Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 15h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Jeudi 21 mars 2024

La séance est ouverte à quinze heures

Présidence de M. Mansour Kamardine, président

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la table ronde « Saint-Pierre-et-Miquelon » réunissant : Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon, Mmes Hélène Hargitai, sous-préfète et Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet ; Service territorial d'incendie et de secours (DIS 975), Capitaine Guillaume Geay, directeur, chef du service interministériel de sécurité civile ; Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM 975), Mme Patricia Bourgeois, directrice et M. Philippe Testard, directeur adjoint ; Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, M. Yannick Abraham, 1er vice-président du Conseil territorial.

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Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête par une table ronde consacrée à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette table ronde, initialement prévue il y a deux semaines, avait dû être annulée pour une raison en lien avec son objet. Météo-France avait en effet émis, pour la toute première fois concernant ce territoire, une alerte de vigilance rouge pour verglas ainsi qu'une alerte orange pour neige.

Je vous remercie de votre disponibilité pour cette table ronde. Je vous rappelle que cette audition est retransmise en direct sur le site internet de l'Assemblée nationale. L'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour de courtes interventions liminaires, avant que nous ne poursuivions les échanges sous la forme de questions et de réponses.

Je vous rappelle auparavant que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Yannick Abraham, Mme Hélène Hargitai, Mme Sandrine Montané, M. Guillaume Geay, Mme Patricia Bourgeois et M. Philippe Testard prêtent serment.)

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Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon est soumis à différents risques naturels, ainsi que vous avez pu le constater lors de la programmation de notre premier rendez-vous. Bien que la neige et le verglas soient des phénomènes classiques en période hivernale, leur ampleur est inédite. Les conséquences du changement climatique, parfois imprévisibles, nous impactent et nous amènent à travailler collectivement pour faire face aux risques. Ce dérèglement du climat, qui entraîne notamment la remontée de phénomènes cycloniques qui touchaient auparavant uniquement les Antilles, s'accompagne ainsi d'une augmentation du nombre d'aléas, auxquels la population doit être sensibilisée et le territoire adapté.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Les phénomènes que nous avons connus récemment, à l'image des fortes averses de pluie, des épisodes de pluies verglaçantes ou des tempêtes de neige, ont effectivement été responsables d'importants dégâts. Nous sommes également touchés par des événements jusqu'alors inconnus dans nos territoires, tels que les feux de forêt. Au premier rang de nos préoccupations actuelles se trouvent les phénomènes d'érosion, qui touchent de nombreuses zones côtières, et notamment le village de Miquelon et l'isthme de Miquelon-Langlade qui font actuellement l'objet d'un travail de protection.

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Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Le cadre de nos interventions est celui de la survenue effective du risque naturel, dans les domaines de la gestion de crise, de la planification Orsec ou encore de la lutte contre les sinistres avec les opérations de mise à l'abri de la population.

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Patricia Bourgeois, directrice de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM 975)

Notre organisme est positionné sur le volet prévention des risques, la sensibilisation des populations et les liens avec les plans de prévention des risques (PPR).

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Pour ma première question, en lien avec les contraintes logistiques qui découlent de l'éloignement géographique de votre territoire, je souhaiterais avoir des précisions sur le côté opérationnel des opérations menées. Je fais référence non seulement à l'éventuel déménagement du village de Miquelon, mais également à la gestion courante de vos services. Comment ces derniers sont-ils organisés ? Quel est le temps de réaction escompté pour une intervention de renforts ? Et enfin, comment les prévisions et les retours d'expérience des organismes tels que Météo-France sont-ils intégrés au sein des plans Orsec ou des PPR ?

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Patricia Bourgeois, directrice de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM 975)

Je débuterai par le sujet de la relocalisation du village de Miquelon. Si nous avons déjà évoqué certains des risques naturels et des phénomènes atmosphériques auxquels est soumis le territoire, tels que les cyclones et les tempêtes de neige hivernales, il convient également de citer les risques d'inondation par submersion. À ceux-ci sont liés des phénomènes de vulnérabilité du territoire, puisque toute la population est située sur la côte, en particulier le village de Miquelon, où les habitations font face à une concentration des risques naturels. Les études menées entre 2010 et 2014, visant à caractériser les risques auxquels est soumis l'ensemble de l'archipel, ont abouti à la prescription d'un plan de prévention des risques littoraux (PPRL) approuvé en 2018. Concernant le village de Miquelon, ce plan a démontré que toutes les habitations étaient soumises aux risques submersion et inondation, auxquels s'ajoute aujourd'hui le phénomène des remontées de nappes sous le village. L'endroit est donc particulièrement contraint, notamment du fait des impacts du règlement sur l'urbanisation du site. Afin de tenir compte de la qualification de ces risques, il a tout d'abord été décidé de réaliser un programme d'action pour la prévention des inondations (Papi), contenant des actions concrètes de réduction du risque et de mise à l'abri des populations, ainsi qu'un important volet sur la sensibilisation.

À la suite de ce Papi, finalisé en 2021 et dont la convention a été signée en 2022, a également été lancée la démarche « Atelier des Territoires » portée par le ministère de l'écologie. À travers cette démarche participative de concertation citoyenne, menée en 2022 et 2023, les habitants de la commune ont été invités, au cours de réunions publiques et d'ateliers, à réfléchir aux moyens d'anticiper ce risque et d'envisager des stratégies différentes de celles de la protection du village. C'est au fil de ces échanges, dans lesquels ont notamment été impliqués les établissements scolaires, qu'a émergé l'objectif de relocaliser le village dans une zone mieux préservée des risques. Ce projet permet tout d'abord de lever la contrainte de l'urbanisation, car, du fait du PPRL, le village de Miquelon ne peut plus s'étendre et les constructions neuves dans les dents creuses sont limitées. Il permet également aux habitants de se projeter ailleurs et d'espérer que leur village perdure.

Cette stratégie, bâtie sur deux ans, est désormais entrée dans sa phase opérationnelle avec l'embauche d'une maîtrise d'œuvre urbaine qui commence dès cette semaine son travail sur le terrain. Plusieurs études (environnementales, foncières, révision du document d'urbanisme du territoire) ont été lancées par la commune afin d'aboutir, d'ici à la fin de l'année, aux autorisations réglementaires qui permettront d'ouvrir le nouveau secteur à l'urbanisation avec la délivrance des premiers permis de construire et le lancement des travaux pour la viabilisation des parcelles. La stratégie de déplacement se base à la fois sur le volontariat et sur du long terme, puisque le déplacement complet du village nécessitera cinquante à soixante-quinze ans. Une première phase, qualifiée d'urgente, doit néanmoins être réalisée dans les prochains mois afin de répondre aux premières demandes des habitants qui souhaitent se déplacer et des primo-accédants qui souhaitent d'emblée construire à l'abri. Ce dossier, à la fois complexe et éminemment symbolique au regard de l'impact du changement climatique sur le territoire, bénéficie d'un réel portage politique de la part des acteurs locaux.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Je précise que la commune a, dès son officialisation, intégré le PPRL au sein de son Scot (schéma de cohérence territoriale). La collectivité a également acté une augmentation de 50 % de son enveloppe, destinée aussi bien à la réalisation des travaux qu'à la protection du village actuel.

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Je souhaite poursuivre sur ce point avec des questions complémentaires concernant ce projet exceptionnel. Au regard de son caractère potentiellement traumatisant, la gestion a-t-elle différé selon les générations ? Le déplacement doit-il être réalisé en une seule fois ou différer selon l'âge des habitants et, dans le second cas, en quoi consistera la procédure ?

Afin de limiter le traumatisme, une continuité esthétique et architecturale semble également être nécessaire entre l'ancien village et le nouveau. Or, les habitations de Miquelon ayant pour particularité d'avoir été autoconstruites par les habitants, comment prévoyez-vous de gérer leur déplacement ?

Pensez-vous enfin que l'incident qui a touché l'isthme il y a plusieurs années soit susceptible de se reproduire en raison des dérèglements climatiques ?

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Patricia Bourgeois, directrice de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM 975)

Nous accordons une place centrale, dans les concertations, à ce sujet hautement sensible qui touche en effet aux racines des habitants, à leur patrimoine et à leur identité. Le bureau d'étude chargé de nous accompagner sur la concertation et les ateliers étant situé en métropole, nous avons fonctionné sous forme de résidences, avec une présence d'une semaine sur le territoire à quatre reprises pour chacune des deux années. Chacune des résidences donnait lieu à l'organisation de réunions publiques, au sein desquelles la concertation était centrale. En 2022 et 2023, nous avons également organisé des enquêtes en ligne auprès des habitants, des ateliers de co-construction ainsi que des ateliers scolaires. C'est donc une concertation sur le temps long qui a permis d'aboutir à ce projet. Nous avons en outre fait appel à un réalisateur afin d'accompagner les ateliers de concertation d'interviews et de réaliser ensuite des reportages permettant de suivre les évolutions du projet. L'accompagnement de la population est donc un point essentiel auquel la collectivité territoriale est très attachée.

Concernant la temporalité du déménagement, dont je rappelle qu'il est organisé sur la base du volontariat, nos projections s'étendent sur cinquante à soixante-quinze ans afin que la génération actuelle puisse se projeter jusqu'à la fin de sa vie dans le village. Je rappelle que l'organisation du déplacement coexiste avec le Papi dont la vocation est de protéger ce village, afin que les habitants qui le souhaitent puissent y demeurer. Plutôt que de tranches d'âge, nous parlons donc de volontaires qui désirent se déplacer, et vingt à trente foyers ont d'ores et déjà exprimé leur souhait de faire partie de ceux que l'on nomme les « pionniers ». Ces habitants, que le bureau d'études accompagne, peuvent être de tous âges et sont soit des primo-accédants soit des habitants qui souhaitent déménager.

Certaines des habitations, dont l'architecture est effectivement particulière, pourront être déplacées, tandis que d'autres seront déconstruites au profit de nouvelles constructions. Parmi les nombreux sujets qui doivent encore être traités avec la maîtrise d'œuvre urbaine se trouvent l'organisation des déplacements, la gestion des déconstructions, l'organisation du recyclage des matériaux ou encore celui des filières d'approvisionnement et de la main-d'œuvre des entreprises.

Parallèlement au travail que nous menons sur l'aménagement du nouveau site et la déconstruction du village actuel, nous accordons une place centrale à la question de la mémoire. Un volet concernant cette question est ainsi prévu dans la maîtrise d'œuvre urbaine, avec notamment des événements culturels, un recensement des maisons et plusieurs productions qui seront réalisées autour de cette thématique, qu'il s'agisse du bâti, de la mémoire des habitants, ou du patrimoine remarquable. Ces sujets, avec également la question de l'identité liée à la pêche, sont donc pleinement intégrés dans les travaux qui seront menés durant les trois prochaines années. La sociologue qui accompagne la maîtrise d'œuvre emploie d'ailleurs les termes de « territorialisation » et de « déterritorialisation » pour traiter de cette nécessité d'accompagner la transformation de l'identité du village et de faire en sorte que les habitants s'approprient le nouveau secteur.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Je confirme tout d'abord la qualité et la richesse de la concertation menée avec les habitants, qui permettent de limiter les effets traumatisants de l'opération de déplacement et j'ajoute que la collectivité est attentive à la fois à ce projet et à la protection du village actuel.

