire et social : l'accompagnement est ainsi mené pendant plus de dix ans. Tous les membres du conseil d'administration de notre fédération, c'est là sa particularité, sont victimes ou parents de victimes. Nous disposons donc d'un regard et d'une expérience, si je puis dire, qui nous a permis d'évaluer les failles des dispositifs. Cependant, nous ne cessons de le répéter, ces dispositifs ont évolué, et la prise en charge réalisée en France n'a pas d'équivalent dans d'autres pays. Lors de réunions à Bruxelles, j'ai pu constater que certains pays européens nous l'envient. Sur le terrain, toutefois, cela ne se passe pas toujours comme on le souhaiterait.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

C'est un grand plaisir et un honneur de représenter les secouristes citoyens. Il me semble être le plus jeune participant à vos auditions : c'est une belle marque de confiance envers la jeunesse. Les jeunes ont un vrai rôle à jouer dans ce modèle de protection civile ; il faut leur faire confiance. C'est en toute humilité que j'interviens : les personnes que vous avez auditionnées ont placé la barre très haut, ce qui nous oblige à apporter des propositions concrètes, travaillées et pragmatiques.

J'ai créé l'Unité nationale de secouristes citoyens en 2015, à partir d'un club du foyer socio-éducatif au sein du collège Côte de Bétance à Muret, près de Toulouse. L'association a pour objet de promouvoir et de développer le secourisme et la citoyenneté dans les établissements scolaires. Investi dans le secourisme depuis quinze ans – je me suis formé aux premiers secours avant l'âge légal –, j'ai pu constater qu'il n'est pas si facile d'exercer le droit à une telle formation.

Au sein de mon collège, par exemple, la chaîne de secours était incomplète : hormis l'infirmière scolaire, aucun personnel adulte ne savait prendre en charge un élève rencontrant un problème de santé. Avec le soutien du principal, nous avons créé une équipe de secouristes citoyens, restée active pendant deux ans. L'attaque de Mohammed Merah dans un établissement scolaire en 2012, puis les attentats de 2015, ont conduit à une prise de conscience collective : les élèves ont mené une réflexion sur la manière de faire face à un tel événement alors que les services publics pouvaient être empêchés de pénétrer dans l'établissement, et les adultes occupés à gérer la crise. Ils en ont déduit qu'ils devaient se prendre entièrement en charge. Quelques semaines plus tard, après que j'ai eu à intervenir auprès d'une élève ayant tenté de mettre fin à ses jours dans l'établissement, j'ai été encouragé à trouver une solution pour permettre aux autres élèves de porter secours si ce type d'événement se reproduisait.

L'idée a alors été émise de structurer le concept de « secourisme citoyen », non seulement en formant les élèves au secourisme – un objectif déjà affiché par les politiques publiques –, mais aussi en leur permettant de s'entraîner, de se connaître et de développer leur citoyenneté par ce biais. Parallèlement, des réflexions étaient menées sur le harcèlement scolaire et la difficulté des jeunes à trouver leur place. Nous avons considéré qu'introduire la cause du secourisme dans l'établissement créerait un supplément d'âme susceptible de motiver les jeunes pour venir en cours.

Entre-temps, en 2012, j'avais rencontré le professeur Louis Lareng, qui m'a fait confiance et m'a accompagné. Il estimait qu'il fallait que chaque citoyen soit secouriste : les secouristes citoyens devaient être les protecteurs de vie, et les institutions partenaires, les garants de vie. Nous avons alors eu l'idée de créer dans les établissements scolaires des unités de secouristes citoyens ayant pour rôle la sensibilisation, la formation et l'entretien des gestes de premiers secours entre pairs. Qu'un jeune transmette ces gestes à ses camarades, dans des moments dédiés, crée en effet une dynamique. Les professeurs ayant adhéré à ce principe, nous nous sommes naturellement équipés d'outils pédagogiques pour remplir cette mission.

Une fois formés, les élèves ont été impliqués dans les plans particuliers de mise en sûreté (PPMS) prévus dans les établissements scolaires, ce qui n'était pas le cas auparavant. Or, il faut qu'ils aient un rôle à jouer dans ce cadre ; il faut les entraîner, les préparer.

Par ces missions, on donne aux jeunes toute leur place dans la citoyenneté et on favorise leur émancipation car, s'ils sont capables de porter secours dans leur établissement, ils pourront réagir et se structurer beaucoup plus rapidement le jour où ils seront témoins d'une crise dans leur commune. Cela tombe bien : la loi visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels, dite loi Matras, insiste sur les réserves communales de sécurité civile, que les jeunes pourraient rejoindre s'ils devaient prêter main-forte.

Bien que la crise du covid-19 ait freiné son développement, l'Unité nationale de secouristes citoyens, jeune association de presque dix ans, a la volonté de se déployer dans les territoires pour attester de la pertinence de son modèle et prendre sa place dans le dispositif de sécurité et de protection civiles. Disposer de compétences en matière de secourisme est un droit fondamental pour les jeunes : ils doivent y avoir accès, pour pouvoir réagir et sauver des vies, si nécessaire.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Le collectif Citoyen du 13 Novembre a été créé par trois personnes qui étaient présentes sur la terrasse de La Belle Équipe le soir du 13 novembre 2015 : un commerçant du quartier, une jeune femme journaliste, formée aux premiers secours tactiques, qui disposait de matériel, et moi-même, qui ai décidé de porter assistance aux victimes en bas de chez moi. L'attaque a fait vingt et un morts : c'est le lieu où le nombre de victimes par rapport aux personnes présentes a été le plus élevé.

Nous n'étions pas de simples secouristes, chacun avait une histoire, un parcours, un vécu, qui l'ont conduit à décider de s'opposer aux conséquences de l'attaque. C'était un acte résistant, et non un acte résilient. N'étant pas des militaires, notre rôle n'était pas d'attaquer les attaquants. Nous avons montré ce que les civils sont capables de faire quand ils sont attaqués. C'est la place des civils, des citoyens, dans la constellation que vous avez évoquée, que nous avons voulu défendre par la suite, en fondant le collectif Citoyen du 13 Novembre. Cette place est limitée – il n'y avait d'ailleurs aucun terme pour nous caractériser à l'époque. J'ai fait connaître celui d'aidant de première ligne, ou first liner. Les premières personnes qui viennent en aide aux victimes sont les voisins, les survivants, les témoins. Quelle place notre société leur accorde-t-elle ?

