Intervention de Thibaut François

Réunion du mardi 27 septembre 2022 à 17h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThibaut François :

Villeroy de Galhau. Je ne souhaite pas consacrer trop de temps au taux de 40 % à 45 % de refus qui a circulé. D'autres que moi ont indiqué qu'il ne figurait pas dans les enquêtes des courtiers. Pour autant, nous sommes vigilants.

Le rôle de la Banque de France sur ce sujet important consiste d'abord à écouter tous les acteurs. Nous avons donc rencontré les courtiers et les banques et nous sommes à l'écoute des associations d'emprunteurs — qui n'ont d'ailleurs pas évoqué ce sujet.

Nous devons par ailleurs viser l'intérêt général. Le délicat équilibre sur cette question consiste à éviter l'augmentation accélérée du taux d'emprunt pour une majorité d'emprunteurs, tout en évitant des situations d'exclusion, notamment pour des emprunteurs plus âgés davantage touchés par l'assurance des emprunteurs.

Enfin, nous devons appliquer la loi, qui s'avère extrêmement simple et claire en la matière : le taux de l'usure est fixé chaque trimestre, donc le sera à nouveau le 1er octobre 2022, et représente les quatre tiers de la moyenne des taux observés sur le marché au cours du trimestre précédent. Nous jouons donc dans ce domaine un rôle statistique.

La loi prévoit la possibilité de déroger à cette règle dans des circonstances exceptionnelles, mais elle n'a jamais été utilisée. Nous n'estimons pas avoir de raison pour y recourir et relever de manière accélérée le taux de l'usure, ce qui reviendrait à renchérir encore le coût du crédit pour tous les Français. Selon nous, l'application de la loi dans ses dispositions normales permet de résoudre les situations observées. Compte tenu des données collectées auprès des banques, le taux de l'usure se trouvera relevé de manière significative mais bien proportionnée au 1er octobre 2022, en application des seules dispositions de la loi et en accord avec le ministre de l'Économie et des Finances. Ce dispositif de droit commun continuera ensuite à s'appliquer chaque trimestre. Quand il permet de résoudre les situations, il est préférable selon moi de s'y tenir. Il s'agit du bon point d'équilibre pour l'intérêt général, et il contribuera au bon fonctionnement du crédit immobilier en France.

J'espère avoir répondu de la façon la plus claire, équilibrée et respectueuse de la loi républicaine aux préoccupations exprimées par plusieurs parlementaires sur ce sujet important. Encore une fois, nous écoutons tout le monde, et le crédit immobilier fonctionne plutôt mieux en France qu'ailleurs.

M. Tanguy nous a légitimement appelés à la modestie, mais vous me permettrez de ne pas vous rejoindre sur l'existence d'un trou noir des banques centrales depuis la crise japonaise. Les banques centrales se sont montrées efficaces dans la réponse à la grande crise financière de 2009-2011, mais aussi pour éviter la déflation au moment du Covid. Les banques centrales constituent selon moi des atouts pour gagner la bataille contre l'inflation.

Nous pourrions organiser, en dehors d'une audition officielle, une rencontre de travail sur la politique monétaire, comme lors de la précédente législature. Des chiffrages ont porté sur les effets de la politique monétaire accommodante, afin d'atteindre à l'époque davantage d'inflation et de croissance.

Vous avez demandé pourquoi les taux d'intérêt ne s'alignaient pas partout si la Banque centrale européenne fait disparaître le risque dans les différents pays. Je rappelle qu'elle n'a pas pour objectif de faire disparaître les risques individuels des différents emprunteurs publics, mais d'atteindre le juste niveau d'inflation. Tel était le but des achats de dette publique. Nous ne pouvons du reste pas acheter de titres sur le marché primaire. Des investisseurs doivent toujours prendre ce risque, et il demeure fort heureusement des différences de taux d'intérêt au sein de la zone euro.

S'agissant de la protection de l'épargne contre l'inflation, le taux du livret A a significativement augmenté, passant de 0,5 % à 2 % en 2022, et un autre relèvement interviendra début 2023. Le cœur de la réponse dans ce domaine réside toutefois dans le livret d'épargne populaire (LEP). Son taux, qui dépasse actuellement les 4 %, augmentera sans doute également début 2023. Il est par ailleurs indexé sur l'inflation des six mois précédents, donc protégé. Comme vous, je ne peux que regretter que ce produit ne soit pas assez connu des Français, puisque nous ne comptabilisons que 7 millions de LEP ouverts pour 15 millions de Français éligibles. Une campagne me semblerait importante afin de le développer.

