Intervention de Emmanuelle Anthoine

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 21h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Anthoine, rapporteure pour avis (Culture) :

Après deux années budgétaires 2020 et 2021 marquées par des mesures exceptionnelles, le projet de budget de la culture pour 2023 ne s'inscrit pas encore dans un retour à la normale. Si la réouverture des lieux culturels nous a réjouis et a permis aux Français de retrouver avec bonheur le chemin des musées, des théâtres et des salles de concert, beaucoup d'acteurs du secteur ont le sentiment qu'une crise a chassé l'autre.

En 2022, la fréquentation touristique n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise, ni pour les grands opérateurs comme Versailles ou le Louvre, ni pour les établissements culturels patrimoniaux de taille plus modeste. Les résultats sont toutefois meilleurs qu'espérés. Les touristes étrangers, particulièrement américains, ont commencé à revenir mais ce retour n'est pas encore d'actualité pour les visiteurs chinois et a fortiori russes.

Pour les grands établissements se pose d'ailleurs la question du niveau de fréquentation acceptable. Faut-il vraiment espérer retrouver devant La Joconde une cohue digne du métro parisien aux heures de pointe ? Des réflexions sont en cours pour continuer à lisser les entrées et étendre les plages d'ouverture afin d'améliorer le confort de visite. Cette reprise encore fragile s'accompagnera sans doute de l'apparition de nouveaux usages.

La reprise est aussi relativement lente, et très inégale, pour le spectacle vivant. Les comportements ont été profondément modifiés. Certains publics, plus vulnérables, hésitent à revenir dans des lieux jugés trop densément fréquentés, tandis que d'autres ont simplement perdu l'habitude de quitter leur domicile et privilégient désormais des loisirs plus casaniers, qui avantagent d'autres acteurs. Le rôle des réseaux sociaux, qui peuvent contribuer à remplir rapidement les salles, constitue également un phénomène nouveau. Dans l'ensemble, les professionnels du spectacle observent une forte augmentation des réservations de dernière minute, ce qui complique les prévisions de fréquentation.

Pour faire face à ces nouveaux défis et à de nombreux autres, les crédits de la mission Culture sont en hausse de 7,36 %, à 3,72 milliards d'euros en crédits de paiement (CP). Cette augmentation affichée sera toutefois amputée significativement par les effets de l'inflation.

Le programme Patrimoines s'élève à plus de 1 milliard d'euros, en hausse de 7,5 % par rapport à 2022. Il permet de soutenir les musées, les monuments historiques, l'architecture et le patrimoine des villes et villages.

Le patrimoine monumental bénéficie d'une hausse de crédits de 7,8 % par rapport à 2022. Afin d'investir dans la rénovation et la modernisation des établissements culturels, sont notamment prévus la revalorisation de la subvention d'investissement du Centre des monuments nationaux à hauteur de 3 millions d'euros et le renforcement des capacités d'investissement du musée d'Orsay à hauteur de 1,5 million d'euros.

S'agissant des grands chantiers, la restauration et l'aménagement du château de Villers-Cotterêts se poursuivent pour une ouverture au public prévue au printemps 2023. Ce calendrier pourra-t-il être tenu ? Où en est la définition du projet culturel de ce futur établissement dédié à la promotion de la langue française ?

L'État entend également valoriser le volet territorial de l'action patrimoniale par de grands projets, comme la restauration de la cathédrale de Nantes, de l'abbaye de Clairvaux ou du château de Gaillon.

Ce volet territorial comporte aussi de nouveaux crédits pour le plan Sécurité cathédrales et une augmentation de 2 millions d'euros pour le fonds incitatif et partenarial pour les collectivités à faible potentiel financier, portant ce dernier à 18 millions d'euros. Le patrimoine archéologique bénéficierait de 12 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2022, avec un soutien renforcé à la politique d'archéologie préventive, à travers une hausse des subventions allouées aux soixante-deux collectivités territoriales habilitées à réaliser des diagnostics archéologiques et une réévaluation importante du budget consacré aux fouilles programmées et à la valorisation scientifique du patrimoine archéologique dans les directions régionales des affaires culturelles. Nous ne pouvons qu'être favorables à ces revalorisations, que nous appelions de nos vœux dès 2018, dans le cadre de la mission flash sur le soutien au patrimoine immobilier protégé menée avec M. Raphaël Gérard.