Les applications Staying Alive et Sauv Life ont donné la possibilité aux services de secours de faire intervenir des civils précocement. En favorisant cette action, on augmente les chances de survie des victimes. Il faut encourager cette démarche, que j'appelle « l'initiative citoyenne en cas d'urgence ». Elle traduit la place que les civils peuvent prendre en cas de crise, dans les premières minutes – les golden minutes –, ces moments vitaux pour stabiliser une personne avant l'arrivée des secours.

Je suis fier d'avoir rencontré Thomas Alliot quelque temps après : sa démarche est notre avenir. C'est en formant les jeunes le plus tôt possible, en les structurant, qu'on construira la base de la société que nous voulons. Dans un monde où prime le chacun pour soi, il est crucial de former les gens à aider l'autre. Je me bats depuis huit ans, aussi bien au sein de Life for Paris, l'association de victimes des attentats du 13 Novembre, que seul, en essayant de faire bouger les choses. Je souhaiterais une évolution de la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur, qui n'existait pas en 2015 : cette loi est trop floue et trop ciblée sur l'arrêt cardiaque.

Il est également nécessaire de rendre accessibles des matériels permettant d'agir plus efficacement en cas de crise : lors d'un incendie, on est heureux d'intervenir avec un extincteur. Le 13 novembre, étant sans gants, sans protection, je n'ai pu traiter que deux personnes, Anne-Sophie Clément, avec la formation qu'elle avait reçue et sa trousse de secours, a secouru quatre à cinq victimes. C'est pourquoi j'ai demandé à une grande société française de développer une trousse à destination des établissements recevant du public : si l'on place du matériel à disposition, dans le boîtier du défibrillateur par exemple, le secouriste présent pourra agir avec de vrais outils, donnant ainsi plus de chances aux victimes.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Contrairement aux autres intervenants, je représente une entreprise privée, ce qui peut paraître paradoxal pour parler de la sécurité civile. Médecin-urgentiste de formation, j'ai longtemps travaillé pour le Samu, à Paris. J'y exerce encore partiellement, tout en étant directeur médical pour l'Europe d'International SOS.

Cette entreprise privée a été créée il y a presque quarante ans en Asie du Sud-Est par deux Français, dont un médecin. Ses deux fondateurs contrôlent toujours le groupe, qui s'est étendu dans le monde : l'entreprise dispose de bureaux dans 90 pays. Employant une vingtaine d'employés à Singapour dans le milieu des années 1980, elle compte à présent 14 000 salariés, dont 5 500 professionnels de santé, infirmiers, paramédicaux et 1 500 à 2 000 médecins. Ses clients sont des entreprises et, depuis une vingtaine d'années, des entités gouvernementales.

Au départ, l'entreprise était spécialisée dans les évacuations et rapatriements sanitaires vers nos centres d'excellence médicale ou vers le pays d'origine. Elle a fait évoluer son modèle pour devenir un gestionnaire de risques santé et sûreté au niveau international, ce qui inclut de plus en plus la prévention, c'est-à-dire la formation, notamment par formation en ligne, et la veille. Les alertes de nos relais locaux nous informent très rapidement en cas de crise : l'information, analysée et pertinente, permet de prendre des décisions et, si nécessaire, de déployer nos moyens d'intervention et nos équipes sur le terrain, voire de réaliser des rapatriements sanitaires. Au fil des ans, nous avons été confrontés à de nombreuses crises.

Sur le plan opérationnel, nous disposons de vingt-six plateaux d'assistance comprenant des médecins et des infirmiers. Nos centres de veille et de coordination sur tous les continents traitent des appels vingt-quatre heures sur vingt-quatre, après quoi nous intervenons sur le terrain en activant un réseau de 100 000 partenaires locaux accrédités. Ces partenaires sont le bras armé d'International SOS dans le monde.

Outre nos clients historiques – des entreprises du secteur minier, pétrolier, de la construction –, nous travaillons avec des sociétés des domaines aéronautique, automobile, informatique, hôtelier, bancaire, peu satisfaites de l'offre de soins des pays où elles sont implantées. Nous avons déployé un réseau d'une cinquantaine de cliniques, parfois dédiées à un seul client, soit un millier de sites dans le monde. Nous y apportons un niveau de soins de standard international.

Depuis une quinzaine d'années, des acteurs étatiques – gouvernements, ministères – ont trouvé intérêt à nouer des partenariats avec nous, en France et dans le monde, pour les aider à fournir des services variés lors d'une crise. Nous sommes une boîte à outils, où nos clients viennent chercher les solutions dont ils ont besoin – déploiement d'équipes, conseils, information, etc. Lors de la crise du covid-19, nous avons par exemple fourni des moyens lourds d'évacuation au ministère de l'Europe et des affaires étrangères et au ministère de la santé.

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Ces propos donnent une vision de l'importance de vos actions en tant qu'association, collectif ou entreprise, quand nous avons tendance parfois à accorder notre attention plutôt des corporations. C'est intéressant, car cela nous amène à nous interroger différemment.

Vous avez évoqué la protection de la population, avant, pendant et après la crise. Pour ce qui est des risques naturels, technologiques, sanitaires et des attentats, outre votre expérience, pourriez-vous revenir sur les retours que vous auriez reçus ou sur les axes qu'il conviendrait d'approfondir ?

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

Les structures qui ont été présentées répondent immédiatement aux événements, dans l'espace public ou dans les collèges. Notre fédération est également confrontée à l'enjeu d'une réponse immédiate : jusqu'en 2017, nous participions aux cellules de crise. J'ai ainsi intégré celles du 13 novembre 2015 et du 14 juillet 2016. Cela permettait à la Fenvac d'être présente dans les premiers instants, au plus près des familles – par l'intermédiaire des centres d'accueil des familles (CAF) –, et de créer immédiatement des liens avec les victimes, puis de les suivre.

