Intervention de Bertrand Pancher

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher, corapporteur :

Ce rapport constitue le fruit d'un travail de longue haleine, pour lequel nous avons entendu un grand nombre d'acteurs, français comme européens ; il constitue désormais un document de référence pour quiconque voudrait avoir une bonne connaissance de la question ferroviaire en France. La convergence de vues entre M. Gilles Savary et moi-même au sujet du bilan de l'application de la loi du 4 août 2014 comme sur les mesures à prendre, est totale.

Dans cette présentation, je me bornerai à exposer les raisons ayant conduit le Gouvernement à présenter ce projet de loi et à livrer mon analyse des points forts et des points faibles de sa mise en oeuvre. De son côté, M. Gilles Savary remettra l'ensemble de la question en perspective et formulera un certain nombre de propositions.

L'objet de la réforme ferroviaire était la réduction des faiblesses et dysfonctionnements de notre système. La gouvernance était devenue ambiguë et obsolète, singulièrement du fait de la fausse séparation créée entre la SNCF et Réseau ferré de France (RFF). RFF a été créé en 1997 pour récupérer une partie de la dette de la SNCF. La structure était par ailleurs privée des moyens d'exploiter le réseau, puisqu'elle déléguait à la SNCF les tâches de développement, de maintenance et d'entretien de l'infrastructure.

La raison d'être de RFF était la reprise d'une partie de la dette de la SNCF afin de satisfaire aux dispositions du traité de Maastricht. À la veille de la création de cet organisme, la dette de la SNCF s'élevait à 30 milliards d'euros, dont près des deux tiers ont été repris par RFF. Cette opération a permis à la SNCF de rétablir ses comptes, sans pour autant résoudre l'ensemble du problème de la dette de notre système ferroviaire, ce qui aurait nécessité des investissements considérables.

À partir de 1997, à cette dette historique est venu s'ajouter l'endettement propre de RFF, lié aux investissements réalisés dans le système ferroviaire ainsi qu'au remboursement des dettes passées. Ainsi, la dette de RFF n'a cessé de croître, pour atteindre 37 milliards d'euros en 2013, avant l'adoption de la loi ; elle connaît depuis lors une progression de 3 à 4 milliards d'euros par an.

Avec 170 jours annuels de repos pour le personnel roulant de la SNCF et 129 jours pour le personnel de droit privé, la SNCF connaît des problèmes de compétitivité ; je rappelle que 80 % des frais de fonctionnement de l'entreprise sont constitués par la masse salariale. Par ailleurs, des investissements massifs ont été réalisés en dehors de toute réflexion sur leur financement. En l'absence de tout payeur clairement identifié, ces investissements se poursuivent sans que soit posée la question de savoir qui paiera à terme.

Le projet de loi a été présenté en parallèle de la négociation du quatrième « paquet ferroviaire », ultime élément de la politique européenne des transports ferroviaires, consacré à l'ouverture à la concurrence du marché du transport des passagers. Cette ouverture a été adoptée dès 1994 en Allemagne, alors que la France s'est montrée ambivalente et frileuse, jouant à la fois la carte de la compétition active sur les marchés européens et celle de la défense passive au plan national.

Le groupe SNCF, qui réalise le tiers de son chiffre d'affaires à l'international, n'a eu de cesse de freiner des quatre fers cette ouverture à la concurrence, dans laquelle son activité de fret n'est entrée qu'au tout dernier moment. De ces atermoiements et de ces lenteurs ont découlé des réformes improvisées, et le résultat aujourd'hui est une baisse continue du trafic du fret ferroviaire ainsi qu'un déclin rapide du marché du fret ferroviaire de la SNCF et de ses concurrents.

La réforme de 2014 prévoyait la constitution d'un groupe ferroviaire unifié comportant trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC), ce qui était de bon sens. Étaient prévus : un EPIC « de tête » regroupant toutes les fonctions générales ; SNCF Mobilités, EPIC d'exploitation ; SNCF Réseau, gestionnaire du réseau de plein exercice. Cette réforme est totalement compatible avec les règles européennes.

Un Haut Comité du système de transport ferroviaire (HCSTF) a été institué, qui participera à la définition de la stratégie, ainsi qu'un comité des opérateurs de réseau, chargé d'élaborer la charte du réseau. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) voit ses pouvoirs renforcés, notamment son pouvoir de codécision, elle émet aussi des avis simples et dispose d'un pouvoir de règlement des contentieux.