La baisse des frais bancaires s'avère significative pour les Français en situation de fragilité, avec le développement de l'offre spécifique plafonnée à 20 euros par mois tous frais compris et un plafonnement hors offre spécifique pour tous les clients fragiles. Il me semble que les frais bancaires ont reculé de 18 % à 20 %. La Banque de France, au travers de son Observatoire de l'inclusion bancaire, a donc modestement contribué à améliorer la situation de plusieurs centaines de milliers de Français.

M. Brun a évoqué les OATi, mais je ne suis pas un spécialiste des émissions de dette, dont la Banque de France n'a pas la charge. Il semble évident que les OATi coûtent plus cher en situation de dette élevée, mais il convient de les observer sur toute la durée d'un cycle.

M. Sala m'a interrogé sur les causes de l'inflation et M. Brun a exprimé une forme de reproche sur l'inefficacité de notre action. Une partie de l'inflation découle du choc sur l'énergie et les matières premières, mais les prix du pétrole se stabilisent d'ores et déjà. En économie, les arbres ne montent jamais jusqu'au ciel, aussi les prix de l'énergie sont-ils appelés à se stabiliser. Le problème central réside dans la diffusion de l'inflation, initialement énergétique, à l'ensemble de l'économie. Ainsi, les services connaissent une inflation de plus de 4 % alors même qu'ils consomment assez peu d'énergie et de matières premières. Cette généralisation de l'inflation justifie l'intervention de la politique monétaire.

Par ailleurs, la politique monétaire nécessite toujours entre 18 et 24 mois pour devenir efficace. L'effet du relèvement des taux en juillet 2022 n'est donc pas immédiat, mais garanti. En effet, un relèvement des taux et une politique monétaire sont toujours et partout efficaces face à une inflation généralisée. Ils doivent toutefois rester proportionnés. Nous ne voulons pas faire payer aux ménages le prix de l'inflation, mais juste soigner une maladie qui pénalise toute l'économie française. Si nous laissons s'installer une inflation à deux chiffres, comme à la fin des années 1970, nous y perdrons tous, à commencer par les ménages les plus modestes. Notre objectif rejoint ici le vôtre, à savoir la justice sociale.

Je partage votre point d'attention sur la nécessité de préserver le financement des crédits immobiliers et des travaux de rénovation énergétique. Nous n'avons pas d'indication que la bonne santé actuelle du crédit immobilier dissimule un sacrifice sur les prêts de rénovation. Tous les dispositifs budgétaires se poursuivent dans ce domaine.

Je remercie M. Sala de l'attention qu'il porte à notre Baromètre de l'inclusion financière. La Banque de France est très attachée à ses missions sociales, dans chaque département. Depuis 2021, nous publions chaque mois des indicateurs sur notre action auprès des Français défavorisés (surendettements, fichiers, droits aux comptes). Cette année, les dossiers de surendettement reculent de 9 % par rapport à l'année dernière et de 23 % par rapport à 2019 (année de référence pré-Covid). Nous n'abaissons pas notre vigilance pour autant. Les inscriptions aux fichiers nous semblent moins significatives, mais nous continuons à les observer.

Mme Louwagie a abordé la répartition de l'effort collectif, mais je préfère rester sur l'ordre économique qui me concerne. Les choix démocratiques relèvent de vous. Dans ma lettre annuelle, j'ai seulement rappelé que nous devions collectivement faire face à un prélèvement sur l'économie française, en raison d'une facture extérieure alourdie de 2 % à 3 % du PIB. Il semble difficile d'imaginer que la puissance publique assumera l'intégralité de cette facture cette fois, d'où mes propos sur une répartition collective de l'effort. Les entreprises constateront un effritement des marges, mais à partir d'une situation très favorable en 2021. Quant aux ménages, ils vivront un léger recul de leur pouvoir d'achat, de 0,5 % en moyenne. Je sais que nos concitoyens ne se retrouvent pas dans ces chiffres moyens, notamment ceux placés dans des situations plus défavorables. Si nous devons selon moi faire face au choc de manière collective, nous devons le faire avec équité, en portant une attention particulière à nos concitoyens les plus défavorisés.

Vous demandez si le niveau de la dette semble acceptable. Plus que par son niveau, je suis pour ma part préoccupé par sa tendance. Sur le long terme, nous n'avons jamais su faire reculer le poids de la dette par rapport au PIB. Il a augmenté dans les périodes conjoncturellement défavorables, et s'est stabilisé dans les périodes favorables. Disons-le franchement : quand on dit que l'État prend en charge un effort, au travers de la dette, il s'agit d'une abstraction. En réalité, le partage de l'effort pèse sur les générations futures, auxquelles nous transmettons la facture. Je n'identifie pas une limite absolue au niveau de dette, mais nous devons inverser la tendance. J'avais donc émis l'idée de revenir, d'ici dix ans, au niveau de dette rapporté au PIB que nous observions avant le Covid. Cette question difficile relève éminemment du choix politique, et je reste dans le rôle de conseil indépendant de la Banque de France en portant une alerte, au nom de la durabilité de notre société et de sa solidarité intergénérationnelle.