Depuis l'arrivée du président Macron aux responsabilités en 2017, cette possibilité nous a été retirée. Les associations de victimes n'ont plus accès aux listes de victimes. Nous recevons donc ces personnes en deuxième intention. Or, pour accompagner le mieux possible une victime, il faut tisser des liens avec elle dès le départ. Sinon, faute de conseils, elle peut prendre de mauvais chemins et se perdre dans les méandres administratifs et judiciaires. Hier encore, en marge du procès de Trèbes-Carcassonne, des victimes du Super U m'ont confié qu'elles n'avaient pas été suivies comme elles auraient dû l'être et que de nombreuses personnes étaient restées sans relais.

L'immédiateté, le matériel, dont on a beaucoup parlé à l'époque des attentats, sont indispensables. Nous participons pleinement à cet accompagnement citoyen. Si nous n'utilisons pas les techniques de réanimation – nous pourrions toutefois être formés –, nous accompagnons les familles de victimes. Je l'ai vu à l'École militaire, le lendemain du 13 novembre, il s'agit véritablement de situations de crise. Je vous remercie donc de nous donner l'occasion de nous exprimer sur ce thème.

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Vous avez parfaitement raison : ce que vous venez de dire explique d'ailleurs que nous prenions en compte, dans nos travaux sur la gestion de crise, à la fois la prévention, la gestion de la crise immédiate et l'accompagnement du retour à la normale – je veux parler de ce qui se passe quand les caméras se retirent alors que la vie continue pour les victimes. Cela justifie d'ailleurs votre présence aujourd'hui.

Au-delà des corporations bien identifiées que j'évoquais tout à l'heure, nous sommes persuadés du rôle essentiel que joue le citoyen dans notre modèle de sécurité civile. Il est le meilleur acteur de sa propre sécurité. Quelle que soit la crise, avant l'intervention des services de secours, une mauvaise réaction ou un mauvais choix de sa part peut être dramatique. Dans le cadre de notre mission d'information, je parle beaucoup de la nécessaire acculturation du citoyen, au sens large. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

Il y a effectivement plusieurs enjeux liés à l'anticipation. Le premier a été relevé par M. Olivier Richefou, président de la Conférence nationale des services d'incendie et de secours (CNSIS), qui réclame depuis au moins 2022 la création d'un ministère délégué ou d'un secrétariat d'État chargé de la préparation des populations. Une telle mesure serait intéressante, a fortiori si cette administration était placée auprès du Premier ministre, ce qui lui donnerait une dimension interministérielle. À l'échelle de l'État comme au niveau des citoyens, le plus difficile est aujourd'hui d'agir dans une optique interministérielle. Il conviendrait d'identifier tous les acteurs concernés, de les réunir autour de la table et de leur faire respecter ce triptyque militaire bien connu : un chef, une mission, des moyens.

Certaines structures nationales, certaines associations agréées de sécurité civile se montrent très ambitieuses et demandent des rallonges dans le cadre d'un pacte capacitaire. C'est très bien – je le dis d'autant plus que l'UNSC est une association agréée de sécurité civile –, mais chacun doit aussi savoir se recentrer sur ses missions propres et accepter que d'autres structures prennent part aux interventions en assumant des missions spécialisées. Lors de précédentes auditions, on vous a parlé du projet formidable qu'est la création de maisons de sécurité civile. Allons encore plus loin, en recensant les moyens de chaque acteur, en cherchant des complémentarités au sein des territoires et en envisageant une mutualisation de ces moyens, notamment des moyens lourds comme les vecteurs de transport, qui pourrait s'avérer intéressante en cas de catastrophe naturelle.

Le contrôleur général Emmanuel Clavaud a préconisé la réalisation d'une étude sociologique sur le profil des volontaires chez les sapeurs-pompiers. Là encore, allons plus loin, en nous demandant qui sont les acteurs de notre sécurité civile dans son ensemble. Ils sont très divers : il serait intéressant de chercher à les connaître et à les identifier. Je pense à une initiative très intéressante qui a vu le jour, à Toulouse, lors de la crise du covid-19 : des citoyens venus de tous horizons se sont mis à la disposition d'une association, les Hussards blancs de la santé, encadrée par des sapeurs-pompiers, des militaires de réserve et des soignants, qui les ont accueillis et leur ont assigné un rôle. Ils ont ainsi réussi à mettre en place le plus grand centre de vaccination européen. Cette initiative formidable a permis à chacun de trouver sa place, au bon niveau d'action, les spécialistes de la sécurité civile – associations, sapeurs-pompiers, militaires et soignants – ayant un rôle d'encadrement.

Pour garantir la continuité de l'anticipation et construire une réponse collective, les temps de rencontre sont importants. Il y a deux ans, on a donné un nouveau souffle à la journée nationale de la résilience, un formidable temps de rencontre entre les différents partenaires. On s'est aperçu dans ce cadre de l'énorme investissement de nombreux acteurs privés au service de l'intérêt général et de la préparation des populations.

Un autre enjeu est celui de la formation au secourisme. Il est assez difficile d'obtenir l'agrément pour la formation aux premiers secours ; il s'agit d'une complexité voulue, conçue pour protéger une chasse gardée économique. Or, le rapport remis en 2016 par Patrick Pelloux et Éric Faure a montré que l'offre n'était pas au niveau de la demande de formation du grand public, et que le coût de ces formations était trop élevé – 60 euros par personne en moyenne pour le certificat de prévention et de secours civiques de niveau 1 (PSC1). Il n'est pas normal de faire payer un tel prix à des jeunes, qui n'ont pas de revenus et dont c'est souvent la famille qui doit supporter ce coût. L'accès à ce type de formation devrait être un droit fondamental. Soyons honnêtes : cette formation ne coûte pas 60 euros, même en tenant compte des investissements matériels. Abaissons-en le prix et plafonnons-le ! Intéressons-nous également à d'autres types de formations, qui pourraient dégager des recettes pour les associations agréées de sécurité civile si elles décidaient d'élargir le champ de leurs missions aux interventions auprès des mairies – c'est d'ailleurs ce que font aujourd'hui les services d'incendie et de secours, qui forment les élus à la gestion de crise. Il faut donc peut-être repenser le schéma des formations.

