Intervention de Alexis Izard

Réunion du mercredi 12 octobre 2022 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Izard, rapporteur pour avis :

« Entreprendre consiste à changer un ordre existant » : ainsi Joseph Schumpeter définissait-il l'innovation, dans son ouvrage sur la théorie de l'évolution économique publié en 1911. L'innovation ne se limite pas à la découverte d'une invention, elle participe aussi à son introduction dans le champ social et à la massification de ses usages. L'histoire de l'industrie européenne est émaillée des audaces technologiques qui ont permis de faire émerger le monde moderne. Le moteur à explosion a ainsi conquis ses lettres de noblesse lors de la course Paris-Bordeaux de 1895, qui fut également l'occasion pour Édouard Michelin de montrer l'intérêt des pneus en caoutchouc gonflables.

L'innovation ne naît pas toute seule, elle nécessite un effort d'investissement et un environnement propice à la diffusion de la connaissance. Sur ce point, force est de constater que, depuis de nombreuses années, la France, patrie de l'automobile et du TGV, avait tendance à se reposer sur ses lauriers. Dans le classement mondial de l'innovation établi chaque année par l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, notre pays n'occupait plus que le vingt-quatrième rang mondial en 2012.

La France n'est toutefois pas restée inerte au cours de la dernière décennie. Dès 2009, Alain Juppé et Michel Rocard, coprésidents de la commission sur l'emprunt national, avaient déjà alerté sur la nécessité d'investir pour l'avenir afin d'« en finir avec la litanie des mauvaises nouvelles, avec cette vilaine paresse qu'est l'acceptation du déclin » De cette prise de conscience est né, en 2010, le programme d'investissements d'avenir (PIA), dispositif public de soutien à l'innovation massif, agile et protéiforme.

C'est bien cet outil de financement public qui est à l'œuvre derrière le campus de Paris-Saclay, le réacteur de recherche nucléaire Jules Horowitz de Cadarache ou la ferme agroécologique de l'Envol, dans ma circonscription, à Brétigny-sur-Orge, et qui a permis à notre pays de remonter à la onzième place mondiale en termes d'innovation, en 2021.

Avec le dispositif France 2030 annoncé en octobre dernier par le Président de la République, le PIA passe à la vitesse supérieure. Non seulement les montants en jeu sont considérables – plus de 50 milliards d'euros, si l'on ajoute aux 34 milliards votés l'an dernier, les 16 milliards du PIA4 –, mais la philosophie de ce plan témoigne également d'une volonté d'accélérer le mouvement : au-delà des programmes de recherche dirigés et des dispositifs de valorisation, les fonds publics ont désormais pleinement vocation à accompagner les acteurs industriels dans la diffusion de leurs technologies sur les marchés.

Ainsi, quand, voilà trois ans, l'État a choisi de soutenir le projet de gigafactory de batteries de la coentreprise ACC à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, son aide s'est étendue de la conception des machines et centres de recherche à la construction d'un corps de bâtiment offrant un haut degré de protection contre l'humidité – un environnement parfaitement sec est la condition nécessaire à la fabrication des batteries lithium-ion.

Le PIA et, désormais, France 2030 soutiennent l'installation de deux des trois gigafactories envisagées sur le territoire national à brève échéance. Selon les données fournies par les sociétés elles-mêmes, les projets français pourraient, avec 166 gigawattheures, couvrir en 2030 plus de 15 % des besoins du marché européen. Comme l'indiquait le Président de la République dans sa conférence de presse du 12 octobre 2021, il s'agit là d'une création de valeur dans la durée, qui aidera notre pays à rester maître de son destin dans le domaine de la mobilité électrique.

J'en viens au contenu de la mission Investir pour la France de 2030. À première vue, les crédits alloués aux programmes 421, 422, 423, 424 et 425 affichent une forte diminution entre 2022 et 2023, avec une baisse de 99 % en autorisations d'engagement et de 13 % en crédits de paiement. Cette évolution mathématique est trompeuse. C'est logiquement que les autorisations d'engagement diminuent cette année, car les 34 milliards d'euros inscrits dans la loi de finances de 2022 ont été intégralement consommés dès la conclusion d'un contrat entre le Secrétariat général pour l'investissement (SGPI) et ses quatre opérateurs : l'Agence nationale de la recherche (ANR), la Caisse des dépôts et consignations, l'Agence de la transition écologique (Ademe) et la Banque publique d'investissement (Bpifrance). Pour ce qui est des crédits de paiement, la diminution se concentre sur les trois premiers programmes – 421, 422 et 423 –, qui correspondent à la mise en œuvre des trois premiers PIA, actuellement en extinction.

En toute logique, les crédits alloués aux programmes 424 et 425, qui regroupent les fonds du PIA4 et de France 2030, progressent de plus de 4 % entre 2022 et 2023. L'année 2023 s'inscrit donc dans la parfaite continuité des orientations fixées l'an dernier.