L'architecture des maisons construites antérieurement à 1960 est effectivement particulière, puisqu'il s'agit d'ouvrages autoconstruits majoritairement avec des matériaux de récupération.

Si le déplacement du village est par ailleurs une opération qui doit être envisagée sur le temps long, et s'il est probable que les aînés resteront réticents, nous estimons que les premiers déménagements auront un effet incitateur sur les primo-accédants et encourageront certains habitants à se déplacer.

La collectivité porte par ailleurs, avec l'aide de l'État, une attention particulière à l'entretien de l'isthme. Les conséquences de la disparition de cette portion du territoire seraient en effet importantes, puisque la commune de Langlade, que de nombreux estivants habitent plusieurs mois au cours de l'été, se retrouverait coupée de celle de Miquelon. Nous estimons qu'il est indispensable de maintenir cet axe, que nous nommons le « cordon ombilical » et qui permet à la population de Langlade de s'approvisionner à Miquelon, et aux habitants Miquelonais de bénéficier d'une meilleure qualité de vie durant la période estivale. Malgré les importants travaux entrepris il y a trois ans pour faire face aux menaces grandissantes, l'isthme a encore été fortement impacté par l'érosion au cours de l'hiver dernier et nous ignorons pendant combien de temps nous pourrons encore lutter contre la nature.

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Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Nous sommes effectivement en lien avec Météo-France, et échangeons régulièrement avec les prévisionnistes, notamment en amont d'un événement météorologique impactant l'un des territoires. Bien que les prévisions s'affinent au fil du temps, nous rencontrons des difficultés avec les modèles de prévisions de Météo-France qui sont dits « à grande maille » et peuvent parfois manquer de précision. Nous l'incitons ainsi fortement à s'équiper d'autres outils qui permettraient d'affiner ces prévisions.

En amont de la survenance d'un événement, le préfet, en tant que directeur des opérations, convoque les services en réunion ou en centre opérationnel départemental (COD) afin d'anticiper et d'avoir une vision transversale des actions à mener dans la déclinaison du plan Orsec. Puis, dès l'arrivée de l'événement, se met en place une gestion précise, avec des points réguliers et une réaction opérationnelle sur le terrain dans la mesure des modestes moyens de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Nous estimons aujourd'hui que la planification vieillissante doit être réformée en profondeur et actualisée pour laisser davantage de place au travail opérationnel.

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le capitaine Guillaume Geay, directeur du Service territorial d'incendie et de secours (DIS 975), chef du service interministériel de sécurité civile

Les services, qu'il s'agisse du service interministériel de sécurité civile, de la préfecture ou des unités opérationnelles de terrain, sont assez peu fournis. Je suis, par exemple, le seul sapeur-pompier professionnel de l'archipel, soit un ratio d'un professionnel pour 6 000 habitants, à la tête d'une équipe composée de seulement soixante pompiers volontaires, qui sont chargés des mêmes missions que ceux de métropole et des autres territoires ultramarins : secours d'urgence aux personnes, lutte contre les incendies, mais également réponse aux risques naturels majeurs. Ces sapeurs-pompiers sont appuyés par des associations agréées de sécurité civiles, telles que la Croix-Rouge et la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), qui concourent grandement au Search and Rescue, chacune composée d'une quinzaine de bénévoles. S'il s'agit là de l'état des lieux complet des moyens dont nous disposons pour organiser la réponse opérationnelle sur le terrain, la préfecture dispose heureusement d'importants moyens pour mettre en œuvre la planification. Cette dernière va d'ailleurs être renforcée dans les années 2024 et 2025 avec l'appui de la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) et notamment du Bureau de la planification, des exercices et des retours d'expérience. Nous effectuons également entre quatre et six exercices de sécurité civile annuels, à la fois sur table et sur le terrain. Au-delà de ces actions prévisionnelles, nous sommes également présents sur le terrain pour faire face aux situations d'urgence climatique. Lors des opérations de gestion de crise, le centre opérationnel de crise est ouvert avec le préfet dans le rôle du directeur des opérations, assisté d'un commandant des opérations de secours.

Sur la question des renforts, nous mettons en œuvre des actions visant à en améliorer aussi bien la quantité que la qualité. Nous formons ainsi, depuis deux ans, nos sapeurs-pompiers et nos unités de terrain à la réponse à tous les risques, tels que les feux de forêt, les feux de navire ou le secours en montagne. Le problème de la quantité demeure néanmoins, et nous avons déjà exploré différentes pistes, à l'image du renfort régional, avec par exemple nos partenaires canadiens de Terre-Neuve qui pourraient venir nous épauler en quelques heures en cas d'aléa naturel ou climatique extrême.

Saint-Pierre-et-Miquelon étant le territoire ultramarin à la fois le plus proche et le plus défavorisé en matière de desserte aérienne, il faudrait compter 48 à 72 heures avant de voir arriver des avions de la sécurité civile sur notre sol, à condition que le seul aéroport de l'archipel soit dégagé et puisse faire atterrir un gros-porteur avec du matériel. Nous travaillons ainsi sur la sensibilisation et la préparation des populations afin de rendre tous les citoyens acteurs de leur propre sécurité civile, en leur apprenant comment répondre à leurs propres besoins pendant les 48 premières heures.

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Bien que l'état des lieux des moyens existants soit susceptible de générer de l'inquiétude, votre maîtrise de la situation est rassurante.

Face à l'ensemble des contraintes du territoire et au-delà des actions de sensibilisation évoquées, comment favorisez-vous l'émergence d'une culture du risque, basée sur la conscience de ce risque et sur des bonnes pratiques ?

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le capitaine Guillaume Geay, directeur du Service territorial d'incendie et de secours (DIS 975), chef du service interministériel de sécurité civile

Saint-Pierre-et-Miquelon a participé, cette année et l'année dernière, aux Journées nationales de la résilience, au cours desquelles le territoire a été primé par deux fois. Nous avions, pour la première année, axé cette journée sur un public scolaire avec une sensibilisation au kit d'urgence 48 heures précédemment évoqué et, pour la deuxième année, c'est un public adulte qui a pu bénéficier d'une ouverture du site Météo-France. À la sensibilisation au risque s'ajoutent donc des actions concrètes visant à expliquer à la population comment sont organisés les services de l'État. Des tables rondes ont également été organisées au musée de Saint-Pierre. Pour 2024, les JNR seront délocalisées à Miquelon, et organisées autour de la thématique du déplacement du village.

J'ai également mis en place, l'année dernière, la première classe de cadets de la sécurité civile sur le territoire de Saint-Pierre. Il s'agit d'une classe d'élèves de cinquième qui suit, quatorze mercredis après-midi par an, des séances de sensibilisation et d'acculturation aux risques, qu'ils soient naturels, technologiques ou courants. Ces élèves, qui ont par exemple appris à utiliser un extincteur, sont ainsi diplômés du premier niveau de Prévention et secours civiques (PSC1), mais également sensibilisés à l'alerte et l'évacuation de leur établissement scolaire. Ils découvrent également l'ensemble des services de l'État qui concourent à la sécurité sur le territoire, de la Marine nationale à la gendarmerie en passant par la sécurité civile, les sapeurs-pompiers et Météo-France.

Je souhaite, pour conclure, évoquer les plans communaux de sauvegarde, qui comportent un volet sensibilisation des populations. Concernant Saint-Pierre, le PCS est rédigé, mais n'a pas encore été présenté au conseil municipal, tandis que celui de Miquelon est en cours de rédaction par la chargée de mission Papi, avec l'appui des services de la préfecture.

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Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

J'ajoute que nous mettons en place, à chaque événement climatique, des actions de communication visant à améliorer la culture du risque en rappelant à la population les bons comportements à adopter et les mesures de protection à mettre en place. La page Facebook de la préfecture bénéficie d'une excellente couverture, avec un nombre d'abonnés équivalent à plus de la moitié de la population.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Pour les populations natives de l'archipel ou installées depuis plusieurs années, la culture du risque et l'attention portée aux phénomènes météorologiques sont naturelles.

Nous portons en outre une attention particulière au maintien des compétences de la station météo locale, dont l'importance est capitale compte tenu de notre situation géographique et de notre environnement qui nous soumet naturellement à un risque accru d'aléas.

Sur le sujet de la coopération, je tiens à souligner l'efficacité du travail mené avec la préfecture. Nous avons par exemple été invités, lors de la dernière tempête de neige, à partager régulièrement les positions à adopter concernant la protection des populations.

La collectivité a également mis en place un Copil érosion, destiné à évaluer l'évolution des événements sur l'ensemble du territoire.

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Pouvez-vous nous partager un bilan, même provisoire, des conséquences qu'ont eu, sur les biens et les personnes, les événements qui avaient empêché la tenue de notre table ronde il y a deux semaines ? Comment les habitants ont-ils réagi et comment se sont-ils comportés face aux alertes ?

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Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Aucune victime n'étant à déplorer, le bilan peut être jugé positif. Les conséquences matérielles restent quant à elles anecdotiques. Le territoire démontre ainsi sa grande résilience, puisque l'enfouissement des réseaux électriques et téléphoniques limite le risque de priver des pans entiers de la population de leur accès aux réseaux. Si la réalisation du retour d'expérience est en cours, la grande proximité et la relation de confiance entre les acteurs du territoire nous permettent de mettre en place des suivis réguliers.

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Sandrine Montané, directrice des services du cabinet du préfet, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Le fait qu'aucun dossier n'ait été déposé, depuis plusieurs années, au titre de la reconnaissance de catastrophe naturelle, confirme également la grande résilience du territoire par rapport aux événements climatiques courants.

En revanche, si un phénomène similaire à la tempête Fiona venait à frapper directement le territoire, nous ignorons encore, en l'absence de précédents, quelles seraient les capacités de résistance et de résilience des habitations.

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Sur le sujet de l'approvisionnement, vous avez indiqué que les contacts avec l'extérieur ne seraient pas assurés dans les 72 heures qui suivraient un aléa majeur. Disposez-vous d'une politique de stockage, notamment de l'eau, dont nous savons que l'approvisionnement peut s'avérer complexe ?

Nous permettez-vous ensuite, à la lumière de vos propos, de recommander à Météo-France le resserrage du maillage sur votre territoire ?

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Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

Afin d'éviter d'éventuelles ruptures d'approvisionnement, nous avons mis en place le suivi de différents stocks stratégiques, à la fois de denrées et d'hydrocarbures. La principale grande surface de l'archipel prévoit par exemple, à l'approche de la période hivernale, des stocks importants d'eau et de lait. Compte tenu des difficultés à transporter ces denrées par bateau durant l'hiver, nous disposons intrinsèquement de stocks importants. La proximité du Canada nous permettrait par ailleurs, en cas de nécessité, de récupérer du ravitaillement en sept à dix jours, en tenant sur nos stocks locaux dans l'intervalle.

