Intervention de Sébastien Jumel

Séance en hémicycle du mercredi 16 novembre 2022 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur la politique énergétique de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel :

Engager un débat sur la politique énergétique de la France, figure imposée par la crise que nous traversons, c'est répondre à des questions majeures dans le cadre desquelles les politiques énergétiques jouent un rôle central : protéger le pouvoir d'achat de nos concitoyens ; assurer la souveraineté énergétique de la France, qui est indissociable de sa souveraineté industrielle ; être à la hauteur de l'urgence climatique.

Or ce débat s'ouvre dans un contexte géopolitique bouleversé par la guerre, dans lequel la France et l'Union européenne se retrouvent confrontées à une contradiction insurmontable : le dogme de la concurrence libre et non faussée auquel vous souscrivez, madame la Première ministre, ne permet pas la régulation. La concurrence libre et non faussée ne sécurise pas l'approvisionnement énergétique : elle affaiblit notre souveraineté et se révèle incapable de prendre soin de la planète. Nous considérons pour notre part, et j'y reviendrai, que l'énergie n'est pas une marchandise mais qu'elle est un bien de première nécessité, un bien commun. Cela implique que nos outils de production quels qu'ils soient – nucléaire, énergies renouvelables – échappent à la logique du marché.

Les fragilités que révèle la crise actuelle ne datent pas d'hier. Elle n'est pas sans rappeler le choc pétrolier de 1973, qui avait entraîné la multiplication par quatre du prix du pétrole brut et conduit le gouvernement Messmer, avec une forme de courage et de volontarisme politiques, à établir un véritable plan stratégique d'indépendance énergétique, puisant sa sève chez ceux qui dans le sang, les larmes et l'espoir de la Libération avaient créé EDF et GDF en 1946.

La hausse du prix du gaz naturel, et donc de l'électricité, ne date pas d'hier non plus. Ces prix sont, vous le savez, la conséquence du développement du marché de gros, rendu nécessaire par votre choix d'ouverture à la concurrence. Ainsi, dans le marché construit à l'échelle européenne avec des mix de production différents, les prix dépendent de la volatilité des énergies renouvelables et des prix du gaz fossile et de la tonne de C02. Je vous le dis tranquillement mais fermement : prétendre faire entendre la voix de la France alors qu'elle n'a plus le contrôle de ses tarifs d'électricité est une pure illusion ; elle est même une pure hypocrisie. De notre point de vue, il faudrait au contraire s'émanciper du dogme de la concurrence si l'on veut se donner les moyens de reprendre la main. L'actualité révèle d'une manière brutale et exacerbée les défaillances de notre politique énergétique, que nous dénonçons avec les représentants syndicaux des électriciens-gaziers depuis longtemps, et démontre sans effort les limites du tout marché.

Comme toujours, le discours était bien rodé : l'ouverture totale devait renforcer les droits des consommateurs et même favoriser l'innovation industrielle. Vous connaissez le résultat, qui est sans appel : les dispositifs déployés pour permettre aux nouveaux entrants de pénétrer le marché ont favorisé l'émergence d'acteurs devenus spécialistes de l'achat opportuniste au travers du mécanisme délétère de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), pratiquant le démarchage abusif, accumulant les pratiques commerciales trompeuses et siphonnant par la même occasion non seulement les finances d'EDF mais aussi ses savoir-faire et ses capacités d'investissement. Vous avez trop longtemps fermé les yeux sur cela. Vous avez dès le début renoncé à agir. Vous êtes, vous les libéraux, collectivement responsables de ce processus de déréglementation qui est à l'origine de l'explosion des prix et de la remise en cause de notre indépendance énergétique, à tel point que notre sécurité d'approvisionnement n'est plus certaine à la veille de l'hiver – ce qui est anxiogène pour l'économie réelle et les industries.

La commission d'enquête parlementaire lancée par le président Marleix et présidée par Raphaël Schellenberger permettra d'identifier, sur le temps long, les responsabilités et les choix politiques qui ont mené à ce fiasco. Je le redoute, j'ose même l'anticiper : elle n'épargnera pas grand monde, ni la droite ni la gauche molle.

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