Intervention de Dominique Faure

Réunion du jeudi 29 février 2024 à 9h30
Mission d'information de la conférence des présidents sur les capacités d'anticipation et d'adaptation de notre modèle de protection et de sécurité civiles

Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité :

Si vous me le permettez, je commencerai par une déclaration générale, avant d'en venir aux questions. Je pourrai ainsi aborder tous les sujets, afin de vous exposer la politique du ministère en cette matière.

Je vous remercie de me permettre d'intervenir aujourd'hui sur un sujet d'une importance majeure pour nos territoires et notre population. La protection et la sécurité civiles sont des priorités du Gouvernement, comme en témoignent sa mobilisation dans la gestion de crise, ainsi que l'effort permanent d'adaptation de notre modèle d'organisation, à laquelle vous avez vous-mêmes réfléchi. Adapter notre modèle de sécurité civile est un impératif qui exige de penser le temps long. Cela n'est pas un exercice facile, mais c'est l'une des ambitions de la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur et des outre-mer (Lopmi), qui fixe une trajectoire jusqu'en 2027.

J'aimerais, avant d'échanger avec vous sur les différents points que vous souhaitez aborder, insister sur trois éléments saillants permettant de définir notre modèle, sa force et sa capacité d'adaptation. D'abord, il convient de rappeler la capacité de réponse immédiate de la sécurité civile au défi des grands feux de l'été 2022, cette année hors norme. Ensuite, il faut évoquer la spécificité et la force du collectif, associant l'État, les collectivités et les citoyens. Enfin, il nous reviendra d'envisager avec vous des pistes pour l'avenir et d'interroger notre capacité à nous réinventer.

La saison des feux en 2022 a défié la solidité de notre modèle. Nous avons su en tirer des enseignements immédiats. Le Gouvernement, que ce soit par le biais de la Lopmi ou des différents budgets, a pris en compte les cruels enseignements des dernières crises – nous pensons à la « saison en enfer », pour reprendre l'expression du Président de la République. Ce sont 72 000 hectares qui ont été incendiés en 2022, soit six fois plus que la moyenne des dix dernières années, dans cinquante départements. Nous avons regretté deux décès parmi nos sapeurs-pompiers. Cette saison fut tout à la fois un choc, un avertissement et ce que j'appelle un stress test pour notre modèle. Celui-ci a tenu, même si le coût a été élevé. La nation a résisté, grâce à l'engagement conjoint des sapeurs-pompiers, des personnels militaires, de la sécurité civile, de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC), des états-majors de zone, de l'Office national des forêts (ONF), des forces de sécurité intérieure et de nos partenaires européens, mais aussi des agriculteurs, des forestiers, des associations de sécurité civile et, évidemment, des élus – notamment des maires, en première ligne dans ce combat.

Ainsi, si le bilan de la saison des feux 2022 a été lourd humainement, climatiquement et en matière de biodiversité, le modèle français de sécurité civile a permis d'éviter des conséquences qui auraient pu être bien plus dramatiques. La mobilisation est donc réelle, à la fois au niveau national et au niveau local. Au niveau national, le budget de la sécurité civile a augmenté de 60 % ces six dernières années. La flotte aérienne est renforcée ; des efforts ont été consentis du point de vue des ressources humaines ; des cartographies des risques à la maille plus fine ont été dressées. L'État a engagé 180 millions d'euros dans les pactes capacitaires, ce qui a produit un fort effet de levier en lien avec les collectivités, au profit des équipements de tous nos SDIS. Au niveau local, les schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) ont été adaptés, après une évaluation des spécificités de chaque territoire. Ce travail se traduira par des investissements mieux ciblés de chaque SDIS, tant au point de vue du matériel que de la formation ou de l'organisation.

Ces efforts immédiats et proportionnés témoignent de la vitalité, de la plasticité et de la modularité de notre modèle, qui doit faire face aux évolutions climatiques et sociales, aux évolutions internationales et sanitaires, ainsi qu'aux évolutions en matière de sécurité publique ou de risque terroriste. Comme vous le voyez, j'associe à ce satisfecit autant le niveau national que le niveau local.

Notre modèle associe l'État, les collectivités locales et l'engagement citoyen. À rebours de l'histoire de l'administration française, l'organisation de la sécurité civile trouve ses origines dans l'organisation citoyenne et communale. Sa structuration nationale est arrivée tardivement. C'est l'un des rares exemples de système ascendant (bottom-up) dans l'organisation des pouvoirs publics français. La DGSCGC, les plans d'organisation de la réponse de sécurité civile dits plans Orsec, l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers (Ensosp), le groupement aérien de la sécurité civile, le système d'alerte et d'information aux populations ne se sont constitués qu'à partir des années 1950. C'est à cette même époque que le ministère de l'intérieur a été formellement chargé de la préparation et de la mise en œuvre de la défense civile. C'est ainsi qu'aujourd'hui, chaque préfet de département, directeur des opérations de secours, dispose d'un service de défense et de protection civiles et d'un centre opérationnel départemental. Bien avant cela existaient les corps communaux de sapeurs-pompiers. Le maire reste un acteur essentiel : il est le directeur des opérations de secours pour les interventions dites courantes et tient à jour son plan communal de sauvegarde (PCS).

