Intervention de Christophe Bentz

Réunion du mardi 18 octobre 2022 à 21h35
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Bentz, rapporteur pour avis :

La désertification médicale et les difficultés d'accès aux soins constituent une préoccupation majeure des Français. Notre système hospitalier est gravement malade et se dégrade depuis des décennies. Dans le même temps, le tissu de médecine de proximité, dans les villes et les villages de France, se délite.

Les Français se heurtent à des difficultés quotidiennes, du simple problème d'ordonnance au renoncement aux soins. Faute de service de proximité, faute de moyen pour y accéder, faute de médecin sur leur territoire, de nombreux Français subissent le recul des services de soins. Ce qui peut parfois avoir des implications très graves, comme la perte de chances d'être pris en charge pour une maladie qui aurait dû être traitée plus tôt.

Le sentiment d'abandon en la matière correspond à un abandon réel. La colère de la population est palpable. Ainsi, dans ma circonscription, une manifestation historique pour sauver les services hospitaliers de Langres a réuni, en juin dernier, plus de 2 000 personnes, alors que la ville compte un peu plus de 7 000 habitants. Cet exemple témoigne de l'urgence criante de la situation.

Mais avant de poursuivre sur ce sujet central, voici un avis concernant les crédits de la mission Santé du PLF 2023. Les crédits basés sur des indicateurs généralistes ne tiennent pas compte des spécificités et disparités sociales et territoriales.

Le programme 204 Prévention, sécurité sanitaire et offre de soins est en augmentation, grâce surtout à la progression des crédits pour la prévention des risques liés à l'environnement et à l'alimentation et pour la préparation des crises sanitaires. Si ces deux objectifs sont importants, trop peu d'éléments se trouvent dans les documents budgétaires pour que l'on puisse véritablement comprendre à quelles mesures concrètes ces crédits seront consacrés.

Le programme 183, qui recouvre principalement les dépenses liées à l'AME, est en augmentation de plus de 12 %. La hausse de l'AME est supérieure à celle de l'ensemble de la mission Santé. Le nombre de bénéficiaires de l'AME était de plus de 380 000 en 2021, contre 208 974 en 2011 – soit une augmentation de 82 % en dix ans. Dans ces conditions, il paraît nécessaire de remettre en cause la prise en charge de certains soins composant le panier de l'AME : dentaire, obstétrique, gynécologie, optique, etc.

Il apparaît indispensable de réformer cette aide, dont la vocation a été largement dévoyée, pour revenir à son objectif initial. C'est-à-dire apporter uniquement des soins à caractère urgent et lutter contre les maladies contagieuses, importées de l'étranger, afin de protéger les Français et la santé publique. En 2021 d'ailleurs, la Cour des comptes avait déjà alerté sur l'augmentation exponentielle de l'AME. Au-delà des montants, la dimension de contrôle est largement suffisante. Seuls 14 % des dossiers d'AME sont aujourd'hui contrôlés et aucune augmentation n'est prévue à cet égard.

Les comptes publics doivent bénéficier d'une bonne lisibilité, comme la Cour des comptes le recommande. Or l'ajout du programme 374, qui traite du remboursement à l'assurance maladie du coût des dons de vaccins à des pays étrangers, ne facilite pas la bonne lecture de l'évolution des crédits de la mission Santé. Il fait plus que doubler, artificiellement, la masse des crédits affectés à cette mission.

Avis défavorable, donc, sur les crédits de cette mission Santé, car ils ne correspondent pas, pour l'essentiel de ce budget, aux demandes et aux besoins de nos compatriotes.

Les Français nous hurlent leur désarroi, quant à l'accès aux soins dans de nombreux territoires. Le Gouvernement doit les écouter. Lors des auditions que nous avons effectuées, de nombreux constats ont été partagés, de nombreuses pistes de solutions ont rencontré une forme de consensus. Le temps du constat est maintenant révolu. Il est temps de passer à l'action.

Le constat chiffré, d'abord, est sans appel. En France, il y a 87 médecins pour 100 000 habitants, mais avec de très fortes disparités territoriales. La moitié des médecins ont plus de 60 ans. Ce sont 6 millions de Français qui n'ont pas de médecin traitant, alors que 10 % d'entre souffrent d'une affection de longue durée (ALD). Des milliers de nos concitoyens renoncent aux soins chaque année. Il y a une rupture d'égalité entre les territoires dans l'accès aux soins, rupture grandement due à la métropolisation des services de santé. Cela conduit souvent à des différences d'espérance de vie.

Les problématiques d'accessibilité aux soins doivent être évaluées au niveau départemental ou en fonction des bassins de vie, et non au niveau national, ni même régional. Le renoncement aux soins est plus fréquent chez les personnes modestes qui se trouvent dans une zone de faible densité médicale, où les risques de mortalité sont plus élevés.

La télémédecine est une solution très partielle et insuffisamment efficace. C'est un outil parfois utile, notamment pour la télésurveillance postintervention ou pour les consultations simultanées avec des spécialistes. Mais le lien social et humain avec un professionnel de santé reste primordial. Plus globalement, c'est la revalorisation des professions médicales qui permettra de renouer avec l'attractivité les métiers de la santé.