Il serait effectivement intéressant, concernant Météo-France, de disposer d'un maillage plus fin. La taille infime de l'archipel ainsi que sa position, à la jonction de deux mailles radars, complexifie grandement les prévisions.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Si notre esprit insulaire nous rend aptes à réagir face aux événements et si notre organisation est satisfaisante, notre capacité à faire face à des tempêtes ou des cyclones continue néanmoins à poser question.

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Bien que la taille du territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon soit modeste, les risques auxquels il est soumis sont nombreux. Grâce aux traditions et à votre culture de marins, vous êtes habitués à faire face aux contingences, et vos retours d'expériences sont à cet égard précieux.

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Hélène Hargitai, sous-préfète, Préfecture de Saint-Pierre-et-Miquelon

C'est parce que nous ne devons pas prendre le risque que la nouvelle génération, qui ne possède pas ces réflexes de marins, devienne plus vulnérable, que nous devons poursuivre notre travail sur la résilience et l'acculturation aux risques.

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Yannick Abraham, 1er vice-président du conseil territorial, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon

Nous avons connu, au cours des dernières années, d'importantes évolutions dans la prévision et la prise en charge des risques et dans la gestion des crises. Grâce au travail mené par chacun et à une coopération interne et externe efficace, l'archipel est prêt à faire face aux risques naturels, et nous devons donc poursuivre dans cette voie.

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Je vous remercie, ainsi que l'ensemble des collaborateurs qui vous accompagnent, pour la qualité de nos échanges.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer.

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Nous poursuivons les travaux de la commission d'enquête par l'audition de M. Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom).

Monsieur Mortier, vous avez été nommé Dirmom auprès du ministre chargé de l'environnement au mois de mai 2019. Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, vous avez été le délégué local du préfet à la reconstruction des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy après le passage de l'ouragan Irma.

Limitée à deux ans, votre très large mission consistait à coordonner et à veiller à l'avancement de divers travaux : les actions des opérateurs de l'État en vue d'acquérir des connaissances sur les aléas ; le renforcement des capacités d'alerte et d'information des populations ; la mise en place d'outils permettant d'accroître le taux de pénétration des assurances outre-mer, notamment au travers du respect des normes de construction ; l'élaboration d'un diagnostic des outils à développer pour permettre un retour rapide à la normale après une crise.

Cette audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale ; l'enregistrement vidéo sera ensuite disponible à la demande. Je vous laisserai la parole pour une courte intervention liminaire, avant que nous ne poursuivions nos échanges sous la forme de questions-réponses. Auparavant, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Frédéric Mortier prête serment.)

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

La délégation a été créée par la volonté du Président de la République, désireux de dynamiser la prévention et la gestion des risques outre-mer, en particulier mais non exclusivement à la suite du déferlement de l'ouragan Irma aux Antilles.

L'une des forces de cette mission était d'être adossée à une lettre de mission du Premier ministre, très claire et très largement diffusée par Matignon. Nous avons travaillé avec huit ministères, les services centraux et déconcentrés de l'État, les collectivités territoriales, des scientifiques, des experts ainsi que des représentants des secteurs du bâtiment et travaux publics (BTP) et des assurances. Outre sa clarté et son ambition, la lettre de mission nous fixait un délai contraint. Si nous avons pu atteindre les objectifs, c'est grâce à ce que j'appellerais le code génétique de cette mission : sa forme de délégation interministérielle ; la lettre de mission ; la possibilité de travailler en circuit court et sur un mode transversal et intégrateur.

Nous avons ainsi pu faire avancer les dossiers, notamment le troisième volet du plan séisme Antilles (PSA3) dont le Gouvernement nous avait confié la coordination, la conception et la rédaction. Ce PSA3 a donné lieu à de nombreuses innovations. Pour la première fois, dans le cadre d'une gouvernance élargie et rénovée, il a ainsi été proposé un programme prévisionnel révisable à deux ans avec des objectifs de confortement d'actions immatérielles identifiés et chiffrés. En amont, nous avions travaillé sur les programmes européens, notamment sur la programmation du Fonds européen de développement régional (Feder) pour la période 2021-2027. Nous avons pu incarner une démarche à travers un plan d'action largement discuté, qui a fait l'objet de conférences territoriales. Pour la première fois en trente ans, un volet du PSA a été signé par cinq ministres, sept présidents de collectivités territoriales et des maires. Le fait de pouvoir travailler simultanément avec toutes les parties prenantes en circuit court a joué un rôle déterminant.

On nous a demandé de concevoir le dispositif de suivi du phénomène sismo-volcanique de Mayotte, qui venait d'émerger, et une campagne d'acculturation aux risques dans les outre-mer. Matignon a beaucoup insisté sur cette dernière demande, qui nous a conduits à faire un travail méthodologique et à rendre un projet soumis à consultation. Dans le cadre d'une concertation locale, les préfets ont fait des propositions d'actions. Nous avons proposé une méthodologie concernant des journées de prévention et le développement de la culture du risque – un aspect fondamental.

Nous avons été sollicités en appui au programme des abris en Polynésie française. Nous avons aussi fait tout un travail de synthèse à partir de travaux parlementaires, d'études d'experts et de retours d'expériences d'aléas, destiné à préparer des mesures législatives concernant la prévention et la gestion des risques. Nous avons ainsi proposé huit mesures, discutées avec toutes les parties prenantes. Nous avons préparé une circulaire du Premier ministre pour que ces huit mesures fassent l'objet d'une concertation et d'une diffusion très larges, ce qui s'est traduit concrètement par l'organisation de conférences territoriales où les préfets ont réuni toutes les parties prenantes. Tout cela a été transmis à Matignon et aux ministères concernés. Le ministère des outre-mer s'en est saisi pour élaborer un texte législatif.

Autre force de cette mission : nous avons pu nouer des relations très étroites avec les territoires. Dans un dialogue quotidien, nous avons pu créer un réseau de prévention et de gestion des risques. Notre lettre d'information, largement diffusée, permettait d'échanger des témoignages, de parler de l'actualité et des projets. En fait, nous avons constaté qu'il n'y avait guère d'échanges sur ces thèmes entre les territoires.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

La mission de la Dirmom s'est achevée en juillet 2021, date à laquelle je suis parti vers d'autres horizons thématiques et géographiques. Actuellement, je suis inspecteur général à l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd).

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Pensez-vous qu'il aurait fallu maintenir cette délégation ? Même si vous avez un devoir de réserve, étant dans le cadre d'une commission d'enquête, je me permets de vous poser la question.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Un rapport d'information sénatorial, déposé en novembre 2019, préconisait de pérenniser la Dirmom – c'était l'objet de sa recommandation n° 40. Il est vrai que nous avons pu, de façon collégiale et avec le concours de tous, atteindre nos objectifs et même les dépasser. Cela étant, on peut prendre le projet de différentes façons. Pour ma part, je pense qu'il est important d'avoir ce code génétique qui permet de travailler en mode intégrateur avec tout le monde, en circuit direct.

L'action se prolonge dans une autre structure dont je ne connais pas l'organisation ni le fonctionnement. Cette thématique si prégnante au niveau national avait conduit à prôner la création d'un secrétariat général à la prévention des risques auprès de Matignon. On peut imaginer différentes formules. La Dirmom était une structure très agile, constituée autour de cinq personnes travaillant avec l'ensemble des acteurs et pouvant compter sur les services centraux et déconcentrés de l'État ainsi que sur les opérateurs de l'État. Cela nous a permis de démultiplier les effets et de donner du rythme, ce qui est très important.

Le sujet est fondamental pour les outre-mer. C'est vraiment la base de travailler à la réduction de la vulnérabilité de ces territoires, de renforcer leur résistance et leur résilience aux aléas. Dans ces territoires éloignés ou enclavés, la majeure partie de la population vit sur les littoraux qui sont très exposés. Les outre-mer sont aussi riches d'enseignements : les travaux du professeur Frédéric Leone, portant sur les évacuations en cas de tsunami aux Antilles, trouvent une application dans le Sud de la France.

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Nombre des personnes que nous avons auditionnées nous ont aussi parlé de transversalité et de circuits courts, comme vous venez de le faire. On ressent la nécessité de créer des ponts entre les connaissances scientifiques, les retours d'expérience, les décisions administratives et les territoires. Je ne vous demanderai pas de commenter mon propos, mais je tiens à dire qu'il me semblerait utile que la Dirmom soit rétablie. Si la Délégation à la sécurité routière a pu faire évoluer les choses, par exemple, c'est parce qu'elle s'est inscrite dans le temps long.

Dans votre propos liminaire, vous avez évoqué la préparation d'un projet de loi. Je n'en ai pas le souvenir alors que j'ai plutôt tendance à m'intéresser aux projets et propositions de loi traitant de l'outre-mer. Pourriez-vous nous en dire plus ?

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Tout d'abord, en réponse à la première partie de votre question, je vous dirais que nous avons eu des retours très positifs de la part des territoires. À la fin de la mission, on nous a souvent dit qu'il fallait un guichet unifié pour la prévention et la gestion des risques, qui travaille avec tous les territoires et soit vraiment à leur écoute.

S'agissant du projet de loi sur les risques majeurs en outre-mer, qui avait été annoncé, notre mission était de proposer des mesures. Annick Girardin, alors ministre des outre-mer, s'était saisie du sujet car elle était très sensible à cette cause. Le projet de loi a été élaboré par le ministère des outre-mer, en lien avec la Dirmom et d'autres. Il a ensuite été validé par le cabinet de Matignon et le secrétariat général du Gouvernement. Mais l'agenda parlementaire a été bouleversé par la crise sanitaire, la priorité étant donnée au confinement et au plan de relance. Le projet de loi n'a plus émergé.

Dans notre rapport d'activité 2019-2020, nous donnons la synthèse des consultations territoriales. À l'époque, j'étais convaincu d'une chose : si nous devions travailler sur un projet de loi de cette nature, il fallait absolument consulter les territoires les plus concernés par ces aléas. J'avais soumis l'idée à l'Élysée et à Matignon, qui l'avaient retenue. Une circulaire du Premier ministre avait lancé les consultations territoriales, qui ont été vraiment très inspirantes et stimulantes. La Réunion, Mayotte, la Martinique et la Polynésie française, en particulier, ont apporté de fortes contributions. Il était très important que les plus concernés puissent s'exprimer, sachant que l'idée était de faire de ce projet de loi une locomotive, entraînant derrière lui des textes infra-réglementaires, des éléments de doctrine et des guides. Le projet de loi devait faciliter un portage politique et stratégique de la thématique.

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J'en déduis qu'il est resté dans un carton, et j'en profite pour lancer un message au Gouvernement par-delà cet écran : puisqu'il semblerait que nous ayons du mal à remplir l'agenda parlementaire, cela pourrait être une bonne idée de le ressortir et d'en faire quelque chose car il a dû demander un travail considérable. J'imagine qu'il n'a pas été publié, mais s'il existe des comptes rendus des contacts que vous avez eus avec les collectivités locales pendant cette période de préparation, ceux-ci pourraient nous être très précieux.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

La synthèse est à la fin de notre rapport d'activité 2019-2020. Je vous ai communiqué les documents de synthèse de travaux et le rapport d'activité, en plus de votre questionnaire renseigné.

Dans le premier rapport d'activité, vous trouverez la synthèse de ces riches consultations qui ont vraiment orienté les mesures proposées : mieux se préparer à l'aléa avant qu'il ne survienne, en particulier par l'acculturation au risque ; aller vers une meilleure intégration du confortement parasismique et paracyclonique ; améliorer l'efficacité des pouvoirs publics pour agir en temps de crise et actionner des procédures dérogatoires. Nous proposions un dispositif technique original à titre expérimental : l'état de calamité naturelle exceptionnelle (Ecne). Les procédures ainsi déclenchées par les autorités permettaient aux opérateurs de réseaux secs et humides de rétablir un service minimum, et de simplifier la remise en état des copropriétés. Nous proposions aussi de rendre obligatoire les journées de prévention avec exercices.

Ces mesures peuvent trouver d'autres véhicules que le projet de loi, et il reste tout un travail infra-réglementaire à faire sur des guides et des plans d'action. Les réactions des territoires nous ont conduits à proposer l'élaboration de feuilles de route territoriales sur la prévention et la gestion des risques avec l'ensemble des parties prenantes. Il s'agit de se mettre d'accord sur un plan d'action, d'établir des priorités, de répartir les responsabilités et les moyens pour donner du rythme et avancer, sachant que les démarches doivent être adaptées à chaque territoire – nos outre-mer ont des points communs mais aussi des spécificités.

Nous avons donc fait des propositions relevant du domaine législatif ou réglementaire, et établi des feuilles de route territoriales. Mais, à l'issue de nos travaux, nous avons aussi identifié un besoin : celui de disposer d'un centre de ressources sur les risques naturels outre-mer, capable de mutualiser l'information, chaque territoire étant très intéressé par ce qui se fait dans les autres. Notre lettre d'information a été plébiscitée, à notre étonnement, car c'était le premier outil de ce type.

Le besoin de mesures et de boîte à outils se fait aussi sentir face à un autre risque : l'élévation du niveau de la mer et le recul du trait de côte, dans des territoires où les populations vivent en majorité sur les littoraux. Il faut faciliter l'accès à l'information par les applications numériques sur les téléphones mobiles car certains de ces territoires sont très connectés, voire ultra-connectés comme c'est le cas de Mayotte.

Sans revenir sur le programme de campagne déjà mentionné, je pense qu'il faut développer davantage la culture du risque. Il est aussi nécessaire de travailler sur le post-aléa. Il se trouve que je suis arrivé quelques jours après l'ouragan Irma, en ayant eu l'occasion de travailler sur d'autres crises auparavant. Cette intervention, remarquable à de nombreux points de vue par la mobilisation des acteurs, nous a permis d'acquérir un très grand savoir-faire en matière de gestion de crise, d'urgence. En revanche, nous avons encore beaucoup à apprendre en matière de reconstruction post-aléa. Or les décisions prises au cours des premières heures et des premiers jours ont de grandes conséquences sur la trajectoire de reconstruction. Il est nécessaire d'acquérir une expérience aussi robuste dans ce domaine que dans celui de la gestion de crise.

Notre démarche consistait aussi à entrer dans une logique d'appréhension globale des aléas et à sortir de l'approche en silos. À cet égard, j'avais proposé de parler de plan risques Antilles plutôt que de PSA. Par le biais du plan de relance, nous avons d'ailleurs pu introduire une innovation dans le PSA3 : prévoir des actions de confortement à la fois parasismiques et paracycloniques. C'est très important de faire du confortement parasismique, mais, à quoi bon le faire si les toits s'envolent au premier ouragan alors que les enfants sont dans les écoles ? Il faut donc veiller à avoir une approche globale de la réduction des vulnérabilités.

Il faut aussi développer la pédagogie de l'assurance. L'Inspection générale des finances (IGF) et le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ont publié un très bon rapport sur la non-assurance outre-mer. Pour des raisons culturelles ou autres, de nombreux territoires sont très loin de l'assurance. Or celle-ci est essentielle, sur le plan financier mais aussi sur celui de l'accompagnement, pour relancer le territoire une fois l'aléa survenu. Une offre adaptée, d'entrée, pourrait faire entrer certaines personnes dans la démarche assurantielle et ouvrir l'accès au régime des catastrophes naturelles.

Nous avions suggéré ces quelques pistes pour compléter nos travaux sur ce sujet qui est fondamental pour les outre-mer, même s'ils en ont de nombreux autres à traiter. S'intéresser aux risques majeurs, c'est travailler sur le socle : quand un territoire est trop vulnérable, toutes les infrastructures et l'activité économique sont touchées, sans parler des conséquences sur les vies humaines. Dans ces conditions, à quoi bon faire des investissements massifs, qu'ils soient publics ou privés ?

Je me souviens d'un échange avec le président de la collectivité de Saint-Barthélemy, visant à l'inciter à s'engager dans un plan de prévention des risques (PPR). Nous nous nous étions rencontrés à de nombreuses reprises et nous avions développé beaucoup d'arguments. L'idée était peut-être en train de faire son chemin, mais l'élément déclencheur a été une question qui lui a été posée par des investisseurs américains : que faites-vous concrètement en matière de prévention des risques à Saint-Barthélemy ? Les choses ont alors changé assez vite et la collectivité a adopté un PPR. C'est fondamental pour l'image de nos outre-mer, les investisseurs, les entrepreneurs, l'activité touristique.

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Je suis bien d'accord avec vous : c'est en effet fondamental. Nous lirons avec attention l'ensemble des documents que vous nous avez transmis.

J'ai relevé que les préfectures avaient été très actives pour associer la population à la réflexion. Je suis très heureux d'apprendre que cela a été une réussite, mais déçu de constater que ce travail n'a pas pu prospérer en débouchant sur un projet de loi ou sur des évolutions réglementaires.

Vous avez évoqué l'assurance. Nous avons eu une audition un peu un peu étonnante des représentants de France Assureurs et nous avions précédemment auditionné des réassureurs. J'entends ce que vous dites sur la culture locale, mais il semblerait surtout qu'il y a un problème d'accès à l'assurance. On nous a indiqué que les assureurs refusaient de prendre en charge des biens qui se trouvent à moins de 130 mètres de distance du rivage, afin de ne pas prendre un trop grand risque compte tenu des possibilités de submersion.

Par-delà l'hypothèse selon laquelle les populations locales préfèreraient réparer elles-mêmes plutôt que de s'assurer – ce qui demande à être vérifié –, avez-vous constaté lors de votre mission des difficultés d'accès à l'assurance, par exemple en raison d'une forme de refus de vente par les assureurs ?

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

C'est un sujet assez vaste.

Dans ces territoires, beaucoup de gens n'ont pas la culture de l'assurance. Après Irma, on a constaté que seulement 20 % des bateaux étaient assurés – et pourtant beaucoup de leurs propriétaires étaient originaires de l'Hexagone. Quand on parle à des natifs, on se rend compte que le réflexe de s'assurer n'est pas évident. Nous avions identifié le problème et nous avons beaucoup travaillé avec les assureurs à ce sujet. Nous pensions qu'il était possible que les foyers modestes s'assurent davantage, à condition de proposer un produit d'appel qui ne coûte pas plus de 50 euros par an. Des solutions étaient envisageables et cela leur aurait permis de bénéficier de l'extension de garantie Cat nat.

Cela étant dit, les acteurs de l'assurance sont de grandes sociétés et le marché est mondial. Prévoir des produits aussi spécifiques pour une clientèle assez réduite n'est certes pas facile, mais cela serait très vertueux.

Je vous ai parlé de notre projet de campagne d'acculturation aux risques. Le préfet de la Martinique avait proposé de mener une action pédagogique précisément sur l'assurance, et les assureurs étaient d'accord pour activer leur réseau.

Nous avons mené une campagne à Mayotte à propos des phénomènes sismo-volcaniques afin de développer la culture du risque. Pour cela, nous avons souhaité utiliser un support créatif et original, susceptible de toucher les gens. Nous avons réalisé trois vidéos financées par l'assureur Allianz, avec des personnalités et influenceuses locales.

Les assureurs étaient volontaires pour participer à la politique de prévention, car ils en ont compris tout l'intérêt du point de vue financier. Ils ont estimé que 1 euro investi dans la prévention permettait en fin de compte d'en gagner au moins 7.

En plus des campagnes d'information, un produit d'appel est nécessaire, ce qui suppose d'élargir un peu l'offre pour que davantage de personnes s'assurent. France Assureurs a réalisé un retour d'expérience intéressant après l'ouragan Irma. Peu de temps après ce dernier, nous avons consacré beaucoup de temps à faciliter les versements par les assurances et on en a vu les effets très bénéfiques. Les retours d'expérience sous-estiment souvent les traumatismes psychologiques liés à l'occurrence de ce type d'aléas, mais il faut vraiment les prendre en compte car tout ne se réduit pas aux chiffres. Dès que cela a été possible, les PDG des grands groupes d'assurance sont venus à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin et ont formalisé leurs interventions. Le seul fait que les assureurs et les experts interviennent constituait une graine d'espoir pour les entrepreneurs et les particuliers. Le rôle de l'assurance était de ce point de vue très important, outre le fait qu'il permettait de relancer l'activité.

L'une de nos préoccupations était de maintenir les capitaux sur place, car certains investisseurs et entrepreneurs ont quitté Saint-Martin. Nous voulions absolument les retenir, car le territoire avait besoin de cette énergie pour se relancer.

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Nous aurions apprécié que la présidente de France Assureurs nous parle de ce retour d'expérience.

Quelle place ont occupé dans vos travaux l'existence d'un habitat informel parfois très développé et la présence de personnes dépourvues de statut légal ?

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Comme partout dans le monde, les populations en situation précaire outre-mer se trouvent dans les zones dangereuses.

Je me souviens d'une vieille dame à Saint-Martin qui vivait dans une habitation illégale située dans une zone ultra-dangereuse. Mais elle ne pouvait pas imaginer partir, car ses enfants étaient à proximité et qu'elle ne se voyait pas aller dans un Ehpad. La dimension culturelle et psychologique est donc très importante.

Il est aussi question d'anticipation. Dans certains territoires, les collectivités disposent de foncier – je pense notamment à Quartier-d'Orléans à Saint-Martin, qui avait été complètement inondé – et où un opérateur est présent. Il est donc possible de trouver des solutions de logement social.

Un autre exemple m'a vraiment marqué et nous l'avions d'ailleurs fait figurer dans notre lettre d'information, ce qui a permis à ce dernier de beaucoup circuler – j'avais en quelque sorte une activité de plombier si l'on considère l'énorme quantité de mises en relation réalisée. Le gouvernement de la Polynésie française avait lancé le concept de logement individuel en bois (fare OPH), destiné précisément à des populations précaires vivant dans des zones à risque. Il s'agit d'un habitat modulaire, construit sur pilotis en utilisant le plus possible des matériaux locaux. La cinquième génération résiste à des vents de 200 kilomètres par heure et la sixième jusqu'à 350 kilomètres par heure. Ce dispositif mis en place par l'Office polynésien de l'habitat a permis à des populations d'accéder à la propriété. Lorsque nous avons visité ces logements, nous avons vu que les gens avaient réalisé un rêve tout en étant installés dans un endroit sûr. C'est une opération très intéressante et tout le monde s'y retrouve.

Nous avons bien diffusé cet exemple dans les outre-mer car il est inspirant.

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Le foncier est très contraint outre-mer et, surtout, il est très largement indisponible, soit pour des raisons coutumières, soit du fait du nombre des successions en indivision – cette dernière cause étant de loin prédominante.

Comment avez-vous abordé ce problème lors de votre mission ?

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Ce sujet très important présente plusieurs facettes.

Il y a tout d'abord des problèmes d'exactitude du cadastre. J'ai été surpris de voir que les services de l'État adressaient parfois des courriers à des personnes nées en 1843 et à des adresses improbables…

Nous nous sommes mis d'accord avec les îles du Nord, qui étaient très volontaires, pour lancer une opération pilote d'actualisation du cadastre et en tirer des enseignements pour le faire à Saint-Martin, où le contexte est très particulier et très compliqué.

C'est un point absolument essentiel. Dans le cadre du plan sargasses, un industriel allemand était prêt à expérimenter une unité de traitement. Nous l'avions mis en contact avec les collectivités mais il n'a pas été possible de trouver le foncier nécessaire.

Il faut mettre à jour les cadastres et utiliser les terrains possédés par un certain nombre d'acteurs publics pour réaliser des projets d'intérêt commun – et je ne m'étends pas sur les actions déjà engagées par l'agence des cinquante pas géométriques.

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Votre témoignage est parfois un peu triste parce que vous parlez systématiquement au passé. On a le sentiment que ce travail n'a pas été vraiment pris en compte, ce qui est un peu dommage.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

J'en parle au passé pour des raisons chronologiques. J'ai été nommé en Conseil des ministres le 15 mai 2019 et la mission de la Dirmom s'est achevée en juillet 2021. Je témoigne à propos de cette période. Comme j'ai ensuite changé d'affectation, je n'ai pas continué à suivre ces questions. Je ne doute pas qu'un certain nombre de travaux engagés se poursuivent, mais je ne suis pas en mesure de porter une appréciation sur leurs résultats.

Vous m'avez également interrogé par écrit sur mon avis sur le plan sargasses 2. La Dirmom en avait fourni une première mouture en juin 2021, en formulant un certain nombre de propositions. Je les retrouve bien dans le plan finalement adopté, mais je ne peux rien vous dire au sujet de la mise en œuvre de ce dernier.

Ne suivant plus ces questions depuis juillet 2021, je ne dispose ni de la compétence ni de la légitimité pour évaluer les actions menées depuis lors.

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Si les sargasses faisaient partie de vos compétences, c'est bien qu'elles étaient considérées comme une catastrophe naturelle.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

C'est une très bonne question.

La lutte contre les sargasses a été ajoutée dans l'escarcelle de la Dirmom à la fin de sa mission. Les sargasses ne sont pas une catastrophe naturelle au sens réglementaire et elles n'entrent pas dans le champ du fonds Barnier, mais leurs conséquences peuvent être assez terribles.

Lorsque nous avons pris ce dossier en main, nous avons eu la chance de pouvoir nous appuyer sur le premier plan sargasses, mis en place dans l'urgence dès 2018. Nous avons jugé que cette première expérience était positive et l'avons utilisée comme socle pour le plan sargasses 2, qui prévoyait des évolutions en matière de gouvernance. Il est vraiment important que ce type de plan soit décliné territorialement.

Nous avions pu constater que, malgré les financements mis à disposition par l'État, le plan d'équipement des collectivités n'était pas achevé. Nous avons donc proposé de mener une action dans le cadre du programme des interventions territoriales de l'État (Pite) – ce qui a été accepté – car cet outil financier a fait ses preuves.

Les travaux de recherche, développement et innovation (RDI) avaient démarré lors du plan sargasses 1. On nous a demandé de réactiver la dizaine de projets sélectionnés dans le cadre de l'appel à projet sargassum. L'effort a été amplifié par le plan sargasses 2 car beaucoup de solutions viendront de la recherche.

L'accent a aussi été mis sur la coopération. Des événements internationaux ont par ailleurs permis d'annoncer le lancement de coopérations dans les Caraïbes, ce qui n'est pas chose facile. Tout cela va dans la bonne direction.

En revanche, je ne peux pas vous donner d'informations sur la mise en œuvre du plan sargasses 2, car je n'ai plus joué un rôle actif à partir de juillet 2021.

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On a le sentiment bizarre que beaucoup de choses ont été interrompues alors qu'on était au milieu du gué.

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J'ai le même sentiment. Un gros travail a été fait et on a l'impression que tout a été interrompu brutalement.

Nous le regrettons d'autant plus qu'une mission inter-inspections va prochainement être lancée en ce qui concerne l'érosion côtière outre-mer. Elle complètera le travail déjà effectué lors de la première mission inter-inspections réalisée dans le cadre du Comité national du trait de côte. Les inspecteurs pourront se rapprocher de vous : vous pourrez leur en dire beaucoup et cela permettra de ne pas refaire ce qui a déjà été fait.

L'érosion côtière n'est pour l'instant pas couverte par les assurances et elle n'est pas considérée comme un risque naturel majeur. J'espère que nous parviendrons lors du prochain projet de loi de finances à apporter une solution heureuse à ce problème, qui concerne notamment les territoires ultramarins.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Une mission inter-inspections va également commencer à travailler sur la question des incendies de végétation liés au changement climatique outre-mer. La lettre de commande est en cours de signature par les quatre ministres commanditaires.

Il y a un lien avec la question de l'assurance – également valable dans l'Hexagone – car les assureurs pourraient jouer un rôle important en matière de prévention et d'information auprès de leurs clients. On pourrait par exemple imaginer un système de franchises et de bonus-malus pour faire mieux respecter les obligations légales de débroussaillement.

Les assureurs sont des acteurs économiques très importants et leur rôle est essentiel lorsqu'il s'agit de relancer un territoire et les entreprises qui y sont implantées.

Un certain nombre de risques, dont le risque incendie, ne sont pas pris en compte dans les territoires ultramarins. Mais la dynamique du changement climatique y fait apparaître des signes très préoccupants.

En outre, ces territoires doivent faire face aux risques sismiques. Nous nous étions penchés sur la question avec des scientifiques et, en plus du phénomène sismo-volcanique à Mayotte, on sait que des essaims de séismes se produisent autour de la Martinique. Les travaux de confortement sont donc essentiels. Une étude du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a montré qu'un séisme d'ampleur à la Martinique se traduirait par 30 000 victimes.

Dans le même temps, il faut arriver à intéresser les assureurs. Du fait de l'occurrence successive d'aléas, le groupe AXA est parti de nombreux territoires d'outre-mer, même s'il reste parfois présent par le biais de contrats flotte internationaux liés aux aérodromes. Il est important que les territoires ultramarins restent attractifs pour les assureurs, car l'on voit bien qu'une forme d'érosion de celle-ci est à l'œuvre.

En Europe et en France, nous avons la chance d'avoir un système assurantiel solide, adossé à la réassurance. J'ai été témoin des situations dramatiques vécues par des familles d'entrepreneurs de Saint-Martin qui s'étaient assurés aux États-Unis ou du côté hollandais de l'île auprès de compagnies qui ne tenaient absolument pas la route.

Pour conserver l'attractivité de l'outre-mer, il ne faut pas rajouter de trop fortes contraintes. Tout cela doit passer par un dialogue avec les assureurs. Nous en avions eu un très constructif avec France Assureurs et des grands groupes comme Generali et Allianz, mais aussi avec Bercy.

L'assurance est un élément essentiel pour l'avenir et le développement des territoires ultramarins.

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Vous avez parlé des échanges d'expériences que vous aviez organisés entre les territoires. C'est intéressant car ce n'est pas parce que la spécificité de ces derniers est réelle qu'il ne faut pas multiplier les échanges – notion que l'on a parfois tendance à oublier.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Nous sommes tous des individus différents, mais nous aspirons tous pour l'essentiel aux mêmes choses. Il en va de même pour les territoires, d'où la nécessité de partager les expériences. Cela ne constitue cependant pas une habitude. Des instances existent pour conduire de tels échanges au plus haut niveau de la gouvernance des collectivités, mais nous avons ressenti un vrai besoin pour que cela soit fait en ce qui concerne les projets et les savoir-faire. Comme nous avons pu le constater à de nombreuses reprises, certaines pratiques peuvent être transposées dans des contextes complètement différents si elles sont adaptées intelligemment.

Les territoires ultramarins présentent en effet de nombreuses caractéristiques communes, comme l'isolement, l'éloignement, l'enclavement, la densité de population dans les zones littorales ainsi que les questions relatives aux télécommunications et à l'arrivée des secours en cas de catastrophe. Il faut donc considérer globalement les outre-mer tout en prenant en compte la spécificité de chaque territoire. Les deux approches sont très complémentaires.

La mission qui m'avait été confiée a été passionnante et stimulante. Il y avait une véritable envie partagée d'avancer. Dans les territoires ultramarins, on n'a pas forcément l'habitude de travailler ensemble. Mais le fait de définir une feuille de route territoriale et de mettre en place une gouvernance qui rassemble toutes les parties prenantes – les collectivités, les assureurs, les ONG, les experts, les scientifiques et les services de l'État – a tout changé. Lors des consultations territoriales, on a constaté que cela avait permis d'engager une véritable dynamique. Des territoires ont continué à avancer sur certains sujets. En tout cas, il y avait un terreau propice et une véritable attente.

La prévention et la gestion des risques concernent bien des domaines – le social, le développement, la santé et la sécurité – et c'est bien pour cela qu'il s'agissait pour la Dirmom de travailler avec huit ministères. Étudier un territoire à travers le prisme de ses vulnérabilités aux aléas et de la résilience est éminemment révélateur.

Quelle est la leçon que je tire de cette expérience ?

Tout d'abord, les aléas s'imposent à nous. Autant en tirer des éléments positifs pour avancer.

Ensuite, il y a bien entendu un lien entre l'état de vulnérabilité d'un territoire et ses aléas. Mais ces derniers permettent aussi de mettre en lumière des dysfonctionnements. J'avais coutume de dire que, dans un certain nombre de cas, respecter le droit constituerait déjà un grand pas en avant et un facteur de résilience.

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Nous avons procédé à un large cycle d'auditions. Pour autant je n'exclus pas, le cas échéant, de demander au président de vous entendre de nouveau afin de vous poser d'autres questions à la lumière des prochaines auditions.

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Frédéric Mortier, ancien délégué interministériel aux risques majeurs outre-mer (Dirmom)

Je reste à votre entière disposition.

La Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer procède à l'audition ouverte à la presse de la tale ronde « Polynésie française – Volet Collectivité et Élus », réunissant : Le Gouvernement de la Polynésie française - Direction de l'environnement (DIREN), M. Virau Tuterai, chargé d'affaires de la cellule Eau ; Mairie de Punaauia, MM. Simplicio Lissant, maire, Nicolas Bertholon, 2ème adjoint au maire, Taimana Ellacott, directeur de cabinet du maire, Raimoana Anding, directeur du développement urbain (DST) et Mme Nanihi Bertrand, cheffe du service études et aménagements (SEA).

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Pour cette table ronde consacrée à la collectivité de Polynésie française et aux élus municipaux, nous accueillons, en visioconférence, M. Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française. Nous serons rejoints dans quelques instants par des élus municipaux de la commune de Punaauia.

Cette audition est ouverte à la presse et retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc, monsieur Tuterai, à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(M. Virau Tuterai prête serment.)

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de participer aux travaux de votre commission. Je suis chargé de projet au sein de la cellule Eau, où je me concentre particulièrement sur les rivières et les milieux aquatiques. Parallèlement, je suis fortement impliqué dans les dossiers liés aux bouleversements climatiques, en particulier dans la concrétisation d'un partenariat entre Météo-France et le pays portant sur la modélisation du climat, car nous manquons beaucoup de données. Je travaille également avec l'Office français de la biodiversité (OFB) dans le cadre de plusieurs protocoles d'évaluation relatifs aux têtes de bassins-versants, afin de comprendre le comportement de nos cours d'eau et les inondations qui surviennent.

La Diren est placée sous l'autorité de la vice-présidente de la Polynésie française. Nous sommes engagés, y compris dans le cadre de conventions de partenariat en matière de sécurité et de résilience, pour affronter les risques naturels et les défis du changement climatique. Nous devons mettre en place des stratégies d'adaptation rapide pour faire face aux impacts déjà perceptibles sur les phénomènes météorologiques d'envergure tels que les pluies diluviennes ou les sécheresses extrêmes.

La Polynésie française est un territoire archipélagique, qui se déploie sur une surface aussi grande que celle de l'Union européenne – 4 167 kilomètres carrés – et présente des spécificités climatiques. Les cinq archipels sont tous confrontés à une série de risques naturels principaux – cyclones tropicaux, tempêtes, pluies diluviennes et inondations, tsunamis… –, variables selon les territoires. Les conséquences de ces phénomènes peuvent être dévastatrices pour les populations, les infrastructures et l'économie. Il existe différents facteurs de vulnérabilité, en fonction de la géographie – les îles basses des atolls ne rencontreront pas les mêmes problèmes que les îles hautes, les infrastructures sont différentes, etc.

S'agissant de la réglementation et des plans d'urgence, c'est la direction de la construction et de l'aménagement (DCA) qui s'occupe de la gestion des risques, mais nous collaborons avec eux sur les problèmes d'aménagement du territoire. Des plans d'urgence et des stratégies de prévention sont déployés.

Les mesures d'adaptation et de résilience sont essentielles. Le service chargé de l'énergie a élaboré le premier plan climat, en collaboration avec d'autres services du pays et en partenariat avec les communes, qui sont des acteurs déterminants. La sensibilisation du public est un défi en soi.

Nous constatons déjà, en Polynésie, les effets du changement climatique. Il est nécessaire d'anticiper et d'identifier les efforts supplémentaires pour mieux nous préparer.

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Nous avons été rejoints par nos invités de la commune de Punaauia : M. Simplicio Lissant, maire ; M. Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire ; M. Taimana Ellacott, directeur de cabinet du maire ; M. Raimoana Anding, directeur du développement urbain ; et Mme Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements.

Je vais vous demander de prêter à votre tour le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, comme l'impose l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

(M. Simplicio Lissant, M. Nicolas Bertholon, M. Taimana Ellacott, M. Raimoana Anding et Mme Nanihi Bertrand prêtent successivement serment.)

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Simplicio Lissant, maire de Punaauia

Nous sommes heureux de participer à ces échanges. Notre commune a été pionnière dans la mise en place d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN). Depuis plus de cinq ans, nous menons – assez difficilement, il faut bien le dire – un processus de révision de ce document. Nous espérons en terminer cette année.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

Dans le questionnaire qui nous a été transmis, vous nous demandez de rappeler les phénomènes climatiques majeurs qui ont touché notre commune et de présenter les facteurs de vulnérabilité de notre territoire.

Dans notre PPRN, trois aléas sont cartographiés : les inondations, les submersions marines et les mouvements de terrain. Le plan actuel ne répertorie aucun risque comme étant de niveau majeur, mais le processus de révision pourrait conduire à désigner comme tel le risque de submersion marine. Notre commune compte en effet 11 kilomètres de littoral.

Tous les archipels de Polynésie française sont exposés aux vents forts et aux cyclones. C'est un risque dont on peut dire qu'il est majeur, mais qui n'est pas répertorié dans le PPRN. Nous n'avons pas non plus les règles de construction adéquates.

Je reprends l'historique. S'agissant des inondations, nous avons fait face, en 1998, à une inondation majeure de la Punaruu, avec des effets catastrophiques. En 2017, deux cours d'eau ont débordé : les rivières Punaruu et Matatia. Plus récemment, en 2022, nous avons connu des érosions de berge. Au début de cette année, nous avons à nouveau frôlé la catastrophe avec la rivière Punaruu.

Nous avons aussi connu des éboulements et des glissements de terrain, qui ne sont pas médiatisés parce qu'ils restent de faible ampleur et qu'ils n'ont heureusement pas fait de victimes. Mais il y en a tous les ans.

Avec le changement climatique, les houles étant de plus en plus fortes, nous constatons des dégâts sur la frange littorale.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Les plus jeunes ne s'en souviennent pas, mais nous avons aussi connu, dans les années 1980, des cyclones absolument dévastateurs. À certains endroits de Tahiti et des Tuamotu, 80 % à 90 % des habitations ont été détruites.

J'ajoute à ce qu'a dit Mme Bertrand que la rivière Maruapo a aussi débordé récemment. À la suite de ces événements, la collectivité a dû engager des travaux et reconstruire les ouvrages d'art qui avaient été touchés. Les conséquences de ces phénomènes sont donc importantes, sur les infrastructures comme sur les habitations.

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Votre réflexion soulève la question de la mémoire et de la culture du risque. La résilience dépend d'abord des bons réflexes des habitants face à l'aléa, si brutal et traumatisant soit-il. Comment vous coordonnez-vous avec le gouvernement de la Polynésie française pour promouvoir cette culture ?

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

En Polynésie française, la culture est souvent transmise à l'oral. Nous écoutons beaucoup les anciens, les matahiapo. Les interactions entre générations sont nombreuses. Lors de la révision de notre plan général d'aménagement (PGA) – l'équivalent du plan local d'urbanisme (PLU) en métropole –, nous avons intégré une réflexion sur la culture et la mémoire de tous les événements passés. Cela relève d'une volonté communale, subjective. La coordination des communes entre elles, mais aussi avec d'autres entités comme avec le tissu associatif, est essentielle pour laisser des traces et les transmettre à l'échelle du pays. Nous aimerions, grâce à votre commission d'enquête, disposer de davantage de leviers pour conserver l'information, pour prévenir et pour agir quand une catastrophe survient.

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Simplicio Lissant, maire de Punaauia

Nos anciens avaient une culture du risque. Ils évitaient par exemple d'installer leur habitat en bordure de rivière ou sur le rivage, et leurs maisons étaient souvent construites sur pilotis pour éviter la submersion.

À la suite des gros cyclones de 1983 et des années 1990, qui s'étaient accompagnés de mouvements de terrain sur le territoire communal, l'ancien conseil municipal a entrepris, dans les années 2010, de mettre en place un PPRN en essayant d'associer au mieux la population. La communication a parfois été difficile. Le processus de révision en cours provoque aussi des réactions assez vives chez nos concitoyens, notamment chez ceux dont les terrains sont classés en zone rouge. C'est le problème que nous devons gérer en ce moment : comment rendre ce PPRN acceptable pour tous ? Car les risques sont bien réels.

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

La première prévention consiste à élaborer un document d'aménagement. Mme Bertrand vous l'a dit, notre PPRN intègre trois aléas, même s'il en existe d'autres qui ne sont pas cartographiés. Il ne faut pas oublier un aléa naturel souvent mis de côté : le feu de forêt. Nous en avons eu deux au cours des trois dernières années ; ils n'étaient pas majeurs mais tout de même difficiles à maîtriser. Quand on parle du changement climatique, on pense aux pluies intenses, mais nous connaissons aussi des périodes très sèches de plus en plus longues. La végétation de la côte ouest est dangereuse en cas de sécheresse : les falcatas, arbres à petites feuilles, sont de véritables poudrières.

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

Les cyclones tropicaux de 1982 et 1983 – Orama, Veena, William, etc. – furent très concentrés et intenses : six perturbations cycloniques ont successivement frappé les îles polynésiennes en cinq mois. Cet enchaînement d'événements a causé la mort de seize personnes, fait 200 blessés et entraîné de nombreux dégâts qui ont affecté 25 000 sinistrés et coûté plusieurs milliards de francs Pacifique – environ 84 millions d'euros.

Ces cyclones ont profondément marqué la population et ancré une culture du risque en Polynésie. Dès qu'une alerte cyclonique est lancée, les gens se ruent dans les magasins pour acheter de la nourriture et des cordes destinées à attacher leur toit : des réflexes se sont créés, qui font désormais partie de la culture locale. Il convient néanmoins d'approfondir la culture du risque, ne serait-ce que pour que la mémoire de ces événements traumatiques ne se perde pas. Dans cette optique, il y a lieu de définir des consignes adaptées aux territoires et aux communes.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Lorsque j'étais enfant, dans les années 1970 et au début des années 1980, on ne nous parlait jamais d'événements climatiques violents. Ma famille est originaire de Takaroa et de Takapoto, des atolls du nord ; quand j'allais en vacances chez mes grands-parents, la première chose que je voyais, le point le plus haut de cette région qui est un peu comme le plat pays de Jacques Brel, c'étaient les mâts d'un clipper hollandais qui s'était échoué lors du cyclone de 1906, lequel avait fait de nombreuses victimes et causé beaucoup de dégâts. Entre cet événement, qui avait marqué les esprits, et les cyclones des années 1980, on avait l'impression que tout allait bien, que le mauvais temps était limité à la saison des pluies, et on avait un peu oublié que, parfois, la nature peut se fâcher.

Or, comme il vient d'être dit, nous avons connu une succession très rapprochée de dépressions tropicales, dont certaines sont devenues des cyclones, dans les années 1980. La Polynésie française est aussi étendue que l'Europe, de sorte que certains cyclones peuvent concerner une partie du territoire mais pas le reste, et leur parcours peut être erratique : l'un d'eux a même fait une boucle pour passer deux fois au même endroit. Un autre, Orama ou Veena, a frappé durement Tahiti où il a causé d'importants dégâts. La culture du risque et la mémoire de ces événements sont très ancrées chez nous.

Des automatismes, facilités par les moyens de communication modernes, se sont créés. Jusque dans les années 1980 et 1990, il n'existait que douze stations synoptiques de Météo-France pour toute la Polynésie française, alors qu'il y en a une tous les 50 kilomètres en métropole, ce qui permet de prévoir à la minute près l'arrivée du moindre cumulonimbus qui va entraîner des précipitations. Même si nous étions en mesure d'installer un dispositif équivalent, on ne mettrait pas des stations au milieu de l'océan ! Nous n'en disposons pas moins de moyens satellitaires impressionnants. Au début de l'année, nous avons ainsi pu suivre, minute par minute, de nuit comme de jour, deux dépressions. Ces outils ont affiné notre perception des aléas climatiques.

Les moyens de communication se sont aussi beaucoup améliorés. Depuis quelques années, des sirènes s'enclenchent le premier mercredi de chaque mois, cet exercice étant destiné à préparer la population à d'éventuelles alertes au tsunami.

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La prévention passe par une connaissance précoce des événements. J'imagine que vous travaillez avec Météo-France : comment vous coordonnez-vous ? Avez-vous des besoins, notamment dans la mise à disposition des données météorologiques et satellitaires ? Y a-t-il des corrections à apporter dans ce domaine ? Une commission d'enquête vise aussi à aider les acteurs auditionnés.

La répartition des compétences en matière d'aléas et de risques naturels majeurs est-elle suffisamment claire ?

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

En 2021, le pays a signé un partenariat avec Météo-France, ce qui lui a donné accès à certaines données météorologiques essentielles pour la connaissance de l'environnement et l'aménagement du territoire, dont sont chargées la Diren, qui gère le domaine public fluvial, et la DCA, responsable des PPRN. Ce partenariat est ce qu'il est ; nous essayons d'avoir de plus amples informations. Nous avons encore des dispositifs vétustes et mal adaptés : pour récupérer certaines données, il faut pouvoir crapahuter plusieurs kilomètres en montagne. Des discussions sont en cours avec Météo-France au sujet de l'installation d'un radar qui nous permettrait de connaître plus précisément les phénomènes météorologiques.

Peut-être conviendrait-il de faire évoluer quelque peu la répartition des compétences. La protection des biens et des personnes relève des compétences du pays, mais la partie régalienne qui correspond à la protection civile incombe à l'État. Les communes, le territoire et l'État doivent se coordonner, par exemple en cas d'inondations – des plans sont élaborés à cet effet.

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Taimana Ellacott, directeur de cabinet du maire de Punaauia

Aux yeux des élus et les fonctionnaires, les compétences sont bien réparties, mais les citoyens sont beaucoup moins familiarisés avec les différentes couches de compétences, la décentralisation et la déconcentration. La population voit avant tout le maire, qui joue un rôle beaucoup plus important qu'en métropole : il est la porte d'entrée administrative et politique et il règle tous les problèmes, y compris ceux qui ne relèvent pas de son domaine de compétences. Cette situation arrange bien les élus du pays, qui se défaussent sur nous alors qu'ils détiennent la compétence générale, les communes ayant des compétences attribuées. La plupart des communes polynésiennes demandent à bénéficier de la clause générale de compétence, comme en métropole.

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Simplicio Lissant, maire de Punaauia

Comme le disait M. Tuterai, nous avons besoin de moyens supplémentaires, comme des radars, afin d'appréhender plus précisément les phénomènes météorologiques. En Polynésie, même à Tahiti, les microclimats sont nombreux, d'où l'importance d'améliorer les prévisions.

Des procédures ont été mises en place pour perfectionner la transmission des informations, notamment météorologiques. Les techniciens de Météo-France disposent de nombreuses données, et l'État joue le rôle d'interface entre l'opérateur, d'une part, et les communes et le pays, de l'autre. Lors des derniers épisodes climatiques dangereux, nous avons bénéficié de la réactivité de l'État – nous avons reçu des alertes par SMS et des messages nous demandant d'activer le plan communal de sauvegarde (PCS). La culture du PCS est désormais bien ancrée dans toutes les communes, qui font montre de réactivité pour répondre aux besoins et préparer la population avant que le phénomène météorologique ne se produise.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

L'anticipation des phénomènes météorologiques est un enjeu majeur. Il a été question d'installer à Moorea, l'île située en face de Tahiti – il y a 20 kilomètres de chenal entre nous –, un radar météo qui couvrirait tout Tahiti.

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

Absolument. Ce projet d'installation d'un radar météorologique à Moorea, dont le rayon couvrirait toute l'île de Tahiti, visait à accroître les données disponibles, notamment dans des vallées où il n'y a même pas de pluviomètres.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Météo-France peut nous prévenir que le ciel est couvert, qu'il va y avoir du mauvais temps, que le vent sera tel ou tel, mais ne dispose pas d'outils permettant de savoir à quel moment et à quel endroit précis un cumulonimbus va se former et créer un événement météorologique localisé.

Il y a quinze jours, nous avons tenu, dans l'un des quartiers de la commune, une réunion publique portant sur la question de l'eau potable. En l'espace d'une demi-heure, le temps s'est dégradé et des précipitations diluviennes, accompagnées d'éclairs, se sont abattues sur nous : des débordements d'eau ont eu lieu, rendant la circulation difficile. Le week-end suivant, le même phénomène s'est produit dans la commune de Papara, sans que Météo-France ait pu le prévoir : les pluies ont eu des conséquences cataclysmiques et un homme a été emporté par la rivière dans la nuit du samedi au dimanche – son corps a été retrouvé le lendemain matin au large de la commune. Nous savions que le temps allait se dégrader, mais nous ignorions que des précipitations très importantes allaient s'abattre localement, dans cette commune. Il est très difficile d'imaginer certains cours d'eau se transformer en torrents dévastateurs ; cela arrive pourtant dans les rivières de la côte nord de Tahiti. En France métropolitaine, des événements comparables ont déjà eu lieu dans le Sud, vers Nîmes, Béziers ou Narbonne.

J'ai cru comprendre que le futur radar météo allait nous permettre de recevoir des alertes dans les deux heures précédant ce type de phénomènes, qui n'existaient pas en Polynésie il y a dix ou vingt ans.

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L'une des difficultés semble aussi être la disponibilité de personnel qualifié, spécialisé dans la gestion du risque. En Polynésie française, la dispersion des îles habitées sur une superficie équivalente à celle de l'Europe ne facilite pas les choses. Comment traitez-vous ce problème ? La culture traditionnelle du risque permet-elle aux populations d'avoir leur propre résilience ?

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

À l'échelle communale, le PCS est déclenché lors d'un événement majeur. Selon l'ampleur de cet événement, il est piloté soit par le maire, soit par le haut-commissaire. Nous travaillons de plus en plus sur nos moyens humains et nos équipements, et nous montons en puissance. Il existe désormais des groupes de travail conjoints avec la direction de la protection civile (DPC), un service du haut-commissariat. Mais nous regrettons l'absence d'un plan d'organisation général à l'échelle de l'île, un plan de référence au niveau de l'État, et d'exercices suffisamment fréquents, annuels par exemple. L'organisation repose sur l'expérience de tous, tirée du passé.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Lors de la révision de notre PGA, nous avons mis en avant la notion de coconstruction avec les habitants. C'est dans ce cadre que nous pouvons retenir les informations, les coucher sur le papier et les transmettre : nous entretenons le contact avec les anciens, qui permet la transmission orale à partir de laquelle nous établissons un écrit. Ainsi, nous gravons leur mémoire dans le marbre pour qu'elle ne se perde pas et profite aux générations futures.

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

Anticiper les événements météorologiques permet de mettre les populations en sécurité. Mais il faudrait aussi corréler les données aux résultats de l'observation de terrain. Récemment, nous avons connu plusieurs dépressions, qui n'étaient pas « méchantes » prises une par une, mais dont la succession a gorgé le sol d'une eau qui n'avait pas le temps de s'évacuer. Il faut donc observer le niveau des cours d'eau pour articuler cette information à celles concernant l'événement météorologique imminent et comprendre qu'une pluie a priori normale va entraîner une catastrophe parce que le milieu est dégradé.

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Simplicio Lissant, maire de Punaauia

Une équipe de policiers municipaux effectuait des tournées régulières pour observer ce qui risquait de poser le plus de problèmes, dont les cours d'eau qui ont tendance à déborder. C'est un exemple de ce que nous avons mis en place lors de tels événements.

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

Au niveau du pays, il est vrai que des exercices plus fréquents seraient nécessaires pour anticiper au mieux les catastrophes.

On parle d'inondations mais, comme l'a dit Raimoana Anding, il y a aussi des périodes de sécheresse. Notre partenariat avec Météo-France nous rend attentifs aux vagues de chaleur extrême et au réchauffement des eaux des lagons. À plusieurs reprises, les côtes polynésiennes ont été affectées, notamment aux Marquises, où des milliers de poissons sont morts. À Punaauia, au niveau de l'embouchure de la Punaruu, dès qu'il n'y a plus assez d'eau, cela provoque une anoxie qui tue les poissons. Il ne faut pas négliger ces épisodes, qui doivent eux aussi être anticipés.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

En Polynésie, seule l'alerte tsunami existe. C'est elle qui est testée le premier mercredi du mois lors de l'exercice que la population connaît et qui fait partie de la culture du risque. En revanche, nous n'avons pas d'alerte pour les crues comme en métropole.

Pour les événements cycloniques récents, il y a eu des alertes, par l'intermédiaire des médias. Elles ont bien fonctionné. En revanche, lors des inondations catastrophiques dans le Sud de l'île l'année dernière, peut-être faute d'anticipation, aucun système d'alarme n'a été créé.

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Si j'ai bien compris, les vagues de submersion entraînent chez vous une érosion côtière assez forte et inquiétante.

Comment assurez-vous la surveillance des feux de forêt de plus en plus fréquents, et de quels moyens disposez-vous pour les combattre ?

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

La commune dispose de moyens classiques, comme les camions à bras élévateur, mais nous n'avons pas d'hélicoptères ni d'hydravions en Polynésie. Le Dauphin, qui appartient à l'État, vient prêter main-forte. C'est nécessaire, car certaines zones sont peu accessibles et il n'y a pas toujours de pistes agricoles ou forestières pour faire barrage à la progression du feu ou, tout simplement, y accéder. La commune va acquérir prochainement des drones pour assurer la surveillance et planifier les interventions des pompiers. Mais le principal problème est l'accessibilité des sites, ainsi que le peu de réserves d'eau disponibles sur place – une vraie difficulté, surtout en période de forte sécheresse.

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Il n'y a donc pas de plan de prévention et de lutte contre les feux de forêt ?

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

Non.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

Contrairement à ce qui se passe en France métropolitaine, en Polynésie française, le foncier est majoritairement privé : le domaine naturel n'appartient ni aux communes, ni au pays, ni à l'État. Cela réduit beaucoup nos marges d'action sur les hauteurs, là où se trouvent principalement les forêts.

