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Joël Giraud
Question N° 295 au Ministère de la justice


Question soumise le 26 juillet 2022

M. Joël Giraud alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur les arrêts rendus par la Cour de cassation, le 12 juillet 2022, à propos de l'utilisation des « données de connexion », c'est-à-dire les éléments tirés de l'exploitation de la téléphonie d'une personne dans les enquêtes pénales et leurs conséquences sur les moyens d'enquête des parquets du pays. Les décisions en question tirent les conséquences en droit interne d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 mars 2021 se prononçant sur les conditions dans lesquelles une réglementation nationale peut autoriser l'accès aux données de téléphonie (géolocalisation, fadettes, SMS) dans le cadre d'enquête pénales. La Cour de cassation a confirmé que le procureur de la République, parce qu'il est une autorité de poursuite, ne peut pas être compétent pour ordonner de telles mesures d'investigation attentatoires à la vie privée. La Cour constate donc que les réquisitions du parquet ou des enquêteurs visant les données de téléphonie sont contraires au droit de l'Union européenne et doivent désormais être autorisées au préalable par une juridiction ou autorité administrative indépendante, ce que la loi française n'organise pas. En outre, la Cour de cassation précise que même le juge ou l'autorité administrative indépendante n'a la possibilité d'autoriser de telles investigations que dans le périmètre de « la criminalité grave », sans définir la notion. Il en résulte une insécurité juridique majeure, la téléphonie étant un facteur central dans l'élucidation des affaires, autant à charge ou à décharge, utilisé quotidiennement par les parquets et services enquêteurs. L'impossibilité de recourir à ce type d'investigations pourrait constituer un obstacle majeur à la lutte contre les différentes formes de délinquance. De plus, l'application effective d'un contrôle préalable des réquisitions de téléphonie par le juge, au regard de la masse considérable d'autorisations qui seraient nécessaires, contribuerait à redéployer une grande part des juges dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'ils ne sont déjà pas en effectif suffisant. Il souhaiterait donc connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre afin de garantir le bon fonctionnement de notre justice, pérenniser les moyens d'investigation dont disposent les parquets et plus largement adapter le système juridique pénal français avec le droit européen.

Réponse émise le 7 mars 2023

Les éléments de preuves résultant de l'exploitation des données obtenues grâce aux réquisitions délivrées aux opérateurs de téléphonie mobile revêtent une importance majeure pour la manifestation de la vérité dans le cadre des investigations pénales. La question de la conservation et de l'accès de ces données pour les besoins des enquêtes pénales fait l'objet d'une jurisprudence restrictive de la Cour de justice de l'Union européenne depuis 2016, en raison des exigences inhérentes au droit de chacun au respect de sa vie privée. Les arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 juillet 2022 tirent les conséquences des décisions rendues par la Cour de justice de l'Union européenne. D'une part, la Cour de cassation énonce que les données de connexion ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquête pénales relatives à des infractions d'une certaine gravité. Sur ce point, la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire avait déjà limité une telle possibilité aux enquêtes relatives à une infraction punie d'au moins trois ans d'emprisonnement en application notamment du nouvel article 60-1-2 du code de procédure pénale. L'appréciation du caractère grave de la criminalité par les juridictions est également effectuée au regard de la nature des agissements de la personne mise en cause, de l'importance du dommage qui en résulte, des circonstances de la commission des faits et de la durée de la peine encourue. D'autre part, la Cour de cassation précise que la délivrance de réquisitions relatives aux données de connexion doit faire l'objet d'un contrôle préalable par une juridiction ou une autorité administrative indépendante au sens où l'entend la Cour de justice de l'Union européenne. Or, un tel contrôle, portant notamment sur la nécessité et la proportionnalité des réquisitions, est réalisé par les services du parquet selon les dispositions actuelles du code de procédure pénale relatives à l'enquête préliminaire et de flagrance. La Cour de cassation a toutefois jugé que les éléments de preuve ainsi obtenus ne peuvent être annulés que si une telle irrégularité portait concrètement atteinte aux droits de la personne poursuivie. Cette interprétation permet de limiter les cas dans lesquels la nullité des actes serait encourue et de sauvegarder la plupart des procédures pénales en cours. Dès le mois de juillet 2022, des guides à destination des juridictions pénales ont été diffusés afin d'exposer la portée des décisions de la Cour de cassation et de les accompagner dans la mise en œuvre de leurs conséquences. Par ailleurs, une réflexion approfondie est actuellement menée par les services du ministère afin d'apporter une solution juridiquement robuste et acceptable en pratique permettant de garantir l'efficacité de l'action des magistrats et des services enquêteurs en matière de lutte contre la criminalité.

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