En lien avec ma remarque sur l'interministérialité, j'aimerais aussi poser la question des passerelles. Le système des équivalences entre le PSC1, la formation de sauveteur secouriste du travail (SST) et l'attestation de formation aux gestes et soins d'urgence de niveau 1 (AFGSU1) dans le secteur de la santé n'est pas complet. Il faut absolument tout remettre à plat. On ne parle pas d'un diplôme d'État d'infirmier ou d'un diplôme de médecine : il s'agit de sauver des vies par des gestes élémentaires.

Il me paraît en outre indispensable d'abaisser l'âge d'accès aux formations aux premiers secours en France. À l'époque, j'ai moi-même contourné la règle : je n'avais pas 10 ans quand j'ai voulu passer le PSC1, et j'ai eu la chance qu'avec l'accord de mes parents, une structure ait accepté de me faire une dérogation. J'ai travaillé au marché pour financer cette formation ; je l'ai suivie, ce qui m'a mis le pied à l'étrier et permis d'obtenir un petit diplôme officieux, puis je l'ai revalidée à mes 10 ans. Or, on s'aperçoit qu'il n'est pas nécessaire d'avoir 10 ans pour faire un massage cardiaque ou mettre quelqu'un en position latérale de sécurité (PLS). Ces gestes sont possibles dès 6 ans, et même avant ! Abaissons au moins à 6 ans l'âge minimal d'entrée dans cette formation : plus tôt on commence, mieux ce sera.

De même, les associations agréées de sécurité civile verront un intérêt à ce que l'on ramène à 14 ans l'âge d'accès aux formations de premiers secours en équipe de niveaux 1 et 2 (PSE1 et PSE2). Si l'âge minimal est actuellement fixé à 16 ans, c'est parce qu'il y est question de la mort ; pourtant, on sait très bien que les jeunes voient un certain nombre de choses sur les réseaux sociaux… Dans Corps et âme, le médecin-chef Nicolas Zeller explique que l'on veut cacher la mort, alors qu'il faudrait au contraire se préparer à la voir avant qu'elle nous tombe dessus de façon brutale. En fixant l'âge minimal de ces formations à 14 ans, on y donnera accès aux jeunes disponibles pendant leurs congés scolaires, avant qu'ils n'entament leurs études supérieures : cela créera un vivier supplémentaire de personnes formées au secourisme. Il est très simple de modifier ces seuils d'âge dans les décrets d'application : ce sera déjà une belle première mesure.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Je souscris entièrement aux propos de M. Alliot – je ne parle plus ici au nom d'International SOS, mais en tant que médecin et citoyen.

J'ai eu l'occasion de participer, en tant que bénévole, à des actions de formation dans des écoles maternelles. Il ne s'agissait pas de former aux gestes de premier secours, ce qui est difficile à cet âge, mais à la détection de l'urgence et à l'alerte. Le retour des enfants et des enseignants était enthousiaste.

J'ai également participé, en particulier dans des écoles des Hauts-de-Seine, à un programme appelé AVCM2, visant à former des élèves de CM2 à la détection des accidents vasculaires cérébraux (AVC). Le retour a été tout aussi enthousiaste. Au début, nous avons fait un sondage et soumis les enfants à un test pour savoir ce qu'ils savaient des AVC et de la manière d'y faire face ; trois mois plus tard, nous leur avons posé exactement les mêmes questions, ce qui nous a permis de mesurer tout l'impact de ces formations pourtant relativement brèves – elles durent une demi-journée – et très ludiques. Ces résultats sont également confirmés par les équipes de pompiers, qui reçoivent désormais régulièrement des appels d'enfants pour des situations s'apparentant à des AVC.

Il est donc tout à fait possible d'agir au niveau des écoles très tôt, en tout cas beaucoup plus tôt que dans les formations de secourisme traditionnelles, très cadrées. Elles doivent certes être rigides pour garantir la transmission de connaissances, mais elles détaillent un peu trop certains aspects. Nous avons besoin de formations beaucoup plus simples, susceptibles d'avoir un impact sur des enfants beaucoup plus jeunes, qui n'hésiteront plus à intervenir en situation d'urgence, au moment où l'on peut faire quelque chose – c'est un message fondamental qu'il faut faire passer très tôt.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Des responsables de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF) m'ont aussi fait part de ce manque d'acculturation des populations. L'une des propositions que je leur ai faite – et que je développe dans mon livre – est que les maires organisent des sondages pour savoir quels habitants de leur commune sont formés aux premiers secours. Ces personnes pourraient, sur la base du volontariat, constituer un vivier mobilisable en cas de crise, ou pour communiquer des informations à leurs proches, à leurs amis, à leur famille… Ce serait un ruissellement positif de la culture de la sécurité civile, de la prévention des risques et des premiers secours, sans faire preuve de violence ni susciter la peur, comme on me l'a souvent reproché.

Le plus important, c'est d'être prêt. Personnellement, je sais ce qui peut arriver, puisque je l'ai vécu, mais je ne vis pas dans la peur et la paranoïa. Je prends maintenant des précautions, car je ne peux plus me permettre d'être à mains nues comme je l'ai été. Je ne demanderai évidemment à personne de vivre l'expérience que j'ai subie, mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, le fait d'être prêt et capable d'intervenir est rassurant. Les gens ne craignent pas de savoir quoi faire si leur gamin avale quelque chose de travers ! J'ai moi-même expliqué sur une petite chaîne de télévision, à l'occasion des fêtes de fin d'année, ce qu'il fallait faire si l'on se plantait un couteau à huîtres dans la main. Je parle ici de gestes simples, basiques. De la même façon, il importe de savoir comment réagir dans une situation où quelqu'un peut perdre la vie. Il est rassurant de se dire que l'on pourra faire quelque chose.