Fidèle à la volonté du Président de la République d'insuffler un « esprit commando », le dispositif de France 2030 se distingue par l'absence de toute procédure-type, tout en étant réglé par des conventions entre le SGPI et ses opérateurs, puis entre ces derniers et les bénéficiaires des fonds. La cohérence d'ensemble est assurée par les services du Premier ministre et, par délégation, par les ministères concernés, au travers du pilotage de toute nouvelle mesure, qu'il s'agisse du lancement d'un appel à projets ou de la mise en place d'un grand projet de recherche dirigé, dit PEPR (Programmes et équipements prioritaires de recherche).

Cet encadrement national a son intérêt, puisqu'il substitue une stratégie et des moyens à une logique de guichet et de saupoudrage, décriée depuis longtemps par certains organismes de recherche tels que l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria). Tout au plus peut-on déplorer un excès de centralisme sur certaines étapes de procédure, ainsi qu'un empilement des acteurs peu propice à la lisibilité des procédures et à la réactivité dans la prise de décision. Tous les organismes de recherche et opérateurs de France 2030 ont souligné, lors des auditions, la longueur, parfois pénalisante, des délais de validation d'un PEPR ou de sélection des candidats à un appel à projets – deux ans pour la mise en place du PEPR Prezode, consacré aux pandémies d'origine animale.

Un effort doit donc être fait dans la simplification du dispositif : l'échelon central devrait intervenir uniquement en amont puis en aval, l'opérateur ayant vocation à être pleinement responsabilisé dans la constitution des instances d'expertise ou la présélection des dossiers. Incontestablement, ces lourdeurs ont contribué au retard pris dans la mise en œuvre des stratégies d'investissement relatives à l'agroécologie et à la santé numérique, deux des thématiques au cœur de l'avis que je vous présente.

Le troisième thème particulier que j'ai choisi d'explorer dans le cadre de mon rapport est celui des batteries électriques, une technologie dont les enjeux sont considérables.

L'Europe, qui a choisi de se détourner des véhicules thermiques en 2035, reste largement dépendante de la Chine, qui assure près de 80 % de la production mondiale de batteries au lithium-ion. Le géant chinois CATL représenterait à lui seul une capacité de production de 300 gigawattheures, soit près du tiers du marché mondial. Les quelque trente projets de gigafactories qui se développent actuellement sur le territoire de l'Union européenne ont, dès lors, vocation à empêcher que le marché de la mobilité individuelle sur notre continent soit indirectement aux mains de nos concurrents. L'expression « souveraineté européenne » prend ici tout son sens. Nos entreprises doivent couvrir à terme l'ensemble de la chaîne de valeur, depuis la matière première jusqu'à l'assemblage de la batterie dans le moteur du véhicule, voire sa réutilisation après usage.

À cet égard, les auditions que j'ai menées en vue du présent avis budgétaire ont renforcé deux de mes convictions.

La première est que rien ne pourra se faire sans l'appui de l'Union européenne. N'en déplaise aux contempteurs du marché unique européen, celui-ci permet aux États de coopérer afin d'aider directement des entreprises dans le cadre des projets importants d'intérêt européen commun (Piiec). Ainsi, le projet de gigafactory d'ACC n'aurait pu voir le jour sans l'appui de la France, pour 846 millions d'euros, et de l'Allemagne, pour 437 millions.

Les Piiec sont des outils propices à l'impulsion d'une véritable politique industrielle à l'échelle du continent. Saisissons pleinement cette opportunité : comme le recommandait Philippe Varin dans son rapport remis au Gouvernement en début d'année, toute la chaîne d'approvisionnement de l'industrie en métaux critiques, tels le lithium, le nickel ou le cobalt, doit bénéficier d'un large soutien des États membres de l'Union européenne au travers d'un Piiec dédié.

Ma seconde conviction est que l'absence de métaux critiques sur notre continent pourrait être partiellement compensée par le recyclage des batteries. Même usagée, une batterie au lithium-ion conserve encore plus de 70 % de sa capacité et peut être réemployée dans d'autres machines. Ses matériaux peuvent également être récupérés, qu'il s'agisse des aimants ou des systèmes électroniques. Or, et c'est regrettable, les activités de recherche sur le recyclage sont encore trop peu au cœur de France 2030 et laissées à la seule initiative privée.

Certes, des PEPR portant sur la recyclabilité des matériaux à titre général et sur les futures générations de batteries sont en cours de déploiement, mais l'étape intermédiaire qu'est la réutilisation de tous les composants des différents modèles de batteries existants est encore insuffisamment mise en œuvre. C'est pourquoi j'insiste, dans mon avis budgétaire, sur la nécessité d'élargir l'effort de recherche français à cette thématique du recyclage des batteries.

Le projet de budget pour 2023 se situe dans la continuité du plan annoncé l'an dernier. À ce titre, il doit être conforté.

Pour toutes ces raisons, j'émets un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Investir pour la France de 2030.

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