Un nouveau cadre social commun à l'ensemble du secteur ferroviaire a été posé ; il préserve le statut des cheminots, mais abroge le décret n° 99-1161 du 29 décembre 1999 relatif à la durée du travail du personnel de la Société nationale des chemins de fer français, dit « RH 77 », ce qui constitue une harmonisation progressive de l'ensemble des statuts.

Des contrats d'objectifs seront passés entre l'État et chacun des trois EPIC, avec une règle prudentielle, dite « règle d'or » — que nous devons à M. Gilles Savary —, ayant pour objet d'endiguer la dette du groupe. Aucun nouvel investissement ne sera réalisé s'il n'est pas pris en charge par le contribuable ou l'usager.

Des dispositions importantes ont été prises pour la sûreté, la sécurité et le financement des gares.

En outre, le législateur a ajouté des dispositions fixant au Gouvernement des clauses de rendez-vous dans les domaines du statut des gares et du traitement de la dette ferroviaire.

Souvenons-nous que, lors de nos débats le président Guillaume Pepy a indiqué que, sur 3,5 milliards d'euros d'endettement, un milliard et demi représente le remboursement de la dette des engagements passés, et un autre milliard et demi le déficit courant. Il a annoncé que la SNCF s'engageait à ramener ce milliard et demi à zéro par 3 fois 500 millions d'économies : un tiers grâce à des économies dans la branche infrastructures, un tiers dans la branche commerciale, un tiers en « cadeau de l'État », celui-ci n'ayant plus d'impôts à prélever sur un système déficitaire. En contrepartie de ce cadeau, l'État devait s'engager à reprendre une partie de la dette, comme dans le modèle allemand.

Le bilan de la réforme est ambivalent, en ce qu'il présente des sujets de satisfaction, mais aussi des sujets d'insatisfaction, voire d'inquiétude certaine.

Au titre des satisfactions, je citerai la publication de la quasi-totalité des décrets, la réorganisation du groupe ferroviaire, qui est effective depuis le 1er janvier 2015, et le cadre social, qui a été posé.

L'unification du groupe a constitué une démarche très complexe, car la mise en place des trois EPIC était difficile. Le délai du 1er juillet 2015 a été tenu, et il faut saluer une performance managériale remarquable, car 50 000 cheminots relevant de SNCF Mobilités ont été transférés à SNCF Réseau, avec une continuité contractuelle prévue par la loi.

D'importants gains de productivité ont été réalisés : 680 millions d'euros ont été annoncés pour 2015.

L'affirmation du rôle du régulateur est une bonne chose pour la transparence et la correction des incohérences du système ferroviaire ; le rapport salue d'ailleurs le travail de l'autorité de régulation, qui s'est pleinement approprié ses nouveaux pouvoirs et ses nouvelles missions. Toutefois, nous constatons un manque de moyens humains et financiers ; on ne saurait disposer d'organismes indépendants s'ils sont en permanence contraints à des efforts de réduction de dépenses.

Enfin, le retour au droit commun des conditions de travail des cheminots constitue, lui aussi, un point très positif.

Au titre des motifs d'inquiétude figure en premier lieu la réforme sociale qui reste à traiter : quand bien même le cadre a été fixé, le statut des cheminots est figé alors qu'il devait évoluer. Nous ne pouvons que déplorer cette situation, qui fragilisera le groupe lors de l'entrée dans la concurrence.

Il y a encore lieu de s'inquiéter de signes annonciateurs de déconstruction de la réforme : l'État ne se comporte pas en stratège dans ses choix, s'écartant du rôle que la loi lui a assigné, qui est de planifier à nouveau ses engagements en contrepartie des efforts consentis. A contrario, on assiste à une fuite en avant dans les investissements ; l'État est ainsi tenté de contourner par la loi la règle d'or devant garantir la maîtrise de l'endettement du système ferroviaire. C'est le cas pour le projet Charles-de-Gaulle Express, où tout recommence comme avant. C'est aussi le cas pour la reprise des réseaux déficitaires : la ligne Perpignan-Figueras, mal configurée au départ, en est un exemple flagrant.

Enfin, la réflexion sur la dette n'a pas évolué. Son montant s'élève aujourd'hui à 40 milliards d'euros, et l'on annonce sans sourciller qu'il serait possible de continuer ainsi jusqu'à 70 milliards d'euros pour financer les investissements de demain – tout cela sans s'interroger sur les conséquences sur le fonctionnement de nos EPIC ni de qui paiera.

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