Le programme Création permet de soutenir le spectacle vivant et les arts visuels. De nombreux dispositifs d'urgence et de soutien ont été mis en place pendant la crise par les opérateurs sectoriels, grâce auxquels aucune faillite n'a été à déplorer. Le jeune Centre national de la musique a été extrêmement réactif et, depuis 2020, a largement fait ses preuves. Se pose désormais la question de la pérennité de ses moyens financiers. Qu'en est-il de l'attribution de ressources suffisantes et stables à cet organisme ?

Pour soutenir la création, les artistes et les auteurs, le programme Mondes nouveaux sera reconduit pour une deuxième phase – le premier appel à projets avait donné lieu au dépôt de près de 3 200 dossiers. Avant de prendre une telle décision, il aurait été intéressant de disposer de premiers éléments de bilan. Quels critères ont été privilégiés par le comité artistique ayant sélectionné les projets ? Quelle a été la répartition territoriale des réalisations ?

S'agissant des opérateurs, le projet de déménagement du Centre national des arts plastiques à Pantin semble rencontrer des difficultés. Quelles sont perspectives concernant le calendrier des travaux ? À combien sont estimés les surcoûts occasionnés par le retard ?

Les crédits du programme Transmission des savoirs et démocratisation de la culture augmentent également, ce qu'on ne peut qu'approuver. Je m'interroge sur la pertinence de consacrer autant de moyens au pass culture. Celui-ci représente désormais 208,5 millions d'euros, soit un montant deux fois supérieur à celui consacré à la politique d'éducation artistique et culturelle (EAC), et on pourrait craindre qu'il ne prenne une place hégémonique, au détriment de celle-ci. Quelles garanties pouvez-vous apporter que l'EAC restera un pilier de la politique de transmission des savoirs et de démocratisation de la culture en faveur de notre jeunesse ?

Dans le volet thématique de l'avis budgétaire sur les crédits de la mission Culture pour 2023, j'ai choisi d'interroger les disparités territoriales pouvant exister dans la politique de conservation du patrimoine.

La matière est jugée complexe par les acteurs territoriaux, qui ne sont pas toujours en mesure de mobiliser l'expertise ou les financements nécessaires à sa bonne appréhension. Les interlocuteurs sont nombreux et les instruments juridiques parfois mal maîtrisés.

En 2018, l'État a tenté de proposer une stratégie pluriannuelle destinée à mieux valoriser le patrimoine territorial. En pratique, les acteurs interrogés ont eu du mal à en percevoir directement les effets.

Le loto du patrimoine et le fonds incitatif et partenarial devaient fournir des financements nouveaux aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés de monuments, protégés ou non, et permettre de mieux les accompagner. Malgré des moyens mobilisés relativement modestes, ces deux instruments ont donné satisfaction.

Malheureusement, cette stratégie n'a pas suffi à rétablir un véritable équilibre entre les sommes engagées en Île-de-France et dans les autres régions. La politique de conservation du patrimoine continue de profiter d'abord aux très grands opérateurs proches de Paris. Certes, leur taille et leur rayonnement international sont indéniables, mais il nous revient, en tant qu'élus de la nation, de veiller à ce que tous les territoires soient jugés également éligibles au soutien de l'État.

Ce soutien peut d'ailleurs ne pas être exclusivement financier. Il pourrait notamment passer par de plus amples moyens humains dans les services déconcentrés de l'État. Le ministère défend le principe d'une politique patrimoniale partenariale avec les collectivités territoriales mais celle-ci ne peut être mise en œuvre que si des interlocuteurs existent et sont disponibles sur le terrain. Or, si les représentants des collectivités territoriales louent les qualités des équipes des Drac, des conservations régionales des monuments historiques (CRMH) ou des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), ils déplorent unanimement leur trop faible présence et leur surcharge de travail. Nombre de ces services manquent structurellement de moyens et sont en situation de sous-effectif chronique. Je déposerai d'ailleurs un amendement visant à évaluer les moyens supplémentaires qui seraient nécessaires pour la création de nouveaux postes d'architectes des Bâtiments de France.

Je termine en rappelant que les dépenses de restauration du patrimoine les moins onéreuses sont celles qu'un entretien régulier aura prévenues. Or l'entretien du patrimoine, à toutes les échelles, reste le parent pauvre de la politique du patrimoine. Dans ce domaine, nous avons besoin d'opérer un changement de culture, grâce à une approche pluriannuelle des crédits consacrés au patrimoine et à des schémas directeurs pour les opérateurs.

En conclusion, ce budget comporte indéniablement des avancées mais présente également certaines faiblesses. Pour cette raison, je m'abstiendrai lors du vote des crédits de la mission Culture.

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