Intervention de Cyrielle Chatelain

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCyrielle Chatelain, rapporteure :

C'est avec un grand plaisir que je vous présente cette proposition de loi relative à l'encadrement et à l'extinction progressive du financement des énergies fossiles par les acteurs de la finance.

Dans leur rapport de mai 2023, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz ont rappelé que le réchauffement climatique aurait un coût exorbitant, donc un impact significatif sur nos économies. Le rapport Stern de 2006 indiquait que le coût économique de l'inaction climatique équivaudrait à une baisse permanente d'au moins 5 % du niveau de la consommation mondiale. Des travaux ultérieurs ont conclu à des impacts plus marqués du changement climatique sur l'activité économique globale. La perte de PIB à l'horizon 2100 serait comprise entre 7 et 23 %.

En 2022, les effets sur les activités économiques et les infrastructures se font déjà durement sentir en France. En raison d'une sécheresse historique, la production agricole a baissé de 10 à 30 % selon les filières. La production hydroélectrique a diminué de 20 %. Les assureurs ont dû couvrir 2,9 milliards d'euros de dommages dus à des catastrophes naturelles au titre du risque « retrait-gonflement des argiles » (RGA).

À ces effets économiques s'ajoute un drame humain insupportable : la perte de 33 000 vies, en France, entre 2014 et 2022, en raison des fortes chaleurs.

La combustion des énergies fossiles est la première cause du réchauffement climatique. Elle est responsable de 75 % des émissions de gaz à effet de serre et de 90 % des émissions de CO2.

Les travaux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) et de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) sont arrivés à cette conclusion sans appel : pour sauver le climat, il ne faut plus un seul nouveau projet d'extraction de pétrole, de charbon ou de gaz, et il est indispensable de fermer prématurément certains sites en cours d'exploitation.

Pourtant, l'humanité n'a jamais consommé autant de charbon, de pétrole et de gaz qu'aujourd'hui. Selon l'AIE, l'utilisation des énergies fossiles a dépassé son record absolu, atteignant 36,8 milliards de tonnes en 2022. Les multinationales du fossile comme la société Vermilion continuent d'ouvrir de nouveaux puits – encore huit prochainement en Gironde, au cœur de la forêt de La Teste-de-Buch ravagée par les premiers méga-incendies en France. TotalEnergies, ExxonMobil et Shell continuent d'investir dans l'exploitation et l'ouverture de sites qualifiés de « bombes climatiques » – je parle des 425 sites actuellement ou prochainement ouverts et dont l'exploitation ruinerait à elle seule notre chance de contenir le réchauffement au-dessous de 1,5 °C.

TotalEnergies ne prévoit d'ailleurs pas de diminution d'exploitation du pétrole d'ici à 2030, tandis qu'il planifie dans le même temps une augmentation de sa production de gaz naturel liquéfié. Il y a une seule raison à cela : le pétrole est une « machine à cash ».

Cette machine à cash est alimentée par les acteurs financiers. En 2022, les six plus grandes banques françaises avaient un niveau d'exposition cumulée aux énergies fossiles supérieur à la moyenne européenne, avec un cumul de 125 milliards d'euros d'actifs à leur bilan. Depuis l'Accord de Paris en 2015, ce sont plus de 5,5 billions de dollars qui ont été versés par les soixante plus grandes banques mondiales aux entreprises du pétrole, du charbon et du gaz.

Un tel rythme de financement des énergies fossiles n'est plus soutenable. Il va à l'encontre des objectifs climatiques que la France et l'ensemble de la communauté internationale se sont assignés. Le respect de ces objectifs climatiques est un impératif absolu et vital à l'échelle planétaire.

Les auditions menées dans le cadre de cette proposition de loi ont montré qu'un mouvement a été engagé par les banques françaises, qui augmentent le taux de leurs prêts aux énergies fossiles. Certaines se sont engagées à ne pas financer de nouveaux projets fossiles ou à réduire leurs encours de prêts aux acteurs du fossile. Ce changement est dû à plusieurs facteurs.

Il faut tout d'abord mentionner les actions des associations telles qu'Oxfam, Reclaim Finance, Finance Watch, Greenpeace ou encore les Amis de la Terre, que je tiens à remercier. Mais cela tient aussi à la demande grandissante des clients, qui rechignent à déposer leur argent dans des banques qui s'en serviraient pour financer les énergies fossiles. On assiste enfin à une prise de conscience d'une partie des acteurs financiers, qui ne peuvent que constater l'ampleur des impacts du réchauffement climatique.

Cependant, la solidité de leur engagement est actuellement difficile à mesurer. Les informations transmises sur ces sujets sont des données internes aux banques, souvent parcellaires. Elles concernent principalement les prêts dans le secteur énergétique, mais très peu les émissions d'obligations ou l' asset management. En outre, dans ce domaine, les objectifs des banques sont très peu précis.

