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Pierre Morel-À-L'Huissier
Question N° 218 au Ministère auprès du ministre de l’intérieur


Question soumise le 26 juillet 2022

M. Pierre Morel-À-L'Huissier attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales sur l'application de l'article L. 1111-3-1 du code général des collectivités territoriales relatif à la différentiation. La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale a, dans son article premier, entériné un nouveau principe juridique : la différenciation. En ajoutant un nouvel alinéa à l'article L. 1111 du CGCT rédigé comme suit : « Dans le respect du principe d'égalité, les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales peuvent être différenciées pour tenir compte des différences objectives de situations dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales relevant de la même catégorie, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit proportionnée et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit », le législateur a souhaité graver dans le marbre de la loi ce nouveau principe, largement plébiscité et porteur d'espoir pour une meilleure mise en œuvre des politiques publiques au niveau local. Pourtant, dans son intervention en séance et en commission lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2022 relatif au pouvoir d'achat, le ministre de l'économie Bruno Le Maire a soutenu à plusieurs reprises, contre des amendements de collègues notamment d'outre-mer, que leurs propositions visant à lutter contre l'inflation et à défendre le pouvoir d'achat étaient irrecevables ou avec avis défavorable du Gouvernement au titre du principe d'égalité sur l'ensemble du territoire national. On sait pourtant que la situation dans les territoires ultra-marins, de Corse, mais aussi par extension comme la Lozère (70 000 habitants, entièrement zone de montagne, 15 habitants au km2) est tout à fait spécifique que ce soit sur le coût des produits de première nécessité, sur les besoins de carburant, sur l'énergie, sur l'accès à l'eau, etc. Il apparaît que la volonté du législateur, en votant le principe de différenciation, était justement de permettre une réponse adaptée en fonction des réalités de certains territoires, notamment du fait de leur enclavement qu'il soit insulaire ou montagneux. Aussi, il lui demande dans quel contexte le Gouvernement entend appliquer la loi relative au principe de différenciation.

Réponse émise le 31 janvier 2023

La loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplifications de l'action publique locale a inscrit, à l'article L. 1111-3-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le principe selon lequel « dans le respect du principe d'égalité, les règles relatives à l'attribution et à l'exercice des compétences applicables à une catégorie de collectivités territoriales peuvent être différenciées pour tenir compte des différences objectives de situation dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales de la même catégorie, pourvu que la différence de traitement qui en résulte soit proportionnée et en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit. » L'inscription de ce principe dans la loi - qui traduit la volonté du législateur de faire de la différenciation un objectif à part entière du pouvoir législatif comme du pouvoir règlementaire - n'opère pas de rupture avec le droit préexistant. En effet, loin d'être étrangère au droit, la différenciation est un principe reconnu de longue date par le juge, qui trouve de nombreuses applications en droit des collectivités territoriales. Ainsi, le juge constitutionnel reconnaît-il au sein d'une jurisprudence constante que le principe d'égalité ne s'oppose nullement à ce que le législateur « règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général ». Dans un cas comme dans l'autre, le Conseil constitutionnel a assorti cette faculté d'une réserve : la différence de traitement qui en résulte doit être « en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit » (Conseil constitutionnel, décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, Loi relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile). Se fondant sur cette interprétation, le Conseil d'État a pour sa part eu l'occasion de souligner que si les règles d'attribution et d'exercice des compétences étaient les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales, il n'en résultait pas pour autant que ces règles soient tenues d'être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie (Conseil d'État, avis n° 393651 du 7 décembre 2017 sur la différenciation des compétences des collectivités territoriales relevant d'une même catégorie et des règles relatives à l'exercice de ces compétences). Dans ces conditions, il incombe tant au pouvoir législatif qu'au pouvoir règlementaire d'édicter, le cas échéant, des règles qui tiennent compte des différences objectives de situation dans lesquelles se trouvent les collectivités territoriales de la même catégorie, sous réserve des conditions posées par la jurisprudence et par la loi. Enfin, il convient de noter que la loi du 21 février 2022 est à l'origine d'une extension du champ d'application de la procédure permettant aux collectivités territoriales de proposer au Parlement et au Gouvernement des modifications ou des adaptations du droit afin de tenir compte de leurs différences de situation. En effet, cette possibilité n'était jusqu'à présent reconnu dans les textes qu'aux départements d'outre-mer (article L. 3444-2 du CGCT), aux régions de droit commun (article L. 4221-1 du CGCT) et d'outre-mer (article L. 4433-3 du CGCT), à la collectivité de Corse (article L. 4422-16 du CGCT) ainsi qu'aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique (articles L. 7152-1 et L. 7251-1 du CGCT). L'article L. 3211-3 du CGCT, modifié par l'article 2 de la loi du 21 février 2022, étend ce droit aux départements de droit commun. Par ailleurs, les articles L. 3211-3, L. 3444-2, L. 4221-1 et L. 4433-3 du CGCT, dans leur rédaction issue de la loi du 21 février 2022, comportent une disposition commune prévoyant explicitement que les propositions de modification ou d'adaptation du droit peuvent porter sur une différenciation des règles applicables à l'attribution et à l'exercice des compétences dévolues aux collectivités territoriales.

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