S'agissant des élections italiennes, je n'émettrai aucun commentaire sur une coalition dans un autre pays. Je note seulement que ses leaders ont indiqué vouloir rester en Europe et appliquer les règles du jeu européen. Nous verrons ce qu'il en sera dans les actes.

Dès qu'un événement survient en Europe, de nombreux commentateurs extérieurs arguent de la fragilité de la zone euro et prédisent qu'elle ne résistera pas. Or nous avons traversé de nombreuses difficultés depuis plus de vingt ans, et l'attachement des Européens à l'euro s'est plutôt renforcé à chaque fois. Il atteint aujourd'hui un niveau record de 80 % pour les citoyens de la zone euro, et de 74 % pour les Français.

Vous avez souhaité savoir si une croissance nulle pourrait affecter la politique monétaire. La situation restera assez naturelle jusqu'à l'atteinte d'un taux neutre, puis il conviendra d'étudier la situation de l'inflation et de la croissance.

Comme vous, je rencontre de nombreux chefs d'entreprise car la Banque de France est très présente sur le terrain. Je réaffirme d'ailleurs ici notre attachement irréfragable à cette présence dans chaque département au travers de nos succursales. Nous les conserverons durablement, pour garantir une présence auprès des ménages surendettés ou des entreprises. Je ne sais pas si les nouveaux parlementaires sont déjà entrés en contact avec le directeur de succursale de leur département, mais il se trouve à leur disposition.

M. Brun a évoqué une zombification de l'économie. Pour ma part, je n'ai pas l'impression de me trouver face à des zombis quand je rencontre des chefs d'entreprise. Certains connaissent sans doute des difficultés, mais les entreprises se montrent plutôt fortes. Il y a un an, tout le monde redoutait des catastrophes économiques au terme des aides liées au « quoi qu'il en coûte », et elles n'ont pas eu lieu. Les difficultés économiques actuelles tiennent à l'invasion de l'Ukraine, et non à l'arrêt des dispositifs Covid.

M. Plassard a qualifié les prévisions de la Banque de France d'optimistes, mais je me méfie de ce mot. Nous tâchons de nous montrer lucides et indépendants. Du reste, certains commentaires de presse ne nous ont pas jugés particulièrement optimistes quand nous avons indiqué ne pas exclure une récession.

S'agissant des PGE, nous estimons régulièrement leurs pertes. Lors de la première estimation en janvier 2021, à la demande de l'Assemblée, le taux de perte était estimé à 5,2 %. En janvier 2022, la situation économique semblait nettement plus optimiste, avec la très forte reprise post-Covid. Le taux de perte estimé redescendait donc à 3,1 %. Cet été, nous l'avons recalculé en intégrant la crise ukrainienne, portant ce taux à 4,6 %. Il croît donc par rapport à janvier, mais reste inférieur à l'estimation initiale, et nous n'anticipons pas d'évolution forte.

La très grande majorité des entreprises se trouvent en situation de rembourser leur PGE, ce qui constitue une bonne nouvelle. En effet, un PGE non remboursé crée une dette publique supplémentaire, car sa charge passe de l'entreprise à l'ensemble des contribuables. Certaines situations individuelles peuvent évidemment s'avérer plus difficiles, et la Médiation du crédit se trouve alors à disposition. Elle n'a toutefois reçu que quelques centaines de dossiers depuis le début de l'année, à comparer aux 700 000 PGE accordés.

Je ne commenterai pas les propos du président de la Fed sur l'augmentation nécessaire du chômage. Je pense qu'ils étaient plus nuancés que cette phrase isolée. Par ailleurs, la nature de l'inflation diffère aux États-Unis, où la composante hors énergie s'avère plus élevée. Nous allons dans la même direction, mais pas nécessairement au même rythme et au même niveau.

Je note le point d'attention de Mme Sas concernant la transition énergétique. Parmi les solutions de financement pour les ménages figurent des prêts verts, mais aussi des solutions budgétaires telles que MaPrimeRénov'. Reste à déterminer si d'autres apparaissent nécessaires.

Je prends note de votre question sur l'empreinte carbone des ménages, et je compléterai ma réponse ultérieurement. Nous mesurons précisément l'empreinte carbone de la Banque de France et nous avons rendu tous nos portefeuilles d'investissement compatibles avec l'objectif de 2 °C. Nous atteindrons même un objectif de 1,5 % au plus tard à la fin de l'année prochaine.

Enfin, je ne dispose pas d'expertise particulière sur le chiffre de 50 milliards d'euros avancé par M. Castellani. Je vous renvoie à mon commentaire sur les OATi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion