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Bruno Fuchs
Question N° 2412 au Ministère de l’europe


Question soumise le 25 octobre 2022

M. Bruno Fuchs interroge Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la pertinence du criblage des bénéficiaires finaux de l'aide au développement à la charge des organisations de solidarité internationale et de développement. Le dispositif de « criblage » impose aux organisations non-gouvernementales (ONG) qui agissent dans le domaine de la solidarité internationale de procéder à la vérification de l'identité des bénéficiaires finaux de l'aide au développement lorsque l'opération implique un transfert de fonds et ce, afin de s'assurer qu'ils ne figurent pas sur les listes de mesures restrictives européennes et françaises. Ce dispositif a pour objectif de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Néanmoins, les organisations non-gouvernementales (ONG) qui ont la charge de procéder au criblage dénoncent les effets de ce mécanisme sur leurs actions en ce qu'il conduirait à un « fichage » des bénéficiaires, ce qui est de nature à installer une forme de défiance contreproductive sur le terrain. Par ailleurs, la Banque mondiale estime qu'il y a, dans le monde, plus d'un milliard d'individus qui ne détiennent pas de titre d'identité, faute d'état civil suffisamment structuré dans leur pays. Pour beaucoup d'entre elles, ces personnes vivent justement dans des États ou des régions récipiendaires de l'aide au développement. Imposer une vérification de leur identité les exclurait de fait du champ de l'aide. En outre, les procédures administratives supplémentaires induites par le criblage sont de nature à entraîner une augmentation des coûts de fonctionnement qui pèsent sur les ONG, au détriment des actions de solidarité qui sont pourtant l'essence de leur action. Il lui demande si d'autres mécanismes qui respecteraient mieux l'équilibre entre lutte contre le terrorisme et le blanchiment d'argent, d'une part et l'efficacité de l'aide au développement de la France, d'autre part, pourraient être mis en place.

Réponse émise le 3 janvier 2023

Des lignes directrices en matière de criblage ont été transmises au Parlement à la fin de l'année 2021, conformément aux dispositions de l'article 17 de la loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales. Ces lignes directrices sont l'aboutissement d'un travail de plusieurs mois, qui a fait l'objet d'échanges multiples avec les organisations de la société civile (OSC) dès le premier trimestre 2021. Le Parlement sait l'importance que cette question a revêtue pour le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE), et les efforts que l'ensemble de ses équipes ont déployés pour parvenir à un document le plus équilibré possible. Ces lignes directrices en matière de criblage ont été conçues afin de garantir le respect des engagements internationaux et européens de la France en matière de lutte contre le blanchiment et de financement du terrorisme et de permettre aux organisations de la société civile de continuer de déployer leurs activités, essentielles à la politique française d'aide au développement. Elles retiennent une approche fondée sur la finalité de l'action, reposant sur un faisceau de critères objectifs. Elles encadrent ainsi une minorité de projets, uniquement ceux impliquant des transferts monétaires et les dons de biens monétisables vers les bénéficiaires finaux. Ces lignes réaffirment, comme l'avait annoncé le Président de la République lors de la Conférence nationale humanitaire du 17 décembre 2020, l'application pleine et entière du principe de non-discrimination dans l'attribution de l'aide suivant les besoins des populations en situation de risque humanitaire. Elles se fondent également sur le postulat que certaines actions s'inscrivent dans le cadre d'un continuum avec l'action humanitaire et que la notion d'aide à des populations en situation de risque humanitaire doit constituer la pierre angulaire du raisonnement à tenir, permettant d'exempter de criblage la grande majorité des projets mis en œuvre par les organisations de la société civile. L'approche retenue se fonde sur la nécessité de mettre en œuvre les diligences, le cas échéant, de manière proportionnée, raisonnée et adaptée aux contextes de terrain, tout en veillant à analyser et atténuer les risques et à accompagner les acteurs de la société civile. Concernant les projets mis en œuvre sur financements de l'Agence française de développement (AFD), la logique retenue est donc celle du faisceau d'indices permettant de caractériser la finalité d'un projet répondant directement, ou non, aux besoins essentiels des populations en situation de risque humanitaire. L'État français n'exigera donc pas le criblage des bénéficiaires finaux de l'aide, lorsque les projets impliquant des transferts monétaires ou des dons de biens monétisables aux bénéficiaires finaux seront mis en œuvre en zones de crise ou dans le cadre d'une aide d'urgence, et s'inscriront dans les secteurs couverts par les plans de réponse humanitaire des Nations unies. En outre, les lignes directrices prévoient un certain nombre d'exceptions qui sont autant d'éléments de flexibilité qui permettront de ne pas exiger le criblage des bénéficiaires finaux. Ce sera le cas notamment lorsque les bénéficiaires finaux de l'aide ne disposent pas de documents légaux d'identité ou lorsque les bénéficiaires de cette aide pourraient être exposés à des persécutions en raison de leur engagement ou de leur identité. Le criblage des bénéficiaires finaux ne sera pas non plus exigé lorsque les montants transférés seront faibles dans certains cas précis, exposés dans ces lignes directrices. De ce fait, et du fait des exceptions introduites, le continuum entre aide d'urgence et stabilisation ne sera pas rompu et seul un nombre limité des projets mis en œuvre par nos partenaires de la société civile sur financements du MEAE ou de l'AFD devraient nécessiter un criblage des bénéficiaires finaux. Enfin, ces lignes directrices et le rapport que nous avons remis au Parlement en novembre dernier indiquaient notre conscience des coûts supplémentaires que ces démarches nécessaires pouvaient induire. Nous avons pleinement pris cela en considération dans l'accompagnement que nous apportons aux OSC que nous finançons et des frais de structures que nous couvrons dans les subventions qui leur sont attribuées. Parallèlement à la mise en place progressive de ces lignes directrices, la plateforme des organisations non gouvernementales françaises Coordination SUD, aux côtés de sept autres organisations non gouvernementales françaises, a saisi le Conseil d'État en déposant un référé en urgence et un recours en annulation pour contester ces lignes directrices en matière de criblage. Le Conseil d'État n'a pas donné suite à leur référé en urgence. Sans préjuger de la décision que rendra le Conseil d'État en réponse au recours en annulation que ces organisations ont formulée, l'État demeure engagé en faveur de l'accomplissement des missions de développement menées sur le terrain par les organisations de la société civile au service des populations locales, dans le respect de nos engagements en matière de lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent.

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