Intervention de Emmanuel Fernandes

Réunion du mercredi 27 mars 2024 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuel Fernandes :

L'accès à la nature est une question d'intérêt général, un enjeu de santé publique, une source d'épanouissement. De nombreuses activités culturelles ou touristiques dépendent du franchissement respectueux des forêts. Or des espaces naturels entiers sont privatisés : 75 % des forêts sont privées dans l'est de l'Hexagone, le taux atteignant 90 % dans l'Ouest.

Cette situation était globalement vivable, fondée sur une forme d'entente tacite. Cependant, depuis le 2 février 2023 et l'adoption d'un texte proposé par le MODEM, le fragile équilibre normatif entre propriétaires et promeneurs a volé en éclats. À présent, le seul fait de pénétrer dans une propriété privée, dont le propriétaire aurait placé un marquage, est pénalement répréhensible.

Du jour au lendemain, un sentier pratiqué depuis des générations dans le parc naturel régional des Ballons des Vosges à Rimbach-près-Guebwiller, dans la belle vallée de la Doller, dont je suis originaire, a été saccagé par son propriétaire pour en interdire l'accès. À Villeneuve-Loubet, près de 80 % des espaces naturels de la commune ont été interdits d'accès par le marquis de Panisse-Passis. Un autre marquis, celui de Quinsonas-Oudinot, interdit des centaines d'hectares au cœur de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. Quel est le point commun entre ces trois terrains ? Aucun d'entre eux n'était auparavant engrillagé. Pourtant, c'est en contrepartie du désengrillagement des propriétés, que l'infraction pénale de franchissement de la propriété d'autrui a été introduite dans la loi.

Protéger l'environnement des pollueurs et des pilleurs est nécessaire, mais en interdire l'accès à toutes et tous est contre-productif. La loi permet déjà de sanctionner les excès, mais les maires ou les agents de police de l'environnement se retrouvent souvent sans moyens pour appliquer leurs prérogatives. Dans leur quasi-intégralité, les sentiers de randonnée de France sont ainsi menacés de fermeture à terme.

Ces propriétaires font donc un emploi totalement à rebours de l'esprit de la loi du 2 février 2023 et des débats de notre assemblée. Comme dans d'autres domaines, on constate ici qu'en système capitaliste les intérêts particuliers s'affirment toujours au détriment de l'intérêt général. Ils le font pourtant sous le sceau de la légalité, avec la bénédiction de la portion du Parlement qui a voté en faveur de cette loi. Il convient donc de corriger cela. C'est pourquoi le groupe LFI-NUPES votera en faveur de la proposition de loi.

A contrario, l'extrême droite a choisi de se faire le relais des marquis et des grands propriétaires terriens, plutôt que des usagers, respectueux de la nature et du travail méticuleux des milliers de bénévoles des associations de randonneurs. Une promenade, c'est une sorte de fenêtre ouverte de liberté gratuite pour de nombreuses familles rurales. En voulant supprimer l'abrogation de la pénalisation de l'accès à la nature, le Rassemblement national fait preuve, une fois de plus, d'une parfaite déconnexion avec les problématiques de nos territoires ruraux.

L'accès à la nature est une nécessité, un besoin, une évidence. Parce qu'il est d'intérêt fondamental, il doit en découler un droit collectif, celui de pouvoir accéder à la nature. Ce droit doit être garanti dans la loi, comme c'est le cas dans les pays scandinaves – il l'est même dans la Constitution suédoise depuis 1994. En France, ce droit doit nécessairement aller de pair avec l'exigence de protection des cycles de reproduction des écosystèmes. C'est ce à quoi s'emploient la Fédération française de randonnée pédestre et, en Alsace, le Club vosgien.

Des milliers de bénévoles remplissent une mission essentielle de protection des espaces naturels, en gérant les flux de promeneurs, en sensibilisant ceux-ci au respect de l'environnement, tout en entretenant les espaces naturels. Nous proposerons donc de nous reposer sur cette cartographie fine pour y créer des servitudes de passage, en nous inspirant de la loi « littoral », afin de protéger la continuité des sentiers de randonnées pour un accès respectueux de la nature pour toutes et tous.

Il nous faut revenir à la raison. Laissons les promeneurs se promener et les randonneurs randonner. Ne permettons pas que les caprices de quelques propriétaires terriens puissent donner à d'autres la mauvaise idée de mettre en œuvre de tels projets égoïstes. L'accès à la nature doit être considéré comme un droit universel. Dépénalisons-le.

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