Intervention de Damien Labbé

Réunion du jeudi 8 février 2024 à 9h00
Commission d'enquête sur l'attribution, le contenu et le contrôle des autorisations de services de télévision à caractère national sur la télévision numérique terrestre

Damien Labbé, président de l'Union nationale de défense des intermittents de l'audiovisuel (Undia) :

Je voudrais commencer par un point de contexte sur un secteur étrangement méconnu, qui représente pourtant plusieurs milliers d'intermittents. Je veux parler du secteur de la production audiovisuelle d'émissions de télévision, aussi surnommé « le flux ».

Les émissions de télévision regroupent une multitude de genres : le magazine, le reportage, le documentaire, le divertissement, les émissions de plateau, les jeux, la téléréalité, les émissions de variétés, la captation de concerts ou de spectacles vivants. La majorité de ces programmes, tout comme les programmes de fiction, sont imaginés, fabriqués et livrés aux chaînes clé en main par des sociétés de production indépendantes. C'est d'ailleurs une obligation légale pour les chaînes que de favoriser la production indépendante.

Ainsi, les fictions, mais aussi des émissions récurrentes célèbres telles que « Sept à Huit », « Star Academy », « Secrets d'histoire », « C'est à vous », « L'amour est dans le pré », « Quotidien » ou « Touche pas à mon poste » ne sont pas produites par TF1, France Télévisions, M6 ou Canal+, mais par des sociétés de production indépendantes. Les plus célèbres se nomment Éléphant, Endemol, Fremantle, Bangumi, Troisième Œil (filiale de Mediawan) ou H2O Productions (filiale de Banijay).

Les techniciens et journalistes travaillant pour ces sociétés indépendantes sont majoritairement intermittents du spectacle pour les premiers ou pigistes pour les seconds. Ils sont donc salariés par les sociétés de production, et non par les chaînes. Dans ce cas, les producteurs ont tous les droits sur les programmes, dont ils ont eu l'idée originale et qu'ils produisent au quotidien. Puisqu'elles ne sont pas les employeurs des intermittents ou pigistes travaillant pour leur compte, les chaînes s'estiment affranchies de toute responsabilité envers leurs conditions d'embauche.

En tant qu'employeur, le producteur porte la responsabilité légale des heures supplémentaires non rémunérées à un salarié. En réalité, il faut savoir que le producteur fait son possible, avec le budget parfois en baisse alloué par les chaînes de télévision.

En 2021, l'Undia a mené une étude auprès de plus de 2 000 techniciens intermittents de l'audiovisuel, tous secteurs et métiers confondus. D'après les résultats de cette enquête, près de 20 % du temps de travail des personnels interrogés ne serait pas rémunéré. En d'autres termes, chaque technicien travaillerait gratuitement une journée par semaine.

Un article de Mediapart daté du 7 décembre 2023, rédigé à l'occasion du conflit social dans la production audiovisuelle, rapporte que certains techniciens affirment travailler 56 heures par semaine, pour 35 ou 39 heures payées. Cette information n'est malheureusement pas surprenante au regard des témoignages dont nous avons connaissance : certains intermittents déclarent travailler 18 heures par jour pour 8 heures payées. Il ne s'agit nullement d'exceptions ou de cas extrêmes, mais bien de pratiques courantes.

Le Syndicat des professionnels des industries de l'audiovisuel et du cinéma (SPIAC CGT) a d'ailleurs dénoncé ces abus au ministère de la culture le 20 décembre 2023, lors des grèves dans la production audiovisuelle.

Les responsabilités juridiques de cette situation très largement répandue incombent aux employeurs, en l'occurrence les producteurs. Néanmoins, la responsabilité morale est imputable aux clients finaux, à savoir les chaînes de télévision. Ces dernières ne devraient pas pouvoir se retrancher derrière la prétendue méconnaissance d'un système dont elles sont les commanditaires. Elles encouragent tacitement cette concurrence, en durcissant leurs exigences sur la qualité tout en maintenant ou en diminuant leurs tarifs d'achat. Ces constats ont été confirmés à la fois par les syndicats des producteurs et par un directeur de production de Mediawan dans un article paru dans Télé 7 jours en décembre 2023.

Le conflit social récent portait à la fois sur une revalorisation des salaires visant à rattraper l'inflation des quinze dernières années et sur le respect de la convention collective. En réponse à ces revendications, les chaînes ont menacé de commander moins de programmes si le prix d'achat à la minute était revu à la hausse. Cette information m'a été communiquée par les syndicats de producteurs et confirmée directement, à titre officieux, par plusieurs producteurs de télévision.

Je rappellerai également qu'au début de la TNT, le CNC cofinançait les documentaires. À titre d'exemple, un documentaire financé à hauteur de 30 000 euros par la chaîne obtenait une aide du CNC d'un montant équivalent. À mesure que les audiences des chaînes TNT se sont accrues, la dotation du CNC a diminué. Or les versements des chaînes aux producteurs n'ont pas augmenté. Ainsi, le budget global alloué aux documentaires n'a cessé de chuter. De ce fait, les heures supplémentaires se sont envolées. Les réalisateurs ont été payés au forfait, et le recours aux autoentrepreneurs s'est intensifié.

Mon association, l'Undia, est née dans les émissions de flux il y a six ans, car notre secteur était alors un désert syndical et associatif, contrairement au secteur de la fiction. Avec l'ouverture d'une simple page Facebook destinée à informer nos collègues d'un changement à Pôle emploi, nous avons attiré plusieurs milliers d'abonnés ou followers en quelques jours. Nous avons donc décidé de créer une structure plus officielle, qui a immédiatement convaincu 700 adhérents. Nous avons créé une application d'aide aux intermittents, consultée régulièrement par 4 400 utilisateurs. Notre première pétition, diffusée en 2018, a remporté 17 000 signatures. Ces chiffres montrent à quel point le secteur du flux était demandeur de soutien associatif et syndical, et cette réalité explique sans doute pour partie les dérives que je viens d'énoncer.

Depuis notre création, le SPIAC CGT a découvert grâce à nous l'existence des quelques milliers de techniciens et d'intermittents du spectacle qui avaient été oubliés. Depuis lors, nous avons des discussions régulières et constructives avec cette organisation syndicale, qui a été la seule à prendre contact avec l'Undia.

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