Intervention de Marie Pochon

Séance en hémicycle du jeudi 4 avril 2024 à 15h00
Garantir un revenu digne aux agriculteurs et accompagner la transition agricole — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie Pochon, rapporteure de la commission des affaires économiques :

Partout dans le pays, les agriculteurs et les agricultrices, parfois au prix de leur vie, ont bloqué les routes de France avec un slogan ô combien révélateur : « Agriculteur : enfant, on en rêve ; adulte, on en crève ». Le constat est aussi simple qu'implacable : beaucoup trop d'agriculteurs ne peuvent vivre de leur travail.

Nous, députés du groupe Écologiste, n'avons qu'un seul jour par an pour soumettre des textes à cette assemblée. Nous avons décidé – et je remercie mon groupe pour cela – de consacrer notre niche à tenter de déplacer cette montagne-là, à travers une proposition de loi destinée à assurer des prix rémunérateurs aux agriculteurs.

Elle est digne d'intérêt et nous essaierons, en espérant que nos efforts ne seront pas vains, de vous en convaincre. Toutefois, elle est plus que cela : elle est fondamentale et centrale pour les débats sur la souveraineté alimentaire et sur le renouvellement des générations agricoles. Rappelons que 200 000 agriculteurs, soit la moitié d'entre eux, seront en âge de partir à la retraite d'ici à 2030. Comment s'installer quand le risque de vivre sous le seuil de pauvreté est de l'ordre d'un sur cinq ?

Elle est aussi fondamentale et centrale pour la transition écologique que l'effondrement des populations d'oiseaux et d'insectes et les changements climatiques nous commandent d'opérer. Comment assurer les conditions nécessaires pour cultiver, produire et nourrir les gens demain sans garantir un revenu à ceux qui se consacrent à ces tâches ?

Enfin, elle est fondamentale et centrale pour la vie dans nos territoires. Vous comme moi vous rendez dans des communes où il ne reste parfois qu'un ou deux agriculteurs quand elles en comptaient dix ou quinze dans les années 1990. Les fermes disparaissent, avalées par la course à l'agrandissement et à l'endettement. Ce n'est pas seulement le monde agricole qui se meurt mais le monde rural dans son entier. Nos villages se vident, les classes ferment, les bureaux de poste s'éloignent. Comment leur redonner vie et espoir ?

C'est à ces questions que nous avons souhaité répondre, de manière structurelle et précise, car la colère et la détresse demeurent et ce que M. le ministre de l'agriculture a fait en un mois n'a pas permis de les apaiser.

L'article 1er de cette proposition de loi vise à protéger le revenu des agriculteurs en confiant aux conférences publiques de filière le soin de déterminer, par le dialogue, un prix minimal d'achat des produits agricoles qui ne puisse être inférieur aux coûts de production dans chaque filière, en prenant en compte la nécessité de dégager un revenu d'au moins deux Smic.

C'est une petite révolution que l'intégration obligatoire d'un revenu digne dans la constitution de ces prix. C'est une considération nouvelle que d'inscrire dans la loi le principe selon lequel les fruits du travail agricole méritent non pas subvention mais rémunération juste.

Il y a un mois, le Président de la République affirmait : « Il y aura un prix minimum, un prix plancher en dessous duquel le transformateur ne peut pas acheter et en dessous duquel le distributeur ne peut pas vendre. » Ces prix rémunérateurs garantiront à nos agriculteurs qu'ils n'auront plus à brader le fruit de leur travail en dessous des coûts de revient. Ils constituent un filet de sécurité leur apportant visibilité et stabilité dans un contexte qui associe une forte volatilité des prix des produits agricoles à un déséquilibre accru du rapport de forces dans les négociations commerciales.

Ce mécanisme répond désormais à une promesse du chef de l'État. Que l'on en soit heureux ou pas – et cela m'arrive souvent de ne pas l'être, je vous rassure –, sa parole publique compte, bien plus, elle engage.

L'article 2 crée un fonds dédié à la transition agroécologique des exploitations agricoles. Actuellement, les coûts et risques liés aux changements de pratiques sont encore supportés dans une trop large proportion par les seuls agriculteurs alors que les coûts de dépollution et de prise en charge sanitaire appellent une contribution de la puissance publique et que les bénéfices de la transition profitent à la société tout entière.

Investir maintenant dans la transition des exploitations, c'est favoriser leur rentabilité future et faciliter les économies d'argent public. En dix ans, les aides de crise sont passées de 100 millions à plus de 2 milliards d'euros. Elles ne sont satisfaisantes pour personne : ni pour la puissance publique, ni pour les agriculteurs qui préféreraient vivre du fruit de leur travail. Nous continuerons de perdre des milliards si nous n'adaptons pas nos pratiques pour les rendre plus économes, autonomes et résilientes.

Comme la transition profite à tous les acteurs de la chaîne, il n'y a pas de raison pour que les agriculteurs et les citoyens soient les seuls à contribuer. Il est normal que les entreprises prennent part à cet effort, d'autant que leurs profits explosent, passant de 3 milliards à 7 milliards l'an dernier. Il est juste qu'une partie de ces superprofits aille aux agriculteurs.

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