Je constate avec beaucoup de tristesse que les gens sont plus enclins à filmer un accident qu'à intervenir. S'ils ne font rien, c'est aussi parce qu'ils ont peur et qu'ils ont en tête ce qui se passe dans les feuilletons américains. Pourtant, le code pénal est très clair s'agissant de l'intervention du secouriste, que la loi visant à créer le statut de citoyen sauveteur est venue sécuriser encore davantage. Le citoyen sauveteur est considéré comme un collaborateur occasionnel du service public. Dès lors, pourquoi devrait-il payer sa formation ? Il conviendrait d'en baisser le prix, de le rendre déductible des impôts et de trouver une autre incitation pour les foyers non imposables. Nous œuvrerons en faveur de la citoyenneté, en rappelant qu'il est important de venir en aide à autrui. Apprendre à le faire devrait être un droit.

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Du point de vue logistique, de quels moyens disposez-vous pour remplir les missions que vous avez décrites ? De quelles innovations auriez-vous besoin ? Y a-t-il des choses auxquelles nous devrions réfléchir ou qui sont en voie de réalisation ?

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

Effectivement, sans logistique, il n'y a pas de mission. Il n'en faut pas trop non plus : elle doit être bien dosée.

Devons-nous nous limiter à la formation réglementaire, à celle que nous connaissons – la formation aux gestes qui sauvent, le PSC1 puis les PSE1 et PSE2 –, ou décidons-nous d'ouvrir les yeux sur tous les modules de sensibilisation créés par les nombreux citoyens et organismes qui ont envie de s'impliquer dans ce domaine ? Un sapeur-pompier, Patrice Jupille, a reçu une médaille d'or au concours Lépine pour avoir créé le jeu Secouriste, accompagné d'un kit ludopédagogique. C'est cette superbe innovation que nous mettons entre les mains de nos jeunes, qui peuvent ainsi se former entre eux sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir un formateur. Certes, ce jeu n'est pas diplômant, ni certifiant, mais il permet d'entretenir et de développer ses compétences en vue d'obtenir, peut-être, par la suite, une certification.

Se pose aussi la question de l'hybridation des formations, qui n'est pas encore complète – le corpus actuel permet de faire de la formation ouverte et à distance (Foad), mais les modules restent assez simples. Un projet mené par l'université de Lyon et financé par l'Agence nationale de la recherche (ANR) permettra de renforcer cette hybridation. Il importe de s'intéresser à ce concept et d'essayer d'aller encore plus loin dans la dématérialisation des formations et des temps de restitution. Pourquoi ne pas envisager de recourir à la réalité virtuelle, ou à des mannequins haute-fidélité, par exemple ?

Il paraît aussi nécessaire de créer des temps de rencontre entre les nombreux dispositifs existants. Nous avons beaucoup de chance d'avoir, par exemple, des jeunes sapeurs-pompiers et des cadets de la sécurité civile. Mettons tous ces acteurs déjà engagés en lien les uns avec les autres et faisons-leur partager leurs connaissances en dehors de leur temps de formation ! Cette innovation n'est pas forcément technologique, mais d'abord et avant tout humaine ; il n'en demeure pas moins qu'elle est peut-être au fondement de l'évolution de notre modèle de protection et de sécurité civiles.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Tout cela peut être réalisé pendant les temps extrascolaires, lorsque les municipalités ont accès aux établissements scolaires et peuvent y inviter des intervenants extérieurs.

Le jeu de société Secouriste, créé par un professionnel, est vraiment très simple : on peut y jouer en famille. Grâce à lui, il est amusant d'apprendre à porter secours.

Pour la réalisation de nos projets, nous utilisons aujourd'hui nos moyens propres. Le temps que je consacre à mes engagements est du temps personnel.

J'ai la chance d'avoir trouvé une société qui m'a compris et qui a développé, à partir de quelque chose qui existait déjà, une trousse civile équivalant à ce que portent les militaires à la jambe pour soigner leurs propres blessures ou celles des autres. Cet outil est tout aussi efficace en cas d'accident du travail. Je suis maintenant ergonome : mon métier consiste à aller voir dans les entreprises ce qui peut mettre en danger la vie des ouvriers, et je suis effaré lorsque je vois ce que contient le kit à utiliser en cas d'amputation de membre. Les éléments que l'on trouve dans la boîte ne sont utiles que si l'on s'est coupé un doigt ! En revanche, la trousse que j'ai créée contient le matériel permettant de faire face à une amputation : il y a notamment un garrot, un bandage compressif…

Je repense à l'attaque au couteau survenue récemment à Arras. Une plaie thoracique causée par une arme blanche doit être traitée, faute de quoi la victime va avoir un pneumothorax et son cœur va s'arrêter. Il faut donc de quoi faire une valve empêchant les rentrées d'air. Du reste, les soins à apporter à la suite de ces blessures et de ces agressions de plus en plus fréquentes – mais qui restent, heureusement, plus rares que les arrêts cardiaques – ne sont pas enseignés dans les formations de type PSC1. Évitons que des gens perdent la vie parce que nous n'avons ni la formation, ni le matériel adéquat – les deux sont complémentaires.

Ce type de trousse, disponible sur le catalogue du Resah, le réseau des acheteurs hospitaliers, est vendu à environ 70 euros l'unité, hors taxes. Tous les éléments qu'il contient sont homologués, certifiés et référencés par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – il ne s'agit pas de matériel bas de gamme comme on pourrait en trouver dans une trousse à 15 euros. Nous avons mené un vrai travail de préparation afin de concevoir un outil utile et efficace, pour un usage civil. Ainsi, nous avons fait en sorte que le garrot soit visible : étant de couleur orange, il sera vu par les secours à leur arrivée, ce qui n'est pas forcément le cas d'un garrot noir posé sur une victime habillée en noir. Cette trousse permet de traiter efficacement tous les types de blessures, comme celle du jardinier ayant eu un accident de tronçonneuse, ce qui n'est pas le cas des outils existants – que feriez-vous avec les épingles à nourrice contenues dans la trousse de secours de la médecine du travail ? Il y a là une véritable réflexion à mener.

