Intervention de Marie Pochon

Séance en hémicycle du mardi 27 février 2024 à 21h30
Prix payés aux producteurs par les entreprises de transformation et de distribution agroalimentaires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Pochon :

Le plus anormal, c'est que tout cela soit passé crème jusqu'à maintenant. Un nombre considérable d'agriculteurs a mis la clé sous la porte – 100 000 en dix ans. C'est un immense plan social qui vide nos campagnes et la colère sourde se transforme en désespoir et en impuissance.

En trente ans, le revenu net de la branche agricole a baissé de 40 % et 18 % des agriculteurs français vivent sous le seuil de pauvreté. Certes, ces moyennes cachent de grandes disparités. Alors que la France est le premier producteur agricole de l'Union européenne – ce dont on peut s'enorgueillir –, elle se retrouve en sixième place s'agissant de l'excédent brut d'exploitation par actif.

Pourtant, depuis les années 1960, l'agriculture française a enregistré des gains de productivité de manière continue. Durant toutes ces années, les politiques agricoles ont visé à réduire les charges, à baisser les coûts de production, à accompagner l'agrandissement des fermes sur des terres laissées à l'abandon. Les agriculteurs se sont endettés, et ils ont subsisté en augmentant les volumes plutôt que les prix.

Ces agriculteurs qui doivent nourrir le monde sont impuissants face à l'inflation sur les produits alimentaires, qui empêche un Français sur cinq de manger à sa faim. Ils sont 1 million à faire la queue aux Restos du cœur. Parmi eux, 110 000 enfants de moins de 3 ans, 16 % de plus que l'an dernier.

Mais alors, qu'est-ce qui n'a pas marché ? Revenons aux bases : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». Certes, Lavoisier ne pensait pas à l'économie agricole lorsqu'il a formulé cette phrase, mais je la trouve particulièrement à propos. La valeur créée par le travail paysan, par les gains de productivité et l'augmentation des prix à la consommation n'a pas disparu ; elle est allée ailleurs.

En un an, les profits du secteur de l'agroalimentaire sont passés de 3,1 milliards d'euros à 7 milliards. Ils ont doublé. Entre 2021 et 2022, la marge brute de la grande distribution a augmenté en moyenne de 57 % sur les pâtes alimentaires, de 13 % sur les légumes, de 28 % sur le lait demi-écrémé. Voilà où sont les gains de productivité !

Je clos la parenthèse de ce monde pour revenir sur terre, celle de la pénurie d'eau, des catastrophes climatiques, des nouveaux nuisibles, des rendements en berne, de l'assurance récolte et de ses moyennes olympiques – car toutes les années sont mauvaises. La terre de ceux qui se lèvent tôt et se couchent tard, pour moins d'un Smic, qui doivent remplir de la paperasse pendant que les donneurs d'ordre négocient tranquillement les prix à Amsterdam ou à Berlin. La terre de nos campagnes, où l'on est chanceux lorsqu'un ou deux jeunes sont encore installés au village.

Depuis 1990, les prix à la production ont baissé de 22 %, alors que les charges des agriculteurs ont explosé et que l'avenir se fait plus incertain que jamais. À cela, vous répondiez Egalim. Nous étions fiers d'Egalim, un texte qui consacrait un peu de justice, un peu de considération pour les revenus agricoles, un peu de préparation à l'enjeu écologique par le biais de la commande publique. Un peu ? Trop peu.

Les décrets n'ont pas été publiés, par manque de volonté politique, pour ne pas contrer l'ultralibéralisme qui détruit les gens et le vivant, et maintenir un système qui fixe les cours mondiaux de l'autre côté des océans. Menant une politique d'austérité, vous avez épuisé les moyens de la DGCCRF – direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Avec la suppression de 1 000 postes en dix ans, il est devenu compliqué d'effectuer des contrôles sur les oligopoles de l'agro-industrie.

Les conditions de vie des agriculteurs, tout comme l'état des sols et de la biodiversité, ne cessent d'être des variables d'ajustement, dans une économie de marché libéralisée à outrance et soumise aux cours mondiaux.

Oui, les agriculteurs ne peuvent pas faire le poids face à la concentration des industriels de l'agroalimentaire lorsqu'il s'agit de négocier un prix. Les paysans disparaissent, et les campagnes, autrefois fières et vivantes, ressemblent peu à peu à un printemps silencieux.

Il n'y a pas de pays sans paysans. Si nous sommes attachés à nos agriculteurs, alors il faut leur redonner le pouvoir de décider de leurs prix. Oui, nous devons instaurer des prix minimaux d'achat, et donc des prix planchers couvrant les coûts de production, la rémunération et la protection sociale des agriculteurs.

Des mesures ont déjà été votées par cette assemblée ; un nouveau dispositif pourrait être bientôt adopté. Avoir écouté ce qui bruissait sur les routes nationales et derrière les hangars – pour peu qu'on tende l'oreille – honorerait la représentation nationale.

Fixer un prix minimum d'achat sera une première étape. Bien d'autres mesures devront être prises : l'encadrement des marges, afin d'éviter que les industriels répercutent l'augmentation du prix sur les consommateurs, l'arrêt des accords de libre-échange et l'insertion de clauses miroirs, une vaste réforme de la PAC pour transformer l'aide à l'hectare en aide à l'actif.

C'est en prenant toutes ces mesures que nous pourrons assurer des conditions de vie dignes aux agriculteurs, condition sine qua non du renouvellement des générations, et que nous retrouverons des campagnes vivantes.

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