Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 15 novembre 2022 à 21h30
Orientation et programmation du ministère de l'intérieur — Article 6

Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer :

Non, ce n'est pas parce qu'il vient du Rassemblement national mais parce que les conditions dans lesquelles est recueillie la parole de la victime – et, par parallélisme des formes, celle de l'accusé – ont des répercussions sur le déroulement du procès.

Votre amendement aborde un point de droit qui touche à la philosophie de notre procédure pénale et, à ce titre, relèverait davantage du prochain projet de loi sur la justice que du ministère de l'intérieur. Au-delà du dépôt de plainte en visioconférence, dont j'ai bien compris qu'il constituait le cœur de votre amendement, faut-il filmer toutes les auditions de victimes et d'accusés, dans le but de les transmettre au procureur de la République afin qu'il engage les poursuites, au juge d'instruction lorsqu'il est nécessaire de lui rappeler l'historique de la première plainte, parfois plusieurs années en amont, ou encore pour les projeter devant les magistrats et éventuellement les jurés populaires des assises ?

Vous savez qu'au-delà des paroles, le langage corporel compte. Certains estiment même qu'il peut en dire beaucoup sur une victime supposée ou un suspect. Le meilleur exemple en est le cas de Dominique Baudis – paix à son âme – apparu le visage en sueur au « 20h » de TF1, ce que tout le monde interpréta comme un signe de sa culpabilité, alors que nous devions apprendre, des années et des calomnies plus tard, qu'il était parfaitement innocent. On ne peut donc pas d'emblée basculer du caractère écrit de la plainte – en usage aujourd'hui dans la procédure – à son enregistrement audiovisuel sans s'interroger très sérieusement sur les conditions de recueil de ladite plainte auprès de la victime.

Cela ne signifie pas que votre question soit mauvaise, et nous nous sommes nous-mêmes interrogés, avant de penser à la visioplainte, pour savoir si l'audiovisuel pouvait permettre d'épargner aux policiers et aux gendarmes la tâche administrative sans doute un peu longue de dactylographie. Pourquoi en effet ne pas avoir recours à l'un des nombreux logiciels qui permettent d'établir automatiquement un compte rendu analytique à partir du film d'une longue audition – le film serait ensuite également transmis au procureur de la République ou au magistrat instructeur ? Si en l'espèce, les décrets empêchent une telle évolution, nous ne sommes pas allés plus loin dans notre réflexion sur la transcription parce que la question globale que nous avons ouverte avec le garde des sceaux est en définitive celle du passage d'une procédure écrite à une procédure orale.

Lorsqu'une victime dépose plainte ou lorsqu'un accusé est auditionné par un enquêteur ou un magistrat instructeur, accompagné de son avocat, les réponses qu'il formule librement sont reprises par un greffier, pour ce qui concerne le magistrat, ou par un policier – demain, peut-être par, un assistant d'enquête, si vous votez le projet de loi. Ces derniers font ensuite relire cette transcription qui ne reprend pas les échanges au mot près, comme vous le savez. La personne concernée a alors le droit de corriger ses propos, voire de corriger des incohérences, avant de signer ce procès-verbal. Bien sûr, ce document écrit, qui reprend la plainte d'une victime ou l'audition d'un accusé sous forme de questions-réponses les matérialise sous une forme très différente de celle d'un enregistrement vidéo, lequel peut de surcroît être projeté à l'audience.

En vous disant cela, monsieur le député, j'ouvre, après vous, la question du passage de l'écrit à l'oral, grâce à ces nouvelles technologies que nous pourrions mettre au service de la vérité. Vous conviendrez que je ne peux pas prendre la responsabilité d'un tel changement de notre code de procédure pénale au détour d'un amendement, aussi intelligent soit-il. Je vous propose néanmoins que nous en reparlions très prochainement, quand le garde des sceaux présentera la réforme de code de procédure pénale.

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