J'ai contacté la plus grosse compagnie de taxis, afin de faire équiper ses véhicules circulant à Paris. On m'a répondu que ces trousses pourraient être achetées par les chauffeurs… À quelques mois des Jeux olympiques, ne devrait-on pas délivrer ce type de matériel à tous les chauffeurs, dont je rappelle qu'ils ont passé le PSC1 et que leurs véhicules disposent de radios permettant de communiquer même en cas de panne du réseau GSM ? Certaines réflexions me semblent assez étranges – comme si une proposition ne venant pas d'en haut ne pouvait pas être une bonne idée…

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Nous en parlerons dans notre rapport, ne vous inquiétez pas.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Je vous remercie pour votre écoute ; le sujet, je dois le dire, est pour moi d'une telle importance !

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

À la Fenvac, la prévention fait aussi l'objet de réflexions très importantes. Il y a deux ans, nous avons élaboré un module destiné aux entreprises, car nous nous étions aperçus que certains salariés n'avaient jamais indiqué à leur employeur qu'ils avaient été victimes d'attentat, ce qui les mettait en difficulté au sein de leur entreprise.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

On l'a vu notamment lors d'exercices de simulation d'intrusion.

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

Il y a deux ans, nous avons ainsi commencé à travailler sur cette question avec Guillaume Pepy, qui nous a accompagnés très longtemps. Lorsque nous avons essayé de mettre ce module en pratique au sein des entreprises, nous nous sommes aperçus que les salariés avaient peur et n'avaient pas du tout envie que nous leur parlions de ces sujets. C'est dommage ! Il faudrait donc engager des actions de communication.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Il existe deux modèles de formation en secourisme émotionnel : le protocole israélien 6C, qui a été développé en premier, et la méthode américaine iCover, à laquelle je suis devenu formateur. Contrairement à ce que certains prétendent, ces deux modèles sont tout à fait équivalents et non opposables. Ils permettent de désamorcer en quelques minutes le choc subi par une personne qui vient de vivre un événement traumatique, qu'il s'agisse d'une prise d'otages ou d'une tentative de viol, par exemple. Ces méthodes devraient être à la portée de tout un chacun, dans la mesure où elles visent à éviter l'apparition d'importants syndromes post-traumatiques.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Depuis une quinzaine d'années, nous voyons se multiplier les incidents provoquant des traumatismes, voire des polytraumatismes. Le matériel et les formations en secourisme, qui n'étaient pas conçus pour répondre à ces situations, n'ont pas suivi. Ces dernières années, nous avons ainsi vu apparaître dans le domaine médical un nouveau concept, celui du damage control, avec des techniques et du matériel différents. Il faut maintenant que cette évolution majeure touche un public beaucoup plus large, notamment en matière de formation : nos concitoyens doivent apprendre comment réagir à l'amputation d'un membre, et non plus d'un doigt, ou comment soigner des plaies pénétrantes. La grande différence entre l'Europe et les États-Unis a longtemps été que nous ne voyions sur notre continent que des polytraumatisés fermés, par exemple des victimes d'accidents de voiture, alors que les Américains devaient aussi soigner des polytraumatisés ouverts, avec des plaies par balle ou par arme blanche. L'Europe est maintenant touchée de la même manière : nous devons donc réagir de façon différente, avec du matériel différent.

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Je reviens sur l'acculturation de la population. Quel peut être le rôle de l'éducation nationale ? Contrairement à ceux qui jugent anxiogènes les actions de prévention en milieu scolaire, il me semble que le fait de ne pas être préparé peut être source d'anxiété. Il faut évidemment savoir faire preuve de pédagogie. C'est un métier.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

Tout ce dont on ne parle pas est d'autant plus cause de stress post-traumatique. Les formations aux premiers secours psychologiques (PSP), qui sont le pendant du PSPO – premiers secours psychologiques en opérations – dans les armées, ont pour but de limiter l'état de stress aigu dans un premier temps, puis l'état de stress post-traumatique.

Je suis convaincu qu'il faut généraliser les unités de secouristes citoyens dans les établissements scolaires – je l'avais proposé à Prisca Thévenot lorsqu'elle était secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel ; elle était venue dans un établissement à Toulouse, en décembre dernier, pour constater l'efficacité de la transmission de jeunes à jeunes.

Cela ne coûte pratiquement rien, si ce n'est la fourniture des outils pédagogiques au départ. Ensuite, les jeunes s'entraînent régulièrement sur leur temps libre et ils se préparent entre eux. Cela crée une vraie effervescence, parce que cela va au-delà du secours : c'est ce que nous appelons le secourisme citoyen. Les élèves, qui viennent de classes et de filières différentes, se parlent, apprennent à se connaître, s'entraident, alors qu'ils ne l'auraient pas fait naturellement. Le harcèlement scolaire est un thème très présent. Depuis quelques années, mes équipes s'interrogent : comment peut-on sauver une vie en cas de harcèlement ? C'est une préoccupation très forte. Nous venons donner des clés, nous essayons de mobiliser des partenaires, et surtout nous mettons en avant l'idée selon laquelle les premiers gestes de secourisme dans ces moments-là consistent à écouter et à tirer la sonnette d'alarme.

La généralisation des unités de secouristes citoyens ne peut pas reposer sur les seules épaules de l'éducation nationale. Il faut créer des synergies avec les autres formes d'accompagnement. Ainsi, les jeunes sapeurs-pompiers peuvent jouer un rôle de référent dans leur établissement scolaire, rôle qui est d'ailleurs prévu dans le code de l'éducation. On peut aussi confier un rôle aux cadets de la sécurité civile.

Outre une contribution aux objectifs de développement durable de l'ONU, cette démarche de santé publique complètement renouvelée apporte des réponses à des problèmes du quotidien tels que l'encombrement des urgences et les difficultés d'accès aux soins. Si les jeunes sont formés, ils seront préparés à se poser des questions avant d'appeler les secours ou de se rendre à l'hôpital. Ce faisant, on diminue la pression sur les services de secours et le système hospitalier. C'est un engrenage vertueux que nous devons mettre en place. Nous le savons, cela fonctionne. Cette solution innovante, qui est une parmi d'autres, mérite d'être expérimentée à plus grande échelle.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Il y a quelques semaines, j'assistais avec ma fille à une fête de fin d'année dans son lycée. À cause d'un manque d'éclairage, une personne a raté une marche et a fait une chute. J'ai été le seul à pouvoir lui porter secours.

