Intervention de Jérémie Iordanoff

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérémie Iordanoff, rapporteur :

Cette proposition de loi constitutionnelle, déposée en mars 2023, a été cosignée par plusieurs de mes collègues écologistes et des membres de groupes de gauche. Elle a pour objet de rendre l'article 49 de la Constitution respectueux de la représentation nationale, dans un contexte de dérive de la pratique de la Ve République, marqué par un fort niveau de défiance envers les institutions et un flagrant déséquilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. N'en déplaise à ceux qui m'ont affirmé le contraire, le sujet est très sérieux.

Cette proposition ne vise que le seul article 49, parce que, dans le cadre d'une niche parlementaire, nous sommes contraints par le temps. J'aurais eu, sinon, grand plaisir à réécrire la Constitution dans son ensemble.

Même si elle est réelle, j'aimerais dépasser la charge symbolique de l'article 49, alinéa 3, et apporter des arguments de fond, issus des auditions passionnantes que nous avons conduites. Je tiens à remercier ici tous les universitaires auditionnés, professeurs de science politique comme constitutionnalistes. Avec leur éclairage, nous avons repris la genèse de la Ve République pour penser les équilibres institutionnels sur le temps long – le sujet réclame de prendre du recul et de se détacher de l'actualité. Je remercie également l'ancien Président de la République François Hollande et l'ancien Premier ministre Manuel Valls, qui ont accepté d'apporter un point de vue plus politique sur cette proposition de loi.

Cette proposition de loi constitutionnelle concerne le cœur de l'équilibre institutionnel de la Ve République. Elle est simple et concise dans sa formulation : en premier lieu, nous proposons de modifier l'alinéa premier de l'article 49 de la Constitution en imposant à tout gouvernement nouvellement formé de demander à l'Assemblée nationale un vote de confiance ; en second lieu, nous souhaitons supprimer l'alinéa 3 de l'article 49.

Dès l'origine, la Ve République a été marquée par un déséquilibre entre les pouvoirs au profit de l'exécutif : avec l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, décidée en 1962 et appliquée en 1965, puis avec le passage au quinquennat et la synchronisation du calendrier électoral en 2000.

Cette hyper-présidentialisation du régime aboutit aujourd'hui à une impasse. Parce que tout tourne autour de l'élection présidentielle, les autres institutions sont dévitalisées. Les élections législatives sont rendues invisibles et l'Assemblée nationale est reléguée à l'arrière-plan. Toutes les attentes de nos concitoyens sont tournées vers la figure providentielle du Président de la République qui, chef de la majorité, préside et gouverne, se faisant tout à la fois arbitre et protagoniste. Tout le reste est écrasé et certains diraient que nous sommes en monocratie.

Lorsque le fait majoritaire prévaut, le contrat est simple : le président élu a un mandat pour exécuter son programme, avec le soutien d'une majorité de députés. En 2017, Emmanuel Macron s'était inscrit dans ce schéma classique ; il avait un programme, des idées présentées durant sa campagne et une majorité. En 2022, la situation était différente. Emmanuel Macron n'a pas proposé de programme précis, et sa campagne avait été vaporeuse. Il a été élu au second tour, avec le soutien des voix de la gauche pour écarter Marine Le Pen. Il avait reçu mandat pour battre l'extrême droite, plus que pour réaliser un programme.

En juin 2022, les Français lui ont envoyé un message clair, en refusant de lui donner une majorité, fait rare depuis que l'élection législative suit l'élection présidentielle. L'intelligence politique aurait commandé de tirer les conclusions du verdict des urnes, de reconnaître qu'il n'y avait pas de majorité autour d'un programme, de tout remettre à plat et de chercher une majorité sur de nouvelles bases. Emmanuel Macron a choisi de considérer, comme d'autres avant lui, que l'article 49, alinéa 1er, de la Constitution n'imposait pas à sa Première ministre d'engager sa responsabilité sur un programme ou une déclaration de politique générale. Il a décidé d'ignorer le résultat des urnes et de nommer sciemment un gouvernement minoritaire.

Comment gouverner sans majorité ? La réponse tient en trois chiffres : 49.3. Trois chiffres pour effacer des milliers d'amendements et faire avaler aux députés, sans débat ou presque, deux budgets, deux lois de financement de la sécurité sociale et une réforme des retraites. Trois chiffres pour faire oublier le péché originel du gouvernement Borne : l'absence de vote de confiance.

Alors qu'il était initialement conçu comme un mécanisme exceptionnel, l'article 49, alinéa 3, est devenu, sous le gouvernement Borne, la procédure de droit commun pour faire adopter les textes financiers sans débat. Or, ne l'oublions pas, les parlements sont nés pour garantir le consentement à l'impôt. En d'autres termes, l'usage actuel du 49.3 prive le Parlement de sa vocation essentielle et dénature les institutions.

Ce qui a été conçu comme un instrument de stabilité devient facteur d'instabilité. Chaque utilisation du 49.3 est vécue par nos concitoyens comme une brutalité. Chaque fois, cela alimente une colère qui ne trouve pas d'exutoire au sein d'une Assemblée réduite au silence dès le début de la discussion. Cela sème un peu plus la division, non seulement au sein de l'hémicycle, mais aussi dans la société. Devenu un facteur de troubles, de dissension et d'agitation, le 49.3 contribue aujourd'hui à la défiance envers les institutions.

Parce que nous sommes convaincus que les conflits doivent se résoudre avant tout au sein des institutions, nous entendons redonner à l'Assemblée nationale tout son rôle.

Cela passe, dans un premier temps, par un retour à la pratique orthodoxe de la Constitution. Si chaque nouveau gouvernement devait se soumettre à un vote de confiance devant la représentation nationale, les mouvements politiques n'auraient pas d'autre choix que de s'asseoir autour de la table pour trouver une majorité sur un programme. Dès lors que le Gouvernement disposerait d'une majorité pour la mise en œuvre d'un programme déterminé, l'utilisation du 49.3 deviendrait inutile.

Toute comparaison à l'emporte-pièce avec les IIIe et IVe Républiques traduit soit une mauvaise foi assumée, soit une méconnaissance de l'histoire politique française. Sous la IIIe République, le droit de dissolution était tombé en désuétude dès 1877 et l'échec de Mac Mahon, et il était tellement encadré sous la IVe République qu'il apparaissait quasiment impossible à mettre en œuvre. Cela a grandement contribué à l'instabilité gouvernementale sous ces deux régimes. Tel n'est pas le cas sous la Ve République, dont l'article 12 de la Constitution garantit une arme très puissante au Président de la République. Une seule motion de censure a été adoptée, le 5 octobre 1962, ce qui prouve la puissance dissuasive du droit de dissolution – y compris dans l'actuelle législature. C'est bien ce pouvoir, qui n'est pas remis en cause par notre proposition de loi constitutionnelle, qui assure la stabilité des gouvernements sous la Ve République, pas le 49.3.

En outre, la Ve République donne à l'exécutif bien d'autres outils que le 49.3 pour assurer la stabilité et surmonter l'obstruction. Nous ne connaissons que trop bien le vote bloqué, le temps législatif programmé ou encore les articles 47 et 47-1, que je vous invite à relire : ils encadrent la durée de l'examen des projets de loi de finances (PLF) ou de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et permettent au Gouvernement, par recours aux ordonnances, de légiférer et ainsi éviter tout shutdown à l'américaine.

D'aucuns nous diront que la culture de coalition n'existe pas en France, qu'il est impossible de gouverner sans la confiance présumée de l'Assemblée nationale et l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. Pourtant, l'Histoire a montré le contraire : Lionel Jospin a gouverné cinq ans, dans un contexte où aucun parti n'avait de majorité. Parce qu'il a su bâtir une coalition solide, prenant acte de la composition morcelée de l'Assemblée, Lionel Jospin n'a jamais eu recours au 49.3 ; François Fillon non plus.

Il est possible de gouverner sans brusquer le Parlement, c'est-à-dire en le respectant, à condition de s'en donner les moyens ; c'est l'esprit de cette proposition de loi.

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