Ainsi, le mouvement en cours aux niveaux français et européen doit être accompagné par le législateur afin de s'assurer de la solidité de la transition et d'éviter tout greenwashing et toute stratégie de retardement de la transition.

L'article 1er de cette proposition de loi fixe un calendrier de sortie des investissements fossiles clair et harmonisé pour les acteurs financiers. Il prévoit une réduction des investissements fossiles de 50 % par rapport à 2025 d'ici à 2030, et de 90 % d'ici à 2040. De même, il interdit les investissements dans les nouveaux projets fossiles, conformément aux recommandations du Giec et de l'AIE. Il s'agit de réduire les émissions de gaz à effet de serre et d'inciter les acteurs bancaires à respecter des objectifs afin que nous puissions contenir le réchauffement climatique en dessous de 2 °C.

Si nous n'agissons pas dès maintenant, notre budget carbone sera consommé et nous nous dirigerons vers un monde où la température aura augmenté de 4 °C. Les conditions de vie seront fortement dégradées, voire insupportables. Comme je vous l'ai expliqué au début de mon propos, le système économique sera fortement fragilisé. Le rapport « The Green Swan », élaboré en 2020 par la Banque des règlements internationaux et la Banque de France était on ne peut plus clair : les risques liés au climat sont une source de risques financiers. L'accumulation de CO2 au-delà d'une certaine limite peut avoir des impacts irréversibles. Alors que les difficultés des banques, lors d'une crise financière ordinaire, peuvent être résolues par de l'aide, il sera beaucoup plus difficile d'y remédier dans le cas de secteurs qui ne seront plus viables à cause du réchauffement climatique.

Les risques climatiques sont colossaux pour le système économique. Pour les banques et les acteurs de la finance, ils sont principalement de deux sortes.

Il y a, d'une part, les risques physiques liés au coût économique et aux pertes financières entraînées par des catastrophes climatiques sévères. 2023 est la troisième année où les sinistres climatiques ont été les plus graves, ce qui a amené les assurances à combler des pertes à hauteur de 6,5 millions d'euros. Pour prévenir ces risques, il est indispensable d'engager une bifurcation énergétique, économique, et de changer nos modes de vie. C'est la seule manière d'éviter le chaos climatique.

Il y a, d'autre part, les risques de la transition. Ce sont les risques associés à un changement abrupt – changement politique, augmentation du risque réputationnel, limites technologiques. Ils sont induits si la transition est subie, si elle se fait par la contrainte et non par la planification. Sans action immédiate ni trajectoire claire, le risque d'un changement abrupt augmente considérablement. L'exposition des acteurs financiers aux énergies fossiles leur fait courir un risque de transition important.

La nécessaire sortie des énergies fossiles, qui impose de laisser dans le sol une très grande partie des ressources aujourd'hui inexploitées, entraînera une perte de valeur des actifs fossiles, qui deviendront des « actifs échoués ». S'ils perdent 80 % de leur valeur, ce qui paraît tout à fait plausible dans un monde neutre en carbone, trois à cinq des plus grandes banques européennes n'auraient pas assez de fonds propres pour essuyer leurs pertes, et de nombreuses banques françaises basculeraient dans le rouge.

Ces risques climatiques ne sont pas reflétés par les données passées. Ils peuvent survenir à court, moyen et long terme alors que le système actuel n'est conçu que pour analyser le risque à court terme – à un an, voire à trois ans – et sur la base d'événements déjà survenus. C'est ce que l'ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, Mark Carney, appelait la « tragédie des horizons ». Les banques anticipent donc difficilement les futurs risques liés au dérèglement climatique.

C'est pourquoi l'article 2 de cette proposition de loi vise à protéger les Français en garantissant la stabilité du système financier par une augmentation des fonds propres exigés des banques lorsqu'elles investissent dans les énergies fossiles, afin de réduire leur exposition. C'est aussi la meilleure manière d'éviter les risques physiques induits par les impacts des énergies fossiles et du réchauffement climatique.

Il est apparu que le texte que je vous propose pouvait encore être amélioré. Je défendrai donc plusieurs amendements visant à renforcer cette proposition de loi.

Le message que je cherche à faire passer est extrêmement clair : le monde de la finance ne peut plus continuer à s'extraire des limites physiques de notre monde. Les impératifs climatiques s'imposent à tous, et en premier lieu aux acteurs économiques qui ont contribué pendant des décennies à financer et à renforcer des activités faisant peser un risque vital sur l'ensemble de la population dans le but d'en tirer des profits immédiats. Le retard accumulé face à la catastrophe climatique est considérable. Il convient donc de retrouver notre souveraineté, de reprendre la main sur les investissements des banques et des acteurs financiers en fixant un cadre clair pour protéger les Français. En tant que législateur, nous devons nous extraire des impératifs de rendement immédiat pour prendre les mesures qui s'imposent et pouvoir enfin ouvrir de nouveaux horizons.

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