J'ai essayé de créer une unité nationale de secouristes citoyens au sein de l'établissement, sans succès. L'administration a procrastiné et je n'ai jamais reçu de réponse. Après cet accident, l'administration m'a dit : « On savait que vous étiez là et que ça allait bien se passer. » Non seulement c'est dommage de compter sur la présence d'une personne extérieure en cas d'accident, mais ma fille avait signalé le danger sans être écoutée.

Il est important d'écouter ce qu'ont à dire les élèves et de les faire participer, car ils se connaissent et connaissent l'établissement. Ils s'écouteront entre eux ; ils ne recevront pas les messages de la même manière s'ils sont portés par un adulte. Ce n'est pas par hasard que je suis devenu l'ambassadeur des unités nationales de secouristes : c'est une démarche à laquelle je crois et c'est une ressource importante pour l'avenir.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

C'est surtout un moyen de valoriser les jeunes. Le bénévolat ne leur parle pas forcément. Les jeunes ont besoin que les adultes les estiment, leur fassent confiance, notamment en leur reconnaissant un rôle. C'est la meilleure manière de les valoriser.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Je m'interroge sur le rôle des enseignants. Alors qu'ils sont souvent passifs dans les situations d'urgence, ne devraient-ils pas être acteurs dans ce domaine ? C'est peut-être charger un peu leur barque, qui l'est déjà beaucoup.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Ils doivent être acteurs pour leur propre sécurité, mais aussi pour la sécurité des enfants que nous leur confions. Il est triste de constater qu'à Arras, personne n'a été capable d'intervenir. On voit cette personne qui essaie de repousser l'agresseur avec une chaise, mais elle recule, tombe et se fait poignarder au sol. Comment se fait-il que personne, dans la communauté enseignante, n'ait été capable de faire quelque chose ?

Théoriquement, deux enseignants sont formés aux premiers secours – celui de sciences de la vie et de la terre (SVT) et celui d'éducation physique et sportive (EPS). Qu'en est-il à l'heure actuelle ? Il n'y a pas assez d'enseignants formés. Mais en ont-ils le temps et l'envie ? Il est vrai que leur barque est déjà bien chargée. Le fait d'avoir dans leur classe des jeunes qui sont capables d'intervenir est aussi un moyen de travailler sur la citoyenneté, l'engagement. Je suis d'accord, il faut faire confiance aux jeunes et aux citoyens.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Je crois, dans ce domaine, au ruissellement. On parle de cet effet dans une famille dont un enfant est formé. Mais cela vaudrait aussi dans les établissements scolaires dont les enseignants sont formés.

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L'idée du ruissellement me convient bien.

Au-delà des jeunes et des enseignants qui, en effet, ont déjà beaucoup à faire, tout le monde est acteur – c'est la citoyenneté.

J'ai évoqué la constellation des acteurs de la sécurité et de la protection civiles. D'après vous, cette constellation est-elle adaptée aux enjeux auxquels nous sommes confrontés ? Quelles sont vos relations avec les différentes structures qui la composent ?

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

La Fenvac participe à presque tous les comités locaux d'aide aux victimes (CLAV). Ces comités élaborent le schéma départemental d'aide aux victimes, signé par le préfet et le procureur, qui recense tous les dispositifs de secours ainsi que leurs référents. Nous avons ainsi, dans chaque département, des interlocuteurs identifiés, qui nous servent souvent de relais.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Dans le cadre de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), il m'arrive d'intervenir pour apporter mon témoignage sur l'acte citoyen. Je raconte ma soirée et ce que j'ai fait à des élèves de troisième, parfois dans des établissements scolaires difficiles, des endroits où l'imprégnation culturelle est forte.

Chaque fois, à l'issue de mon témoignage, des jeunes viennent me demander comment se former aux premiers secours. Or, moi qui suis formateur de sauveteur secouriste du travail, je n'ai pas le droit de les former.

Alors que la demande de formation dans les établissements scolaires est très forte, l'offre est verrouillée du fait de la mainmise des associations agréées.

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Est-ce lié, selon vous, à l'organisation en silos entre les ministères ? Vous disiez que la sécurité civile mériterait peut-être une structure à part entière, plutôt qu'une organisation interministérielle.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Il est en effet nécessaire de rompre avec la logique des silos – l'éducation nationale, la protection civile, qui dépend du ministre de l'intérieur, la santé. L'absence de centralisation est regrettable. Nous en avons fait l'expérience lorsqu'existait un secrétariat à l'aide aux victimes. Les réponses étaient alors beaucoup plus opérationnelles – je pense notamment à la création d'un guichet unique. Mais ce gouvernement, peut-être parce qu'il n'y a pas été confronté directement, a de nouveau rattaché l'aide aux victimes au ministère de la justice. Or, la justice intervient très tard, alors que l'aide aux victimes commence dans les premières secondes.

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

Nous avons vécu la création du secrétariat d'État, puis le retour de l'interministérialité depuis 2017.

L'interministérialité ne fonctionne pas bien. Chacun fait part de ses problèmes au guichet qui le concerne – la justice dans notre cas – mais les demandes ne sont pas répercutées et les réponses ne suivent pas. En ce qui concerne le guichet unique, c'est l'un des sujets sur lesquels travaille Alexandra Louis à la délégation interministérielle à l'aide aux victimes (DIAV).

Je vous donne un exemple. La DIAV, lorsqu'elle était dirigée par Elisabeth Pelsez, avait rédigé un rapport sur l'annonce des décès, un sujet qui devrait figurer dans les programmes de formation – en la matière, nous ne gardons pas de bons souvenirs du 13 novembre. Or, rien n'a été mis en place depuis lors.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

S'agissant de la constellation de la protection civile, ce qui fonctionne très bien et qu'il faut conserver, c'est l'organisation des secours autour d'un commandant des opérations de secours – un officier de sapeurs-pompiers – et d'un directeur des opérations de secours – le maire dans sa commune ou le préfet. Tout le monde ne peut pas s'en mêler, il y a des chefs qui sont formés pour cela.