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Dans l'Hexagone, 75 % des forêts sont privées. Pourtant, l'État intervient pour lutter contre les feux de forêt.

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Dans un territoire d'une telle étendue et d'une telle diversité, le prépositionnement des outils de lutte contre les aléas et des provisions en eau, en nourriture ou en médicaments suppose une logistique incroyable. Comment faites-vous ? Que pensez-vous de l'action de l'État lorsqu'il s'en occupe ?

Vous avez parlé des méthodes traditionnelles de prévention. Les populations ont toujours su gérer ces aléas, même s'ils sont plus violents qu'auparavant. Comment institutionnaliser cette mémoire, la faire entrer dans les règlements à titre d'outil de prévention ?

Cette question a aussi un aspect plus technique. Dans les Tuamotu, j'ai vu un bâtiment conçu pour résister à la submersion et aux ouragans. Développez-vous ce type de construction, ou des innovations permettant de mieux faire face aux aléas ?

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

En ce qui concerne l'approvisionnement, en Polynésie, la religion est très ancrée dans la culture et les communautés religieuses s'organisent ; la commune entretient des liens naturels avec elles pour désigner des zones de repli ou assurer l'approvisionnement. Nous recevons aussi des dons, comme lors des derniers épisodes. Dans le cadre du PCS, nous travaillons aussi avec les commerces : nous leur demandons de nous ouvrir les portes pour le ravitaillement, et nous faisons les comptes ensuite. Il y a beaucoup de solidarité spontanée. Tout cela se fait très facilement.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

Ce contexte est celui de Punaauia, située sur Tahiti, l'île principale. En ce qui concerne les Tuamotu et les îles plus éloignées, je suppose que vous parliez de l'abri de survie, mais nous ne pourrons pas vous répondre au sujet de cette organisation.

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Virau Tuterai, chef de projet « rivières et milieux aquatiques » à la direction de l'environnement (Diren) du gouvernement de la Polynésie française

Aux Tuamotu, plusieurs abris de survie ont été installés. Dans la plupart des cas, ce sont les mairies qui sont surélevées à l'aide de pilotis de trois mètres de haut et des réserves d'eau sont constituées en quantité suffisante pour faire face à une pénurie ou à une catastrophe. Ces abris font l'objet d'un programme du gouvernement.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

En ce qui concerne la submersion marine et les inondations, la leçon du retour d'expérience est la surélévation des constructions. Elle est prise en compte dans la révision du PPRN et a été étudiée avec le pays.

S'agissant de la résistance au vent, notre réglementation n'a pas évolué depuis 1983. Elle s'applique uniquement aux bâtiments publics et aux établissements recevant du public (ERP).

La puissance publique, au niveau de l'Office polynésien de l'habitat, a créé ce qu'on appelle les fare MTR (mission territoriale de la reconstruction), des logements individuels conçus pour résister aux vents violents. Mais cela ne concerne pas l'habitat individuel classique.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Au niveau de la mairie, avant d'émettre notre avis sur les demandes de permis de construire qui nous sont soumises, nous vérifions qu'elles respectent les différentes réglementations et le PGA. Nous envoyons ensuite le dossier à l'administration du pays – en l'occurrence la DCA –, qui finalise la procédure.

La réglementation s'arrête aux limites indiquées par Mme Nanihi Bertrand s'agissant des vents violents, mais il est de tradition que l'administration vérifie que les constructions respectent des normes anticycloniques. De toute façon, cela relève du bon sens : qui irait emprunter des millions de francs Pacifique pour construire sa maison sans tout mettre en œuvre pour qu'elle résiste à un vent cyclonique, au risque de la perdre l'année suivante ? Il s'agit donc d'une démarche volontaire, conforme aux préconisations des services, communaux ou du pays, qui délivrent les mêmes consignes.

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

Il en résulte des conséquences financières pour les personnes qui construisent, et tout le monde n'adopte pas cette démarche – personnellement, j'y ai fait attention, mais parce que je suis sachant. Il n'existe pas de mécanisme permettant d'aider les gens à se conformer à la réglementation.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Il y a bien une aide instituée par le pays, d'un certain montant en fonction de la surface construite, mais elle est réservée aux primo-constructeurs, aux jeunes ménages, et tout le monde n'en a pas forcément connaissance. Les petits ménages se concentrent sur l'obtention du permis de construire et sur la nécessité de se loger ; ils ne voient pas ces aspects-là.

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Raimoana Anding, directeur du développement urbain de la mairie de Punaauia

L'étude coûte à elle seule 5 000 euros.

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La couverture assurantielle vous semble-t-elle suffisante ? Est-ce un problème chez vous ?

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

Vaste sujet ! La compétence du pays en matière de droit des assurances est inscrite dans le statut de la Polynésie française : nous ne pouvons donc pas accéder aux fonds « Cat nat » ni Barnier. C'est la principale difficulté. Nous avons un PPRN approuvé et appliqué, mais pas de mécanisme de compensation qui nous permettrait de déloger les populations des zones à risques majeurs. En cas de sinistre dû à un événement majeur, l'assurance habitation ne permet pas d'accéder au fonds Cat nat. Le code de l'aménagement polynésien ne prévoit pas non plus l'échelle du programme d'action pour la prévention des inondations (Papi), alors que celui-ci permet de bénéficier des fonds de dédommagement.

En Polynésie, il n'est pas obligatoire de souscrire une assurance habitation. On le fait généralement lorsqu'on sollicite un prêt immobilier, et les particuliers résilient leur contrat dès qu'ils ont obtenu celui-ci. Selon une estimation du Comité des sociétés d'assurance (Cosoda), le taux de souscription de l'assurance habitation est de moins d'un tiers en Polynésie française. Outre qu'il n'est pas possible d'accéder au fonds Cat nat, les assureurs ne proposent pas tous une couverture des risques naturels. La garantie « tempête, ouragan, cyclone » (TOC) n'est qu'une option, à laquelle certains assureurs, très peu nombreux, associent la garantie « inondation » et « glissement de terrain ».

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Est-ce un problème ou la situation reste-t-elle gérable ?

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

C'est un problème majeur. Nous avons déjà un gros travail d'information et de pédagogie à effectuer, en lien avec le pays, au sujet du PPRN : nous devons expliquer à la population qu'il est dans son intérêt de protéger les biens et les personnes. Or, quand les habitants nous demandent comment ils seront dédommagés ou comment ils peuvent se mettre aux normes, nous n'avons pas de réponse à leur apporter.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

Quand nous avons instauré le PPRN, beaucoup de terrains ont été déclarés inconstructibles du fait de la délimitation des zones rouges. Les propriétaires ont eu du mal à le comprendre. Il s'agissait de prévention, pour leur éviter d'être confrontés à un événement grave comme un glissement de terrain, mais on ne peut pas faire le bonheur des gens malgré eux. Les réunions publiques que nous organisons dans le cadre de la révision du PPRN sont très sportives ! Les gens montent tout de suite au créneau. Ils se demandent pourquoi on leur a imposé cette réglementation qui dévalorise leur terrain et pourquoi il faudrait, pour construire, faire procéder à des études qu'ils n'ont pas les moyens de financer. Ils nous interrogent sur l'existence d'aides publiques. C'est cornélien.

Que faire ? Par le passé, le pays avait un fonds pour les catastrophes, mais pour l'ensemble de la Polynésie française. Aujourd'hui, nous nous sentons démunis. On nous a demandé d'instaurer une réglementation protectrice pour nos populations, mais nous avons l'impression d'être pris dans un piège réglementaire. Pour nous, élus de proximité, en relation directe avec nos administrés, ce n'est pas facile.

Nous manquons vraiment de moyens. Nous sommes à 20 000 kilomètres de la France hexagonale, mais nous connaissons les fonds Cat nat et Barnier. On nous dit que c'est pour des raisons statutaires que nous n'y avons pas accès. Mais, en tant que citoyens français de la Polynésie, nous nous demandons comment nous pourrions en bénéficier. Nous avons fait le job ; maintenant, on nous laisse tout seuls en nous disant « bon courage ». Cela nous gêne un peu.

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Simplicio Lissant, maire de Punaauia

J'ajoute qu'il y a de gros problèmes fonciers en Polynésie. Le manque de foncier dans la partie en plaine, où il est facile de construire, pousse les familles dans les zones montagneuses, exposées à des risques majeurs, donc classées en zone rouge. Nous ne pouvons leur proposer des aides, ne serait-ce qu'en vue de financer des études ouvrant la voie à des travaux d'aménagement ou de consolidation pour pouvoir tout de même construire sur une partie de leur terrain. Cela exacerbe les réactions négatives et l'incompréhension.

Il y a deux ans, le pays a tenté de constituer un fonds d'intervention d'urgence au bénéfice des collectivités en cas de phénomène climatique. Il s'agissait qu'elles cotisent elles-mêmes et ponctionnent les fonds intercommunaux de péréquation (FIP) de manière à constituer une enveloppe pour financer les réparations nécessaires des édifices leur appartenant. Cela n'a pas abouti, car les communes étaient contre : on venait puiser dans des fonds destinés à d'autres équipements, sans jamais envisager de revoir le code polynésien des assurances.

Il y a une réflexion à mener en ce sens pour que les collectivités et, surtout, les particuliers soient correctement assurés. Actuellement, les assureurs n'ont aucune obligation de proposer la couverture de ces risques. Les citoyens n'ont plus qu'à subir les conséquences des événements.

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Je crois que nous arrivons au terme de cette table ronde.

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Nanihi Bertrand, cheffe du service Études et aménagements de la mairie de Punaauia

J'aimerais préciser, à propos de l'incompréhension de la population dont il était question tout à l'heure, que les communes polynésiennes qui n'ont pas de PPRN sont soumises à un « atlas des risques », qui est connu de la DCA mais pas de la population. La commune de Punaauia ne sait pas ce qu'il en est des communes limitrophes, par exemple. Il y a donc un flou dans la gestion des risques naturels. Nous avons nous-mêmes du mal à faire la différence entre cet atlas des risques, notre PPRN et le projet de schéma de gestion des risques naturels (SGRN) qui doit être mis en place à l'échelle de la Polynésie française.

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Nicolas Bertholon, deuxième adjoint au maire de Punaauia

C'est en effet un élément important. En tant qu'élus, nous avons pris nos responsabilités, je le disais, mais la communication est difficile. L'atlas des risques n'est pas connu du grand public : lorsque la DCA, en analysant un dossier, pointe tel ou tel risque, les gens tombent souvent des nues. Avec le PPRN, nous avons joué la carte de la transparence : lorsqu'on veut déposer un dossier, on sait d'emblée à quoi s'en tenir. C'est l'avantage que nous avons : les gens nous critiquent très en amont !

(Sourires.)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à tous. Belle journée en Polynésie française !

La séance est levée à vingt heures vingt.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur la gestion des risques naturels majeurs dans les territoires d'outre-mer

Réunion du jeudi 21 mars 2024 à 15 heures

Présents. – M. Mansour Kamardine, Mme Sophie Panonacle, M. Guillaume Vuilletet