Intervention de Philippe Ballard

Réunion du mercredi 19 octobre 2022 à 21h35
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Ballard, rapporteur pour avis (Médias, livre et industries culturelles) :

Après trois années de crise, l'année 2023 aurait dû être celle du retour à la normale économique et budgétaire pour les principaux opérateurs et entreprises financés ou soutenus par les crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles. Mais à présent, elles sont face à un nouveau défi : l'inflation qui touche les coûts de production des œuvres et des biens. Le retour à la normale n'est pas pour demain et l'État devra poursuivre durablement son soutien aux industries culturelles françaises, par ailleurs bousculées par l'arrivée sur le marché national de plateformes étrangères, à la croissance exponentielle.

Dans le secteur de la production d'information comme dans la création cinématographique et audiovisuelle, les entreprises françaises ont besoin d'une régulation nationale forte pour les accompagner dans les transitions à venir et leur permettre de se battre à armes égales avec ces opérateurs étrangers peu soucieux du droit d'auteur et de l'exception culturelle française. De plus, je constate que les entreprises aidées pendant la crise sont aujourd'hui confrontées à des difficultés pour rembourser les prêts garantis par l'État (PGE). Un renforcement de leurs fonds propres aurait constitué une solution plus pérenne.

Je commence par le programme Presse et médias.

La progression des charges de l'Agence France-Presse est contenue, le plan d'économies ayant répondu aux objectifs fixés. Les marchés historiques – le texte et la photo – sont en recul, mais les nouveaux produits – l'investigation numérique et la vidéo – portent la croissance du chiffre d'affaires.

La réforme du portage et du postage n'est pas neutre pour les finances publiques. Il conviendra de s'interroger sur le partage des coûts entre les pouvoirs publics et les entreprises de presse. Il apparaît en outre que le postage a vocation à être abandonné au profit du portage. Le coût de l'aide est estimé à 72 millions d'euros, soit une hausse de 10 millions d'euros. La pérennité du système de distribution de la presse reste en question. Les deux opérateurs, France Messagerie et les Messageries lyonnaises de presse, bien que concurrents, devront réfléchir à un renforcement de leur synergie.

Les aides à la presse comprennent notamment l'aide aux éditeurs de presse et l'aide au pluralisme.

S'agissant de la première, les éditeurs de presse cherchent encore leur modèle économique dans un contexte de baisse de la diffusion, d'amoindrissement de leurs ressources publicitaires et de développement des plateformes numériques. S'ils ont pris le virage de la numérisation, ils ne doivent pas cesser de se moderniser. Pour eux aussi, les coûts explosent. À titre d'exemple, le prix du papier a été multiplié par deux.

S'agissant de la seconde, les aides directes se montent à plus de 14 millions d'euros, soit une hausse de près de 10 %. Les aides indirectes, substantielles, prennent la forme de plusieurs dispositifs fiscaux dérogatoires, qui constituent une partie significative des aides à la presse. On peut évoquer, par exemple, le taux de TVA à 2,1 %.

Concernant le soutien à l'expression radiophonique, l'aide aux radios associatives est accordée aux radios locales dont les ressources publicitaires sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires. Chaque année, environ 700 radios associatives bénéficient de ce soutien, qui représente en moyenne 40 % de leurs ressources. Ces crédits devraient connaître une nouvelle revalorisation.

Je souhaite que le contrôle de l'utilisation de ces fonds soit renforcé et que nous disposions de davantage de données sur les critères d'éligibilité et sur l'utilisation de l'argent public ainsi distribué. De l'aveu même du président de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), ces contrôles sont aléatoires.

La dotation en faveur de Médi1, radio franco-marocaine détenue à 86 % par des capitaux marocains, serait maintenue au même niveau que les années précédentes, à savoir 1,6 million d'euros. Pourtant, les récentes études d'audience montrent que la radio est passée de la deuxième à la septième place. Je souhaiterais donc que l'on étudie avec attention les performances de ce média et le contrôle du bon usage des fonds publics français.

J'en viens au programme Livre et industries culturelles. L'action 01 Livre et lecture, qui recouvre 91 % des crédits du programme, vise deux objectifs : d'une part, favoriser l'accès du public aux bibliothèques et le développement de la lecture ; d'autre part, soutenir la création et la diffusion du livre. N'oublions pas que nos librairies de centre-ville doivent affronter la concurrence des commandes sur internet.

Avec 228 millions d'euros d'autorisations d'engagement (AE) et 232 millions de crédits de paiement, la Bibliothèque nationale de France (BNF) est, du point de vue budgétaire, le plus important des établissements culturels.

Dans le secteur de la musique enregistrée, le CNM a dû gérer plusieurs aides exceptionnelles en raison de la pandémie, ce qui a triplé son budget de fonctionnement, qui devait être initialement de 55 millions d'euros annuels.

