Intervention de Frédéric Mortier

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 15h00
Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom) :

La synthèse est à la fin de notre rapport d'activité 2019-2020. Je vous ai communiqué les documents de synthèse de travaux et le rapport d'activité, en plus de votre questionnaire renseigné.

Dans le premier rapport d'activité, vous trouverez la synthèse de ces riches consultations qui ont vraiment orienté les mesures proposées : mieux se préparer à l'aléa avant qu'il ne survienne, en particulier par l'acculturation au risque ; aller vers une meilleure intégration du confortement parasismique et paracyclonique ; améliorer l'efficacité des pouvoirs publics pour agir en temps de crise et actionner des procédures dérogatoires. Nous proposions un dispositif technique original à titre expérimental : l'état de calamité naturelle exceptionnelle (Ecne). Les procédures ainsi déclenchées par les autorités permettaient aux opérateurs de réseaux secs et humides de rétablir un service minimum, et de simplifier la remise en état des copropriétés. Nous proposions aussi de rendre obligatoire les journées de prévention avec exercices.

Ces mesures peuvent trouver d'autres véhicules que le projet de loi, et il reste tout un travail infra-réglementaire à faire sur des guides et des plans d'action. Les réactions des territoires nous ont conduits à proposer l'élaboration de feuilles de route territoriales sur la prévention et la gestion des risques avec l'ensemble des parties prenantes. Il s'agit de se mettre d'accord sur un plan d'action, d'établir des priorités, de répartir les responsabilités et les moyens pour donner du rythme et avancer, sachant que les démarches doivent être adaptées à chaque territoire – nos outre-mer ont des points communs mais aussi des spécificités.

Nous avons donc fait des propositions relevant du domaine législatif ou réglementaire, et établi des feuilles de route territoriales. Mais, à l'issue de nos travaux, nous avons aussi identifié un besoin : celui de disposer d'un centre de ressources sur les risques naturels outre-mer, capable de mutualiser l'information, chaque territoire étant très intéressé par ce qui se fait dans les autres. Notre lettre d'information a été plébiscitée, à notre étonnement, car c'était le premier outil de ce type.

Le besoin de mesures et de boîte à outils se fait aussi sentir face à un autre risque : l'élévation du niveau de la mer et le recul du trait de côte, dans des territoires où les populations vivent en majorité sur les littoraux. Il faut faciliter l'accès à l'information par les applications numériques sur les téléphones mobiles car certains de ces territoires sont très connectés, voire ultra-connectés comme c'est le cas de Mayotte.

Sans revenir sur le programme de campagne déjà mentionné, je pense qu'il faut développer davantage la culture du risque. Il est aussi nécessaire de travailler sur le post-aléa. Il se trouve que je suis arrivé quelques jours après l'ouragan Irma, en ayant eu l'occasion de travailler sur d'autres crises auparavant. Cette intervention, remarquable à de nombreux points de vue par la mobilisation des acteurs, nous a permis d'acquérir un très grand savoir-faire en matière de gestion de crise, d'urgence. En revanche, nous avons encore beaucoup à apprendre en matière de reconstruction post-aléa. Or les décisions prises au cours des premières heures et des premiers jours ont de grandes conséquences sur la trajectoire de reconstruction. Il est nécessaire d'acquérir une expérience aussi robuste dans ce domaine que dans celui de la gestion de crise.

Notre démarche consistait aussi à entrer dans une logique d'appréhension globale des aléas et à sortir de l'approche en silos. À cet égard, j'avais proposé de parler de plan risques Antilles plutôt que de PSA. Par le biais du plan de relance, nous avons d'ailleurs pu introduire une innovation dans le PSA3 : prévoir des actions de confortement à la fois parasismiques et paracycloniques. C'est très important de faire du confortement parasismique, mais, à quoi bon le faire si les toits s'envolent au premier ouragan alors que les enfants sont dans les écoles ? Il faut donc veiller à avoir une approche globale de la réduction des vulnérabilités.

Il faut aussi développer la pédagogie de l'assurance. L'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont publié un très bon rapport sur la non-assurance outre-mer. Pour des raisons culturelles ou autres, de nombreux territoires sont très loin de l'assurance. Or celle-ci est essentielle, sur le plan financier mais aussi sur celui de l'accompagnement, pour relancer le territoire une fois l'aléa survenu. Une offre adaptée, d'entrée, pourrait faire entrer certaines personnes dans la démarche assurantielle et ouvrir l'accès au régime des catastrophes naturelles.

Nous avions suggéré ces quelques pistes pour compléter nos travaux sur ce sujet qui est fondamental pour les outre-mer, même s'ils en ont de nombreux autres à traiter. S'intéresser aux risques majeurs, c'est travailler sur le socle : quand un territoire est trop vulnérable, toutes les infrastructures et l'activité économique sont touchées, sans parler des conséquences sur les vies humaines. Dans ces conditions, à quoi bon faire des investissements massifs, qu'ils soient publics ou privés ?

Je me souviens d'un échange avec le président de la collectivité de Saint-Barthélemy, visant à l'inciter à s'engager dans un plan de prévention des risques (PPR). Nous nous nous étions rencontrés à de nombreuses reprises et nous avions développé beaucoup d'arguments. L'idée était peut-être en train de faire son chemin, mais l'élément déclencheur a été une question qui lui a été posée par des investisseurs américains : que faites-vous concrètement en matière de prévention des risques à Saint-Barthélemy ? Les choses ont alors changé assez vite et la collectivité a adopté un PPR. C'est fondamental pour l'image de nos outre-mer, les investisseurs, les entrepreneurs, l'activité touristique.

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