Parmi les solutions à développer, il nous faut agir sur les déterminants de l'installation des médecins. Le premier d'entre eux est le lien avec la zone d'installation. Or les étudiants en médecine sont très urbains et majoritairement issus de classes moyennes supérieures. Deuxième déterminant : la présence de services publics et d'infrastructures médicales, qui participent à l'attractivité d'un territoire.

Il faut aussi agir contre l'éloignement des lieux de formation et des territoires, grâce notamment à un recours accru aux stages. Les stages pratiques de formation peuvent être développés bien en amont dans le cursus, dès les premières années d'études. Les étudiants y sont favorables. On constate, en revanche, un décalage entre le nombre, suffisant, d'étudiants qui souhaitent effectuer leur stage en zones sous-dotées et le nombre, insuffisant, de maîtres de stages volontaires dans ces territoires. Pour inciter les médecins à devenir maîtres de stage, il faut valoriser la mission, essentielle, de transmission du savoir et de pratiques empiriques.

L'augmentation des moyens donnés aux étudiants pour se déplacer – indemnité de transport – et pour se loger lorsque les stages sont éloignés des lieux de formation, est également une solution. Comme peut l'être l'ouverture de centres de formation dans les zones moins bien dotées.

Quant à l'ajout d'une quatrième année d'internat en médecine générale, proposé par le Gouvernement, il n'a d'intérêt que si cette année supplémentaire profite prioritairement aux zones dans le besoin.

Pour les médecins en exercice, il faut poursuivre la libération du temps médical, grâce notamment à la délégation de tâches aux infirmiers en pratique avancée et aux assistants médicaux. On doit également poursuivre les mesures d'exonération et de cumul emploi et retraite, afin que les médecins retraités n'aient plus à acquitter les cotisations de retraite qui ne leur ouvrent aucun droit. Il importe encore de fixer les conditions de préavis après le départ d'un médecin en zones sous-denses.

Enfin, pour ce qui est du mode de régulation des médecins, sommes-nous encore dans un temps où l'incitation suffit ou devons-nous, au vu du degré d'urgence, introduire des dispositifs plus contraignants pour une période provisoire comme celle, sensible, qui court de 2022 à 2030 ? Si la suppression du numerus clausus a été positivement accueillie, elle doit être nécessairement assortie d'un mode de régulation territoriale, pour inciter à l'installation dans les zones qui ont le plus besoin et pour aboutir à une répartition géographique maîtrisée.

Ce débat doit être posé sans tabou, c'est pourquoi cet avis budgétaire liste les nombreuses idées et pistes de solutions à court, à moyen et à long termes, qui ont été évoquées lors des auditions.

De nombreux Français n'ont plus accès aux soins minimaux dans les déserts médicaux, qui concernent beaucoup de territoires. Les Français sont pourtant censés être les premiers bénéficiaires de la solidarité nationale qui, par définition, doit être nationale. Financer des soins au titre de l'AME pour plus de 1 milliard d'euros – un montant en augmentation –, cela au bénéfice d'étrangers clandestins qui violent notre droit, constitue un choix politique très contestable. La générosité de la France ne peut se faire au détriment de nombreux nationaux, qui ont tous droit à un accès aux soins de qualité et de proximité.

Lorsque le pays n'exerce plus totalement cette mission de santé publique et de protection de la vie des Français, par renoncement, par choix ou par incompétence, alors l'État a failli gravement et met en danger nombre de nos concitoyens.

Être Français est une chance, un privilège, qui implique un certain nombre de droits auxquels nos concitoyens peuvent prétendre. Les Français cotisent et paient des impôts pour avoir accès aux soins. Et ils nous élisent pour les défendre.

Endiguer la désertification médicale, avec rapidité et efficacité, est un impératif. Le Gouvernement n'a plus le droit à l'erreur. Il faut réduire cette fracture médicale, dont sont durement victimes les zones périphériques. Il faut mener des politiques de rééquilibrage, en privilégiant une logique de bassin de vie et non de métropolisation des services publics. C'est une question de justice territoriale.

Concernant le mode de régulation et d'installation des médecins, qui ont une mission de service public à assurer, de nouvelles actions d'incitation maximale sont nécessaires. À défaut, nous nous dirigerons inéluctablement vers un système de coercition, qui n'est pas souhaitable.

La France est, malheureusement, un pays en voie de tiers-mondisation médicale. Des milliers de femmes et d'hommes y renoncent, chaque année, à se soigner. Au nom de la protection de la santé de tous les Français, imagine-t-on un « quoi qu'il en coûte » contre la désertification médicale, des mesures contraignantes temporaires pour installer des médecins en zones sous-dotées ?

Pour assurer la bonne coordination des services au plus près des réalités, l'État doit faire confiance aux communes, aux départements et aux acteurs locaux de la santé. L'enjeu est de sauver notre système de santé et notre tissu territorial d'offre de soins.

C'est impératif, c'est urgent et les Français nous le demandent.

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