Le spectacle vivant a été parmi les premiers secteurs touchés par la pandémie et le dernier à reprendre son activité après la crise. Il en est résulté en 2021 un chiffre d'affaires inférieur de 80 % à celui de 2019. Il vit sa troisième année de crise, avec des entreprises endettées qui subissent non seulement l'inflation des prix de l'énergie et des matières premières, mais aussi celle des cachets des artistes, qui ont augmenté de 25 %. Par ailleurs, des tensions se font jour quant à la disponibilité des techniciens.

S'agissant de la musique enregistrée, le contexte est très différent : les plateformes de streaming ont continué à se développer et disposent de marges de progression supplémentaires pour l'avenir. Des facteurs d'inquiétude existent néanmoins du fait de phénomènes de concentration de la valeur sur certaines esthétiques musicales, notamment le rap.

Dans ce contexte, la recherche d'un nouveau financement pour le CNM est en débat. Je souhaite qu'aucune piste crédible ne soit exclue. Je pense en particulier à une taxation plus importante des ventes d'objets connectés ou à l'extension de la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV). En revanche, il ne faudrait pas que la taxation des services de streaming musical, autre piste envisagée, freine l'expansion des plateformes européennes, qui jouent le jeu de la transparence.

Concernant le CNC, le secteur du cinéma continue de souffrir : les Français n'ont pas encore complètement repris le chemin des salles et la filière de la création voit ses coûts de production et d'exploitation considérablement renchéris. La baisse de la fréquentation a un impact direct sur les recettes de la taxe sur les entrées en salle de cinéma (TSA). Quant au produit de la TSV, il est en progression constante grâce aux abonnements aux plateformes de vidéo à la demande.

Néanmoins, le secteur connaît plusieurs bouleversements de ses marchés avec le succès des plateformes de vidéos à la demande étrangères. La transposition de la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA) et le décret relatif aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad) ont permis de préserver l'exploitation des œuvres en salle et de réformer les obligations de contribution à la production pour tenir compte de l'assujettissement des plateformes étrangères aux règles de contribution. La succession des fenêtres d'exploitation semble équilibrée, même si la position des chaînes en clair, en particulier la clause d'étanchéité dont elles bénéficient, est remise en cause par certaines plateformes.

Je veillerai à ce que l'intérêt des opérateurs français soit conservé dans la chronologie des médias comme dans toute mesure de régulation du secteur, afin de défendre l'exception culturelle française à laquelle nous tenons tant. Un suivi des investissements des plateformes devra être établi, au-delà de leurs déclarations, en lien avec l'Arcom. Plus largement, je serai particulièrement attentif à l'indépendance des sociétés de production afin que les bénéficiaires des mesures de soutien public ne soient pas contrôlés par des sociétés de production extra-européennes.

Au-delà des aspects strictement budgétaires, j'ai choisi de consacrer la seconde partie de mon rapport à un état des lieux du droit voisin des éditeurs et agences de presse. Ceux-ci ont ainsi le droit d'autoriser ou d'interdire la reproduction de leurs publications par les plateformes numériques. Lesdites plateformes, notamment Google et Facebook, pratiquent une forme de prédation : elles exploitent les contenus des entreprises de presse en référençant les informations produites et en les mettant gratuitement à disposition des internautes. Si ce référencement génère du trafic sur les sites des éditeurs de presse, ce bénéfice est sans commune mesure avec les revenus publicitaires et indirects qu'en tirent les plateformes. Ces dernières années, les revenus des éditeurs ont été asséchés par le détournement des annonceurs publicitaires vers les plateformes numériques, au profit de celles-ci.

En 2019, pour mémoire, a été transposée la législation européenne relative au droit voisin. Le texte transposé étant une directive et non un règlement, il est demeuré des failles, dans lesquelles se sont engouffrées les plateformes. La nouvelle réglementation a été très mal reçue par les opérateurs non européens. Pendant pratiquement deux ans, ils ont contourné volontairement la loi. Je parle bien évidemment des Gafam, Google en tête. Ils ont mobilisé des moyens inimaginables à Bruxelles, exercé des pressions, voire brandi des menaces, les lobbys étant à la manœuvre.

Les entreprises de presse françaises font face à une opacité totale. De tels mastodontes gélatineux sont difficiles à saisir : ils s'entourent d'avocats et de juristes qui minimisent leurs chiffres et les recettes réelles dues à la presse française. Il faut savoir que, sur les dix dernières années, la presse a perdu 50 % de ses revenus publicitaires, lesquels ont été captés à 90 % par les Gafam.

Dans ces conditions, la tentation pourrait être grande de vouloir préciser la loi, mais il ressort des auditions que cela mettrait en péril les accords de rémunération obtenus après de longues négociations. Il convient de surveiller la situation de près.

J'émets un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission.

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