En revanche, on peut sans doute améliorer l'information sur le rôle et les compétences de chacun des acteurs, ainsi que la coordination. Dans cette optique, il conviendrait de revivifier les services interministériels de défense et de protection civile (SIDPC) dans les préfectures. Ces services manquent sans doute de moyens pour réunir tous les acteurs régulièrement et échanger sur leurs capacités respectives, ainsi que sur les possibilités de mutualisation. On en revient à la nécessité, que j'évoquais précédemment, d'une étude permettant de savoir qui fait quoi, qui peut apporter quoi et comment on se complète.

Pour le reste, nous avons une belle maison de sécurité civile, qui fonctionne avec de grands talents aujourd'hui.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Pour aller dans le sens de la recentralisation, il est indispensable que le numéro d'appel d'urgence unique – le 112, auquel sont renvoyés les appels au 911, le numéro anglo-saxon – soit enfin mis en place. Pourquoi les Bleus, les Blancs et les Rouges veulent-ils avoir chacun leur numéro ? Il faut absolument mettre fin à la dispersion et faciliter les appels à l'aide.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Du point de vue du médecin urgentiste, la multiplicité des intervenants, notamment associatifs, rend l'organisation difficilement lisible. Une coordination opérationnelle unique est indispensable.

Du point de vue du responsable d'International SOS, l'entreprise joue un rôle d'agrégateur. L'exemple le plus récent est la crise du covid-19, au cours de laquelle il nous a été demandé de gérer la coordination opérationnelle du pont aérien entre les Antilles françaises et la métropole. Notre expertise consiste à faire travailler ensemble de multiples acteurs qui n'en ont pas l'habitude.

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

Dans le domaine de la réponse à l'urgence en France, il y a un problème de concurrence entre le secteur public et le secteur privé.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Dans la véritable urgence, les structures médicales privées interviennent relativement peu. C'est surtout l'apanage du service public.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Avec toujours un délai de latence. C'est la raison pour laquelle il faut donner une place aux citoyens. Le dernier rapport de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) montre une augmentation du délai d'intervention des équipes de secours : il est actuellement de plus de douze minutes, délai qui ne laisse aucune chance de survie en cas de plaie hémorragique.

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Vos actions appellent à l'humilité. J'aurais encore de nombreuses questions, mais le temps nous manque. Je vous laisse la parole pour résumer le message que vous voudriez faire passer à la mission d'information.

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Jean-Luc Wertenschlag, président du collectif Citoyen du 13 Novembre

Je veux d'abord vous remercier de m'avoir permis de prendre la parole devant votre mission. C'est d'une très grande importance pour moi.

J'ai besoin de partager ce que j'ai vécu le 13 novembre 2015 et d'être entendu. Mon livre, Impacté 13 Novembre, porte ce titre pour faire comprendre qu'entre la victime et le témoin, il y a une place pour la personne impactée, celle qui est au plus près de l'épicentre de l'événement et qui intervient. Cette personne doit trouver sa place ; on doit lui en donner une.

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Arnaud Derossi, directeur médical régional d'International SOS, chargé de l'assistance et du transport médical mondial

Il est intéressant d'associer les entreprises privées qui ont des choses à apporter. Dans les trente dernières années, elles ont démontré qu'elles étaient capables de travailler aux côtés de l'État.

Je travaille chez International SOS depuis vingt-deux ans. Le tsunami dans l'océan Indien a eu lieu deux ans après mon arrivée. Pendant un an, nous avons assisté l'État et les organismes qui avaient été dépêchés sur place pour porter secours aux victimes, puis pour participer aux reconnaissances de corps.

Les entreprises privées ont un rôle à jouer auprès de l'État. La difficulté consiste, pour elles, à trouver le bon niveau de langage et le cadre juridique adéquat. Dans l'urgence, le modèle juridique pour travailler ensemble n'est pas facile à trouver, d'où la nécessité de le définir au préalable. On l'a vu pendant la crise du covid-19 : nous n'étions pas un partenaire traditionnel du ministère de la santé ; lorsqu'il nous a sollicités, il a fallu un montage exotique impliquant le ministère des affaires étrangères pour pouvoir travailler avec lui.

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Marie-Claude Desjeux, chargée des relations extérieures de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs

La lisibilité est vraiment très importante. Je prends l'exemple du guide sur les droits des victimes qui figure sur le site internet du ministère de la justice. Dans ce guide, seul le réseau France victimes est mentionné ; les associations de victimes, qui pourraient apporter beaucoup par leur regard complémentaire, n'apparaissent pas, même en tout petit. L'État veut absolument garder la main, alors que nous ne cessons de l'expliquer, l'aide aux victimes est un travail collectif, qui englobe la prévention, les secours, etc. C'est ce message qu'il faut rendre plus audible.

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Thomas Alliot, président fondateur de l'association Unité nationale de secouristes citoyens

Je vous remercie une nouvelle fois de vous intéresser à toutes les composantes de la sécurité civile. Votre travail est porteur d'espoir. On sent que l'État, le Gouvernement et les élus sont de plus en plus sensibles à ces questions, qui concernent tous les citoyens. Nous avons envie de continuer à jouer collectif, d'autant plus à l'approche des Jeux olympiques et paralympiques. Malgré tout ce qu'on peut en dire, notre modèle de sécurité civile est sacrément solide et remplit ses missions régaliennes. Nous pouvons être contents de notre travail.

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C'est un beau mot de la fin de la part de la jeunesse. Je vous remercie une nouvelle fois de votre venue. N'hésitez pas à nous envoyer une contribution écrite.

La séance est levée à quinze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Présents. - Mme Lisa Belluco, M. Florian Chauche, M. Didier Lemaire

Excusés. - M. Bertrand Bouyx, M. Éric Pauget