Intervention de Sabrina Sebaihi

Réunion du mardi 12 mars 2024 à 21h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSabrina Sebaihi :

Votre rapport à la Nouvelle-Calédonie, c'est le serpent qui se mord la queue : vous imposez des réformes, pour vous plaindre ensuite de la contestation et enfin commencer à négocier. Ce projet de loi organique est le reflet de ce mode de fonctionnement.

Quand il existe une volonté de négociation, on n'écrit pas une réforme à marche forcée, on ne choisit pas ses interlocuteurs, ni ses ultimatums ; on écoute l'ensemble des acteurs, des forces politiques, des représentants. La Nouvelle-Calédonie a la particularité d'être pleinement dans notre République, tout en ayant un statut à part au sein de notre nation. Une réforme du corps électoral dans ce territoire doit donc passer par un accord entre toutes les parties concernées.

Votre logique emprunte pourtant le chemin inverse. D'abord, vous faites voter un projet de loi organique visant à reporter au 15 décembre 2024 les élections du Congrès et des assemblées de province, prévues en mai. Entre-temps, vous faites étudier un autre projet de loi constitutionnelle visant à modifier unilatéralement le corps électoral de ces élections provinciales. Les dispositions unilatérales figurant dans le projet de loi constitutionnelle sont donc mises en concurrence avec un accord entre les acteurs, que le Gouvernement présente comme une piste privilégiée. Dans ce jeu de dupes, le Parlement devrait se contenter de voter les yeux fermés une loi qui court-circuite les négociations et qui, sous couvert d'un report bienveillant, n'est qu'un glaive brandi au-dessus des indépendantistes, comptant le nombre de jours avant que leur destin soit scellé.

La France doit apprendre de ses erreurs. L'organisation du troisième référendum de 2021 dans le cadre de l'accord de Nouméa a été un échec retentissant. En pleine période de covid, alors que les Kanaks pleuraient leurs morts, vous avez décidé de maintenir cette consultation cruciale concernant l'autodétermination du peuple de Nouvelle-Calédonie. Avec une participation historiquement basse, le troisième référendum est venu clôturer un processus sans perspective ni solution politique. La solution législative à Paris ne semble pas être la plus pertinente pour ce territoire où, en ce moment même, les discussions se scellent sous le droit fondamental accordé à tout peuple : l'autodétermination.

Aucune urgence démocratique ne justifiait le report de ces élections. Les négociations peuvent, et doivent, se poursuivre dans un cadre serein, sans brandir la menace d'un dégel du corps électoral provincial par une proposition de loi constitutionnelle, sortie des grands salons parisiens. Le temps raisonnable de la médiation, du dialogue et de la négociation doit être privilégié à celui de l'imposition unilatérale. Cette approche progressive est au cœur de l'accord de Nouméa, qui garantit une démarche démocratique et progressive vers une pleine émancipation, en respectant les spécificités et les droits du peuple kanak.

Votre volonté de faire passer un « package » de deux lois au Parlement, sans attendre que les discussions aboutissent, va pourtant à l'encontre de cette approche, comme des résolutions de l'ONU qui confirment le droit des peuples colonisés à leur libre détermination. Ce projet de loi organique, première étape de votre « package », risquerait de compromettre la stabilité politique et sociale de la région en imposant, une fois de plus, des décisions déconnectées des besoins des territoires.

Nous défendrons toujours le temps long de la discussion et du compromis contre le temps imposé où les contestations sont balayées d'un revers de la main. Nous défendrons toujours le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et le principe d'autodétermination. Ce droit, le peuple kanak doit en disposer, c'est pourquoi nous voterons contre ce projet de loi organique.

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