Enfin, notre modèle tient grâce à l'engagement citoyen. Nos sapeurs-pompiers volontaires et nos associations agréées de sécurité civile ne sont pas de simples auxiliaires. Ils sont des acteurs incontournables, bien formés et réactifs. Les évolutions sociétales rendent leur disponibilité moins évidente et plus ponctuelle, ce dont il faudra tenir compte. Ainsi, les femmes et les hommes qui font vivre notre sécurité civile sont des agents de l'État, des agents des collectivités, mais aussi des bénévoles. Ce travail de concert s'incarne parfaitement dans la composition des conseils d'administration de nos SDIS entre représentants du conseil départemental, des municipalités et des préfets.

Pour conclure, ce modèle, qui a tenu face à une augmentation des risques grâce à ses spécificités, peut-il encore se réinventer ? Il faut s'interroger collectivement sur notre capacité à adapter en permanence notre organisation. Je pense que c'est tout l'objet de votre mission, dont je vous remercie ; je lirai attentivement votre rapport. Il faut nous assurer d'une agilité suffisante pour saisir toutes les innovations technologiques, doctrinales et organisationnelles nécessaires. Au niveau national, l'État impulse des investissements et des innovations. Il renforce les moyens nationaux terrestres avec la création, vous le savez, d'une quatrième unité d'instruction et d'intervention de la sécurité civile métropolitaine. Il renforce également les moyens aériens. Il lance des programmes de modernisation des systèmes d'information. Il adapte le système d'alerte et d'information des populations, notamment avec le lancement de FR-Alert. Il développe le réseau radio du futur (RRF), qui aura vocation à être largement utilisé. Il lance un projet de direction permanente de crise et de modernisation de la cellule interministérielle de crise, CIC 2.0.

Ces différents efforts s'organisent selon trois axes : renforcement des moyens, modernisation des pratiques et renforcement du positionnement du ministère de l'intérieur comme premier acteur de la crise. Ne voyez pas là un satisfecit. C'est un combat qu'il nous faudra poursuivre. Et, comme je vous l'ai dit, je m'appuierai bien sûr sur votre rapport.

Au niveau local, le binôme maire-préfet a largement montré son efficacité. Tous les retours d'expérience nous montrent combien la gestion locale départementale de ces événements dramatiques, qu'ils soient du quotidien ou exceptionnels, est la plus efficace : c'est le bon échelon. Bien évidemment, dans un certain nombre de situations, l'échelon local n'est pas suffisant. Mais la force de notre système, sa capacité de résilience, son adaptabilité viennent précisément de cette solidarité que l'on trouve à tous les niveaux et qui permet de résoudre chacune des crises.

Parallèlement, il convient de renforcer le mécanisme de protection civile de l'Union européenne mis en place en 2001. Nous en sommes des contributeurs, mais également des bénéficiaires. Allemands, Grecs, Polonais, Roumains, Autrichiens, Italiens, Suédois sont venus nous soutenir en 2022 lors des feux de forêt. Les études en stratégie des organisations le montrent. C'est une illusion de vouloir piloter de manière centralisée le cycle du changement. Je suis persuadée qu'une co-construction des réponses aux défis de demain est nécessaire, en se fondant sur des regards différents et sur une écoute des retours du terrain. Notre modèle est fédérateur. Notre modèle est agrégateur. Il associe plusieurs forces vives et permet l'émulation et l'innovation. Certes, c'est parfois une complexité, mais c'est également une force. Il nous faut écouter les acteurs de terrain, au premier rang desquels nos sapeurs-pompiers, nos élus et nos associations agréées de sécurité civile.

Penser le modèle de sécurité civile ne passera pas que par des investissements massifs, par ailleurs nécessaires et déjà lancés, mais aussi par une réflexion à 360 degrés, associant toutes les strates d'intervention. L'ambition est claire : gagner en résilience. Leministère de l'intérieur et des outre-mer en a pleinement conscience. Cet objectif rejoint celui de l'adaptation au changement climatique, visé notamment par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Il contribuera à résoudre d'autres problématiques, comme la capacité de nos collectivités locales à s'assurer . Ce travail est, comme vous l'avez perçu dans mon propos, pleinement engagé par la DGSCGC, mais aussi par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), qui défend le plan national pour développer et structurer la capacité de résilience de la nation face à des événements de toute nature. Je veux évidemment saluer le travail qui est réalisé par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF).

Je suis ravie de pouvoir échanger avec vous aujourd'hui sur ce sujet d'avenir. Je vous renouvelle tous mes remerciements sincères pour le travail que vous avez réalisé. Si vous le souhaitez, nous pourrons poursuivre notre échange dans mon ministère. Nous avons répondu par écrit aux quatorze questions que vous avez eu la gentillesse de nous poser ; nous pourrons vous transmettre le document. Voulez-vous que je réponde à votre première question ou considérez-vous que je l'ai en partie traitée ?

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